ROLEPLAY


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#1 [fr] 

Note: Merci à Diwen et Liz pour leur aide dans la rédaction de ces textes. Toute erreure restante m'est attribuable. Tout commentaire ou correction est bienvenu, que ce soit au sujet de la grammaire, syntaxe, orthographe, tournure de phrase, mise en page ou structure générale du texte et de la narration.
La majeure partie de l'histoire est commune à celle d'Isildya, dont le thread (complémentaire à ce fil) est consultable ici.
Avertissement: Thèmes potentiellement perturbants plus loin dans l'histoire. Mort de personnages.


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Départ
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Lorsque sa mère entra dans leur logement d'Yrkanis, Les yeux écarquillés de frayeur, l'enfant compris immédiatement que quelque chose n'allait pas. Elle observa la Matisse dans ses va-et-vient à travers la pièce, rassemblant nerveusement leurs quelques affaires et les fourrant dans un sac usé. Tout en s'activant, l'homine s'adressa à sa fille d'un ton aussi calme et rassurant que possible, mais l'enfant n'était pas dupe:
"Prépare-toi ma chérie, on part en balade."
"Où ça?" demanda l'enfant, confuse et de plus en plus inquiète. Elle n'avait vu sa mère dans un tel état qu'une seule fois auparavant, lorsqu'elle avait perdu son travail à l'atelier de couture après qu'on l'ait accusé à tort d'avoir volé son employeur. Sa mère avait alors annoncé qu'elles risquaient de devoir déménager. Après ça, durant un temps, il avait fallu dormir dans des endroits inconfortables et la nourriture s'était faite plus rare.
"Dans un lieu magique sans kitins, répondit sa mère avec un sourire qu'elle espérait être confiant et chaleureux. Tu verras, ça sera comme partir à l'aventure, à la recherche de la Terre Promise." Elle tentait de faire appel au goût de l'aventure de sa fille : elle savait à quel point l'enfant était téméraire, ce qui était d'ordinaire une grande cause de soucis.

À son grand désarroi, la jeune Matisse ne sauta pas de joie à la nouvelle. Sa petite Brinn était observatrice et pouvait sentir la peur que l'adulte essayait désespérément de cacher. Il faut bien dire qu'elle n'avait jamais été si terrifiée de sa vie. Le Karan avait décidé que tous les habitants du Royaume devaient partir pour Pyr, et de là vers un refuge que les kitins n'atteindraient pas. Ils prenaient la fuite, les kitins risquant d'attaquer à tout moment. Une fois de plus, l'hominité se retrouvait à la merci des horribles créatures. La Matisse réalisait seulement maintenant l'ampleur de la situation, et elle luttait pour ne pas éclater en sanglots. Ils avaient perdu.

Les mains tremblantes, elle enroula un châle rapiécé autour des épaules de sa fille tout en arrangeant sa tenue pour le voyage. Le châle n'était pas encore nécessaire, mais Jena seule savait à quel point le soleil du Désert serait brûlant une fois atteinte la frontière Fyros.
Elle se releva et embrassa l'unique membre de sa famille sur le front, luttant pour contenir les larmes qui commençaient à brouiller sa vue. Elle annonça dans un souffle :
"Allons-y ma chérie. En route."


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Voyage
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Du haut de ses huit ans, Brinn observait, les yeux écarquillés, l'énorme mur de Pyr face à elle, sa fatigue oubliée à présent qu'une nouvelle source d'émerveillement se présentait à elle. Tout autour, des homins de toutes races étaient rassemblés dans un tourbillon d'activité. Elle n'avait jamais vu autant de gens si différents en un seul endroit. Tous étaient fatigués, certains tristes ou sous le choc, d'autres déterminés.

