ROLEPLAY


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#1 Multilingual 

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Ce jour-là, Haokan affichait un grand sourire en rendant visite à Jeoi Di-Shuan.
— Tiens, pas de grimaces aujourd’hui ? taquina l’entraineuse à la récolte.
— Né, pour une fois c’était bien !
— Tu as enfin compris les bienfaits du forage…
— Et bien… d’une certaine façon. J’ai trouvé une professeure sur le terrain ! Et une très bonne !
— Ho, je la connais peut-être ?
— Nu né sok, c’est une trykette… mais elle connait bien la Jungle. C’est Nair Krill.

L’entraineuse s'esclaffa :
— Pauvre Haokan, je ne sais pas si tu as fait un bon marché ! Elle a la réputation de vider tous les bars de l’Écorce. Même si je la vois rarement à celui de Min Cho… Tu vas passer plus de temps à lui faire lâcher sa bouteille qu’à creuser !
— Pas du tout ! Nous avons passé un excellent moment et le contenu de sa bouteille ne l’empêche pas de donner des conseils avisés. J’ai plus progressé en une heure avec elle qu’en plusieurs saisons avec les kamistes. Elle me rappelle un peu Miles Dodoine de Silan. Aussi efficace, même si elle plaisante beaucoup.
— Comment l’as-tu convaincu de t’apprendre à forer ? Tu es le foreur le plus maladroit et le moins motivé que j’ai rencontré depuis des années, et c’est une foreuse plutôt solitaire.
— Nous nous sommes rencontrés lors des soirées des contes. D’ailleurs, ce n’est pas la seule rencontre improbable que ces soirées m’auront permis de faire. J’ai appris qu’elle savait mener la pioche… alors j’ai tenté ma chance, et elle a accepté de me prendre comme apprenti. Et ses prix me vont bien.
— Elle te fait payer ? Ha, ces trykers !
— Oui, en histoires.
— En histoires ?
— Le forage dure le temps de papoter et de raconter une histoire. Aujourd’hui je n’avais qu’un petit conte, et pourtant j’ai énormément progressé. Qu’est-ce que ce sera si je commence la saga des Grands Masques !

Jeoi Di-Shuan manqua s’étrangler de rire :
— Si tu lui racontes ça en entier, elle aura sacrément besoin de boisson ! Tiens, j’ai une bouteille de Bambooka qui me reste… tu lui amèneras à l’occasion. Mais aie de la pitié d’elle, reste sur les contes pour poko, pour le moment !

#2 [fr] 

Haokan avait rejoint Krill près de la tribu des Gibads, avant qu’elle ne l’emmène dans un de ses coins préférés en jungle. Après avoir tâtonné un peu sur la marche à suivre, ils avaient fini par trouver un rythme. Alors, tout en soignant les sources, Haokan avait commencé à papoter.

— Dans les archives, j’ai trouvé un conte… une histoire de grenouille. Mais peut-être la connais-tu déjà ? Une grenouille amoureuse.
— Je connais une histoire de grenouille. Mais je ne sais pas si c’est la même. Et puis… Le conteur fait une partie de l’intérêt de l’histoire…
— Cela vient des archives du Wa Kwai. La conteuse était l’Éveillée Vrana.

Tandis qu’Haokan se remémore les mots, Krill se dit qu’elle connait peut-être bien, alors. Mais elle laisse le zoraï raconter…
L'un des contes de Vrana
Dans une petite mare de la jungle, une petite grenouille attendait avec impatience la pluie. Pas seulement pour la pluie qu’elle prodiguait : elle attendait la pluie, car elle était amoureuse, amoureuse du rouge de l’arc-en-ciel ! Cette couleur si difficile à trouver aussi pure la ravissait, lui faisait voir la vie en rose, mettait du bleu dans son terne univers de vert…

Et puis un beau matin de printemps, juste après la rosée, elle leva machinalement le regard vers le ciel.

Ô miracle !

Il n’avait pas plu… mais le rouge était là !

Tout près d’elle, enfin à sa portée, réel, charnel… Sous la forme d’une fleur aux pétales couleur rubis, qui penchait tendrement sa tête vers la petite grenouille. La grenouille sentit son coeur s’accélérer. Son amour venait de prendre forme. Fleur bleue, la petite grenouille voulut immédiatement déclarer sa flamme au rouge adoré, et commença l’ascension de la tige.

Elle touchait presque au but quand sous le poids de sa soupirante, la tige s’inclina jusqu’au sol, obligeant notre grenouille à lâcher prise. La grenouille ne perdit pas courage pour autant. Sept fois de suite elle tenta de gravir ce mont, sept fois d’affilée, sur le point d’atteindre la félicité, elle retomba sur l’écorce. Si bien qu’à la septième chute, épuisée, elle s’assoupit sur place, remettant au lendemain ce qu’elle n’avait pu faire le jour même.

