ROLLENSPIEL


Brinn

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Commerce
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C'était une journée magnifique dans l'Aeden Aqueous, vraiment. Les oiseaux gazouillaient paisiblement dans le calme de l'après-midi, le soleil brillait et la sciure était chaude. Si l'on faisait abstraction des trois Trykers misérables qui allaient et venaient dans leur enclos des Esclavagistes, la scène aurait formé le parfait lucio de vacances.
Brinn jeta un oeil à ses deux compagnons avant de se tourner vers les esclaves. Pour la énième fois ce jour-là, elle jura mentalement. Les choses allaient de mal en pis, et elle était en train de perdre le contrôle de la situation. Sa paranoïa détestait ça. Sa paranoïa étant ce qui lui avait permis de survivre durant toutes ces années, elle avait tendance à lui faire confiance. Elle réfléchit pour tenter de comprendre où les choses avaient mal tourné. "Le client, se dit-elle, tout a commencé avec ce satané client."

Après huit ans passés dans le Refuge, les homins étaient finalement revenus sur les Nouvelles Terres, Brinn, Isildya et Gabrielo parmi eux. Tout allait pour le mieux pour la Matis à présent âgée de seize ans. La confusion du Retour l'aidait à voler, arnaquer, dealer, et plus généralement tromper tout homin assez naïf pour la croire innofensive. Elle avait perdu quelques-uns de ses contacts "commerciaux" cependant, avec la séparation des communautés, chacune repartie dans son propre pays. Le marché noir mettrait du temps à s'adapter à la nouvelle société.
Elle trainait près du marché d'Yrkanis, essayant de vendre occasionnellement des graines aux propriétés incroyables - d'après elle - à un prix exagéré, et subtilisant de temps en temps des possessions à ses clients au passage. C'est alors qu'elle l'avait repéré.

C'était sa tenue qui avait attiré son attention, dans un premier temps. Il était trop bien vêtu pour un réfugié ordinaire, mais pas à la manière extravagante des Nobles et des marchands. Son équipement était de qualité tout en restant sobre, et sa démarche gracieuse dégageait une confiance en soi évidente. Elle pensait pouvoir gagner des dappers avec lui, d'une manière ou d'une autre, alors elle l'approcha.
Il apparut rapidement qu'il était intéressé par l'aspect le plus sérieux de son commerce. Brinn avait déjà vendu de la drogue auparavant, parfois même essayé certaines, bien qu'elle pris garde à ne pas en faire une habitude: elle avait vu ce à quoi l'addiction pouvait réduire les homins, et s'était même enrichi à leurs dépens. Son besoin de garder le contrôle était trop fort pour qu'elle se laisse glisser dans cette douce évasion, même si elle l'avait souvent souhaité. Son instinct de survie refusait de la laisser tomber dans ce piège. Ainsi, lorsque le client exprima ses doutes quant à sa capacité à lui procurer ce qu'il cherchait, elle lui assura avec sa façade de confiance habituelle qu'elle le pouvait.

"Ca, c'était une belle erreur" se dit-elle en entrant dans l'enclos des esclaves. "Idiote! T'as eu les yeux plus gros que le ventre, et regarde où tu en es! Bien joué!".
De la goo. Le client cherchait une drogue faite à partir de goo. Elle avait du retenir l'exclamation qui avait failli quitter ses lèvres lorsqu'elle avait entendu le nom. Elle aurait du faire marche arrière à l'instant même, mais Oh non !, elle avait conservé son sourire confiant et répondu: "Je vais voir ce que je peux faire".
Elle aurait encore pu tout arrêter lorsqu'elle l'avait revu la fois suivante, aurait pu dire que ce n'était pas possible, mais son amie Isildya qui s'y connaissait en plantes et en poisons avait indiqué qu'elle envisageait de travailler avec de la goo de toute façon et qu'elle pouvait tenter de reproduire ce que le client désirait. La quantité astronomique de dappers que ledit client avait promis, des sous qu'elle savait qu'il possédait, n'était pas non plus étrangère à sa décision. Alors, l'arnaqueuse avait commencé à négocier. Cela avait représenté beaucoup de travail : tenter de le convaincre d'avancer des dappers, monter une expédition pour le Désert - encore ! - pour installer un laboratoire loin d'Yrkanis (l'obsession d'Isildya avec la protection du Royaume contre toute menace, y compris la goo, était très étrange pour Brinn, mais elle y était habituée) tout en gardant son amie et le client aussi ignorants l'un de l'autre que possible. Cet homin était un plus gros poisson que ce dont elle avait l'habitude. Il sentait les ennuis, elle s'en était rendu compte à ce stade, il la rendait de plus en plus nerveuse à chacune de leurs rencontres, mais il était trop tard pour faire machine arrière. Au lieu de cela, elle avait essayé de protéger son amie autant que possible. Isildya, bien que plus mature qu'elle de bien des façons, était naïve concernant la nature homine, trop prompte à faire confiance au goût de la voleuse. Brinn savait: elle avait vu le pire dont ils étaient capable. Elle avait caché l'identité de son amie à son client, tout comme il avait caché la sienne. Elle avait tout fait pour qu'ils ne se rencontrent pas, car même si Isildya portait un masque, même sans donner son nom, il pouvait leur faire du mal facilement s'il le désirait, et elle était responsable d'avoir entraîné son amie dans cette affaire.

