ROLEPLAY


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#1 [fr] 

Mazé'Yum avait inclus l’étude de la crête de timari dans sa routine d’analyse des échantillons. Il ne s’attendait pas vraiment à trouver quoi que ce soit de neuf. L’examen du timari entier aurait été bien plus intéressant ; malheureusement les animaux goofiés avaient tendance à se décomposer vite. Très vite. Voir à éclater, si la fermentation était trop rapide. Il s’interrogeait d’ailleurs : à quel point l’explosion du premier spécimen était voulue, ou juste une conséquence du processus ? Il n’était pas allé demander : c’était plus amusant de chercher.

La crête était donc tout ce qui restait de la créature. Il en raclait de petits morceaux pour les exposer à divers réactifs, puis il notait soigneusement le résultat. Ce n’était pas vraiment pour la fyros et ses compagnons : même s’ils arrivaient à comprendre, ils ne pourraient pas faire grand-chose de ça. La présence de marqueurs de ploderos ou le taux de goofication ne leur serait pas d’un grand intérêt, ce qu’ils allaient probablement le lui reprocher. Ce n’était pourtant pas son problème s’ils étaient incapables de se poser les bonnes questions. Ils « cherchaient », ce qui était un début appréciable, mais ils ne savaient pas ce qu’ils cherchaient et semblaient attendre de lui la Révélation Ultime.

Ce qui le fit sourire, ses pensées vagabondant sur ce que disait l’Esprit. Est-ce qu’il leur parlerait de ça ? Non, probablement pas, en tout cas pas tout de suite. Ils n’étaient pas prêts et cela risquait soit de les braquer, soit de leur faire perdre la tête.

Un temps pour chaque chose. Il avait besoin d’homins sains de corps et d’esprits, qui pouvaient faire évoluer la mentalité homine. Fréquenter des gens sans éthique ni morale était confortable dans le cadre des recherches, mais assez pénible dans les relations au quotidien. Il faudrait d’ailleurs qu’il se décide à redéplacer son laboratoire, le voisinage agité lui tapait vraiment sur les nerfs. Les gardes du camp lui apportaient une sécurité contre les visiteurs indésirables, mais ils passaient leur temps à se bagarrer et à crier.

Il finit de noter les résultats sur son carnet, réfléchissant à la suite. Il pouvait toujours mettre ça au propre, pour ce que ça leur servirait… Mais au moins, ils auraient « quelque chose ». Ils avaient demandé des analyses, ils auraient des analyses.

Est-ce qu’il leur prémâcherait le travail en leur proposant aussi une interprétation ? Quelle importance que le timari aie été gavé de certaines solutions, afin de prolonger sa vie et de permettre à la goo de faire son travail « utile » sans le tuer ? Il pourrait peut-être leur expliquer comment des homins pouvaient gooifier un animal, ainsi que l’intérêt et les limites de ce timari. Ça, peut-être que ça les intéresserait, sans porter préjudice à ses nombreux contacts. Au contraire, en amenant bien les choses, peut-être qu’ils comprendraient que ça ne servait à rien de harceler les tribus sur le sujet.

« Long est le chemin du savoir », murmura-t-il en commençant à rédiger sa lettre pour la fyros.

#2 [fr] 

Eeri arpentait son appartement, de long en large.
Elle essayait de remettre les éléments dans l’ordre. Tout se bousculait dans sa tête, et elle avait besoin de temps.


D’abord, il y a quelques mois de ça, les Percécorces. Les menaces du cercle noir sur la tribu, qui cherchait à se procurer du gaz de forage.
Ce timari gooifié, qui avait littéralement explosé dans le désert.
Comment le cercle avait pu emmener une telle atrocité dans le désert, de la jungle jusqu’aux mines de sciures, sans attirer l’attention? Le désert est-il si mal gardé?

Ensuite, ce scientifique fyros imprudent qui cherchait une griffe de kizarak, enlevé par la tribu du cercle noir. Encore eux.
Un second timari gooifié - celui ci n’avait pas explosé, fort heureusement - dont elle avait pu prélever quelques échantillons de la crête.
Elle donna un échantillon au fyros, espérant que celui-ci l’analyse. Sans doute en vain, le fyros devait maintenant se terrer désormais dans la bibliothèque de pyr sans oser en sortir.

Pourtant, il allait bien falloir découvrir ce que le cercle noir concoctait. Ces timaris gonflés à la goo n’avaient rien de commun. Elle avait déjà vu des animaux ou homins affectés par la goo. Celui ci était d’un autre genre. Bien plus puissant et résistant. Le second avait aussi l’air bien plus stable et réactif aux ordres qu’on lui donnait.

——————————————————[o]——————————————————

Et après quelques temps, ce curieux marchand.
Le genre d’homin qu’en général elle exècre, de ceux qui ne croient qu’aux dappers. Pourtant, curieusement, une conversation les amena à parler d’une possibilité d’échange. La fyrette était déterminée à comparer les échantillons de timari avec d’autres échantillons d’animaux gooifiés, de goo pure. Pourtant elle n’avait qu’une idée très vague de la façon de s’y prendre.
Le marchand lui proposait d’échanger des échantillons de goo, ainsi que de la mettre en contact avec un "scientifique" mystérieux, en échange d’une armure lourde et de discrétion. Elle accepta et l’armure fut vite réalisée, avec soin.

En revanche, comment était-il possible qu’elle n’ait pas réalisé plus tôt que l’armure qu’elle créait, une kostomus noire avec les manches violettes… était exactement aux couleurs du cercle noir? Elle s’en rendit compte une fois que l’armure était donnée au marchand. Trop tard, d’une certaine façon.
Pourtant, un deal est un deal. Elle s’était engagée à réaliser cette armure, sans poser de question sur le destinataire.

Quand on a le nez trop près de la bouteille, on ne voit plus le bar.

——————————————————[o]——————————————————

En parlant de bar…
Avant de donner l’armure au marchand, elle avait donc rencontré ce scientifique au bar de Thesos, accompagnée de ses compagnons de guilde.
Un Zoraï tout ce qu’il y a de plus Zoraï, au masque impeccable, avec ce qu’il faut de tranquillité, de calme et d’apaisement.

Assez vite, le scientifique dévoila son savoir, ou sans doute la partie qu’un chercheur peut dévoiler à ceux qu’il considère et traite d’ignares, avec un grand manque d’humilité. Il leur fit comprendre son point de vue sur la goo, sur sa façon de l’étudier.

Au fil de la discussion les compagnons d’Eeri furent irrités par le scientifique, tandis qu’elle hésitait entre méfiance et admiration, doute et confiance. Elle avait déjà côtoyé, par le passé, des homins moins que recommandables. Des spécimens dévastés par la goo et par sa folie. Elle avait déjà assisté à des expériences que toute morale homine réprouverait. Elle considérait qu’elle avait dépassé le stade de la peur face à cette substance, tout comme ce Zoraï, qui considérait que pour l’étudier il fallait avoir le cran de l’approcher, de la manipuler, d’expérimenter avec. En somme, tout ce que n’importe quel homin tenant à sa santé physique et mentale se répugnait à faire. Elle comprenait donc pourquoi ce scientifique ne condamnait pas les agissements des tribus à goo, qui pour la plupart avaient acquis un savoir considérable tandis que la plus grande partie de l’hominité restait ignorante face à la substance qu’elle craignait le plus.
Mais pourtant, le doute était toujours bien là. Comment pouvait-elle avoir confiance en un savant dont elle n’avait jamais entendu le nom, présenté quelques jours auparavant par un marchand dont elle connaissait l’existence depuis quelques semaine seulement?

La seule solution que son raisonnement de fyrette lui présentait : ne pas dévoiler toutes ses cartes, et mettre le Zoraï en condition en lui faisant étudier ce dont elle avait déjà la certitude.

C’est ainsi que quelques jours plus tard, le groupe constitué du scientifique, du conteur, et de quatre drakanis se rendit à l’appartement d’Eeri. Ils étaient tous habillés d’une armure matis ridicule, mais éventuellement protectrice et de masques fyros aux filtres améliorés, afin de récupérer l’un des fragments de timari gooifié potentiellement devenu instable et dangereux.