Voyant que sa fille était à nouveau captivée par leur environnement, la Matisse sourit, heureuse de la distraction. Le voyage avait été difficile pour toutes les deux, tous ses muscles étaient endoloris et la chaleur était écrasante. De tous les endroits possibles, pourquoi leur exil devait-il les mener dans le Désert?
Elle craignait qu'un Fyros ne les agresse. La vie n'avait jamais été facile pour leur petite famille, et elle savait qu'elle ne devait pas attendre d'aide des gens autour d'elle. Ici plus que jamais elles se trouvaient en territoire hostile. Les lois locales protégeraient-elles des Matis des Patriotes ? Les lois seraient-elles seulement appliquées, dans les circonstances actuelles ? Qui gâcherait son temps pour aider deux pauvres réfugiées insignifiantes, sur les terres de leurs ennemis séculaires? Mais les Fyros, comme tout le monde, semblaient avoir mieux à faire que de se préoccuper d'elles. Eux aussi se préparaient à abandonner leur foyer.

Elles se remirent en route.


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Voleuse
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Au milieu du brouhaha du Refuge récemment peuplé, recroquevillée dans un coin, à peine visible entre les caisses et sacs attendant d'être déballés, se trouvait la forme tremblante d'une enfant Matisse. Cela faisait des heures qu'elle était assise là, depuis que la procession de réfugiés était arrivée jusqu'ici. Personne ne lui prêtait attention, personne ne semblait même remarquer sa présence. Les traces de larmes séchées marquaient ses joues et elle regardait dans le vide, immobile. Ce qu'elle voyait n'était pas réellement ici. Les dernières heures avant d'atteindre le refuge repassaient en boucle devant ses yeux, encore et encore.
Elle était exténuée par ce long voyage. Elle ne savait pas depuis combien de temps elle marchait. Sa mère ne pouvait pas souvent la porter car elle-même était épuisée et transportait leur sac. Leur cortège avait déjà été attaqué plusieurs fois par des kitins et autres créatures hostiles qu'elle n'avait jamais vu et dont elle ne se souvenait pas le nom.
Tout à coup, des cris avaient retenti, suivis par le bruit de la bataille, des rugissements monstrueux et des hurlements de douleur. Le vacarme était assourdissant. Tout le monde courait, combattait, criait. Quelqu'un près d'elle jura dans une langue étrangère. Elle croyait avoir entendu le mot "kitin" à un moment donné. Elle tomba à la renverse, elle était incapable de dire qui ou quoi l'avait bousculé. Elle n'avait aucune idée de ce qu'il se passait, le sang pulsait, assourdissant dans ses oreilles, son coeur battait la chamade dans sa poitrine, sa mère... Où était sa maman?
Elle ne pouvait se rappeler clairement de ce qui s'était passé après ça. La panique l'avait envahit, il y avait eu beaucoup de bruit. Les gens courraient, elle avait été entrainée et s'était retrouvée ici, dans le Refuge.
Au début, elle avait erré à travers les lieux en appelant sa mère. Parfois, un homin s'arrêtait pour l'écouter, mais aucun ne savait où était sa mère, ils se contentaient de la regarder avec pitié et de secouer la tête tristement avant de reprendre leur chemin. Tout le monde était fatigué, blessé, en deuil. Elle avait peur et elle ne trouvait pas sa maman.
Finalement, le désespoir et l'épuisement avaient eu raison d'elle. Elle s'était effondré contre une caisse et endormi en sanglotant.

Elle était réveillée à présent, depuis un bon moment. Elle n'avait plus l'énergie de pleurer et aucune idée de ce qu'elle devait faire. Elle voulait que sa mère vienne la chercher et tout s'arrangerait. Elle voulait que quelqu'un, n'importe qui, la trouve et s'occupe d'elle. Elle avait faim mais elle y était habituée - il n'y avait pas eu à manger tous les jours avant le Voyage de toute façon. Elle ne savait pas quoi faire.

Alors elle attendait.

Des heures durant elle resta là, apathique, à se demander quand quelqu'un viendrait la chercher. Elle espérait encore que sa mère la trouve, mais elle avait reconnu les regards qu'on lui avait porté plus tôt - elle n'était pas stupide, elle avait entendu les gens parler, les avait vu pleurer leurs mort après l'attaque.

Malgré tout, elle attendait.

Les heures se changèrent en jours, son ventre commença à lui faire mal, mais personne ne la remarqua. Parfois elle s'endormait, et se réveillait à chaque fois désorientée, avant de reprendre conscience de sa situation : elle était seule.

