ROLEPLAY


un sujet d'inquiétude

Valdini fit passer la lettre à Milae avec un sourire satisfait :
— Voyez, vos inquiétudes étaient infondées. Nous allons bientôt fournir une maison noble.

La vieille dame parcourut la missive, précautionneuse :
— C’est une nouvelle qui donne de l’espoir, mais rien n’est fait pour le moment. Qui proposerons-nous ?
— Difficile de savoir sans être au fait des goûts de la Filirae. Je peux toujours prendre Tinalliza avec moi pour cette première rencontre. Elle présente bien et connaît les bonnes manières. Ses compétences laissent un peu à désirer encore, mais cela ne se verra pas lors d’un entretien. Ensuite, nous adapterons. Ce qui sera délicat, c’est que nous avons peu de choix pour le moment. Il y en a peu qui sont suffisamment dégrossis.
— Nous ne pouvons assurément pas nous permettre de montrer des domestiques de moindre qualité et il y en a peu que j’oserais actuellement présenter à une noble, même de basse extraction. Hélas, trouver de jeunes gens comprenant les enjeux d’un service irréprochable reste hasardeux. Je tiens d’ailleurs à préciser, Ser Valdini, que votre dernier arrivage est absolument lamentable. Je ne vois pas ce que nous pourrons faire de ces créatures.
— Laissez-moi un peu de temps, Serae. J’ai dû accélérer un peu les choses suite à quelques difficultés passagères, mais je vous promets que vous ne serez pas déçue. Il y a du beau potentiel parmi ces gens.

Milae fit une légère moue, sans insister. Il n’y avait de toute façon pas le choix, et pour le moment l’entreprise restait plus coûteuse que ce qu’elle rapportait. Mais un autre détail la chagrinait :
— Vous disiez que vous alliez rencontrer Filirae Canillia ?
— Bien sûr, nous ne pouvons pas ignorer sa demande.
— Non, je veux dire : vous ?

Valdini fronça les sourcils, n’appréciant guère l’intonation que la vieille rombière avait mise dans le dernier mot. Les dents serrées, il rétorqua :
— C’est à moi qu’elle s’adresse. Qu’est-ce que vous sous-entendez ?
— Justement, Ser, vous montrez là encore toute l’étendue de votre ignorance. La Filirae a envoyé la lettre au chef de la maison, comme il sied ; mais cela ne veut pas dire qu’une jeune dame encore célibataire souhaite qu’un homme aux antécédents douteux vienne la visiter, seul, dans son appartement.
— Serae !
— Excusez ma crudité, mais je sais que vous pourriez passer à côté de plus de subtilités.

Valdini s’obligea à respirer calmement. Un jour, la vieille peau se déciderait enfin à rejoindre Jena, ce qu’elle aurait dû faire depuis bien longtemps, et il ne verserait probablement pas beaucoup de larmes à ce moment. Mais il ne tenait pas à précipiter la chose par un trop grand éclat. Malgré leur côté agaçant, les femmes de la maison étaient réellement compétentes pour éduquer les domestiques, gérer le quotidien et, dans l’ensemble, faire tourner la boutique. Ce qui lui permettait d’aller ici et là pour ses affaires sans être ennuyé, et de retrouver du linge propre et un bon repas quand il revenait. Cela méritait quelques sacrifices, dont le fait de supporter leurs piques et leur jugement. Il se força à prendre son air le plus aimable possible :
— Je pense avoir saisi cette absence de subtilité. Mais je ne vois pas vraiment quel problème cela pourrait poser, si je suis accompagné d’une de nos domestiques.
— Vous ne « voyez » pas.

Le ton légèrement cassant de Milae figea le sourire de Valdini. Satisfaite de son effet, elle continua sans pitié :
— C’est réellement tout le « problème ». Je suis désolée, Ser, mais nous sommes là dans une situation qui va demander de la finesse et du savoir-vivre. Il sera infiniment plus respectable que ce soit Serae Margarita ou moi-même qui allions à cette rencontre, accompagnées des jeunes filles les plus présentables qui soient.
— Tout ça pour un rat de ruisseau qui a dû fréquenter bien plus douteux que moi ! Vous n’allez pas me faire croire que vous vous préoccupez réellement de la réputation de Canillia !
— Filirae Canillia. Ne vous fâchez pas, très cher. Je ne fais pas cela pour vous ennuyer, uniquement pour vous éviter quelques impairs regrettables.
— Et pour visiter l’appartement d’une parvenue qui est devenue noble.
— Peut-être aussi. Mais si vous tenez à le voir, je vous suggère une autre forme d’approche. En attendant, je veillerais à ce que cette rencontre ne porte pas préjudice à la réputation encore fraîche d’Ore Altae.

Valdini entendit le rire de Lealynn dans son dos, pourtant léger et rapidement étouffé. Cela faisait plusieurs saisons qu’il faisait la cour à la petite-fille de Milae, mais jusque-là ses efforts n’avaient pas été couronnés de succès. La demoiselle n’était jamais seule, et trop souvent en compagnie de son aïeule. Ce discret gloussement fut la goutte de trop pour son ego. Très raide, il s’inclina devant Milae :
— Je vous ferais relire la lettre en réponse, et vous ferez comme il vous sied. Comme toujours.

Il s’éloigna d’un pas rapide, mais se ravisa avant de franchir le seuil de la pièce :
— Je comprends que votre mari ait été si pressé de rejoindre Jena, Serae Milae. Mais vous ne vous débarrasserez pas de moi si facilement.

L’expression outrée de la vieille lui mit un peu de baume au cœur. Il se dépêcha de filer avant qu’elle ne trouve pire à lui renvoyer.
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