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#3 [fr] 

Mazé'Yum était rentré au camp pour rassembler son matériel. Tandis qu’il empaquetait soigneusement cornues et éprouvettes avec l’aisance née d’une longue habitude à déménager ses instruments rapidement, il repensait au cas à traiter.

Wixarika ne présentait pas les signes d’une intoxication sévère à la goo, juste quelques détails qu’il aurait résolus d’un coup de poignard dans d’autres circonstances. Cette solution n’aurait évidemment pas plu aux amis de la fyrette et il ne l’avait même pas évoqué. Il y avait cependant un point qui ne collait pas : son esprit semblait déjà bien atteint. La démence induite par la goo prenait d’habitude plus de temps. Après, peut-être que cette homine était déjà bien dérangée, avant la contamination, et que cela n’avait rien à voir. Mais ses compagnons ne trouvaient pas ça normal.

Tandis qu’il passait et repassait les informations dans sa tête, son malaise grandissait. Quelque chose ne collait pas. Il finit par interrompre son déménagement, énervé.

Ce n’était pas normal qu’elle soit aussi atteinte, et aussi joyeuse. Enfin, le souvenir lui revint en mémoire. Le phénomène Bawaab. Il l’avait rarement observé sur des homins, mais cela s’expliquait facilement : les goofiés qu’il côtoyait habituellement n’étaient pas de joyeux drilles. Il fallait un certain état d’esprit pour s’intéresser à la goo et ce n’était pas exactement le genre à picoler des bières au bar en chantant des comptines. Donc leurs accès de démence étaient de la même veine.

Est-ce que cela risquait d’avoir une incidence sur le traitement ? « Manque de données, paramètre inconnu », grommela-t-il. Il stoppa l’emballage de son matériel, sortant la caisse où il rangeait carnets, livres et cubes d’ambres. Il n’avait pas grand-chose dans ses propres archives, mais peut-être qu’il y avait une piste.

Après quelques instants à compulser les notes, rien de probant. La description du phénomène, la mention qu’une guérison spontanée survenait parfois, ou la mort était rapide, et c’était tout. Cela ne servait pas ses objectifs.

Et si son remède s’avérait pire, à cause de cet aspect particulier ? Il n’avait pas le temps d’aller goofier des bawaabs pour tester et puis de toute façon les animaux ne réagissaient pas comme les homins. Le phénomène avait été nommé de cette façon parce que les bawaabs goofiés avaient tendance à rester toujours aussi amicaux, sans agressivité à moins d’être attaqués, et sans non plus gagner une force démesurée, ce qui en faisait des sujets peu utiles dans la majorité des expériences.

En d’autres circonstances, il aurait été ravi d’inviter la fyrette à passer quelques semaines au camp et à étudier l’évolution de la maladie. Ça aurait vraiment pu être instructif, à défaut d’être très utile. Elle n’était peut-être pas seule dans son cas, d’ailleurs, vu le nombre d’homins qui avaient été pris dans les nuages de goo générés par la destruction de la pompe. Seulement, son objectif était de changer l’état d’esprit des Nations sur la goo et recherches afférentes, pas de s’amuser avec des cobayes.

Il fallait que Wixarika vive et retrouve sa santé, ce qui n’était pas bien complexe en théorie. Mais il ne pouvait pas se permettre de prendre des risques.

Cela allait prendre du temps de localiser la personne qui aurait les informations. Perdre quelques heures avec les trykers n’avait aucune utilité : il ne pouvait rien faire pour eux, pas pour le moment. Juste ralentir l’affection en attendant de trouver une solution. Il plaça six doses de sève purifiée dans un coffret, puis rédigea la lettre qui l’accompagnerait :
Vous trouverez ci-joint de quoi freiner la progression du mal chez Wixarika. Une dose par jour, à avaler d’une traite, loin des repas. Cela devrait la soulager et lui permettre de retrouver un peu ses esprits. Si vous pensez qu’Ostium est contaminé, qu’il en prenne aussi. Il s’agit de sève purifiée et si vous avez le moindre doute sur mes préparations, allez en chercher à Zora. C’est facile à faire, il y a peu d’effets secondaires, mais ça ne guérit pas. Cela va juste nous faire gagner du temps.

Wixarika a quelques particularités peu communes dans les infections de ce genre et après réflexion, ma méthode peut avoir des effets imprévus. Je ne suis pas suffisamment expert en soins pour vous faire prendre ce risque. Je vais aller chercher des informations et débusquer les homins qui les ont, puis les convaincre de parler. Cela peut retarder de plusieurs jours un véritable remède. La sève purifiée permettra d’arrêter la progression de la goo d’ici là.

Stoppant un instant la rédaction de sa lettre, Mazé'Yum se frotta le bord coupé de son masque, pensif. Il y avait autre chose qui pouvait bloquer le changement… Mais cela coûtait une fortune. Enfin, s’il le fallait… il ajouta dans le coffret sa propre parure, puis reprit sa plume :

Faites porter aussi aux malades les bijoux. Il s’agit d’ambre magnétique ; de même, cela ne soigne pas, mais va limiter la diffusion de la goo dans l’organisme. Je n’ai qu’une parure, débrouillez-vous avec et prenez en soin. Ce n’est qu’un prêt, je la récupèrerais lorsque ce sera terminé.

De votre côté, ne perdez pas de temps avec les ingrédients que je vous avais envoyé chercher. Cela servirait à Ostium (s’il est réellement contaminé, ce qui n’est pas confirmé pour le moment), mais pas à Wixarika. Si vous voulez aider, faites ce que je ne peux pas faire. Trouvez Tao Sian et amenez-lui l’homine. Ce sera l’occasion de voir si la Guérisseuse connait le phénomène Bawaab et comment elle le gère. Si vous arrivez à la rencontrer, profitez-en pour lui expliquer que Wixarika n’est probablement pas un cas isolé et que la Théocratie ferait bien de vérifier la santé de tous les homins qu’elle a envoyée dans la goo. Que les Sages assument les conséquences de leurs décisions stupides.

Je reprends contact avec vous si je trouve une piste de mon côté.

Mazé'Yum

Il mit la lettre dans le coffret, scella le tout, puis se téléporta à Dyron, à la recherche d’un des membres de la Compagnie. Ils ne rechigneraient pas devant une mission aussi simple qu’une livraison et il était sûr que le colis arriverait à destination.

Last edited by Mazeyum (3 years ago)

#4 Multilingual 

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Eolinius était songeur et parcourait son appartement de long en large en repensant aux derniers événements ayant eu lieu. Il y avait d’abord cet empressement de la théocratie à détruire cette pompe à goo malgré les avertissements qui risquait de déstabiliser toute la région en provoquant des résurgences de poches de gaz. Assez étrange d’avoir envoyé un seul homin effectuer cette tâche avec autant de zèle et surtout sans grand discernement, comme s’ils voulaient effacer toute traces gênantes. Surtout que cela ne réglait en rien le problème avec le cercle noir. Heureusement qu’Eeri et lui-même étaient restés en retrait, ils n’avaient été que peu affectés par les nuages de goo et protégés par leurs masques filtrants, ce qui n’était pas le cas de tous les participants. Il craignait que les jours suivants il entende parler de certains cas de contaminés par la goo.

Puis il y avait ce scientifique zoraï sortit d’on ne sait où. Eolinius était très perplexe à son sujet et ne savait pas trop quoi penser de lui. Un scientifique imbu de lui-même qui les prenait de haut lui et sa guilde, déclarant tout savoir sur la goo et comment la contenir, alors que depuis des centaines d’années de Jena les zoraïs essayaient de leur côté de la faire reculer sans résultats flagrants. Certes ce zoraï semblait vouloir aider les Drakani et guérir Wixarika, mais pour l’instant il n’avait évoqué que des affirmations sans aucunes preuves et sans aucuns résultats. Et même s’il le faisait, tout cela pouvait être un piège juste pour gagner leur confiance, ou pire, nuire à la Fédération.

Eolinius prit une plume d’izam et se mit à sa table pour écrire. Les Drakani avaient encore plusieurs cartes en mains. Comme le disait sa grand-mère, il ne faut pas mettre tous ses œufs de gubani dans le même panier. (Car chacun sait que les œufs récoltés lors de la fête des réfugiés sont déposés par les gubanis blancs !)

