ROLEPLAY


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#1 [fr] 

Le cauchemar réveilla Yokao en sursaut.

Elle était seule dans son appartement. En sécurité. Il n’y avait rien à craindre. Elle fit les exercices de respiration, se contraignant au calme.

Savoir ce qui se passait ne rendait pas les choses plus faciles. Incapable de se rendormir, elle se fit un chaï, tourna en rond un moment, puis sortit marcher dans les rues de Zora qui s’éveillaient dans l’aube naissante. Elle finit par rejoindre le bâtiment des Guérisseurs Dynastiques, où Misuno-ko et les siens étaient installés.

Elle salua une collègue qui terminait sa garde (il y avait toujours quelqu’un de disponible pour les urgences et pour les quelques résidents qui préféraient rester ici), et s’installa pour rédiger son dernier rapport. Mais ce n’était pas l’idéal pour se changer les idées. Elle essuya une larme, espérant que personne ne l’avait vu. C’était ridicule. Il ne s’était rien passé. L’Éveillée Nikuya avait parfaitement géré la situation, tout était sous contrôle. Elle recommença ses exercices, sombrant peu à peu dans une méditation agitée.

Quelqu’un s’installa à ses côtés. À sa façon tranquille et sereine de se déplacer, Yokao reconnu Misuno-ko, qui attendit patiemment que la jeune fille finisse sa méditation. Yokao finit par ouvrir les yeux, et glissa sa main dans celle de sa mentore.

— Des problèmes, Yokao-ko ?
— Uniquement dans ma tête et mon cœur, Misuno-ko.
— Comme tous les problèmes. Tu veux me raconter ?

C’était pour ça qu’elle était venue, espérant que la guérisseuse de l’âme serait là, aurait du temps pour elle. Elle lui déballa tout des longs entretiens avec l’Illuminé Zhen, capturé par l’ancienne Antekamie et nouvelle Éveillée Nikuya. Les doutes qu’elle avait eus, qu’elle avait encore : cet emprisonnement ne se fondait-il pas sur une logique de harcèlement culturel et religieux ? Zhen était-il une victime à aider, un homin à qui il manquait des repères, ou un dangereux manipulateur ? Et quel était le rôle d’Haokan, citoyen tryker, dans tout cela, en dehors de ses liens familiaux avec Nikuya ?

Misuno-ko connaissait tout cela ; Yokao l’avait tenu au courant des grandes lignes et de ses inquiétudes auparavant. L’une comme l’autre savaient que cette introduction était nécessaire pour arriver au nœud du problème. Mais plus Yokao se rapprochait de l’épisode fatidique, plus son débit se ralentissait, plus elle s’égarait dans des détails. Avec délicatesse, Misuno-ko la redirigeait, et Yokao ne pouvait qu’admirer la façon dont la zoraïe l’aidait à avancer sans jamais la brusquer.

Enfin elle raconta la dernière séance : comment elle avait conclu que Zhen, à défaut d’être devenu un zoraï repenti, semblait avoir au moins compris quels gages donner. Elle n’aurait pas dû lui parler de liberté… Nikuya n’était pas prête encore à le laisser sortir. Il avait bien fallu l’annoncer à l’Illuminé.

Mais l’improbable s’était alors produit. Zhen avait libéré ses mains et lancé brusquement un sort qui avait sonné la guérisseuse, puis l’avait attrapé contre lui. Tout cela avait été si rapide qu’elle en avait été figée sur place.

— Crie. Appelle Nikuya, avait-il murmuré à son oreille.

L’esprit de Yokao s’était fragmenté, explorant un millier de possibilités. Ce sort, qu’est-ce que c’était ? Pouvait-elle être sous l’influence de quelqu’un qui avait avoué, dans un moment de faiblesse, être un des recruteurs des Illuminés ? Et si elle appelait Nikuya, que se passerait-il ?

Elle avait eu une certitude : il était hors de question de jouer le jeu de l’Illuminé, quel qu’il soit. Alors, elle n’avait pas crié. Un otage, c’était de toute façon une mauvaise chose ; elle devait convaincre Zhen de la lâcher. Sans élever la voix, elle tenta de le ramener à la raison. Si elle réussissait à calmer le jeu…

Mais Zhen n’avait pas l’intention de se laisser enchainer à nouveau sans se battre. « Trop lente », avait-il répondu avant de l’étrangler. Elle avait l’impression de sentir encore ces mains puissantes sur son cou, le souffle lui manquer…

Misuno-ko attendit que les sanglots de l’homine s’apaisent, puis demanda avec douceur :
— C’était la première fois qu’un homin te blessait ?
— Yui… je n’aime déjà pas me faire courir par les ragus, mais c’était… mille fois pire. J’ai cru qu’il m’envoyait rejoindre la Déesse.
— Mais ce n’était pas le cas ?
— Né. Il n’a pas serré assez, alors, j’ai repris conscience assez vite.