Puis, elle reprenait son attente.

Elle ne s'était jamais sentie aussi faible de toute sa vie. Elle n'aurait probablement pas été capable de se lever si elle l'avait voulu. Elle savait qu'il lui fallait attendre, mais elle n'était plus trop sûre quoi exactement. Etait-ce quelqu'un? Oui, quelqu'un était censé l'aider. L'aider comment ? Qui ? Personne ne lui prêtait attention. Quelqu'un la connaissait-elle ici ? Elle décida que non, probablement pas. Alors qu'est-ce que cela signifiait pour elle ? Que devait-elle faire ? Depuis combien de temps était-elle ici de toute façon ? Son ventre lui faisait tellement mal. Elle ne se souvenait pas avoir déjà passé autant de temps sans nourriture. Avant le Voyage, même durant les coups durs, sa mère avait toujours fait en sorte qu'elle ait à manger au moins une fois par jour... Tous les deux jours dans le pire des cas. Elle n'était pas difficile, pas du genre à se plaindre, elle savait que ça n'arrangeait jamais rien. Mais à présent elle avait mal. Et elle était si faible. Etait-elle en train de mourir ? Etait-ce ce que l'on ressentait ? Allait-elle mourir ici, dans l'indifférence générale ?

Quelque chose en elle se mit à brûler. Une chaleur qui lui donnait de l'énergie. C'était probablement quelque chose de semblable à de la rage, bien qu'elle ne s'attarda pas sur la question. Tout ceci, ça n'était pas juste. Les choses n'étaient pas sensées se dérouler ainsi. Elle ne voulait pas que cela se passe de cette façon. Elle avait envie de hurler, mais elle n'en avait pas la force. Sur son visage resté jusqu'alors apathique, ses sourcils se froncèrent. Ses yeux vides s'enflammèrent de colère et de frustration, et se mirent à observer à nouveau les alentours. Elle vit les gens passer devant elle sans même un regard, et pour cela elle les haït.

Elle remarqua un Fyros avec un chariot de graines et son estomac gargouilla. Elle sursauta à cette étrange sensation: il n'avait plus fait cela depuis un moment, en y repensant. Elle n'aurait même pas considéré les graines comme de la nourriture avant le Voyage. A présent, elle ne pouvait s'empêcher d'en vouloir à manger. Pour la première fois depuis des jours, elle se leva. Lentement, vacillant sur ses jambes, elle marcha vers le Fyros au chariot. Elle se demanda vaguement comment il avait réussi à l'amener jusqu'ici, étant donné le périlleux voyage qu'il avait fallu accomplir. Pas juste, une fois encore. Le Fyros au chariot fini par la remarquer. Instantanément son visage se tordit en une grimace. "T'as pas intérêt à approcher tes sales pattes de ma marchandise! Fyrak! Tu empestes !" Brinn sursauta à ces mots, les premiers qui lui étaient adressés depuis des jours. Etrangement, elle ne pleura pas. Il lui semblait que la rancœur était tout ce qu'elle était capable de ressentir, à présent. La tête basse, elle fit demi-tour avec déception, prête à retourner à sa caisse. Soudain, une des roues du chariot céda. Il avait probablement subit trop de dommages durant le Voyage et toutes les graines se retrouvèrent éparpillées au sol. Le Fyros au chariot jura, le vacarme attirant des passants curieux, certains offrant leur aide. Rapidement, une petite foule était rassemblée.
Brinn observait la scène en silence, figée en pleine réflexion. Une fois de plus, personne ne lui prêtait attention. Elle s'approcha sans un bruit du charriot et ramassa autant de graines qu'elle pouvait transporter dans sa chemise rapiécée. Puis elle tourna les talons et s'enfuit en courant avant que quelqu'un ne la remarque.