Il commença sa lettre : Adressée à l’ambassadrice Sunzhia-miko, ambassade de Zora …


Du Drakan Eolinius à l'ambassadrice Sunzhia-miko

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#5 [fr] 

Eeri essayait de se souvenir de chaque infime détail. Ou en était-elle…? Ah, Thesos. L’appartement. Se souvenir de chaque mot, chaque détail, encore et encore.

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Elle trépignait sous son casque. Lorsqu’ils ouvrirent le coffre, un nuage de goo s’échappa, comme elle s’y attendait. Doucement, avec courage, elle attrapait la plus petite boîte, suintante d’humidité, et marcha doucement vers la sortie. Comme prévu, elle avait réussi à placer ses compagnons dans une situation d’épouvante terrible, et seul le Zoraï (ainsi que le conteur, qui semblait perdu dans ses pensées loufoques comme à son habitude) semblaient arriver à garder leur calme.

Eeri se mordait les joues, et avait un sentiment de culpabilité terrible, mais tout avait fonctionné. Un peu trop même. Jazzy et les siens étaient dans une colère noire. Comment pouvait-elle rester aussi insouciante face à des choses aussi graves et dangereuses? Comment pouvait-elle placer ses drakani dans une situation de danger pareille?
Les casques filtrants qu’elle avait fait à la hâte dans la journée donnaient à ceux qui le portaient une vision très limitée, et le nuage qui s’était échappé du coffre avait fait un parfait effet.

La seule réaction de la fyrette, lorsqu’elle enleva son casque, était un petit rictus contrôlé, qui pouvait passer pour une satisfaction d’avoir accompli une tâche difficile. Elle voulait féliciter les trois drakani, mais se retenait, et laissait libre court à la colère de Jazzy. Elle l’entretenait même, en racontant et exacerbant quelques anecdotes sordides de son passé. Comment elle avait quelques fois été en contact avec des maraudeurs pour certains échanges et expériences, et comment celles-ci avaient mal tournées… Elle avait appris du conteur qu’il ne suffisait que d’une petite part de vérité pour rendre un conte crédible.

Le Zoraï, pensait-elle, voyait ce qu’il s’attendait à voir et était satisfait.
Il leur expliquait pourquoi la connaissance de la goo était un sujet délicat, pourquoi il devait cacher son laboratoire, pourquoi au sein même de la théocratie certains restaient partisans des tribus à goo et d’autres leur faisaient la guerre. Pourquoi ceux qui expérimentaient comme lui subissaient en général la colère et la haine des homins.

Mais il était prêt à la revoir, à partager plus de connaissances avec elle, sans ses "idiots" d’amis. Les questions insistantes de Jazzy, son agressivité, c’en était trop pour lui. La fyrette essayait de contenir son commandant, lui demander d’accorder sa confiance, si ce n’était à Mazé’Yum, au moins à elle.
Jazzy écumait de rage, les cheveux de son étrange coiffure à la fyros tremblaient : "toi! au GH! maintenant!"

Le mot "idiots" employé par le zoraï était tout de même de trop. Elle lui sourit froidement, et rétorqua : "L’humilité est une grande qualité chez un homin. Vous devriez faire des recherches là dessus. Nous nous verrons bientôt, j'espère."
Faut pas pousser l'tryker dans les slaveni, non d'un toub...

Elle prit le chemin du hall de guilde, un sourire au lèvres.

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Pourtant elle ne réalisait pas encore que quelques jours plus tard la situation allait se renverser de nouveau, totalement.

Le lendemain, ce n’était un secret pour personne, avec quelques autres drakani, elle prendrait le chemin de la jungle, afin de répondre à l’appel de la théocratie pour "rabaisser les ambitions du cercle noir".

Quelques heures avant le rendez-vous, un fyros court vers elle, à thesos : "Eeri !! une missive pour vous…" Oh, si vite? décachetant la lettre, donc la provenance ne faisait aucun doute, elle fut surprise de trouver déjà quelques résultats de l’analyse du timari, ainsi que quelques conseils inattendus. Le Zoraï mettait en garde contre les dangers de cette expédition, le grand risque encouru à détruire ce que le cercle noir avait construit pour extraire la goo. Il valait mieux (et elle partageait grandement ce point de vue) essayer de trouver un accord plutôt que d’en arriver à une destruction brutale, qui pouvait avoir, selon ses mots, "des conséquences désastreuses pour les homins présents et pour la région elle-même". Mazé’Yum ne se faisait pour autant pas d’illusions sur l’issue de cette expédition, indiquait qu’il ne se déplacerait pas, et conseillait à elle et ses compagnons la plus grande prudence.
La lettre ne laissait aucun doute sur le fait que Mazé’Yum n’avait aucun intérêt à voir une guerre ouverte entre la théocratie et le cercle noir.
Si pourtant il était membre de cette tribu, comme le suspectait Eeri, ça faisait au moins un individu encore à peu près sensé dans leur rangs. Elle fit lire la lettre à ses compagnons, leur recommandant la plus grande prudence, de rester loin des nuages de goo, qui pouvaient s’avérer beaucoup plus dangereux et violents.

La suite fut hélas sans surprise.
Le chasseur Zoraï envoyé par la théocratie était de ces homins qui suivaient les ordres sans une once de reflection. Les avertissements d’Eeri sur les risques dont elle avait eu vent (elle se gardait bien de citer la source de ces informations), recommandation à la prudence et au dialogue, ne servirent à rien.
Quasiment tous les homins présents, y compris certains de ses compagnons, foncèrent avec inconscience et folie dans la goo, afin de détruire la machine du cercle noir. Eeri se sentait impuissante. Elle tâchait, avec Eolinius et quelques autres, de relever aussi vite que possible ceux qui tombaient. Rester inconscient trop longtemps dans la goo pouvait avoir un impact fatal sur la graine de vie.

Comment la théocratie pouvait-elle appeler des volontaires, non préparées, et les envoyer mener un tel combat à sa place? C’était criminel. L’appel de Mabreka lui semblait aussi condamnable et inconscient que certaines actions du cercle noir. Peut-être était-il simplement trop vieux, et devenait sénile.

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Eeri était perdue. Elle arpentait toujours son appartement (c'était une chose très en vogue chez les drakani...) maintenant depuis des heures, et essayait de faire fonctionner son cerveau de fyrette. Ou est le mal, ou est le bien, ou est le juste milieu des choses? Qui croire?

Elle n’avait au début aucune confiance en Mazé’Yum, ni en l’homin qui le lui avait présenté, cet énergumène de marchand tryker. L’approcher était une façon pour elle d’apprendre plus, d’apporter sa contribution aux questions que tant d’homins se posaient sur la goo et les puissances. Elle devait admettre aussi, qu'elle éprouvait une sorte de fascination pour l’homin et pour son savoir. Depuis toujours elle vouait une admiration cachée pour l’abnégation de ces chercheurs face au risque auquel ils se confrontaient, et autant elle les trouvait, d'une certaine façon, repoussants.

Mais maintenant, sauver son amie devenait la chose la plus importante aux yeux d’Eeri, et c’était Mazé’Yum lui-même qui amenait une solution. Venant de lui, le conseil de contacter Tao-Sian constituait peut-être un geste d’ouverture considérable de son coté, ou une manoeuvre pour discréditer la théocratie. Ou les deux. Mais d'abord, la sauver.

C’en était trop pour la fyrette, et se cogner la tête dans chaque mur de son appartement n'aidait pas. D’abord, elle devait demander conseil à Eolinius, qui connaissait la théocratie mieux que quiconque chez les drakani, et afin qu’il prenne contact au plus vite avec la guérisseuse.

#6 [fr] 

Mazé'Yum revenait au camp pieds nus et d’une humeur massacrante. Il n’avait trouvé aucune information utilisable et il doutait très fortement, à présent, que son remède soit efficace tel quel. Et il avait dissous des bottes presque neuves dans la goo. Et avait sans doute réussi à se faire contaminer, malgré ses protections. Il n’avait jamais vu un nuage de goo aussi acide. Quelle idée de jouer aux jeux de l’Esprit ! Tout ça pour une homine comme il y en avait des centaines sur l’Écorce !

La seule information qu’il avait pu tirer de ce contact était que ce genre de graine de vie était effectivement particulière.

Ce n’était pas le moment de croiser les Bai Nhori Drakani, il se sentait bien capable d’étrangler le prochain qui ferait l’idiot. Mais le temps passait et la sève purifiée avait ses limites. Plus la goo s’installait dans le corps de la fyrette, moins il serait possible de l’en déloger.

