ROLEPLAY


Une histoire de forage

Le cours n’avait pas été accompagné d’une histoire, cette fois-ci. Haokan avait répondu à la proposition de la trykette d’affiner ses talents, mais il n’était pas dans son assiette et la séance avait été calme. Au fond de lui, le zoraï se sentait coupable. Il avait pris la décision d’arrêter les contes depuis un bon moment à présent. Les causes étaient multiples : son altercation avec Husyrech, un certain conte qui n’arrivait pas à être conté à une certaine personne et qui déprimait le zoraï, et enfin sa conviction de plus en plus forte que rien n’avait de sens. Conter demandait un peu de passion, et le Vide derrière son masque prenait à présent toute la place. Il n’y avait plus que quelques injustices qui arrivaient à briser sa coquille.

Mais il devait une histoire à Krill. C’était l’une des rares personnes pour qui il regrettait son choix d’avoir brûlé ses contes, parce qu’il savait que la trykette prenait réellement plaisir à entendre des histoires. Le jour où il avait fait son autodafé, Feinigan était arrivé au bon moment pour récupérer la plupart de ses notes avant qu’elles ne finissent de flamber et quelque part, certaines histoires émergeraient peut-être à nouveau… si ce tryker n’avait pas définitivement disparu à son tour : personne ne l’avait vu depuis longtemps. En attendant, Haokan n’avait rien à raconter.

Après le cours de forage, il alla s’asseoir au Promontoire des Kipee. Perdu dans la contemplation du panorama, soliloquant avec Bai Castiu, son yubo de compagnie, il s’était remémoré une histoire que le trafiquant lui avait contée et qui faisait à présent écho à son spleen. Il n’allait pas raconter cela, pas comme ça : c’était trop peu « conté » et Husyrech allait encore l’ennuyer avec ses maudites preuves. Qu’il aille se jeter dans la goo… De toute façon, au fil de la soirée, peut-être légèrement influencé par les vapeurs de goo de la zone, Haokan avait fini par mettre en ordre ses doutes et trouvé ce qu’il pouvait dire pour clore sa courte carrière de conteur.

Yui, cela allait suffire. Ce n’était pas une histoire drôle comme Krill les aimait, mais cela lui parlait.

Quelque temps plus tard, Krill était là, au bar de Fairhaven, avec de nombreux autres homins. Le public n’allait pas arrêter Haokan : il préférait même ne pas gérer seul la déception qu’il risquait de faire naître chez la trykette. Il était honteux de leur amener cette histoire triste et pourtant… il fallait la raconter. Puis se taire à jamais.
Le Dernier Conte
Il y a quelque temps de ça, j’ai décidé d’arrêter de conter. J’avais commencé par erreur, puis je me suis pris au jeu, sans voir l’inanité de mes actes. Aujourd’hui, je sais que cette voie est vide de sens. Mais je m’étais engagé à raconter des histoires en échange de cours de forage, et je me suis retrouvé en dette la dernière fois, ayant déjà brûlé tous les contes de ma besace. J’ai donc cherché une dernière histoire à dire, afin que cette dette soit payée.

Je l’ai finalement trouvé au milieu du Vide. Ce qui m’a été partagé était au-delà de ce qui peut se transmettre, à bien des égards. Mais il est resté quelque chose à la fin, quelque chose d’une fragile existence, qui méritait ce titre : le Dernier Conte.

Vous avez probablement entendu les mythes sur la façon dont Atys fut créé. De nombreux récits, s’appuyant parfois sur la religion, qui nous relatent les premiers temps de notre monde.

Mon conte parle des derniers temps.

Un temps lointain, peut-être, ou au contraire très proche. Qui peut dire dans quelle temporalité se place une histoire de ce genre ? Un temps futur, c’est la seule chose de certaine… Mais j’userais du présent, plus simple à utiliser.

En ce temps-là, Atys se vide de ses homins. Chaque jour, il y a un peu moins de graines de vie qui arpentent l’Écorce. Certains disent que les homins rejoignent l’Éveil, d’autres que c’est le Grand Dragon qui consume leur graine de vie ; nul ne sait vraiment où ils disparaissent, mais ils ne sont plus là. Le Vide, lui, grandit.

Chaque nuit qui passe, le Vide grignote un morceau du monde. Cela ne fait pas de bruit, cela ne génère nulle souffrance. C’est ce qui a précédé le Vide qui a causé la souffrance. La goo, les cendres du dragon, la haine des homins, les guerres, la volonté de domination, tout cela a ravagé l’Écorce auparavant. L’amour s’est enfui, et avec lui la capacité de créer, de lutter contre le Vide. Peut-être que l’amour a été le premier à s’évanouir dans le Vide. Puisque plus rien ne pouvait être conçu avec la disparition de l’amour, alors il n’est resté que la capacité de destruction, que certains ont cru constructive. Certains homins ont embrassé cette voie, rejoignant les maraudeurs, les zélateurs de la goo ou encore les adorateurs du dragon ; certains ont cherché des pistes différentes, se réunissant autour d’un feu ou d’un tonneau de bhyr, tentant de chanter et de parler pour ne pas entendre l’insupportable Vide qui les entourait, essayant de défendre ce qui existait, de sanctuariser ce qui avait été créé. Certains se sont enfuis, comme si partir ailleurs les protégerait du Vide. Qui sait ? Peut-être qu’au-delà d’Atys, à travers l’Illumination ou les vaisseaux de la Karavan, ils ont trouvé un autre monde où le Vide n’est encore qu’une rumeur lointaine. Ou peut-être que le Vide les a rattrapés. Leur nom est oublié, leur souvenir s’évanouit ; bientôt il n’y a plus personne pour se rappeler d’eux, plus personne pour lire les cubes d’ambres racontant leurs rêves et leurs espoirs, leurs aventures et leurs périples.

Le Vide grignote les entrailles d’Atys, et sans bruit, les contes et légendes s’effacent aussi. Le sol a tremblé, le Dragon s’est réveillé et tout a été consumé, avant que le Vide ne vienne tout effacer. Jena ne vient pas, Ma-Duk ne dit rien. Le Vide engloutit les étoiles, qui disparaissent une à une du ciel. Plus de Puissances pour insuffler un souffle de vie, pour lutter contre ce rien qui remplace tout.

Le Vide avale ses sbires, ceux qui croyaient qu’ils seraient épargnés, comme ceux qui avaient accepté depuis longtemps l’inéluctable dénouement. Ces derniers, peut-être, pourraient accueillir ce Vide avec le sourire… Mais le Vide a déjà pris leurs existences, leurs joies, leurs espoirs ; ils ne peuvent que rejoindre leur destin, indifférent et sans peine.

Tout à la fin, il ne reste rien. Atys est fini, et son nom même s’éteint.

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