Comment pouvait-elle imaginer qu’elle s’endormait près d’un nid d’Izams ? C’est le bruit de ces rapaces qui la réveilla. Elle leva timidement ses yeux protubérants en direction du bruit et là, nouveau miracle, elle vit le rêve de sa vie. Crête et barbillons écarlates, rouge vif, se pencher tendrement vers elle, et l’engloutir d’amour.

Krill hocha la tête. C’était bien du Vrana.
— Il y avait une morale en plus ? Connaissant Vrana, j’imagine que c’est à chacun de la trouver…
— Très certainement. Les zoraïs donnent rarement la morale directement… Il faut la trouver, et elle est souvent différente pour chacun.
— Je me disais bien… ronchonna Krill dans ses couettes.
— Parce que le chemin qui mène à l’Illumination dépend des pas de chacun, aussi.

Puis en voyant l’air sceptique de la trykette, il ajouta avec un sourire :
— Ou parce qu’après avoir trop fumé, ils ne savent plus où ils veulent aller !

Ils rirent, et le zoraï reprit :
— Et c’est plus simple de laisser les gens chercher un sens à ce qui n’en a pas. Mais j’aime bien les histoires zoraïs, justement parce qu’elles laissent de la place à l’interprétation. Après, je ne sais pas si quelqu’un a réellement trouvé l’Illumination grâce à ce genre de contes…

#3 [fr] 

Cette fois-là, après une grande course dans le Vide, Krill s’était rapprochée du camp des Maitres de la Goo. La trykette courait vite malgré sa petite taille et Haokan peinait à suivre son rythme, soufflant comme un bodoc et perdant régulièrement du terrain. La voyant approcher des zoraïs à goo, il l’avertit :
— Attention, les Maitres de la Goo m’aiment pas trop !

Et ronchonnant pour lui-même :
— Je ne les aime pas non plus…
— Suffit que tu n’ailles pas les taquiner, rétorqua Krill. Ou alors, tu n’as qu’à leur raconter une histoire.
— C’est des barbares. Je suis sûr qu’ils n’écouteraient même pas.

Elle haussa les épaules, se préparant pour le forage, donnant quelques indications au grand maladroit qui essayait de ne pas mettre sa pioche n’importe où. Puis les matières commencèrent à sortir… il était temps de payer le cours en forant. Haokan prit sa voix de conteur tout en essayant de ne pas faire sauter la source.
Le Mektoub Blanc
Mon histoire se déroule il y a longtemps, lors de la construction de Pyr. On vit un jour arriver un fyros sur un grand mektoub blanc. Eukirops était son nom, et il s’intégra bien vite à la vie de la grande cité, buvant le soir avec ses compagnons, jouant aux dés, et menant, dans l’ensemble, une vie de patachon.

Son mektoub blanc faisait bien des envieux, et il en était très fier.

Ce qui devait arriver arriva : un jour, Eukirops ne retrouva pas son mektoub là où il l’avait laissé. Une seule explication : il avait été volé. Et Eukirops de désespérer :
— Kamis ! Quelle catastrophe !

Il poussait de hauts cris :
— Si je ne le retrouve pas, ha, si je ne le retrouve pas, ce sera terrible ! Une catastrophe ! Je serais forcé de faire ce que fit mon père autrefois…

Et cela avec un tel sanglot dans la voix, une telle terreur…

Eukirops se lamente sans fin, et ses amis commencent à vraiment s’inquiéter. Enfin, il va acheter une hache et commence à l’affûter… encore et encore. Et tout ce temps, il répète :
— Suivre le chemin de mon père… quelle catastrophe ! Je n’ai pas le choix, je vais devoir faire la même chose !

Le soir tombe, et on sent bien qu’Eukirops boit pour se donner du courage. Il continue de gémir :
— Je ne veux pas le faire, mais je n’ai pas le choix !

Le lendemain, quand il émerge d’un sommeil embrumé d’alcool, que voit-il devant sa porte ?

Le grand mektoub blanc !

Il saute de joie, lâche sa hache, et part fêter ça avec ses amis. Eukirops était ravi d’avoir retrouvé son mektoub et fêtait cela avec ses amis :
— Ha quelle chance ! Quelle chance ! Je n’aurais pas à faire ce que mon père a dû faire.

Ses amis sont curieux :
— Mais enfin, qu’a fait ton père de si terrible, Eukirops ?

Et le fyros de répondre :
— Il a travaillé pour s’acheter son mektoub ! Et comme lui, j’aurais dû aller couper du bois, encore et encore, au lieu de profiter de la belle vie ici…

Krill s’étrangle de rire en entendant la chute, au plus grand plaisir du Zoraï. Au fil du conte, ils ont régulièrement bougé, cherchant les diverses ressources utiles à la foreuse, allant jusqu’aux lagons de la Loria. Malgré ce récit un peu haché et moult coups de pioches incertains, l’histoire a pu être dite et pour un excellent résultat : la trykette en redemande !