Reprendre conscience était un bien grand mot. Elle avait vaguement senti la présence de l’Éveillée, avait tenté de la prévenir du danger ; mais quand elle avait réussi à se redresser, tout était déjà réglé. Nikuya avait mis Zhen à terre d’un grand coup de poing sur le masque et l’avait rattaché soigneusement. Elle n’avait pas laissé Yokao se relever, elle l’avait prise dans ses bras et sortie de la prison, laissant le soin aux gardes de sécuriser la cellule. L’ancienne Antekamie était forte et vibrait d’une énergie incroyable. Elle avait posé la guérisseuse au pied d’un arbre, s’assurant de son état. Mais derrière l’inquiétude qu’elle montrait pour l’état de Yokao, une rage terrible couvait. Yokao s’était sentie hypnotisée par ce masque.

— C’était d’une telle intensité… Comme si elle était devenue un grand yétin aux dents acérées. Je savais que sa colère n’était pas contre moi ; elle était effroyable, et si j’avais été un de ses ennemis, je crois que je serais morte simplement en croisant son regard. Mais je voyais comme elle tentait de garder le contrôle, comme le fait que je sois saine et sauve était plus important même que cette colère…

Un long silence, que Misuno-ko laisse se dévider sans chercher à le combler. Enfin Yokao ajoute :
— C’est vraiment une Éveillée. Elle a mis toute sa force à défendre autrui… ce soir-là, moi. Elle aurait pu s’acharner sur Zhen, personne ne l’aurait arrêté, mais elle l’a juste mis hors d’état de nuire et s’est assurée que je sois en sécurité.

Misuno-ko hoche le masque, laisse encore passer un peu de silence pour ce que Yokao pourrait vouloir ajouter, puis demande :
— Que veux-tu faire à présent ?

Yokao réfléchit, consciente que sa mentore ne demande pas une réponse toute prête. Enfin, elle répond :
— Je vais dire au revoir à Zhen. Je ne pourrais plus l’aider. Nikuya ne le laissera plus sortir après ça, à moins qu’il ne change complètement, et je ne me sens pas capable de l'accompagner dans sa vie de prisonnier. Il va finir comme les Antekamis, avec les bonzes qui l’assommeront jusqu’à ce qu’il récite les prières de lui-même, ou jusqu’à ce qu’il meure de vieillesse. Quelqu’un d’autre pourra se charger de l’aider à supporter l’emprisonnement ?
— Yui, bien sûr. Mais ensuite ?
— Ensuite, je vais prendre des vacances. De longues vacances. Cela fait un moment que je voulais retourner à Yrkanis, ou dans les lacs. C’est le moment.
— Ukio. Mais, fais attention à toi. Tu n’es plus une jeune zoraïe inconnue, à présent. Même là-bas, certains sauront que tu es une des Duk'yumlao-ko de la Théocratie.
— Je ferai attention, Sokna-ko.

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#2 [fr] 

"Journal intime de Yokao"

[…]
Me voilà dans un beau sac de nœuds. Avec un peu de chance, cela ne prendra pas une ampleur politique, mais vu les personnes impliquées… Ce sera du pain béni si un agitateur s’intéresse à ça. Pas moi, je suis trop mouillée ; et puis ce n’est pas le genre de scandale qui ébranlera les croulants de la Théocratie.

Espérons que toutes les personnes impliquées sauront rester discrètes.

Il faut vraiment que j’apprenne à fermer ma grande bouche aussi. J’ai trop parlé, à tort et à travers. Ridicule tentative d’avoir de l’aide. Vivement que ce bordel soit fini ; je partirais ensuite une semaine dans un coin paumé avec une réserve d’herbes et de champignons suffisante pour faire décoller un ploderos.

À ce stade, la pensée de potentielles vacances est ce qui me permet de me lever le matin.

Rencontré des amis de J. Ils s’inquiètent pour lui, ou pour eux, la différence est maigre. J’ai parfois l’impression que ce monde ne fonctionne que grâce à la dépendance affective. J. réclame (exige ?) Y. à cor et à cri et montre les signes d’un épuisement intense. Le yama n’est pas seulement foo mais aussi en train de s’effondrer. Nous avons trouvé un plan d’action avec ses amis, j’espère que c’est le bon choix pour Y. comme pour J. À ce stade, soit ça passe et les aide à remonter la pente, soit d’ici la fin de la semaine, il faudra que j’explique à N. comment deux homins sous ma garde ont péri.

Non, aucune chance que je lui explique ça, elle me découperait en tout petit morceau. Si ça tourne mal, je fais comme ces deux tarés qui sont partis vers les Anciennes Terres : je fuis aussi loin que possible. Je ne suis pas masochiste au point de rester pour affronter la colère de N.

J’aurais aimé avoir son soutien et son avis dans cette affaire… J’ai moi aussi cédé au piège de la dépendance affective, oubliant que Y. continue d’obnubiler N. et qu’elle passerait toujours largement avant moi.