Plus tard, elle trouva un endroit calme derrière une tente à l'écart pour savourer son premier "repas" depuis son arrivée au Refuge. Elle se sentait mieux. Elle n'aurait même pas cru être encore capable de courir, faible comme elle l'était. La montée d'adrénaline avait aussi aidé. Et à présent son ventre était plein.
Elle pris le temps d'examiner sa situation. Personne n'était venu. Personne ne se souciait d'elle. Elle serait morte dans son coin si elle ne s'était pas levée et n'avait pas pris les graines au méchant Fyros. Elle se sentait tellement mieux à présent.

Personne n'était venu et personne ne viendrait. Mais elle pouvait prendre son sort en main et agir pour elle-même. Elle n'avait besoin de personne. Tout allait bien se passer.

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#2 [fr] 

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Amie
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C'était jour de marché dans le Refuge. Au milieu de l'activité de la foule, Brinn observait, à la recherche d'une proie, forte de ses deux années d'expérience.
Elle n'avait pas eu de chance, récemment; la mésaventure avec la Trykette cupide de la semaine précédente n'était que la pire. Cette dernière l'avait surprise alors que Brinn pillait son stock. La voleuse avait paniqué à l'idée d'être arrêtée, punie. Qui pouvait dire ce qui allait se passer ? La Trykette avait l'air très, [très en colère. Tandis qu'elle tentait de s'échapper, essayant de trouver n'importe quoi qui puisse l'aider, elle avait saisi une dague qui trainait parmi les possessions de sa victime sur une table basse. Quand la victime - qui ressemblait plutôt à un prédateur enragé à présent - s'était jetée sur elle, la Matis avait poussé un petit cri, levé les bras, fermé les yeux et... Quand elle avait osé les ouvrir à nouveau, elle était étendue sur son dos endolori et la Trykette gisait par terre à ses côtés, immobile. C'était son premier meurtre.
Elle avait été tellement choquée qu'elle en avait oublié d'emporter le butin avec elle lorsqu'elle s'était enfuie en courant. Elle avait couru, couru, puis avait fini par sortir de sa stupeur et examiner les environs. Elle ne cessait jamais de prêter attention à son environnement, en principe. Heureusement, ses jambes semblaient l'emmener en sécurité même lorsque son esprit décrochait. Elle était restée là, debout, pendant un long moment, encore tremblante.

Elle n'avait pas beaucoup mangé, cette semaine. Elle était trop distraite, ses quelques tentatives pour voler de la nourriture avaient souvent mal tourné, sans parler de dérober autre chose; elle ne parvenait pas à retirer l'image de la Trykette morte de sa tête. Et à présent, elle avait faim.
Elle remarqua un jeune adulte Fyros à l'air gentil, debout, devant un étal. Il souriait à tous les commerçants à qui il adressait la parole, prenant le temps de saluer chacun d'entre eux même lorsqu'il n'achetait rien, et - plus important - Brinn avait remarqué les quelques dappers supplémentaires qu'il avait glissé avec son paiement en achetant deux belles bagues. Il fera l'affaire, se dit-elle en le voyant ranger ses nouvelles acquisitions (pas pour longtemps si elle avait son mot à dire). Elle choisit de jouer la carte de la fille apeurée, fuyant un marchand d'esclaves. Dans la confusion et la pauvreté causées par l'Exode, les homins cupides trouvaient toujours un moyen de profiter de la misère des autres et certains avaient pris un intérêt pour cette activité. Sa comédie fonctionna, et tout en séchant ses larmes de crocodile, elle regarda le Fyros s'éloigner, inconscient des anneaux manquants qui brillaient à présent dans la paume de sa main. Elle sourit. Enfin, elle reprenait le coup de main.