#4 [fr] 

Cette fois-ci, Haokan était ennuyé. Comme il l’avait dit à sa professeur :
— J’ai des bouts d’histoires, mais je ne vois pas comment en faire des vraies histoires. Ça ferait des histoires zoraïes, et je sais que ce ne sont pas tes préférées !

Il y avait cependant un certain papier dans sa besace.
— J’ai peut-être quelque chose… Mais je voulais le garder pour la soirée de Lylanea. Si tu y vas, tu l’entendras une nouvelle fois. Mais peut-être que je l’aurais un peu changé à ce moment.
— Alors je t’écoute.
— Je ne sais pas, en même temps… Cette matisse a une jolie voix et elle aime les histoires d’amour. Alors j’ai exhumé un vieux poème. Il a ce qu’il faut dans le dramatique, mais… Je ne suis pas sûr de pouvoir déclamer ça en public. Déjà à toi… je me demande si j’ose.

Disant cela, le zoraï avait senti la sève lui monter au masque. En fait, il n’était vraiment pas certain que ce poème soit à raconter où que ce soit. Sans pitié, la trykette se moqua :
— Tu les veux, tes cours de forage ?
— Yui yui !
— Sinon, j’attends la soirée. J’ai mon histoire. Et tu fores tout seul.
— Au pire, tu te moqueras…
— Moi ? Me moquer ?

N'ayant pas le choix, Haokan se mit donc à déclamer avec douceur, avant de perdre tout courage :
Les Amants Ennemis
Un regard échangé,
Un frôlement de la main,
Le désir révélé.

Amour interdit,
De factions ennemies
Impossible conclusion.

Aujourd’hui peau contre peau
Demain lame contre lame
Encore des larmes.

Fruit défendu
Savouré chaque nuit
Le secret absolu

Le malheur comme seul avenir
Risquent pour se réunir
Douleur et trahison.

Amants ennemis
L’amour rassemble parfois
Au-delà de la foi.

Krill regarda le zoraï avec acuité :
— C’est… bizarre. On dirait que tu penses vraiment à quelqu’un, quand tu le dis comme ça.
— Né, je ne pense à personne, se défendit Haokan d’un air inquiet et de plus en plus gêné. Mais maintenant je le sais, je ne peux pas raconter ça à la soirée de contes.
— Pourquoi ? C’est joli. Bizarre, mais joli.
— C’est un très vieux poème, écrit avant le second essaim. Il… il m’a plu.
— Pour un Zoraï ? M’étonne pas. Mais ça a une fin !
— Et c’est un peu comme les histoires que Lylanea conte. Mais il est trop troublant.

Haokan soupire :
— J’aimerais bien trouver une histoire d’amour. Mais je ne suis pas très aguerri sur ces questions.

Ils avaient ensuite discuté de quelques histoires d’amours improbables, entre autres sur la possible aventure de la Sage Sève avec un Maitre de la Goo, qu’elle avait ainsi ramené sur la voie de l’Éveil. Cela expliquait que certains des membres de cette tribu aient récemment rejoint la Théocratie, mais cela pouvait surtout être de vulgaires ragots destinés à porter tort à Sève…

Entre le poème et les commérages, la leçon avait été plus courte, mais riche en émotions.

Quelque temps plus tard, il avait recroisé Krill au bar de Fairhaven. Il lui avait dit qu’il avait trouvé mieux, pour la soirée de conte, que « ce poème absurde que je t’avais raconté… J’ai trouvé plus drôle et moins gênant. » La trykette en avait profité pour le taquiner :
— Ben quoi ? Il était rigolo. En plus, on aurait vraiment cru que t’étais amoureux.
— Je ne suis pas amoureux !

Il avait la sève qui lui montait au masque en déniant avec tant de vigueur et peut-être un peu d’affolement. La trykette n’avait pas poussé son avantage :
— Ben tu le déclamais bien. Mais ça me va, si tu as autre chose.

#5 [fr] 

— Alors… tu veux quoi comme histoire ? Il y a quelque chose qui te tente ? Une courte, une longue ?
— An. J’aime bien les surprises.
— Je t’écoute.
— Si c’est trop long, je la finirais une autre fois. Et c’est une histoire vraie, pas comme celles d’Husyrech… une histoire où je me passerais de preuve, me contentant des témoignages d’homins vivants.

Cette fois-là, la séance de forage avait été longue. Aussi longue que l’histoire. Revivant ce qu’il contait, Haokan n’avait pas vu passer le temps. Cette histoire-là, il avait espéré la conter à une autre personne, mais cette dernière ne trouvait jamais le temps pour se poser avec lui, alors… Et il lui fallait de toute façon vérifier son récit avant d’aller la proposer à celle qui était concernée au premier chef par cette histoire. Il l'avait écrit, et ce n'était pas évident d'adapter son texte à la version orale tout en forant ; mais par la suite, c'était la version écrite qu'il avait transmis.