Y. a vraiment un don pour déclencher des émotions extrêmes chez les gens, c’est surprenant. Pas un talent que je lui envie. Je ne pensais pas que quelqu’un comme M. pourrait se faire contaminer. Voir ceux qui la fréquentent perdre tout sens commun donne une autre saveur à ce qu’elle m’a raconté de son passé. Je me demande si K. à Min Cho pourrait m’en raconter quelque chose ? Curiosité mal placée et hors de propos, et puis Min Cho est la chasse gardée de Misuno-ko, je vais éviter de mettre le doigt là-dedans.

Et moi ? Probablement pareil. Je m’investis bien trop avec cette patiente. Racheter son contrat dépasse largement mon rôle de guérisseuse. En même temps, si j’avais moins d’empathie, je serais… ukio, probablement une meilleure guérisseuse, sachant la fermer au bon moment et m’impliquant un peu moins dans la vie de mes patients.

Je n’ai pas eu le temps d’aborder grand-chose avec N., avant qu’elle m’agresse. Les beaux jours auront été courts. Je m’y attendais, mais ça fait quand même mal, surtout de cette façon. Qu’elle fasse l’antekamie avec moi, je pouvais l’envisager, mais qu’elle m’éjecte en réagissant comme une kamiste, ça, je n’y étais pas préparé.

Elle m’a demandé « pardon » ensuite en en rajoutant subtilement une nouvelle couche. Adorable. Je ne peux pas exclure que l’état d’épuisement dans lequel je suis me fasse prendre de mauvaises décisions, j’ai temporisé un peu, mais je crains d’avoir mon propre sevrage à faire pour de bon. J’ai juste envie de la voir, qu’elle me prenne dans ses bras et me dise que tout ira bien, qu’elle a confiance en moi et plein de bêtises du même type, digne des pires romans à l’eau de rosae qui circulent sous le manteau. Ça n’arrivera pas, et même si ça arrivait, je lui mettrais probablement ma main sur le masque.

J’aimerais pouvoir l’envisager sans y voir la moindre connotation ambiguë. L’amour, c’est définitivement nul, et en plus ça gâche le plaisir des kiokio de passage.

[…]

Le risque, c’est si quelqu’un m’a vu converser avec ce type du Cercle Noir. Nous avons été aussi discrets que possible, mais je ne peux pas exclure qu’un chasseur local ait vu l’entrevue et ait envie d’en parler. C’était une bonne chose d’avoir l’avis de ce gars, il m’a bien aidé à comprendre le vrai problème, mais qui accordera la moindre valeur à ce que je dirais ? N. me l’a bien prouvé ; si même elle me considère comme une traitresse en puissance, les initiés plus bas du masque ne feront pas dans la dentelle. La zoraïe louche qui cause à un type louche du Cercle Noir, pas de doute sur la façon dont ils interprèteront ça.

Je suis vraiment morte de peur, et je regrette de ne pas avoir été plus assidue sur mon entrainement au combat. En même temps, le meilleur combattant au monde ne peut pas faire grande chose face à une foule en colère. Je ne peux même pas compter sur le témoignage de Y. : personne ne l’écoute, tant les gens sont habitués à ce qu’elle soit entre légèrement et complètement délirante. Me voilà donc coincée entre la Théocratie, la Fédération et le Cercle noir, avec comme seule alliée une droguée démente.

Est-ce que R. et L. m’hébergeront si ça tourne mal ? Né, je ne peux pas compter dessus, toute leur vie tourne autour du fait de ne pas faire de vague, pour mener la vie qu’ils souhaitent sans que les indiscrets s’en mêlent. Il faudrait d’ailleurs que j’arrête de retourner à Yrkanis jusqu’à ce que cette affaire soit tassée, hors de question que je les implique plus là-dedans. Il faut aussi que je trouve comment prévenir mes parents sans qu’ils s’affolent.

Ce serait vraiment plus facile si je me motivais à passer ce rite kamiste et marmonner des ochi kami no toute la journée. Mais rien que de l’imaginer, j’ai envie de hurler. Même maintenant que la menace se précise, je préfère finir « exorcisée » que de me prêter à ce genre de mascarade, comme le font certains soi-disant jénaïstes.

[…]

J’ai bon espoir pour Y. La stratégie semble bonne, les premiers essais sont encourageants. Si J. ne met pas d’huile sur le feu, on arrivera peut-être à l’éteindre. En même temps, demander à un tryker de respecter des consignes, c’est un peu comme d’attendre d’un zoraï qu’il les enfreigne ouvertement. Utiliser de la psychologie inversée ? Non, mauvaise idée. Il faut juste espérer que la Déesse leur soufflera un peu de bon sens, à tous les deux ; voir un peu plus, si elle en a en trop, car ils n’en auront probablement jamais assez.
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