Il régnait une activité inhabituelle au camp, presque une ambiance de fête, qui perturbait les réflexions du scientifique alors qu’il regagnait sa tente. Les homins s’agitaient dans tous les sens. Mazé'Yum manqua se faire bousculer plusieurs fois, évitant les collisions au dernier moment. Qu’est-ce qu’ils avaient encore inventé ? Il finit par tomber sur un tryker qu’il avait accompagné quelques fois dans ses patrouilles en Primes et dont il appréciait l’humour. Le petit guerrier lui expliqua ce que les chefs avaient décidé dernièrement.
— Tu viens, bien sûr ?
— Bien sûr, grommela Mazé'Yum.

Encore un contretemps. D’un autre côté, ce serait agréable de faire autre chose que de patauger dans la goo en discutant avec des fous. Courir après des homins en compagnie d’autres fous et s’enivrer de l’adrénaline de la chasse serait un bon défouloir. Il fallait toutefois ne pas croiser ses nouveaux amis des Lacs lors de l’expédition. Cela risquait de ne pas améliorer leurs relations. Mais avec un casque sur la tête, qui pouvait dire qui il était ? Il était plus important de prendre soin de ses alliés actuels que de parier sur une hypothétique ouverture des Nations aux recherches scientifiques de grande ampleur.

Quant à cette Wixarika, que faire ? Compter sur une guérison spontanée ? Tester un autre remède, sans garantie de son effet ? Peut-être que la Guérisseuse Dynastique s’en était déjà occupée. Ou pas, vu la capacité des zoraïs à se perdre dans leurs méditations durant des jours. Toute l’affaire était mal engagée pour lui. Il avait cependant une piste, plus une intuition qu’un raisonnement défendable. Se posant dans un coin tranquille, il sortit son carnet et commença à noter. Il s’agissait de décliner le protocole de base en utilisant les mêmes principes : renforcer le pouvoir de la graine de vie et rendre le milieu peu exploitable à la goo.

Tandis qu’il inscrivait quels ingrédients pourraient être utiles, il songeait que certains n’allaient pas du tout leur plaire… Ce serait l’occasion de voir jusqu’où ils étaient prêts à aller pour sauver leur amie.

Il faudrait quand même qu’il teste son idée sur quelqu’un d’autre avant, afin de s’assurer que son remède n’était pas juste un poison. Où allait-il trouver quelqu’un avec une graine de vie de ce genre et qui avait respiré assez de goo pour se faire infecter ? Tout ce qui lui venait à l’esprit était un peu délicat à obtenir. Ce n’était pas le moment d’attirer l’attention avec des disparitions suspectes.

#7 [fr] 

"La confiance n’exclut pas le contrôle"

Pourquoi résonnaient soudain ces mots dans sa tête? Elle les avait sans doute entendus d’un vieux fyros imbibé comme on en trouve encore beaucoup au fond du bar de pyr… Sans doute l’homin était en face d’un verre de shooki qu’on lui présentait comme exceptionnel. Le fyros, avec un sourire narquois, disait "je vous crois, ney, ney… mais…" puis il avalait le verre d’un trait et prononçait ensuite cette phrase magique, convaincu d’avoir inventé le mot d’esprit qui ferait de lui un fyros célèbre parmi les habitués de la patte de yubo.

"la confiance n’exclut pas le contrôle"

Elle était assise en face de ces six flacons. Les bijoux, toujours dans la boite, et la lettre en face d’elle. Elle relut, puis ouvrit les flacons, un à un, afin de les humer, en prenant soin de les reboucher rapidement. Il s’agissait bien de sève, oy… sans doute purifiée… S’il le disait… Les compétences œnologiques de la fyrette s’arrêtaient là ou commençait l’extérieur d’un bar. Pourtant, le doute était bien là. Impossible d’être sure. Et si, et si… Certains poisons étaient connus pour être indétectables, même dans le plus pur des breuvages

"la confiance n’exclut pas le contrôle"

Elle voyait d’ici là la réaction des drakani, si elle le faisait. La scène se passa quelque temps plus tard presque exactement comme elle l’avait imaginée.
"Mais, tu es complètement folle??? Si c’était réellement empoisonné, tu serais morte? Que ferait-on de deux malades et une morte?" Elle avait seulement oublié de s’imaginer Jazzy, levant les yeux au ciel, murmurant : "ces fyros…"

"la confiance n’exclut pas le contrôle"

Mais il s’agissait de son amie. Elle n’avait pas été assez forte pour empêcher ce désastre au bosquet de l’ombre. L’effet de groupe, les hordes d’homins courant dans tous les sens, tout avait dérapé. L’espace d’un instant, elle s’imagina secouant Mabreka en le tenant à bout de bras par les épaules, tout en lui criant au visage des mots que la convenance et la pudeur interdisent de retranscrire ici-bas. Il était pourtant trop tard pour changer ce qui s’était passé là-bas, et elle chassa vite cette image de sa tête.

"Le droit à l’erreur n’existe plus" murmura t’elle. Puis elle ouvrit l’un des flacons et le bu d’une traite.

Deux heures plus tard, sans grand étonnement mais soulagée — elle ne sentait rien de particulier, à part une étrange mais agréable énergie se diffuser dans son corps — elle marchait avec empressement vers l’appartement de son amie. D’emblée, elle lui fit porter les bijoux et lui donna un flacon à boire. Quelques minutes après, elle remarqua que Wixarika semblait déjà un peu plus paisible et détendue. Puis elle s’allongea à même le sol et ferma les yeux, afin de prendre un peu de repos, espérant que Tao-Sian pourrait se rendre disponible au plus vite.

"Le contrôle accorde t-il la confiance?"

#8 [fr] 

Certaines graines de vie sont différentes. Certaines graines de vie sont bien plus fortes que d’autres. Certaines peuvent faire preuve de beaucoup de résistance face à la goo.
Eeri songeait, en repensant à sa guérison si rapide, presque miraculeuse, que Wixarika aurait sans doute été une candidate parfaite chez les maraudeurs. Elle aurait résisté vraisemblablement à leurs drogues les plus puissantes et extrêmes. Bien entendu, jamais Eeri ne lui en parlerait, n’exprimerait à quiconque une chose pareille. Non pas par manque de confiance, seulement parce que certaines idées se doivent de rester à l’état d’idée.

Pour autant, le chapitre était loin d’être terminé. Ostium présentait maintenant une réaction inquiétante, bien plus insidieuse, à son exposition à la goo. Ses crises de violence incontrôlables - le fyros étant en général d’un caractère assez calme et peu colérique - devenaient plus fréquentes, et accompagnées d’une sorte de lutte intérieure. S’agissait t-il d’un phénomène de manque? Il s’agissait de la même goo dans les deux cas, mais de deux réactions aux antipodes l’unes de l’autres. Les graines de vies étaient-elles si différentes? Ou y-avait t’il autre chose qu’elle ignorait?

Eeri avait réuni en hâte les ingrédients que le Zoraï lui avait indiqués, nécessaires à la fabrication d’un possible remède, avec l’aide de sa guilde. Il ne lui manquait qu’à trouver Mazé’Yum afin de le préparer, dans les bonnes proportions et conditions. Les membres de sa guilde n’avaient pas une confiance absolue, mais ils devaient agir vite, et ne négliger aucune option.

Pourtant le chercheur demeurait introuvable. Lui qui disait se rendre relativement régulièrement dans certaines villes afin de garder un contact social, ne montrait plus signe de vie. Le marchand, Feinigan, lui avait aussi dit quelques jours avant qu’il cherchait à le recontacter, craignant de perdre un bon client. Eeri avait, à la hate, arpenté l’écorce à sa recherche, les villes, les tribus d’atys, sans aucun succès. Partout, pensait-elle. Elle avait observé les tribus à goo, s’était infiltrée au cercle noir - rien de plus simple que d’imiter leurs accoutrement en gardant un casque sur la tête…
Un endroit lui restait pourtant inaccessible, un endroit ou les gardes ne la laisseraient pas entrer, songeait-elle...

#9 [fr] 

Ça avait été des jours intéressants. Il avait bien cru qu’il allait y passer. Encore maintenant, il se sentait faible de la cure qu’il s’était infligée. Mais entre ça et la démence, son choix était fait.