Cela avait fonctionné durant un temps, jusqu'à ce que soit mis sur la table le problème des... sujets de test. Isildya avait besoins d'homins pour essayer la drogue, et le client avait promis qu'il en fournirait. Brinn avait du retenir une grimace de dégoût: elle n'avait jamais trempé dans le trafic d'homins, et les expériences de son amie l'avaient toujours perturbé, mais c'était la première fois qu'elle devait y prendre part. Ce que le client n'avait pas dit, c'est qu'il ne pourrait pas les livrer: elles, Isildya, devaient le suivre jusqu'aux "sujets".
Il va sans dire que l'arnaqueuse n'était pas du tout contente d'apprendre la nouvelle. Tout d'abord, cela signifiait qu'elles devaient suivre aveuglément un dangereux homin à l'identité inconnue, et espérer qu'il ne leur tende pas de mauvais coup. Rien que cela suffisait à lui mettre les nerfs à fleur de peau, mais cela signifiait également que le client rencontrerait Isildya. C'était inacceptable, bien que son amie, elle le savait, ne partageait pas ses craintes. La botaniste était parfois trop confiante et naïve pour son propre bien. Brinn fit tout ce qu'elle pu pour convaincre le client, mais il ne céda pas. Elles viendraient aux sujets, ou s'en passeraient.

La voici donc dans le camp des esclavagistes, en compagnie d'un dangereux homin à l'identité mystérieuse, et de sa meilleure amie, en train de se préparer à administrer un poison à une Trykette effrayée. Bien entendu, il fallait que ce soient des Trykers. Pour des raisons incompréhensibles pour Brinn, Isildya était terrifiée par cette race, par leurs trop grands yeux dans leur trop petit visage. Elle avait donc donné les échantillons à la voleuse, et lui avait demandé de les faire avaler aux esclaves. Pour ce qui lui parut être la centième fois ce jour-là, Brinn se maudit, maudit le client et maudit toute la situation.
Elle administra les deux premiers échantillons à deux des Trykers tandis qu'Isildya prenait des notes dans son carnet. Le client la questionna sur ses observations:
"Avez-vous essayé l'originale? Il reste un cobaye."
La scientifique saisit l'échantillon qui ne quittait jamais son cou et le lança à sa complice. Brinn l'attrapa et l'administra au dernier sujet, une Trykette chauve et maigre.
Elle se retira rapidement, pas fâchée d'en avoir fini, et repris sa place entre le client et son amie. Elle du réprimer un autre frisson lorsque la Trykette se mis à convulser, les yeux roulants dans leurs orbites, gémissant pitoyablement avant de mourir, la bave aux lèvres. C'était ça que le client voulait utiliser comme une drogue?

Elle regardait la scène d'un air incrédule tandis qu'Isildya à ses côtés prenait calmement de nouvelles notes. La botaniste pencha son carnet pour laisser son amie le lire: "Comme je le pensais, la concentration est plus élevée, mais je ne vois toujours pas ce qu'il veut faire avec." Le calme de son amie était un maigre réconfort; Brinn, de son côté, luttait pour cacher son état mental à son audience. Elle fut prise d'inquiétude quand son amie exprima ses doutes à haute voix. Uh-oh, mauvaise idée. Ce n'était jamais bon de questionner les motivations de la clientèle, moins on en sait et mieux l'on se porte. Elle n'interrompit pas, cependant, ne désirant pas afficher de désaccord avec Isildya en face du client. Elle devait bien admettre que la réponse l'intéressait également.
"Je cherche un ersatz. Une substance qui offrirait une fraction de leur extase."