"Tu es douée pour une aussi jeune homine. On doit avoir presque le même âge tous les trois... mais tu t'es bien débrouillée avec le Fyros" dit une voix d'enfant sur sa gauche. Malgré la jeunesse de la voix, les mots étaient incisifs, et le dernier avait été prononcé avec tant de dégoût que Brinn savait ce qu'elle allait voir avant même de se retourner. Devant elle se trouvaient deux jeunes Matis, bien habillés, propres, se tenant avec fierté et en train de l'examiner. Il fallut un moment pour que l'esprit de Brinn enregistre le fait que ces deux enfants, vraisemblablement nobles, s'adressaient à elle. Pas pour l'insulter, pas même pour se moquer ou la mépriser, et certainement pas pour la blesser. Ils la complimentaient. Dans leurs yeux, Brinn ne trouva que... de l'intérêt? Une première. Elle était rompue dans l'art de passer inaperçue, mais ces deux-là l'avaient vue en train de voler, elle avait intérêt à écouter ce qu'ils voulaient.
L'inconnue se présenta sous le nom d'Isildya, et son cousin Gabrielo. Tandis qu'elle continuait à parler, Brinn les examina attentivement. Ils avaient l'air jeune, très jeune, mais leurs manières et leur discours étaient ceux de personnes bien plus matures qu'elle-même. Les nobles! C'était difficile de leur donner un âge. La fille voulait une plante qu'elle n'aurait vraisemblablement eu aucune difficulté à acheter - du moins, c'est ce que pensait Brinn ; ils étaient Nobles, après tout, et dans son esprit, ils débordaient forcément de richesses - mais elle voulait que Brinn la dérobe pour elle, ou au moins les graines. La voleuse réalisa qu'elle était mise à l'épreuve. Elle ne savait trop quoi en penser, mais l'enfant de riche avait des dappers, et Brinn lui obéit. Elle avait passé une semaine terrible, elle commençait à manquer désespérément d'argent et de nourriture. Quand elle revint auprès des deux Matis et que la Noble jeta les dappers au sol, elle se retrouva à genoux en un clin d'oeil pour ramasser la promesse d'un estomac rempli pour plusieurs jours - et c'était sans compter les deux bijoux volés au Fyros !

Elle se redressa et fit face aux deux enfants, se demandant ce qui allait se passer à présent. Ils masquèrent rapidement leur dégoût devant ses manières, mais Brinn avait eu le temps de le remarquer ; cependant, ils n'en firent pas mention. En fait, ils avaient même plutôt l'air satisfaits. Quelque chose passa entre les deux jeunes filles à ce moment-là, et sans que personne ne s'en rende compte, l'étincelle d'une nouvelle complicité prit vie, née d'une étrange sorte de respect mutuel. Brinn se détendit légèrement en réalisant qu'elle n'était pas en danger. Sans trop savoir pourquoi, elle était sûre qu'Isildya serait réglo.


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#3 [fr] 

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Commerce
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C'était une journée magnifique dans l'Aeden Aqueous, vraiment. Les oiseaux gazouillaient paisiblement dans le calme de l'après-midi, le soleil brillait et la sciure était chaude. Si l'on faisait abstraction des trois Trykers misérables qui allaient et venaient dans leur enclos des Esclavagistes, la scène aurait formé le parfait lucio de vacances.
Brinn jeta un oeil à ses deux compagnons avant de se tourner vers les esclaves. Pour la énième fois ce jour-là, elle jura mentalement. Les choses allaient de mal en pis, et elle était en train de perdre le contrôle de la situation. Sa paranoïa détestait ça. Sa paranoïa étant ce qui lui avait permis de survivre durant toutes ces années, elle avait tendance à lui faire confiance. Elle réfléchit pour tenter de comprendre où les choses avaient mal tourné. "Le client, se dit-elle, tout a commencé avec ce satané client."

Après huit ans passés dans le Refuge, les homins étaient finalement revenus sur les Nouvelles Terres, Brinn, Isildya et Gabrielo parmi eux. Tout allait pour le mieux pour la Matis à présent âgée de seize ans. La confusion du Retour l'aidait à voler, arnaquer, dealer, et plus généralement tromper tout homin assez naïf pour la croire innofensive. Elle avait perdu quelques-uns de ses contacts "commerciaux" cependant, avec la séparation des communautés, chacune repartie dans son propre pays. Le marché noir mettrait du temps à s'adapter à la nouvelle société.
Elle trainait près du marché d'Yrkanis, essayant de vendre occasionnellement des graines aux propriétés incroyables - d'après elle - à un prix exagéré, et subtilisant de temps en temps des possessions à ses clients au passage. C'est alors qu'elle l'avait repéré.