D’aucuns le pensaient déjà fou de s’appliquer une médecine aussi extrême. Mazé'Yum constatait une seule chose : ça marchait. Certes, peu d’homins auraient pu survivre à un tel traitement et ses tentatives pour répliquer l’expérience sur d’autres s’étaient soldées par un taux d’échec absolument critique. Il aurait fallu qu’il reprenne entièrement les travaux de son maitre. Mais c’était trop de contraintes, sur un trop grand laps de temps, dans une époque qui n’était pas propice à ce type d’expérimentation. S’il arrivait à changer un peu la position de certaines nations… Non, ce genre de chose demanderait bien plus qu’un peu de diplomatie pour être acceptée.

Tandis qu’il récupérait dans un creux des Primes, il se remémorait les derniers jours.

Malgré l’agacement que les Bhai Nori Drakani pouvaient provoquer chez lui et le mal qui lui rongeait les poumons, il s’était forcé à aller les chercher dans les lacs. Si Wixarika mourait, il perdrait une bonne occasion de faire avancer la recherche. Il avait avec lui son remède expérimental, tout en étant très dubitatif sur son effet.

Les gardes de Fairhaven l’avaient laissé passer, en lui jetant des regards suspicieux, mais sans l’arrêter. Il avait trouvé Eeri et Wixarika au bar, avec d’autres homins à qui il n’avait pas prêté une grande attention. Heureusement pour lui, la patiente semblait être dans la catégorie des guérisons spontanées. Son infection avait été légère, c’était dans l’ordre du probable, mais Mazé'Yum n’avait pas compté dessus plus que ça. Une fois assuré qu’elle était en bonne voie, il avait pris la décision de ne même pas aborder la question du remède. Pas la peine de courir des risques inutiles : ce truc pouvait tout aussi bien la tuer, s’il s’était trompé dans ses théories. À ce stade, la vie de la fyrette n’était plus en danger, ce serait un véritable manque de chance que la goo regagne de la vigueur.

Les deux fyros essayaient d’en savoir plus sur lui, mais elles se montraient encore bien trop méfiantes pour qu’il leur dise tout. Il ne leur mentait même pas, se contentant d’esquiver les réponses qu’elles cherchaient. Il avait tout de même été déstabilisé par la gratitude de Wixarika et le fait qu’Eeri le trouve « plein d’hominité ». Dans l’état de faiblesse où il était à ce moment-là, cela l’avait complètement perturbé. Il n’avait pas souvenir que quiconque lui ait jamais dit « merci ». C’était très bizarre. Il en avait oublié de récupérer la parure qu’il leur avait prêtée.

Le lendemain, il avait rejoint ses hôtes dans les Primes. À ce stade de l’infection, il avait un enthousiasme débordant et l’envie de frapper n’importe quoi, cette sortie était donc arrivée à point nommé. La tenue qu’il portait était bien loin de celles qu’il affectionnait habituellement et il avait le heaume bien fixé ; il était certain que des Bhai Nori Drakani seraient présents pour défendre le convoi et préférait limiter le risque d’être reconnu. Cependant, lorsque lui et ses alliés avaient attaqué le groupe d’homins, il lui avait fallu quelques instants pour se réfréner et arrêter de courir après un de ceux portant le blason de cette guilde. Il ne savait pas sur qui il tapait, son adversaire étant aussi casqué que lui, mais c’était idiot de s’exposer à être identifié ; il y avait suffisamment d’autres victimes à pourchasser. Il s’était aussi retenu de se moquer des autres maraudeurs à divers moments : exercice délicat pour quelqu’un comme lui, mais auquel il avait réussi à se plier, à la fois pour que nul n’entende sa voix parmi les membres des Nations, et parce qu’il n’avait pas besoin qu’un de ses coalisés le fasse taire trop brutalement.

Rentré au camp, il était allé dormir après avoir avalé une double dose de son antidote, jusqu’à ce qu’une quinte de toux le réveille. C’était vraiment, vraiment mauvais, le mal progressait vite. Le remède agissait aussi, mais pas assez rapidement. Une course contre le temps… Il savait ce qui pouvait l’aider, mais à qui demander ? Tremblant sous l’effet de la fièvre, il rédigea une lettre. L’izam de réponse lui revint quelques heures plus tard :

Viens. Je t’attends.

Comment avait-il réussi à rejoindre le point de rendez-vous ? Il en gardait un souvenir confus, ainsi que du reste des opérations. Il se remémorait la douleur ; elle connaissait son métier, maitresse bourreau et de facto la meilleure chirurgienne à qui faire appel, pour peu qu’on accepte ses méthodes. Cela avait été long, vraiment long. Puis la souffrance avait reculé, laissant la faiblesse des multiples résurrections prendre sa place.

— Tu es bavard, avait-elle dit quand il avait repris conscience.
— Ton scribe a tout noté ?
— Bien sûr ! Il y a quelques détails croustillants qui amuseront Lira. Tu pourras récupérer l'ensemble lorsqu’elle aura fini de le lire. Reviens la semaine prochaine.

Il hocha le masque, comprenant qu’il était temps de prendre congé. Il s’était téléporté dans un endroit où peu d’homins venaient, se réfugiant dans un campement abandonné. Puis il avait attendu que ses forces remontent et que son lien à la magie se stabilise à nouveau, se reposant et repassant dans sa tête les évènements passés et les actions à entreprendre pour le futur.

#10 [fr] 

- Quelle peste, mais quelle peste !
- Arrête de ronchonner, Feinigan. Ou va le faire ailleurs.
- On a encore des tueurs à gages dans nos contacts ? Je vais lui envoyer quelqu’un. Non, attends, j’ai mieux que ça. Quelqu’un qui va l’attacher sur une termitière dans le désert. Ou qui…

Néjimbé se décide enfin à poser son stylo, regardant le tryker qui fulmine.
- Ukio, il t’est arrivé quoi ? Et de qui tu parles ?
- De Eeri ! Elle m’a envoyé dans les ennuis !
- On ne tue pas les clients ni les artisans, Feinigan. Certainement pas pour une de nos affaires personnelles.
- Elle ne travaillera plus pour nous de toute façon.

Le masque de Néjimbé passe d’un désintérêt poli à une expression bien plus sinistre :
- Comment ça, elle ne travaillera plus pour nous ? Qu’est-ce que tu es allé faire ?

Alors Feinigan raconte. Les premiers échanges en toute simplicité mercantile, dans l’esprit de la Compagnie, puis du fait que la fyrette semble l’avoir pris en grippe.
- Juste parce que je dis que j’aime les dappers, tu te rends compte ? Comme si commercer était un crime. Pourtant mes prix étaient très honnêtes !
- Une artisane des Nations, Feinigan. Le genre de personne pour qui on ne négocie que des choses anodines, sous peine de perdre des marchés.
- Elle voulait que je lui présente un expert de la goo, on en avait un sous la main. Il n’y a aucun intérêt à commercer des armures. C’est pour ça qu’on joue, non ? Pour voir comment yubo et ragus se rencontrent.
- Une artisane avant tout. On a besoin de ces gens. Laisse-les en dehors de ces jeux. Et puis, Eeri… tu es allé vérifier sa place dans l'organigramme ?
- An, je me fous de ton schéma, Néjimbé. Je n’y comprends rien et ça ne m’intéresse pas, et cette fyrette ne m'amuse plus !
- Feinigan, si tu viens mettre le bazar dans mes propres affaires, c’est toi qui auras un tueur à tes trousses.
- Tiens, je croyais qu’on n’utilisait pas les ressources de la Compagnie pour les histoires personnelles ?
- Ça n’aura rien de personnel. Tu mets notre organisation en péril et ce n’est pas la première fois. Considère ça comme mon dernier avertissement.

Le tryker se calme assez brutalement. Néjimbé n’a pas l’air de plaisanter ; il sait qu’elle n’hésitera pas si la décision lui semble logique. La zoraïe, froidement, lui intime :
- Finis ton histoire, que je vois à quel point tu nous as créés des problèmes.