*** La revanche des Iconodoules ***


L’histoire que je m’apprête à raconter est une longue histoire. Elle prit sa source des années auparavant, et je crois que nous pourrions remonter encore plus loin que je ne le fis. Elle mit des années à se résoudre… Et mon intuition me souffle que sa conclusion n’est toujours pas écrite. Mais il en est ainsi des histoires vraies : elles n’ont ni commencement ni fin.

Quant à moi, j’entendis parler de tout ça lors d’une de mes visites aux Iconodoules. J'ai déjà parlé de l’affection que j’ai pour cette tribu : ce sont de bons homins, tournés entièrement vers la paix, menant une vie simple et élégante. Ils ne cherchent pas à faire parler d’eux, ils n’ont pas l’orgueil de bien des croyants : ils se contentent de vivre en accord avec les préceptes kamis, sculptant leurs objets pour glorifier la beauté d’Atys.

C’est ainsi que je fis la connaissance de Buaoi Ping-Li, l’une des artisanes de la tribu. Son premier enfant est né récemment et c’est probablement ce qui l’a motivée à me confier cette histoire ; le secret pèse lourd pour cette tribu et ils craignent les conséquences de leurs actes. Après avoir entendu son histoire, j’ai décidé de me rendre moi-même auprès des Trafiquants des Ombres afin d’obtenir plus de détails. Mais je prends encore trop d’avance sur mon histoire.

Voici ce que j’ai transcrit de mes entretiens avec les divers acteurs de l’affaire.

*** Le récit de Buaoi Ping-Li ***

Il y avait alors dans la Jungle un méchant homin. C’était un Antekami. Comme tous les Antekamis, il était aussi bête que méchant, et celui-ci était très, très méchant. Il est rare de croiser un Antekami dans la région des Cités de l’Intuition. Ils restent ordinairement à exercer leurs méfaits au Bosquet de l’Ombre, et malheur à ceux qui croisent leur route ! Mais celui-ci voyageait et venait régulièrement vers les Cités, à la recherche de victimes pour ses méfaits. Chaque fois qu’il passait près de notre tribu, il sortait sa masse et boum, crac ! Il l’abattait sur tous les homins à sa portée. Comme ça, sans raison.

Les Iconodoules ne sont pas un peuple de guerriers. Bien sûr, nous tentions de l’arrêter, mais nos coups glissaient sur son armure, il se riait des quelques blessures que nous faisions, et invariablement, tout le monde tombait tandis que lui s’amusait au milieu de la sève répandue.

Heureusement pour nous, les kamis veillaient. À chaque fois, ils ranimèrent nos graines de vie : celle des poko comme celle des noko, sans distinction. Mais cela se reproduisait, encore et encore. Même si notre graine de vie reste intacte, subir de telles blessures régulièrement est traumatisant. Les enfants dont je faisais partie avaient cessé leurs jeux : nous passions la journée à guetter le passage du sinistre individu, et si nous l’apercevions, nous revenions à la tribu en sonnant l’alarme, puis nous fuyions dans les bois. Il lui arrivait malheureusement de nous attraper avant que nous ayons pu alerter la tribu, et il n’avait aucune pitié pour les poko que nous étions : il nous tapait comme les autres, jusqu’à ce que nous ne bougions plus.

Nous avions demandé de l’aide à la Théocratie, et ils avaient envoyé des gardes. Ils étaient restés un temps. Cependant cet Antekami ne passait pas tous les jours non plus. Il pouvait s’écouler des mois sans qu’on le voie, puis soudain il était là. Jamais il ne vint quand les gardes étaient là… et ces derniers finirent par être rappelés à Zora. À l’époque, la cité était régulièrement l’attaque des maraudeurs et les gardes étaient plus utiles là-bas… Mais une fois qu’ils furent partis, l’Antekami revint, encore une fois. C’était la fois de trop pour moi.

Puisque la Théocratie ne pouvait pas nous aider, je pris la décision de chercher d’autres alliés. J’étais très jeune alors, mais ces quelques années à vivre dans la peur m’avaient fait grandir vite. Je pris un baluchon et je partis en direction du Bosquet Vierge. Il y a là-bas deux tribus de mercenaires : j’étais certaine que l’une ou l’autre accepterait notre affaire.

Je n’ai pas eu à aller bien loin dans le Bosquet pour tomber sur un tryker, et heureusement, car il y a de nombreux prédateurs dans la zone. J’aurais probablement fini dans l’estomac d’un torbak si j’avais dû aller jusqu’à une des tribus !

Un tryker dans le Bosquet Vierge ne peut qu’appartenir aux Trafiquants des Ombres, l’un de ces groupes de mercenaires. Je lui exposais alors toute l’histoire, à laquelle il compatit, et lui exposait ensuite ma demande :

« Je veux trouver comment détruire la graine de vie de cet Antekami. »

*** Le récit de Be'Laury Garmer ***


Oy, me dit Be'Laury Garmer, je me souviens bien de cette petite zoraïe. Elle n’avait pas froid aux yeux.