"Eux", Brinn le savait, faisait référence au clan maraudeur qui produisait la drogue originale, "la sève noire" comme ils l'appelaient. Le processus de fabrication était un secret bien gardé, et ils refusaient d'en faire commerce. Le client les avait mentionnés brièvement une fois. Brinn n'avait aucune intention de fricoter avec ce groupe-là. L'idée que le client envisageait de les défier était effrayante: soit il disposait de beaucoup de pouvoir, soit il était fou. Elle préférait ne pas penser que les deux étaient vrais: ç'aurait été tout bonnement terrifiant. Tandis qu'elle ruminait ces pensées, ses deux compagnons continuaient à discuter des effets recherchés pour la drogue. Brinn fut tirée de sa réflexion lorsqu' Isildya se leva brusquement en poussant une exclamation exaspérée:
"Ce test était inutile!" La scientifique fit face à son amie et ajouta: "La démonstration nous était destinée." Brinn tourna son regard vers l'homin; Isildya, croyant qu'elle n'avait pas compris, expliqua: "Seul quelqu'un en ayant déjà consommé pourrait nous dire si nous sommes sur la bonne voie."
Brinn ne croyait pas que le client était stupide. Les implications de ce qu'Isildya venait de dire étaient dérangeantes. Elle gardait les yeux fixés sur l'homin masqué tandis qu'il continuait à parler de la drogue:
"Ce produit ouvre les portes d'un nouveau degré de conscience d'Atys... C'est pour cela que le Clan de la Sève Noire est si... charismatique."
Brinn l'interrompis: "A vous entendre, vous les admirez presque.. Pourquoi vous allez pas les rejoindre?" Ce n'était pas favorable aux bonnes affaires de tenter de convaincre les clients d'aller se fournir ailleurs, elle le savait, mais elle était de plus en plus suspicieuse de la façon dont ce client-ci parlait du clan maraudeur. Alors qu'il se comportait de manière méprisante envers tout et tout le monde, il semblait les respecter. Il est vrai qu'il faut bien respecter une puissance telle que la leur, qu'on soit ami ou ennemi, mais ça n'était pas la question.
L'homin pris son temps pour répondre, choisissant ses mots avec soin, et rien que cela suffit à déclencher toutes ses alarmes:
"Certaines de mes convictions ne conviendraient pas aux leurs. Et des Maraudeurs sont dangereux, même si on en est soi-même un. Certains d'entre eux sont ... déconcertants."
Même si on en est soi-même un. Brinn répliqua avant de pouvoir s'en empêcher: "C'est votre cas aussi?"
Là-dessus, le client éclata de rire. Etrangement, le son n'avait rien de rassurant.
"Vous êtes bien curieuse pour une simple voleuse... Mais soit." dit-il, et Brinn se maudit une fois de plus d'avoir posé des questions inutiles. Elle ne voulait plus connaitre la réponse, elle doutait que ce qu'elle trouverait lui plairait. A ses côtés, Isildya pris sa main dans la sienne et demanda s'il te plaît de quitter cette prison à vermine. Brinn resserra sa main plus fort pour la rassurer, et sa prise sur sa propre dague pour se rassurer. Le homin continua: "Je fais affaire avec ces Homins libres et puissants. J'ai trop "d'affaires officielles" pour pouvoir les rejoindre sans tout recommencer à zéro. Mais j'envie presque la liberté et l'indifférence qu'ils montrent face aux autorités auto-proclamées." Encore le discours admiratif.

Ce n'est que lorsqu'Isildya se remis à poser des questions que les choses tournèrent mal.

"Vous en avez déjà pris n'est ce pas ?" Le ton d'Isildya était sincèrement curieux et Brinn le reconnu comme celui qu'elle prenait à chaque fois que quelque chose attirait son intérêt scientifique. Son amie semblait toujours perdre toute émotion lorsque cela se produisait, ne laissant qu'une froide curiosité. La voleuse serra les dents, sachant pertinement qu'elles avaient déjà posé plus de questions qu'elles ne l'auraient dû. Elle n'était pas certaine de la patience du client, mais elle doutait qu'elles soient loin de sa limite. En savoir trop ne pouvait que leur attirer des ennuis de toute façon. La réponse défensive qu'elles reçurent la persuada qu'elles avaient épuisé leur temps de questionnement:
"Et si c'était le cas ?"
L'empoisonneuse parue soudain fascinée et amusée: "Devenez testeur ! Vous le voulez ou pas votre erzat ?"
Brinn se tourna vers son amie, stupéfaite: "Quoi?!" Elle la supplia du regard d'arrêter de jouer avec ce dangereux homin. C'était de la folie. Mais la jeune fille effrayée qui lui avait demandé quelques minutes plus tôt de quitter cet endroit avait disparu, laissant place à la scientifique cherchant à créer un nouveau poison.
Lorsque le homin répondit, le sang de Brinn se glaça dans ses veines.

L'homin masqué la pointa du doigt, et demanda simplement à Isildya: "Pourquoi pas celle-là ?"


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