Avec bien moins d’adjectifs fleuris et plus de détails factuels, Feinigan lui raconte la suite : les quelques échanges au bar de Fairhaven, puis le moment où il a commencé à s’ennuyer par manque de client et où il a essayé de retrouver la trace des quelques-uns à qui il a eu affaire récemment. Pour Mazé'Yum, le plus simple était de démarrer par Eeri, justement. Et cette dernière qui lui déclare soudain que le scientifique n’est pas satisfait des prestations de la Compagnie !
- Tu sais tout ce qu’il représente, explique le tryker. Si Mazé'Yum n’est pas content de nous, on se ferme le marché de plusieurs tribus. Ce type est discret, mais il a ses entrées partout.
- Je sais très bien cela. Tu as raison, si j’apprenais que tu lui avais déplu, je te livrerais à lui, bien attaché.
- Ouais, bon… J’ai pris les devants. Avant de croiser la fyrette, trouver ce client était juste une lubie. Après ça, c’était une priorité, et les izams revenaient sans lui avoir délivré mes messages. Je suis donc allé au Cercle Noir, mais ça faisait un moment qu’ils ne l’avaient pas vu non plus. Puis je me suis rendu au camp de la Source Cachée. Sauf que plus personne ne se souvient de la Compagnie, là-bas.
- Yui, il faudra qu’on y envoie un agent. Pas toi, vu ton sens de la diplomatie.
- Qui ? Vu nos effectifs…
- Continue ton histoire !

Feinigan avait donc tenté de négocier avec les gardes à l’entrée du camp, qui n’avaient pas été très bavards sur la présence (ou non) du zoraï chez eux. Par contre, ils avaient trouvé intéressant de jouer avec le tryker. Feinigan n’était pas un grand guerrier, loin de là, et il avait rapidement été lassé de devoir éviter les coups ; mais avant d’avoir pu se téléporter ailleurs, les maraudeurs l’avaient attrapé. Il s’en était suivi quelques jours assez pénibles : être prisonnier de ces gens n’était pas une partie de plaisir.

Puis, enfin, Mazé'yum s’était pointé. Dès son retour, les aktimoskains lui avaient parlé de son visiteur. Le scientifique avait détaché le tryker, lui avait donné de l’eau, et nettoyé ses blessures. Mais pas de sort de soin, donc Feinigan avait continué de souffrir de ses contusions jusqu’au moment où il avait pu rejoindre la civilisation.

- Ne va pas trop vite, dit Néjimbé. Il t’en voulait, ou pas ?
- An. Il avait juste été occupé et je ne faisais vraiment pas partie de ses priorités. Il a même dit qu’il appréciait notre sérieux, jusque là. Cette fyrette m’avait menti !

Néjimbé rit doucement :
- Te mentir, à toi ? Incroyable. Tu as été attrapé comme un bébé yubo.
- Elle va me le payer.
- Non.

Le « non » de Néjimbé est glacial, lourd de menaces. En temps normal, Feinigan n’a pas peur de la zoraïe : elle est trop détachée du monde matériel et elle n’a aucune force physique. Là, cependant, une limite est posée. On ne joue pas avec Néjimbé quand elle est comme ça. Elle a ses propres ressources et il ne veut pas en faire les frais.

La zoraïe reprend avec un peu plus d’amabilité :
- En plus, tu n’as rien à lui reprocher. Au contraire. Elle t’a donné ce que tu cherches depuis ton retour des Primes lointaines, non ?
- Quoi, me faire battre et mettre au pilori par des maraudeurs ? Je ne suis pas masochiste.
- Tu sais de quoi je veux parler. Ce qui fait que tu prends plaisir à vivre.
- Pas de dappers dans cette affaire !
- Feinigan !

Le tryker grommelle, puis finit par faire un grand sourire :
- Oy, tu as raison, ça fait un bout d’aventure potable. C’était presque drôle.

#11 [fr] 

À son retour au camp, il avait trouvé le tryker de la Compagnie en piteuse posture. Qu’est-ce qui avait pu motiver le mercenaire à venir ici ? Les salades qu’il avait sorties n’avaient pas vraiment convaincu Mazé'Yum. Par ailleurs, plusieurs rapports étaient arrivés, provenant de diverses tribus. Certains cherchaient activement des informations sur lui… Bonne ou mauvaise chose ? La fyros ne lui avait pas envoyé d’izam, ce n’était donc pas à propos de son amie infectée.

Pour le moment, il ne voyait pas comment faire avancer les affaires du côté de la Fédération, et aucune piste dans les autres nations. Mais il avait de quoi s’occuper. Tant de savoirs à mettre en forme, tant de données à recueillir pour que ses écrits soient inattaquables, et enfin la façon de diffuser ces connaissances : son plan était valable, il en était sûr, mais cela allait demander un temps fou, pendant lequel il fallait continuer à entretenir de bonnes relations avec les divers groupes utiles des Nouvelles Terres.

C’est donc avec une pointe d’énervement qu’il vit arriver un izam, quelques jours à peine après avoir repris ses routines. Il se sentait toujours un peu indisposé et n’avait pas envie de supporter des homins. Mais le message était suffisamment prometteur pour qu’il laisse ses notes et active le téléporteur pour Dyron.

Feinigan l’attendait au bar. À cette période de l’année, la bâtisse était confortable à défaut d’être accueillante. Ils entrèrent rapidement dans le vif du sujet.
— Eeri vous cherche. Vous n’êtes pas obligé d’aller la rencontrer trop vite : elle refuse de me payer pour que je vous en prévienne.
— Pourtant tu le fais quand même.
— Pour vous, pas pour elle. Vous, vous n’êtes pas pingre comme elle.
— Qu’est-ce qu’elle me veut ?
— Aucune idée, elle est aussi avare en information qu’avec ses dappers. Ça pourrait être pour le plaisir de vous voir. Son ami Ostium a des problèmes, c’est peut-être par rapport à ça.
— Ostium. Ce nom me dit quelque chose. Un fyros énervé, qui a peut-être aussi respiré trop de goo. Mais depuis le temps, si c’est ça le souci, ils ont… pourquoi tu souris comme ça, tryker ?
— Ho, tan. On a fait quelques paris sur la raison pour laquelle Eeri vous cherche.
— Des paris ? Avec qui ? Pour quoi ?
— Des gens au bar de Fairhaven. Cinq contre un qu’Ostium est fou de vous et invente des excuses pour que vous veniez jouer au docteur avec lui, dix contre un que c’est Eeri qui veut vous conter fleurette et briser la malédiction du devin qui a prédit qu’elle épouserait Jazzy, et enfin un contre sept qu’il y a vraiment une histoire de goo derrière tout ça.
— Vous n’avez rien de mieux à faire ?
— On s’ennuie un peu, pour tout dire.

Mazé'Yum ferme les yeux et compte lentement jusqu’à dix en se concentrant sur sa respiration. Puis, très calmement, il se lève, saisit le tryker qu’il décolle du sol d’une main, et déclare avec une douceur venimeuse :
— Tu vas retourner là-bas et arrêter de faire le malin. Je veux savoir ce qui se passe réellement. Tu vas dire à Eeri que je l’attendrais à Thésos, sans demander à ce qu’elle te paie : tu as déjà touché suffisamment pour ce travail. Et si tu t’ennuies, malgré toutes les tâches que je t’ai confiées…

Le zoraï pose son index sur le front du tryker :
— Je peux te trouver d’autres occupations. Ta graine de vie sera probablement intéressante.

Puis il relâche brutalement Feinigan, qui se rattrape comme il peut dans sa chute. L’aventurier se redresse, remet de l’ordre dans sa tenue. Évitant le regard du zoraï et bien moins gouailleur, il s’incline légèrement :
— Ça sera fait, Ser. Senn, je ne voulais pas vous manquer de respect. La Compagnie tient à nos fructueux échanges.

Mazé'Yum grogne :
— File. Le temps presse.

#12 [fr] 

Eeri était restée longtemps assise, sur la terrasse surplombant les quartiers du sage d'avendale. La main crispée sur le pommeau de sa dague. Le regard dans le vide. De temps en temps, elle murmurait pour elle même, comme pour se convaincre : "il le faut... Si je dois le faire, je le ferai..."

Quelques jours plus tôt, elle avait ressorti cette armure qui restait généralement chez elle. Une armure maraudeur noire, qu’elle avait depuis des années. Sans doute cette armure reflétait la noirceur de son âme, qui se manifestait en une haine tantôt dirigée envers ceux qui les avaient mis dans une telle situation, tantôt vers elle-même, qui n'avait pas réussi à empêcher ce désastre. De noirceur, elle avait besoin, pour de réaliser sa tâche, afin de diriger sa haine vers autre chose que sa cible.