Et je me souviens bien de l’Antekami aussi. Il n’y avait pas que les Iconodoules qu’il ennuyait. Avec d’autres de sa tribu, ils venaient parfois jusqu’au Bosquet. S’ils croisaient une patrouille de guerrières Amazones, le combat s’engageait et ne tournait pas souvent en faveur des Antekamis ! Aussi se méfiaient-ils d’elles. Mais un tryker face à un zoraï est désavantagé, et nous sommes des commerçants, avant d’être des combattants. Les Antekamis avaient donc pris l’habitude de chasser de préférence les membres de notre tribu… Et à la description que nous avait faite Buaoi, j’avais reconnu l’un de nos principaux tourmenteurs. Ce n’était pas un grand guerrier, mais il était sournois et il a enlevé nombre des nôtres au fil des ans, pour des expériences affreuses.

Aussi, quand Buaoi m’a demandé qu’on détruise sa graine de vie, je n’ai pas crié à l’hérésie. Bien sûr, c’est mal de faire ça. Cela aurait été probablement mieux de confier ce sale type à la justice zoraï. Mais les prisonniers s’échappent parfois, et la justice zoraï cherche à réhabiliter plus qu’à punir : combien de temps, si nous l’avions capturé, avant qu’il n’embobine les Sages avec de beaux discours, puis vienne semer la désolation à nouveau dans nos tribus ? Oy, la solution de Buaoi était la seule valable… mais pas la plus simple à mettre en œuvre.

Vous savez comment détruire une graine de vie, vous ? An, et nous non plus. Parfois elles se brisent lors de maladies, ou dans les combats, mais pourquoi ? Nul ne le sait. Tant que la graine de vie est là, les Puissances peuvent ramener les homins… et elles le font, même pour les ragus comme cet Antekami !

Mais, en tant que commerçant, on savait où chercher. Il y a une tribu, sur Atys, qui a acquis beaucoup de savoirs. Des savoirs impies, pour la plupart, et ce ne sont pas des gens recommandables ; mais dans le cas qui nous occupe, ils sauraient comment s’y prendre. Seulement, traiter avec eux présente de nombreux risques. Aussi, on a commencé par s’assurer qu’on serait soutenus, et pas juste par une p’tite gamine iconodoule.

*** Le récit de Buaoi Ping-Li ***


Le tryker est revenu avec moi chez les Iconodoules. Je me suis fait gronder pour être partie seule là-bas, et plus encore quand ils ont appris ce que j’avais demandé.

— Nélaï ! disaient-ils. Détruire une graine de vie est un péché envers les kamis !
— Ce n’est peut-être pas un péché quand il s’agit d’un ennemi des kamis, a argumenté le tryker. Et celui-ci ne peut pas être pris pour un ami, quelle que soit la façon dont on le regarde.

L’argument a porté, et ça a beaucoup discuté. Toute la nuit, même. Au matin, les Iconodoules avaient accepté de fournir aux Trafiquants des Ombres une bonne partie de leur production de l’année, en échange de l’aide auprès du Cercle Noir.

*** Le récit de Be'Laury Garmer ***


Puisque c’était moi qui avais commencé le marchandage, c’est moi qui ai été désigné pour aller au Cercle noir. C’est comme ça chez les Trafiquants : on gère un marchandage du début à la fin ! Une patrouille m’a accompagné sur un bout de chemin, mais ils m’ont laissé seul une fois en vue du camp. Je n’en menais pas large. Tout le monde sait que le Cercle Noir expérimente à l’occasion sur les homins et ils n’auraient fait qu’une bouchée d’un petit contreband… heu, marchand comme moi. Mais comme je venais pour affaire, peut-être qu’ils allaient me laisser repartir.

J’ai exposé ma demande à l’hôte de la tribu, qui m’a mené à un autre homin. Un tryker, comme moi, qui ne m’a pas dit son nom. Je dis « comme moi », mais moi, je suis quelqu’un de fréquentable. Celui-ci, ça se voyait dans ses yeux : il n’était plus vraiment homin. Son regard était froid, effrayant, même quand il souriait. Je lui ai exposé l’affaire. Lorsque j’ai eu fini, il a dit :
— Ça ne va pas être simple.
— Pourquoi ? Il suffit qu’on vous achète une de vos potions avec le mode d’emploi et ensuite, on se débrouille, non ?

Il a secoué la tête :
— Non. Ça ne marchera pas aussi simplement ici.
— Nett ! Ho, annoncez votre prix…
— Ce n’est pas qu’une question de prix. L’homin dont vous parlez, nous n’avons aucun intérêt à sa mort actuellement. C’est un bon client ; un très bon client, même. Et il nous fournit de nombreuses… ressources, que votre tribu aurait du mal à nous procurer.

En parlant des ressources, il m’a lancé un regard… comme si j’étais un yubo devant un ragus. Ça m’a fait perdre le peu de moyens qui me restait, et j’ai fait la grande erreur de débutant en commerce :
— On compensera les pertes si vous nous débarrassez de lui.

