ROLEPLAY


Au bord du monde

Ylang Hao regardait sa lettre sans savoir comment la tourner.

Elle avait une compassion infinie pour la douleur que Len Fai-Cu devait vivre. Elle aurait aimé pouvoir le réconforter de quelques mots habiles, mais tout ce qu’elle trouvait était maladroit.

À quoi bon… elle se donnait encore trop d’importance. Elle n’était qu’une initiée parmi d’autres, la moins remarquable et la plus gauche qui soit, et le chasseur ne devait même pas savoir son nom. Quel bien pouvaient lui faire les mots d’une inconnue ?

Pauvre homin. Elle ne pouvait qu’imaginer sa souffrance, qu’elle imaginait immense. Croire voir un chemin vers l’Illumination, ouvert par l’Amour ; suivre cet amour, loin des siens, loin de sa culture, renier ses croyances, pour se mettre à son service et l’adorer. Puis voir cet amour nous piétiner aux pieds, nous abandonner sur le bord du chemin, pour suivre ses propres objectifs, bien loin de la recherche de l’Illumination.

Elle ne pouvait qu’imaginer, mais elle avait suffisamment été abandonnée au fil de sa vie pour se douter à quel point le chasseur devait se sentir mal.

Elle ne trouvait pas les mots, elle avait peur de se tromper encore. Après un certain temps à retourner le problème dans sa tête, elle prit une autre voie.

Sortant de son sac des fils et des graines qu’elle avait acheté à Zora avant de partir, elle se mit à l’ouvrage. Ciseler les graines la mettait dans un état méditatif. Inscrire les glyphes dessus était un travail de fourmi et tout en le faisant, elle récitait le mantra de la Paix, son préféré.

Après quelques heures, le chapelet était prêt. Cela ne valait pas le travail des meilleurs artisans et un instant, Ylang eut honte de sa production. Mais l’objet comptait moins que le message qu’il transmettait. Elle le glissa dans une pochette, trouvant enfin les mots pour l’accompagner.
Lettre à Len Fai-Cu
Woha Len Fai-Cu,

Ce qui est arrivé l’autre soir avec Sève était terrible. Mes prières t’accompagnent à travers ce chapelet, afin que la paix puisse de nouveau bénir ta shizu. Ma-Duk nous entraîne parfois sur des chemins tortueux ; la confiance qu’on lui porte est souvent la seule façon de traverser les épreuves.

Elle signa puis confia le petit paquet à un izam.

Elle espérait que l’ancien Maître de la Goo ne retournerait pas vers les siens à la suite de la trahison de Sève. Il semblait être un homin de bien… Mais on prenait souvent les pires décisions en croyant bien faire. Cela avait été le cas des deux amants lors de la soirée, avec un ensemble de mauvais choix menant à ce moment terrible.

Contemplant le ciel sombre, les kitins à ses pieds et les champs de goo au loin, elle médita un long moment, cherchant comment rassurer ses proches sur sa dernière décision.

Pour la Théocratie… Personne ne se rendrait compte de son absence, elle en était certaine. Il n’était pas nécessaire d’envoyer un message pour dire qu’elle se retirait des affaires publiques.

Son fils était déjà au courant ; elle lui enverrait plus tard un petit mot pour lui indiquer où la trouver. Sa dernière conversation avec lui tournait dans sa tête. Maintenant que l’horreur de ses révélations s’apaisait, elle devait reconnaître qu’il semblait aller mieux. C’est dire à quel point, avant cela, il allait mal… Son fils, nélaï et satisfait de l’être ! Elle s’inquiétait un peu du mal qu’il pourrait faire et recevoir s’il révélait son hérésie. Il ne semblait pas prosélyte… moins que quand il essayait d’être le meilleur kamiste au monde. Au moins, cela lui permettrait probablement d’accepter le lieu où elle avait décidé de faire sa retraite, sans rugir et sans tenter de la dissuader d’y rester.

« Nos chemins sont contraints par la Pourpre, le Feu et le Vide », avait-il déclaré. Elle ne pouvait pas lui donner tort. C’était peut-être le plus douloureux : il avait raison. Jusqu’à Sève qui abandonnait ce qu’elle tenait pour suivre son rêve de conquête, oubliant que sans soutien solide, on ne s’élevait pas bien haut. Même elle, bien que bénie des Kamis, laissait le Vide emplir sa vie et ouvrait la voie à la Pourpre.

Ylang Hao se sentait vraiment orgueilleuse de s'être pensée capable d’assister Sève dans son travail. Maintenant qu’elle avait vu le vrai masque de la Sage, elle préférait en rester le plus loin possible. L’Élue des Kamis choisissait probablement la bonne voie pour convaincre les zorai-goo de la rejoindre, mais Ylang Hao était certaine de ne pas apprécier « où » tous ces gens se rejoindraient : dans un monde où seuls les forts avaient le droit de vivre, où les faibles étaient écrasés et soumis, où l’amour n’était qu’un prétexte pour souffrir.

Elle ne faisait probablement pas mieux en restant attachée à Nikuya et Jazzy, qui étaient eux-mêmes adeptes de la douleur. Elle frissonna en repensant à la façon dont ils l’avaient piégé « pour son bien » la dernière fois… Les meilleures intentions du monde… Elle les aimait et s’éloigner d’eux était difficile, encore plus difficile que de s’éloigner de la Théocratie, mais elle ne voulait pas de leur façon de voir la vie. Elle devait parcourir sa propre voie, trouver la paix en affrontant la souffrance à sa façon.

Ils ne comprendraient jamais ce genre de choix, ne voyant que le danger dans lequel elle se mettait. C’est ce qui rendait la lettre si difficile à écrire. Enfin, elle se décida, laissant de côté tout ce qui pouvait les faire tempêter. Plus tard, ils viendraient, ils trouveraient les arguments pour la faire plier et renoncer, une fois qu’ils auraient compris. Cela lui laissait tout de même un peu de temps. Elle savait qu’elle ferait probablement encore beaucoup d’aller-retour entre leurs mondes et le sien, mais chaque fois qu’elle trouvait la force de suivre son cœur, elle avançait un peu plus vers l’Illumination.


Lettre à Nikuya
Woha kai'bini,

Je me suis enfin décidée à suivre une voie qui m’appelle depuis longtemps. Je suis partie en ermitage, prenant la robe des moniales kamistes. Tout va bien.

Mes prières t’accompagnent.

Lettre à Jazzy
Woha Mayumé'laï,

Les rumeurs t’apprendront peut-être avant moi que j’ai décidé de consacrer ma vie à la prière, loin du monde. Je vais bien, et tu restes le bienvenu si tu as envie de venir me voir, mais tu trouveras probablement mon quotidien vite ennuyant.

Mes prières t’accompagnent.
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