Rien au monde ne l'avait préparée à affronter une telle situation. L'espoir offert était maigre. Pourtant, un espoir reste un espoir.
En fermant les yeux, elle voyait les visages de ses amis. Elle pouvait déjà lire l’incompréhension et le rejet dans leur regards. Si elle échouait, si le plan que lui avait proposé le Zoraï ne fonctionnait pas, elle serait une meurtrière aux yeux de ses amis. Elle n’avait pu en parler qu’à Jazzy, libre à lui maintenant de le partager avec les autres drakani. Elle ne le pouvait pas, si elle devait agir. Elle savait que c’était là le dernier espoir avant que la graine de vie du fyros ne soit définitivement et fatalement touchée, et qu’il fallait se résoudre à remettre la vie du fyros entre les mains d’entités en lesquels elle n’avait jamais eu ni sympathie, ni confiance. La réussite ne dépendait ni d'elle, ni d'Ostium.

Eeri regarda le ciel, il était déjà l’heure de lui administrer son médicament. L’action de la goo était plus rapide que le remède sur l’organisme d’Ostium, et sa souffrance physique devenait chaque jour plus insoutenable. Le moment arrivait, mais elle en attendrait la dernière minute. Elle remit la dague dans son fourreau, en murmurant "la goo ne le tuera pas."

#13 [fr] 

La deuxième fois, Eeri avait choisit un moment plus adéquat. Le petit matin, alors que tout le monde dormait encore et que le jour pointait. Elle était restée un moment à regarder le fyros derrière son casque, murmurant "senn… sul ne souffriras pas… y suis désolée… il le faut…". Ostium semblait souffrir de son infection même dans son sommeil.

Elle avait délibérément ignoré le conseil de Jazzy (ou était-ce un ordre?), qui souhaitait que cette "opération" se fasse au grand jour. Organiser un duel? Non, Ostium était encore bien trop faible, ça revenait au même, une mise à mort sans qu’il ne puisse encore faire grand chose. C’était encore trop tôt. Laisser Ostium le faire lui-même? Pouvait-on demander à un malade de s’infliger ça? Le faire en plein jour, devant d’autres Drakani? C’était trop. Eeri préférait de loin la discrétion de sa méthode.

Elle réveilla le fyros, ne pouvant définitivement pas se résoudre à le frapper dans son sommeil, et gardant une main sur sa bouche afin qu’il ne beugle pas trop fort, elle opéra. Son entrainement aux dagues lui avait appris à frapper au bon endroit. L’endroit fatal, qui ne laisserait que très peu de séquelles à sa résurrection, et le ferait souffrir le moins possible. L’opération avait duré quelques instants, encore trop longtemps. Lorsqu’il fut parti, après qu’elle eut regardé son corps disparaître, elle ferma les yeux un moment afin d’essayer de chasser de son esprit le regard terrifié du fyros, alors qu’il se débattait sous les coups qu’elle lui portait.

Puis elle invoqua un pacte de téléportation pour Fairhaven. Sans un mot, elle lui prodigua quelques sorts de soin, l’aida à se lever et le mena doucement jusqu’à un mektoub afin de le ramener à Avendale. Aucun des deux ne disait un mot. Eeri espérait encore de pouvoir revenir aux appartements d’Ostium sans attirer trop d’attention.


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Il était hors de question qu’elle inflige de nouveau à sa cheffe une vision pareille. La première fois, l’arrivée inopinée de Kyriann avait provoqué, à raison, un drame. Le corps d’Ostium s’était dématérialisé alors que la trykette enfilait ses amplificateurs pour le soigner. Plus tôt, Eeri avait trouvé Ostium au milieu d’une crise de démence et de souffrance. Le fyros la reconnaissait à peine.
"y peux t'aider à avoir moins mal..."
"Pacty... Y ai mal. Si sul peux m'aider, qui que sul sois. Fais le"
Elle avait frappé, les larmes aux yeux, sans vraiment se rendre compte. Elle tentait de diriger mentalement ses coups vers autre chose, ou elle pouvait, et chaque coup résonnait dans son propre corps, comme si elle se l’infligeait elle-même. Elle s'était pourtant longuement préparée à ce moment, avait mesuré, pensait-elle, les risques, tout en étant persuadée de l'aider.

À son retour — ou était-ce déjà le cas avant? — Ostium avait sérieusement perdu ses esprits. Il reconnaissait à peine les homines. Une longue discussion s’en suivit, durant laquelle Eeri avait du expliquer au fyros le pourquoi de son geste, alors qu’il prenait doucement conscience de la situation. Kyriann était, à raison, terrifiée par ce que la fyrette venait de faire, et farouchement opposée à cette pratique, surtout qu’elle émanait d’un conseil de ce charlatan de Zoraï. Pourtant, même dans une colère terrible, elle restait d'une hominité et d'une douceur incroyable, ce qui plongeait Eeri dans un trouble intérieur encore plus chaotique et vertigineux. L'état du fyros s'était tout de même sensiblement amélioré, et Eeri essayait de les persuader qu'il s'agissait là d'une piste sérieuse, qu'il fallait recommencer, malgré tout.
Eeri laissa sa dague à Ostium. C'était maintenant à lui de décider.

Le lendemain, Jazzy avec l’aide de Kyriann pratiqua une étrange cérémonie qui aida Ostium à retrouver ses esprits et sa mémoire. Eeri les avait observés, impressionnée, mais sans vraiment y comprendre grand-chose. L’efficacité avait visiblement été là. Était-il si important de réellement tout comprendre afin de croire à quelque chose? Après tout, l'écorce est couverte d'homins qui suivent et croient aveuglement en des puissances qui se gardent bien de dévoiler leurs mystères.

Au terme de cette cérémonie, Ostium prit Eeri à part, et lui rendit sa dague.
"Les autre hurleraient s'ils l'apprenaient. Mais y ai confiance en sul. Ma douleur est toujours là. Al c'est sul qui saura m'aider tor ça."


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Arriva la troisième fois.
Eeri effectua cette fois l’opération sans hésitation, sans bavure. Elle réveilla le fyros, lui murmura quelques mots afin de ne pas l’effrayer, et planta sa dague une seule fois. Ostium sombra dans le coma sans douleur. Savait-il qu’elle arrivait?
Toujours est-il, Eeri éprouvait une sorte de satisfaction pour un travail si bien fait. Elle était bien loin de cette première fois, ou chaque coup de dague l’avait faite souffrir, réveillant des douleurs oubliées. Elle avait agit avec calme et froideur.

Elle récupéra un peu de sang de sa dague dans une petite fiole, la reboucha, et se dirigea tranquillement vers Fairhaven pour s’occuper d’Ostium. La peur de ne pas le voir réapparaitre au téléporteur karavan avait presque totalement disparue. Après avoir pris soin d'Ostium, elle s’assit un peu plus loin, et dans le calme du petit matin, elle commença à rédiger une courte note.
Mazé’Yum,

Un peu de sang d’Ostium, prélevé avant son troisième retour par la karavan. Chaque fois il semble aller un peu mieux, mais j’aurais besoin de votre expertise. Il me faut savoir combien de fois encore renouveler l’opération.
J’ai peur de perdre une part de mon hominité si je dois agir de la sorte trop souvent. C’est une sensation

Elle s’arrêta, relu, puis déchira cette lettre, pour la réécrire en supprimant la dernière phrase et ajouter simplement après le mot "opération" : "Grytt encore, à très vite, Eeri."
Elle emballa la fiole avec cette note, et la fit envoyer en izam express à l’endroit ou elle était sûre de trouver son destinataire.

Calme et froideur. Elle repensait à cette troisième fois. L’impression que les muscles de son visage s’étaient raidis, afin de ressembler au masque presque sans expression du Zoraï. Que son esprit s’était concentré sur la tâche à accomplir, sans état d’âme. L’impression qu’elle était une autre personne, l’armure maraudeur noire l’aidant sans doute à accomplir sa tâche, en la mettant dans une peau différente. Mais il n’y avait pas que ça. Il allait falloir recommencer. Elle sentait que chaque nouvelle fois cette peur pouvait se transformer en une sorte de plaisir.