C'était sa tenue qui avait attiré son attention, dans un premier temps. Il était trop bien vêtu pour un réfugié ordinaire, mais pas à la manière extravagante des Nobles et des marchands. Son équipement était de qualité tout en restant sobre, et sa démarche gracieuse dégageait une confiance en soi évidente. Elle pensait pouvoir gagner des dappers avec lui, d'une manière ou d'une autre, alors elle l'approcha.
Il apparut rapidement qu'il était intéressé par l'aspect le plus sérieux de son commerce. Brinn avait déjà vendu de la drogue auparavant, parfois même essayé certaines, bien qu'elle pris garde à ne pas en faire une habitude: elle avait vu ce à quoi l'addiction pouvait réduire les homins, et s'était même enrichi à leurs dépens. Son besoin de garder le contrôle était trop fort pour qu'elle se laisse glisser dans cette douce évasion, même si elle l'avait souvent souhaité. Son instinct de survie refusait de la laisser tomber dans ce piège. Ainsi, lorsque le client exprima ses doutes quant à sa capacité à lui procurer ce qu'il cherchait, elle lui assura avec sa façade de confiance habituelle qu'elle le pouvait.

"Ca, c'était une belle erreur" se dit-elle en entrant dans l'enclos des esclaves. "Idiote! T'as eu les yeux plus gros que le ventre, et regarde où tu en es! Bien joué!".
De la goo. Le client cherchait une drogue faite à partir de goo. Elle avait du retenir l'exclamation qui avait failli quitter ses lèvres lorsqu'elle avait entendu le nom. Elle aurait du faire marche arrière à l'instant même, mais Oh non !, elle avait conservé son sourire confiant et répondu: "Je vais voir ce que je peux faire".
Elle aurait encore pu tout arrêter lorsqu'elle l'avait revu la fois suivante, aurait pu dire que ce n'était pas possible, mais son amie Isildya qui s'y connaissait en plantes et en poisons avait indiqué qu'elle envisageait de travailler avec de la goo de toute façon et qu'elle pouvait tenter de reproduire ce que le client désirait. La quantité astronomique de dappers que ledit client avait promis, des sous qu'elle savait qu'il possédait, n'était pas non plus étrangère à sa décision. Alors, l'arnaqueuse avait commencé à négocier. Cela avait représenté beaucoup de travail : tenter de le convaincre d'avancer des dappers, monter une expédition pour le Désert - encore ! - pour installer un laboratoire loin d'Yrkanis (l'obsession d'Isildya avec la protection du Royaume contre toute menace, y compris la goo, était très étrange pour Brinn, mais elle y était habituée) tout en gardant son amie et le client aussi ignorants l'un de l'autre que possible. Cet homin était un plus gros poisson que ce dont elle avait l'habitude. Il sentait les ennuis, elle s'en était rendu compte à ce stade, il la rendait de plus en plus nerveuse à chacune de leurs rencontres, mais il était trop tard pour faire machine arrière. Au lieu de cela, elle avait essayé de protéger son amie autant que possible. Isildya, bien que plus mature qu'elle de bien des façons, était naïve concernant la nature homine, trop prompte à faire confiance au goût de la voleuse. Brinn savait: elle avait vu le pire dont ils étaient capable. Elle avait caché l'identité de son amie à son client, tout comme il avait caché la sienne. Elle avait tout fait pour qu'ils ne se rencontrent pas, car même si Isildya portait un masque, même sans donner son nom, il pouvait leur faire du mal facilement s'il le désirait, et elle était responsable d'avoir entraîné son amie dans cette affaire.