Le tryker a eu l’air surpris, puis il a éclaté de rire :
— Très bien, si vous vous engagez sur le sujet…

Il a clos les yeux à moitié, se plongeant soudain dans une rêverie dont il partageait quelques bribes :
— Voyons voir… Il doit avoir 45 ans environ, pourrait en vivre le double encore vu sa résistance… Il nous rapporte tant par an…

Il a fini par prendre un bout d’écorce et noter des chiffres dessus. Moi, je prenais conscience du prix que coûte une vie homine, et pas même un bon homin : celle d’un scélérat, d’une racaille de bas étage. Supprimer ce vil individu de la surface de l’Écorce aurait des conséquences : pour ses victimes, mais aussi pour tous ceux qui tiraient profit de sa vilenie.

Le tryker a fini par reporter ses chiffres sur une feuille de papier, et me l’a tendu. C’était une longue liste de course. Il y avait des matières communes, mais dans des proportions gigantesques, des produits rares comme des matériaux de Roi (et pas les plus simples à attraper) ou encore des larves kitins, et d’autres choses, comme tout un lot de fioles. Et il y avait une somme, enfin. Il y avait tellement de zéros que je n’étais pas sûr de savoir lire ce chiffre.

— Vous estimez tout ce matériel à ce prix ? ai-je demandé d’une voix faible.

Je nous voyais déjà endettés pour des années. Mais c’était pire que ça.

— Non, a dit le tryker. Vous devez me fournir tous ces éléments, plus la somme. Une fois que nous aurons ce paiement, nous nous occuperons de cet homin.
— Eny… Eny… c’est dément !
— Comme lui, a ricané le tryker. Vous parlez de vous débarrasser d’un Antekami. Avez-vous déjà essayé quelque chose comme ça ?
— On en tue régulièrement quand ils viennent au Bosquet, ils saignent, comme tous les homins !
— Vous les « tuez »… ou plutôt, vous les mettez dans une position qui demande l’intervention des Puissances. Mais ces homins ne sont pas morts pour de bon. Vous n’avez jamais réellement éliminé un Antekami, n’est-ce pas ?
— Je… je n’en sais rien. Ils se ressemblent tous, avec leurs masques mutilés.
— Non, non, je vous garantis que vous n’en avez jamais tué… Je peux vous le certifier, parce que nous avons nous-même… Ho, je ne vais pas vous ennuyer avec le détail, mais sachez que la plupart des Antekamis ont une graine de vie bien plus résistante que la moyenne homine. Comment survivraient-ils à leur fréquentation assidue de la Goo, sinon ? Celui qui vous intéresse a déjà été la cible d’un contrat de ce genre par le passé, que nous avons honoré. Ça n’a pas suffi, pourtant je vous garantis que nous y avons mis tout notre savoir d’alors. La demande venait de gens bien plus respectables que vous, et nous avions alors nous-même un différend avec cet individu, ce qui a rendu l’opération d’autant plus intéressante. Mais cela ne l’a pas tué. Il a disparu un moment de la circulation, il est revenu faible comme un yubo, mais il est revenu. Et il a su se montrer utile ensuite et se faire pardonner. Arriver à s’en débarrasser pour de bon demandera des ressources supérieures.
— C’est impossible…
— Impossible, non. Si vous nous amenez ce paiement, nous veillerons à réussir sa mort. S’il revenait encore, nous recommencerions, jusqu’à trouver la bonne formule. N’est-ce pas passionnant ?

Moi, je regardais la liste, cette liste impossible à réunir, et je pensais aux implications de ce que disait cet homin malsain. On était embarqué dans une sale affaire… Mais je pensais aussi aux gamins des Iconodoules, et à cette petite fille, Buaoi, au regard si grave pour son âge. Il fallait le faire quand même…

Alors j’ai négocié. J’ai repris chaque chiffre. Mon interlocuteur ne voulait pas me donner tous les détails de son calcul, mais j’ai rogné, partout où je pouvais. J’ai même réussi à enlever deux zéros au chiffre monstrueux des dappers, qui continuait à dépasser le milliard. Enfin, il m’a mis dehors, avec une liste légèrement allégée, mais toujours aussi énorme.

— Nous passerons à l’action lorsque vous pourrez payer, m’a-t-il dit. La proposition n’a pas de limite dans le temps, mais les chiffres auront peut-être besoin d’être réévalués d’année en année.

J’ai retrouvé ma tribu. On est allé voir les Iconodoules, à qui on a donné le prix, en laissant de côté les détails de la négociation. On n’a même pas calculé de pourcentage pour nous, dans cette affaire. Eux et nous, on est aussi allé discrètement se renseigner auprès d’autres tribus du Pays Malade, voir qui pouvait nous aider. On n’en a pas parlé à la Théocratie : détruire une graine de vie ET commercer avec le Cercle Noir… Il était certain que ça ne plairait pas aux Sages, mais ces derniers avaient déjà échoué à trouver une autre solution. Finalement, seuls les Gibads se sont révélés être des alliés dans cette affaire. Les Antekamis les embêtent aussi…

Et on a réuni tout ce qu’il y avait sur la liste. Cela nous a pris un temps fou. Les Iconodoules ont le plus participé. Je crois que toute leur artisanat, sur toutes ces années, a été vendu pour réunir le moindre dapper possible. On a échangé avec les voyageurs pour obtenir les matières demandées ; on a foré, chassé. Et pendant tout ce temps, cet Antekami continuait de nous persécuter, sans se douter que nous préparions sa mort.

