Haokan ruminait au bar de Fairhaven. Quiconque le connaissait savait que ce n’était pas le moment de l’approcher : il avait son casque sur la tête, signe imparable qu’il était d’une humeur peu conviviale.
La discussion de la veille avec Lorlyn avait ouvert un barrage qu’il avait soigneusement contenu ces dernières années. Il avait mal dormi, essayant de trouver un sens acceptable aux interrogations qui le rongeait.
Le plus confortable était évidemment de retourner en mode binaire. Bon, pas bon ; pas taper, taper. À défaut d’être très fine, cette catégorisation du monde avait au moins le mérite de lui épargner les affres de questionnements existentiels qui le laissaient toujours d’une humeur au mieux massacrante, quand ça n’était pas pire.
Sauf que…
Comme savoir ce qui était Bon ou non ?
Se contenter des grilles les plus simplistes du kamisme avait marché un temps. C’était profondément insatisfaisant, mais c’était facile et cela convenait à la majorité des gens sur l’écorce, alliés comme ennemis. Il n’y avait que ces fichus neutres (qui étaient hélas fort nombreux) et quelques exceptions ici et là pour trouver à y redire. Mais le système résolvait aussi ce problème. Kamiste = bien, pas kamiste = pas bien, avec diverses échelles dans le « pas bien », allant de « à taper sans poser de question » à « lui laisser une chance de fuir/à éviter ».
Il aurait probablement dû éviter certaines personnes avec un peu plus d’assiduité. Mais ce n’était pas de sa faute : il avait essayé, et ces derniers s’étaient acharnés. Comme Feinigan qui avait trouvé comment soudoyer le gardien de son appartement, Nikuya qui l’avait ennuyé jusqu’au Promontoire du Désespoir et Zhen qui était allé le chercher au fond de la forêt matisse, chacun d’eux refusant le combat, forçant la discussion. Fichus gami-ho. Il y avait plein d’autres qu’il avait réussi à éviter, mais pas ce genre de harceleurs.
Il aurait pu s’en sortir, si seulement les kamistes n’avaient pas commencé à mettre leur propre bazar dans ses affaires. Comme quoi ce n’était pas bien d’aller taper les méchants, que tout le monde n’était pas pareil, qu’il ne fallait pas faire la guerre, mais en fait si, mais en fait non… Il avait essayé d’obéir à tous ces ordres contradictoires, il s’était forcé à faire des choses qu’il détestait, mais c’était impossible de faire assez bien, ses actions n’étaient jamais les bonnes. Fichus kamistes.
Et voilà que même Lorlyn revenait sur sa perception des matis. Haokan n’avait rien contre les matis, mais la position intransigeante de Lorlyn lui avait servi d’exemple à plusieurs reprises contre ses propres ennemis. C’était quelqu’un qui avait des valeurs et qui n’y dérogeait pas ; il ne pouvait pas prétendre à tant de pureté, mais il savait reconnaitre un modèle quand il en voyait un. C’était un phare à suivre quand le doute commençait à s’installer. Sauf qu’elle était arrivée à la conclusion suivante : les matis n’étaient peut-être pas tous méchants. En fait, il y avait effectivement des matis plutôt gentils. Donc, cela semblait mieux à la trykette de se dire que les matis étaient gentils, jusqu’à preuve du contraire.
Fichue Lorlyn !
Parce qu’hélas, elle avait raison, et Haokan le savait bien. Si des matis pouvaient paraitre acceptables aux yeux de la jeune fille, il devait reconnaitre que les gami-ho pouvaient l’être à ses propres yeux. Pas juste quelques exceptions, mais tous, par défaut, tant que rien ne venait le contredire. Seulement, où est-ce que cela s’arrêtait ?
— Est-ce que tu penses qu’il peut aussi y avoir de bons Esclavagistes ? avait demandé Haokan.
Cela leur semblait vraiment improbable à tous les deux, l’idée avait été rejetée. Mais le doute avait été semé et s’était planté dans le terreau des discussions précédentes avec d’autres gens. Les trykers de Bai trykali n’avaient pas directement défendu l’esclavagisme, bien sûr… mais ils avaient tenté d’argumenter qu’un esclavagiste n’était pas forcément mauvais, selon les circonstances.
C’était vraiment dérangeant d’envisager de se comporter civilement avec ce genre de gens. Mais était-ce différent du fait de saluer aimablement des kidnappeurs, des drogués, des dealers, des tueurs et autres du même type ? Et si on était aimable avec un seul d’entre eux, y’avait-il la moindre raison de ne pas l’être avec les autres ?
Même avec la mauvaise foi la plus absolue, il fallait reconnaitre que non. Ça n’était pas différent, il n’y avait pas de raison de se comporter autrement a priori. D’où un Haokan grinçant des dents et grommelant au bar de Fairhaven, à tel point que Ba'Naer lui avait déjà signalé deux fois qu’il y avait un autre bar sur les pontons. Mais le zoraï n’avait pas envie de partir. Tout le monde passait par ce bar, à un moment, et il finirait bien par voir quelqu’un qu’il pouvait taper sans se poser de question. Il fallait qu’il y ait une frontière entre le Bien et le Mal.