Cela avait fonctionné durant un temps, jusqu'à ce que soit mis sur la table le problème des... sujets de test. Isildya avait besoins d'homins pour essayer la drogue, et le client avait promis qu'il en fournirait. Brinn avait du retenir une grimace de dégoût: elle n'avait jamais trempé dans le trafic d'homins, et les expériences de son amie l'avaient toujours perturbé, mais c'était la première fois qu'elle devait y prendre part. Ce que le client n'avait pas dit, c'est qu'il ne pourrait pas les livrer: elles, Isildya, devaient le suivre jusqu'aux "sujets".
Il va sans dire que l'arnaqueuse n'était pas du tout contente d'apprendre la nouvelle. Tout d'abord, cela signifiait qu'elles devaient suivre aveuglément un dangereux homin à l'identité inconnue, et espérer qu'il ne leur tende pas de mauvais coup. Rien que cela suffisait à lui mettre les nerfs à fleur de peau, mais cela signifiait également que le client rencontrerait Isildya. C'était inacceptable, bien que son amie, elle le savait, ne partageait pas ses craintes. La botaniste était parfois trop confiante et naïve pour son propre bien. Brinn fit tout ce qu'elle pu pour convaincre le client, mais il ne céda pas. Elles viendraient aux sujets, ou s'en passeraient.

La voici donc dans le camp des esclavagistes, en compagnie d'un dangereux homin à l'identité mystérieuse, et de sa meilleure amie, en train de se préparer à administrer un poison à une Trykette effrayée. Bien entendu, il fallait que ce soient des Trykers. Pour des raisons incompréhensibles pour Brinn, Isildya était terrifiée par cette race, par leurs trop grands yeux dans leur trop petit visage. Elle avait donc donné les échantillons à la voleuse, et lui avait demandé de les faire avaler aux esclaves. Pour ce qui lui parut être la centième fois ce jour-là, Brinn se maudit, maudit le client et maudit toute la situation.
Elle administra les deux premiers échantillons à deux des Trykers tandis qu'Isildya prenait des notes dans son carnet. Le client la questionna sur ses observations:
"Avez-vous essayé l'originale? Il reste un cobaye."
La scientifique saisit l'échantillon qui ne quittait jamais son cou et le lança à sa complice. Brinn l'attrapa et l'administra au dernier sujet, une Trykette chauve et maigre.
Elle se retira rapidement, pas fâchée d'en avoir fini, et repris sa place entre le client et son amie. Elle du réprimer un autre frisson lorsque la Trykette se mis à convulser, les yeux roulants dans leurs orbites, gémissant pitoyablement avant de mourir, la bave aux lèvres. C'était ça que le client voulait utiliser comme une drogue?

Elle regardait la scène d'un air incrédule tandis qu'Isildya à ses côtés prenait calmement de nouvelles notes. La botaniste pencha son carnet pour laisser son amie le lire: "Comme je le pensais, la concentration est plus élevée, mais je ne vois toujours pas ce qu'il veut faire avec." Le calme de son amie était un maigre réconfort; Brinn, de son côté, luttait pour cacher son état mental à son audience. Elle fut prise d'inquiétude quand son amie exprima ses doutes à haute voix. Uh-oh, mauvaise idée. Ce n'était jamais bon de questionner les motivations de la clientèle, moins on en sait et mieux l'on se porte. Elle n'interrompit pas, cependant, ne désirant pas afficher de désaccord avec Isildya en face du client. Elle devait bien admettre que la réponse l'intéressait également.
"Je cherche un ersatz. Une substance qui offrirait une fraction de leur extase."