À la fin, ça a été fait.

*** Le retour d'Haokan ***


— Mais vous êtes sûr qu’il est mort ? ai-je demandé à Buaoi.
— Certain. Cela fait des années qu’il n’est plus passé chez les Iconodoules et que personne n’a entendu parler de lui.
— Il pourrait être allé dans un autre pays ?
— Né… pendant des décennies, il a écumé la région, pourquoi serait-il allé ailleurs soudainement ? Et peu importe, ce qui compte, c’est que nos enfants puissent vivre en paix.

En disant cela, elle a caressé la tête de son poko, encore tout petit, avec une tendresse émouvante.

Be'Laury m’a fait une réponse similaire.
— Le Cercle Noir nous a garanti que c’était fait. Cela a été long, mais ça a fini pas se faire. Nous avons eu de la chance, au final : une partie de la troupe qui suivait cet Antekami s’est fait capturer par la Théocratie. Lui, il s’est échappé, mais il était seul, du coup, quand les gens du Cercle Noir ont… fait ce qu’ils devaient faire.
— Mais vous avez une preuve ?
— La seule preuve qui compte, c’est que personne ne l’a revu depuis des années. Ni ici ni ailleurs.
— J’ai une dernière question… Quel était le nom de cet Antekami ?
— Qui sait ? a répondu Be'Laury en haussant les épaules. Un sale type ; que son nom reste dans l’oubli, c’est aussi bien.

***


J’ai dit que mon histoire commençait peut-être bien plus tôt, et que son dénouement était encore à venir. Certains Iconodoules, en particulier, ne sont pas à l’aise avec tout ça : ils sont assez éveillés pour savoir qu’il y a plus que la surface des choses.

La première question est : vu les relations entre le Cercle Noir et les Antekamis, à quel point les premiers sont-ils responsables de la résistance des seconds à la Goo ? À quel point le Cercle Noir a-t-il participé à l’apparition de cet Antekami qu’ils ont fini par aider à détruire ?

La seconde question concerne les implications de la destruction de la Graine de vie par le Cercle Noir. S’ils peuvent le faire, à qui d’autres vont-ils vendre cette possibilité ? Quelle menace cela fait-il peser sur des homins de bien ?

La troisième question concerne la somme que le Cercle Noir a touchée. On parle des efforts conjoints des Iconodoules, des Trafiquants des Ombres et des Gibads sur plusieurs années. De sommes astronomiques. Qu’a fait le Cercle Noir de ces ressources ? Quel avantage ont-ils acquis grâce à cela, et comment vont-ils l’utiliser ?

*** ***


#6 [fr] 

Le cours n’avait pas été accompagné d’une histoire, cette fois-ci. Haokan avait répondu à la proposition de la trykette d’affiner ses talents, mais il n’était pas dans son assiette et la séance avait été calme. Au fond de lui, le zoraï se sentait coupable. Il avait pris la décision d’arrêter les contes depuis un bon moment à présent. Les causes étaient multiples : son altercation avec Husyrech, un certain conte qui n’arrivait pas à être conté à une certaine personne et qui déprimait le zoraï, et enfin sa conviction de plus en plus forte que rien n’avait de sens. Conter demandait un peu de passion, et le Vide derrière son masque prenait à présent toute la place. Il n’y avait plus que quelques injustices qui arrivaient à briser sa coquille.

Mais il devait une histoire à Krill. C’était l’une des rares personnes pour qui il regrettait son choix d’avoir brûlé ses contes, parce qu’il savait que la trykette prenait réellement plaisir à entendre des histoires. Le jour où il avait fait son autodafé, Feinigan était arrivé au bon moment pour récupérer la plupart de ses notes avant qu’elles ne finissent de flamber et quelque part, certaines histoires émergeraient peut-être à nouveau… si ce tryker n’avait pas définitivement disparu à son tour : personne ne l’avait vu depuis longtemps. En attendant, Haokan n’avait rien à raconter.

Après le cours de forage, il alla s’asseoir au Promontoire des Kipee. Perdu dans la contemplation du panorama, soliloquant avec Bai Castiu, son yubo de compagnie, il s’était remémoré une histoire que le trafiquant lui avait contée et qui faisait à présent écho à son spleen. Il n’allait pas raconter cela, pas comme ça : c’était trop peu « conté » et Husyrech allait encore l’ennuyer avec ses maudites preuves. Qu’il aille se jeter dans la goo… De toute façon, au fil de la soirée, peut-être légèrement influencé par les vapeurs de goo de la zone, Haokan avait fini par mettre en ordre ses doutes et trouvé ce qu’il pouvait dire pour clore sa courte carrière de conteur.