Last edited by Eeri (3 years ago)

#14 [fr] 

La réponse de 'Yum était arrivée. Courte, concise, et nette. Pas d'erreur possible, pas de choix dans l'interprétation des quelques mots.
Bonjour Eeri,
L'échantillon est sain. Ostium devrait être guéri.

Eeri n'avait pas la moindre idée du procédé qu'avait employé le Zoraï pour analyser l'échantillon. Enfin, entre analyser des bouts de Timari et du sang de fyros, il n'y avait sans doute qu'un pas. Mazé'Yum n'avait, pensait-elle, aucune raison de mentir.
Alors pourquoi Ostium se plaignait-il encore de douleurs? Avait-il malgré lui gardé un souvenir de cette souffrance, était-ce simplement gravé dans sa mémoire corporelle ou mentale? Elle ne savait pas dire. Les connaissances en agriculture d'Eeri étaient à peine plus élevées que ses connaissances en poésie matis. De jour en jour, Ostium semblait perdre légèrement son teint verdâtre et maladif, mais il se tenait toujours la poitrine, et semblait toujours souffrir. Après le troisième coup de dague, il lui avait demandé d'arrêter, lui disant qu'il sentait que ça n'améliorerait sans doute rien de plus.
"comme tu voudras, c'est ta décision" avait répondu Eeri d'un ton froid et renfrogné. Elle oscillait entre un sentiment de soulagement, de déception, d'échec, une violence étouffée bouillonnait en elle.

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Eeri s'était réfugiée un temps chez les fraiders. Depuis qu'elle avait fait connaissance de la tribu grace à son ancien maître d'armes Glorf, c'était toujours là qu'elle allait pour retrouver calme et sérénité d'esprit. Les fraiders ne posaient généralement pas de question, mais cette fois Rrak fut intrigué par l'armure noire.
"Arrrrmure, vendrrre? Rrak acheter"
"dey, Rrak, je ne te vendrai pas mon armure"
Eeri leur amenait déjà quelques produits de boucherie de pyr, des outres d'eau des lacs ainsi qu'un tonneau de bière fraiche d'Oflovak. "ça c'est pour vous"

Rrak gardait son regard fixé sur l'armure et sa porteuse, tandis que les gardes reluquaient le tonneau et la bidoche : "Eerrrrri jamais comme ça, toujourrrrs fyrrros, k'rrrr' ostomyx"
Puis après un temps il fronça ses énormes sourcils drus, et éructa, crachant avec ses mots un mélange de salive et de sciure : "arrrrmure mauvaise. Ou Eerrrri mauvaise. Pas rrrester comme ça"
Il fouilla dans le sac d'Eeri, sans rien lui demander, et sortit la tenue de forage de la fyrette : "Mettrrre ça"
Le ton du fraider était clair, sans être un ordre. Sous ses airs caustiques et rudes, la créature cachait une sagesse différente. Il savait, ou il sentait les choses, et connaissant la fyrette depuis nombre d'années, il n'avait aucun doute sur ce dont elle avait besoin. Il restait là, insistant, le bras tendu vers Eeri avec la tenue, et lui indiqua une hutte vide. "mettrrre ça, rrrrrepos. Demain, toi parrrrrler moi."

La fyrette resta silencieuse un temps, puis prit sa tenue de forage des mains de Rrak, et s'exécuta. Elle resta longtemps éveillée dans la cahute fraider, au bord des larmes, les yeux fixés tantôt dans le vague, tantôt sur son armure noire qu'elle avait entassée dans un coin.
Elle repensait à Kyriann qui, elle en était persuadée, ne lui faisait plus confiance. Elle repensait à cette sensation monstrueuse et incontrollable de frapper de sang-froid un ami désarmé et sans défense. Elle repensait aux drakanis, à ce qu'elle avait du faire dans leur dos afin d'aider Ostium suivant les conseils de Mazé'Yum.

Était-elle aveugle pour simplement voir ce qui se passait autour d'elle? Quand on a le nez trop près de la bouteille... C'était carrément dans le tonneau, là !

#15 [fr] 

La situation explosive s’était lentement calmée. Eeri avait pu parler avec Kyriann, et les deux homines avaient finalement trouvé le temps et le ton pour s’entendre, leur longue conversation avait porté ses fruits.
Eeri se gardait bien de raconter à quiconque ce qui l’avait poussée à laisser finalement cette armure de coté. Que penseraient-ils s’ils savaient que les conseils qui avaient fait le plus d’effet dans l’esprit de la fyrette venaient d’un fraider… Rire, voire moquerie, incomprehension. Rrak savait, avec son vocabulaire limité, exprimer un avis simple et fondé sur le bon sens. Remettre de la simplicité dans un esprit troublé n’était pourtant pas la plus facile des tâches. Il fallait peut-être chercher là les fondements de certains piliers fyros. La vérité surtout, car on ne peut mentir pas à un fraider. Il le sent, et un manque de sincérité se règlerait rapidement par une hache bien placée dans le crâne du visiteur. Tout autant, la justice, dans le sens ou pour ces êtres, une action est juste ou ne l’est pas. L’honneur sans aucun doute, car l’hypocrisie, concept matis s’il en est, n’existe tout bonnement pas chez eux. Toutefois, la discipline était probablement un concept fyros plus récent, vu la tenue du camp.


Choisir, c’est aussi renoncer. Eeri savait pertinemment que de commencer la journée en buvant une shooki réduit fortement la probabilité de se délecter d’une byrh dans la même journée. Plus le commencement est fort, plus il est difficile de revenir sur des terrains plus doux, de redescendre en puissance. Il y a certains pas qui empêchent tout retour en arrière, et la fyrette en avait déjà fait bien trop dans ce sens.
Sa décision était déjà prise. Le juste était là et ne faisait aucune contradiction avec les valeurs tryker auxquelles elle avait adhéré en rejoignant les drakani, du moins dans son esprit. La décision juste était de prendre la liberté d’apprendre et de partager. Elle savait que certaines de ses fréquentations allaient faire grincer des dents. Pourtant, elle trouvait toujours contradictoire que certains de ses compatriotes préféraient la présence d’un marchand qui aurait vendu sa propre mère contre des dappers, à celle d’un chercheur qui jusque là n’avait fait que les prévenir et les soigner.

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Mazé’Yum était au bar de Thesos ce soir là, et elle prit la liberté de s’assoir à la table que le zoraï partageait avec le conteur, afin de faire sa demande. Ceci devait rester confidentiel, mais elle savait bien que très vite toute l’écorce serait au courant. Les mauvaises langues allaient pouvoir s’en donner à coeur joie, et répandre toutes sortes d’histoires et de commérages à leur sujet, plus croustillants les uns que les autres.
À sa grande surprise, le zoraï accepta de la prendre comme "apprentie", avec quelques conditions, qu’elle accepta. Pour l’instant, le but reel de leur collaboration allait être la connaissance et la recherche, rien de plus. Certes, elle ne s’attendait à rien de simple s’il s’agissait de suivre Mazé’Yum dans un tour des tribus à goo, mais c’était bien nécessaire de s’en faire des amis plus que des ennemis. La fyrette souhaitait en retour simplement de ne jamais avoir à causer du tort à la fédération ou à sa guilde. Les premières conversations furent fructueuses, la confiance s’installant petit à petit entre les deux.

Pendant ce temps, elle demanda l’accès aux archives et documents de la fédération. La fyrette se rendit vite compte que ce serait plus bien plus compliqué qu’elle ne le pensait. Faire une demande par écrit, préciser quels documents elle souhaitait consulter. Non, ce qu’elle souhaitait était de pouvoir farfouiller dans des documents, accéder au savoirs et comptes-rendus d’expérience du centre Crevette, comparer les sources et les informations…
Si elle savait précisément ce qu’elle cherchait, elle n’aurait plus besoin de se transformer en frippo de bibliothèque.

D’ailleurs, il allait en falloir. Le premier sujet de recherche commun avec le zoraï était déjà en marche, et la liste était longue.
Des quantités de fibre, de différente qualité, qu’il allait falloir classer de la plus lisse à la plus râpeuse. Des tonneaux, de la sève, de l’eau, des casques...
De quoi creuser un trou.

Et un coeur bien accroché.
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