"Eux", Brinn le savait, faisait référence au clan maraudeur qui produisait la drogue originale, "la sève noire" comme ils l'appelaient. Le processus de fabrication était un secret bien gardé, et ils refusaient d'en faire commerce. Le client les avait mentionnés brièvement une fois. Brinn n'avait aucune intention de fricoter avec ce groupe-là. L'idée que le client envisageait de les défier était effrayante: soit il disposait de beaucoup de pouvoir, soit il était fou. Elle préférait ne pas penser que les deux étaient vrais: ç'aurait été tout bonnement terrifiant. Tandis qu'elle ruminait ces pensées, ses deux compagnons continuaient à discuter des effets recherchés pour la drogue. Brinn fut tirée de sa réflexion lorsqu' Isildya se leva brusquement en poussant une exclamation exaspérée:
"Ce test était inutile!" La scientifique fit face à son amie et ajouta: "La démonstration nous était destinée." Brinn tourna son regard vers l'homin; Isildya, croyant qu'elle n'avait pas compris, expliqua: "Seul quelqu'un en ayant déjà consommé pourrait nous dire si nous sommes sur la bonne voie."
Brinn ne croyait pas que le client était stupide. Les implications de ce qu'Isildya venait de dire étaient dérangeantes. Elle gardait les yeux fixés sur l'homin masqué tandis qu'il continuait à parler de la drogue:
"Ce produit ouvre les portes d'un nouveau degré de conscience d'Atys... C'est pour cela que le Clan de la Sève Noire est si... charismatique."
Brinn l'interrompis: "A vous entendre, vous les admirez presque.. Pourquoi vous allez pas les rejoindre?" Ce n'était pas favorable aux bonnes affaires de tenter de convaincre les clients d'aller se fournir ailleurs, elle le savait, mais elle était de plus en plus suspicieuse de la façon dont ce client-ci parlait du clan maraudeur. Alors qu'il se comportait de manière méprisante envers tout et tout le monde, il semblait les respecter. Il est vrai qu'il faut bien respecter une puissance telle que la leur, qu'on soit ami ou ennemi, mais ça n'était pas la question.
L'homin pris son temps pour répondre, choisissant ses mots avec soin, et rien que cela suffit à déclencher toutes ses alarmes:
"Certaines de mes convictions ne conviendraient pas aux leurs. Et des Maraudeurs sont dangereux, même si on en est soi-même un. Certains d'entre eux sont ... déconcertants."
Même si on en est soi-même un. Brinn répliqua avant de pouvoir s'en empêcher: "C'est votre cas aussi?"
Là-dessus, le client éclata de rire. Etrangement, le son n'avait rien de rassurant.
"Vous êtes bien curieuse pour une simple voleuse... Mais soit." dit-il, et Brinn se maudit une fois de plus d'avoir posé des questions inutiles. Elle ne voulait plus connaitre la réponse, elle doutait que ce qu'elle trouverait lui plairait. A ses côtés, Isildya pris sa main dans la sienne et demanda s'il te plaît de quitter cette prison à vermine. Brinn resserra sa main plus fort pour la rassurer, et sa prise sur sa propre dague pour se rassurer. Le homin continua: "Je fais affaire avec ces Homins libres et puissants. J'ai trop "d'affaires officielles" pour pouvoir les rejoindre sans tout recommencer à zéro. Mais j'envie presque la liberté et l'indifférence qu'ils montrent face aux autorités auto-proclamées." Encore le discours admiratif.

Ce n'est que lorsqu'Isildya se remis à poser des questions que les choses tournèrent mal.

"Vous en avez déjà pris n'est ce pas ?" Le ton d'Isildya était sincèrement curieux et Brinn le reconnu comme celui qu'elle prenait à chaque fois que quelque chose attirait son intérêt scientifique. Son amie semblait toujours perdre toute émotion lorsque cela se produisait, ne laissant qu'une froide curiosité. La voleuse serra les dents, sachant pertinement qu'elles avaient déjà posé plus de questions qu'elles ne l'auraient dû. Elle n'était pas certaine de la patience du client, mais elle doutait qu'elles soient loin de sa limite. En savoir trop ne pouvait que leur attirer des ennuis de toute façon. La réponse défensive qu'elles reçurent la persuada qu'elles avaient épuisé leur temps de questionnement:
"Et si c'était le cas ?"
L'empoisonneuse parue soudain fascinée et amusée: "Devenez testeur ! Vous le voulez ou pas votre erzat ?"
Brinn se tourna vers son amie, stupéfaite: "Quoi?!" Elle la supplia du regard d'arrêter de jouer avec ce dangereux homin. C'était de la folie. Mais la jeune fille effrayée qui lui avait demandé quelques minutes plus tôt de quitter cet endroit avait disparu, laissant place à la scientifique cherchant à créer un nouveau poison.
Lorsque le homin répondit, le sang de Brinn se glaça dans ses veines.

L'homin masqué la pointa du doigt, et demanda simplement à Isildya: "Pourquoi pas celle-là ?"


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