Yui, cela allait suffire. Ce n’était pas une histoire drôle comme Krill les aimait, mais cela lui parlait.

Quelque temps plus tard, Krill était là, au bar de Fairhaven, avec de nombreux autres homins. Le public n’allait pas arrêter Haokan : il préférait même ne pas gérer seul la déception qu’il risquait de faire naître chez la trykette. Il était honteux de leur amener cette histoire triste et pourtant… il fallait la raconter. Puis se taire à jamais.
Le Dernier Conte
Il y a quelque temps de ça, j’ai décidé d’arrêter de conter. J’avais commencé par erreur, puis je me suis pris au jeu, sans voir l’inanité de mes actes. Aujourd’hui, je sais que cette voie est vide de sens. Mais je m’étais engagé à raconter des histoires en échange de cours de forage, et je me suis retrouvé en dette la dernière fois, ayant déjà brûlé tous les contes de ma besace. J’ai donc cherché une dernière histoire à dire, afin que cette dette soit payée.

Je l’ai finalement trouvé au milieu du Vide. Ce qui m’a été partagé était au-delà de ce qui peut se transmettre, à bien des égards. Mais il est resté quelque chose à la fin, quelque chose d’une fragile existence, qui méritait ce titre : le Dernier Conte.

Vous avez probablement entendu les mythes sur la façon dont Atys fut créé. De nombreux récits, s’appuyant parfois sur la religion, qui nous relatent les premiers temps de notre monde.

Mon conte parle des derniers temps.

Un temps lointain, peut-être, ou au contraire très proche. Qui peut dire dans quelle temporalité se place une histoire de ce genre ? Un temps futur, c’est la seule chose de certaine… Mais j’userais du présent, plus simple à utiliser.

En ce temps-là, Atys se vide de ses homins. Chaque jour, il y a un peu moins de graines de vie qui arpentent l’Écorce. Certains disent que les homins rejoignent l’Éveil, d’autres que c’est le Grand Dragon qui consume leur graine de vie ; nul ne sait vraiment où ils disparaissent, mais ils ne sont plus là. Le Vide, lui, grandit.

Chaque nuit qui passe, le Vide grignote un morceau du monde. Cela ne fait pas de bruit, cela ne génère nulle souffrance. C’est ce qui a précédé le Vide qui a causé la souffrance. La goo, les cendres du dragon, la haine des homins, les guerres, la volonté de domination, tout cela a ravagé l’Écorce auparavant. L’amour s’est enfui, et avec lui la capacité de créer, de lutter contre le Vide. Peut-être que l’amour a été le premier à s’évanouir dans le Vide. Puisque plus rien ne pouvait être conçu avec la disparition de l’amour, alors il n’est resté que la capacité de destruction, que certains ont cru constructive. Certains homins ont embrassé cette voie, rejoignant les maraudeurs, les zélateurs de la goo ou encore les adorateurs du dragon ; certains ont cherché des pistes différentes, se réunissant autour d’un feu ou d’un tonneau de bhyr, tentant de chanter et de parler pour ne pas entendre l’insupportable Vide qui les entourait, essayant de défendre ce qui existait, de sanctuariser ce qui avait été créé. Certains se sont enfuis, comme si partir ailleurs les protégerait du Vide. Qui sait ? Peut-être qu’au-delà d’Atys, à travers l’Illumination ou les vaisseaux de la Karavan, ils ont trouvé un autre monde où le Vide n’est encore qu’une rumeur lointaine. Ou peut-être que le Vide les a rattrapés. Leur nom est oublié, leur souvenir s’évanouit ; bientôt il n’y a plus personne pour se rappeler d’eux, plus personne pour lire les cubes d’ambres racontant leurs rêves et leurs espoirs, leurs aventures et leurs périples.

Le Vide grignote les entrailles d’Atys, et sans bruit, les contes et légendes s’effacent aussi. Le sol a tremblé, le Dragon s’est réveillé et tout a été consumé, avant que le Vide ne vienne tout effacer. Jena ne vient pas, Ma-Duk ne dit rien. Le Vide engloutit les étoiles, qui disparaissent une à une du ciel. Plus de Puissances pour insuffler un souffle de vie, pour lutter contre ce rien qui remplace tout.

Le Vide avale ses sbires, ceux qui croyaient qu’ils seraient épargnés, comme ceux qui avaient accepté depuis longtemps l’inéluctable dénouement. Ces derniers, peut-être, pourraient accueillir ce Vide avec le sourire… Mais le Vide a déjà pris leurs existences, leurs joies, leurs espoirs ; ils ne peuvent que rejoindre leur destin, indifférent et sans peine.

Tout à la fin, il ne reste rien. Atys est fini, et son nom même s’éteint.

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