Car sinon, la seule alternative qu’il voyait était les Litanies du Vide, et il avait à présent bien trop à perdre pour retourner dans ce genre d’errance.
La discussion de la veille avec Lorlyn avait ouvert un barrage qu’il avait soigneusement contenu ces dernières années. Il avait mal dormi, essayant de trouver un sens acceptable aux interrogations qui le rongeait.
Le plus confortable était évidemment de retourner en mode binaire. Bon, pas bon ; pas taper, taper. À défaut d’être très fine, cette catégorisation du monde avait au moins le mérite de lui épargner les affres de questionnements existentiels qui le laissaient toujours d’une humeur au mieux massacrante, quand ça n’était pas pire.
Sauf que…
Comme savoir ce qui était Bon ou non ?
Se contenter des grilles les plus simplistes du kamisme avait marché un temps. C’était profondément insatisfaisant, mais c’était facile et cela convenait à la majorité des gens sur l’écorce, alliés comme ennemis. Il n’y avait que ces fichus neutres (qui étaient hélas fort nombreux) et quelques exceptions ici et là pour trouver à y redire. Mais le système résolvait aussi ce problème. Kamiste = bien, pas kamiste = pas bien, avec diverses échelles dans le « pas bien », allant de « à taper sans poser de question » à « lui laisser une chance de fuir/à éviter ».
Il aurait probablement dû éviter certaines personnes avec un peu plus d’assiduité. Mais ce n’était pas de sa faute : il avait essayé, et ces derniers s’étaient acharnés. Comme Feinigan qui avait trouvé comment soudoyer le gardien de son appartement, Nikuya qui l’avait ennuyé jusqu’au Promontoire du Désespoir et Zhen qui était allé le chercher au fond de la forêt matisse, chacun d’eux refusant le combat, forçant la discussion. Fichus gami-ho. Il y avait plein d’autres qu’il avait réussi à éviter, mais pas ce genre de harceleurs.
Il aurait pu s’en sortir, si seulement les kamistes n’avaient pas commencé à mettre leur propre bazar dans ses affaires. Comme quoi ce n’était pas bien d’aller taper les méchants, que tout le monde n’était pas pareil, qu’il ne fallait pas faire la guerre, mais en fait si, mais en fait non… Il avait essayé d’obéir à tous ces ordres contradictoires, il s’était forcé à faire des choses qu’il détestait, mais c’était impossible de faire assez bien, ses actions n’étaient jamais les bonnes. Fichus kamistes.
Et voilà que même Lorlyn revenait sur sa perception des matis. Haokan n’avait rien contre les matis, mais la position intransigeante de Lorlyn lui avait servi d’exemple à plusieurs reprises contre ses propres ennemis. C’était quelqu’un qui avait des valeurs et qui n’y dérogeait pas ; il ne pouvait pas prétendre à tant de pureté, mais il savait reconnaitre un modèle quand il en voyait un. C’était un phare à suivre quand le doute commençait à s’installer. Sauf qu’elle était arrivée à la conclusion suivante : les matis n’étaient peut-être pas tous méchants. En fait, il y avait effectivement des matis plutôt gentils. Donc, cela semblait mieux à la trykette de se dire que les matis étaient gentils, jusqu’à preuve du contraire.
Fichue Lorlyn !
Parce qu’hélas, elle avait raison, et Haokan le savait bien. Si des matis pouvaient paraitre acceptables aux yeux de la jeune fille, il devait reconnaitre que les gami-ho pouvaient l’être à ses propres yeux. Pas juste quelques exceptions, mais tous, par défaut, tant que rien ne venait le contredire. Seulement, où est-ce que cela s’arrêtait ?
— Est-ce que tu penses qu’il peut aussi y avoir de bons Esclavagistes ? avait demandé Haokan.
Cela leur semblait vraiment improbable à tous les deux, l’idée avait été rejetée. Mais le doute avait été semé et s’était planté dans le terreau des discussions précédentes avec d’autres gens. Les trykers de Bai trykali n’avaient pas directement défendu l’esclavagisme, bien sûr… mais ils avaient tenté d’argumenter qu’un esclavagiste n’était pas forcément mauvais, selon les circonstances.
C’était vraiment dérangeant d’envisager de se comporter civilement avec ce genre de gens. Mais était-ce différent du fait de saluer aimablement des kidnappeurs, des drogués, des dealers, des tueurs et autres du même type ? Et si on était aimable avec un seul d’entre eux, y’avait-il la moindre raison de ne pas l’être avec les autres ?
Même avec la mauvaise foi la plus absolue, il fallait reconnaitre que non. Ça n’était pas différent, il n’y avait pas de raison de se comporter autrement a priori. D’où un Haokan grinçant des dents et grommelant au bar de Fairhaven, à tel point que Ba'Naer lui avait déjà signalé deux fois qu’il y avait un autre bar sur les pontons. Mais le zoraï n’avait pas envie de partir. Tout le monde passait par ce bar, à un moment, et il finirait bien par voir quelqu’un qu’il pouvait taper sans se poser de question. Il fallait qu’il y ait une frontière entre le Bien et le Mal.
Car sinon, la seule alternative qu’il voyait était les Litanies du Vide, et il avait à présent bien trop à perdre pour retourner dans ce genre d’errance.