ROLEPLAY


Qui guérit les guérisseurs ?

Le cauchemar réveilla Yokao en sursaut.

Elle était seule dans son appartement. En sécurité. Il n’y avait rien à craindre. Elle fit les exercices de respiration, se contraignant au calme.

Savoir ce qui se passait ne rendait pas les choses plus faciles. Incapable de se rendormir, elle se fit un chaï, tourna en rond un moment, puis sortit marcher dans les rues de Zora qui s’éveillaient dans l’aube naissante. Elle finit par rejoindre le bâtiment des Guérisseurs Dynastiques, où Misuno-ko et les siens étaient installés.

Elle salua une collègue qui terminait sa garde (il y avait toujours quelqu’un de disponible pour les urgences et pour les quelques résidents qui préféraient rester ici), et s’installa pour rédiger son dernier rapport. Mais ce n’était pas l’idéal pour se changer les idées. Elle essuya une larme, espérant que personne ne l’avait vu. C’était ridicule. Il ne s’était rien passé. L’Éveillée Nikuya avait parfaitement géré la situation, tout était sous contrôle. Elle recommença ses exercices, sombrant peu à peu dans une méditation agitée.

Quelqu’un s’installa à ses côtés. À sa façon tranquille et sereine de se déplacer, Yokao reconnu Misuno-ko, qui attendit patiemment que la jeune fille finisse sa méditation. Yokao finit par ouvrir les yeux, et glissa sa main dans celle de sa mentore.

— Des problèmes, Yokao-ko ?
— Uniquement dans ma tête et mon cœur, Misuno-ko.
— Comme tous les problèmes. Tu veux me raconter ?

C’était pour ça qu’elle était venue, espérant que la guérisseuse de l’âme serait là, aurait du temps pour elle. Elle lui déballa tout des longs entretiens avec l’Illuminé Zhen, capturé par l’ancienne Antekamie et nouvelle Éveillée Nikuya. Les doutes qu’elle avait eus, qu’elle avait encore : cet emprisonnement ne se fondait-il pas sur une logique de harcèlement culturel et religieux ? Zhen était-il une victime à aider, un homin à qui il manquait des repères, ou un dangereux manipulateur ? Et quel était le rôle d’Haokan, citoyen tryker, dans tout cela, en dehors de ses liens familiaux avec Nikuya ?

Misuno-ko connaissait tout cela ; Yokao l’avait tenu au courant des grandes lignes et de ses inquiétudes auparavant. L’une comme l’autre savaient que cette introduction était nécessaire pour arriver au nœud du problème. Mais plus Yokao se rapprochait de l’épisode fatidique, plus son débit se ralentissait, plus elle s’égarait dans des détails. Avec délicatesse, Misuno-ko la redirigeait, et Yokao ne pouvait qu’admirer la façon dont la zoraïe l’aidait à avancer sans jamais la brusquer.

Enfin elle raconta la dernière séance : comment elle avait conclu que Zhen, à défaut d’être devenu un zoraï repenti, semblait avoir au moins compris quels gages donner. Elle n’aurait pas dû lui parler de liberté… Nikuya n’était pas prête encore à le laisser sortir. Il avait bien fallu l’annoncer à l’Illuminé.

Mais l’improbable s’était alors produit. Zhen avait libéré ses mains et lancé brusquement un sort qui avait sonné la guérisseuse, puis l’avait attrapé contre lui. Tout cela avait été si rapide qu’elle en avait été figée sur place.

— Crie. Appelle Nikuya, avait-il murmuré à son oreille.

L’esprit de Yokao s’était fragmenté, explorant un millier de possibilités. Ce sort, qu’est-ce que c’était ? Pouvait-elle être sous l’influence de quelqu’un qui avait avoué, dans un moment de faiblesse, être un des recruteurs des Illuminés ? Et si elle appelait Nikuya, que se passerait-il ?

Elle avait eu une certitude : il était hors de question de jouer le jeu de l’Illuminé, quel qu’il soit. Alors, elle n’avait pas crié. Un otage, c’était de toute façon une mauvaise chose ; elle devait convaincre Zhen de la lâcher. Sans élever la voix, elle tenta de le ramener à la raison. Si elle réussissait à calmer le jeu…

Mais Zhen n’avait pas l’intention de se laisser enchainer à nouveau sans se battre. « Trop lente », avait-il répondu avant de l’étrangler. Elle avait l’impression de sentir encore ces mains puissantes sur son cou, le souffle lui manquer…

Misuno-ko attendit que les sanglots de l’homine s’apaisent, puis demanda avec douceur :
— C’était la première fois qu’un homin te blessait ?
— Yui… je n’aime déjà pas me faire courir par les ragus, mais c’était… mille fois pire. J’ai cru qu’il m’envoyait rejoindre la Déesse.
— Mais ce n’était pas le cas ?
— Né. Il n’a pas serré assez, alors, j’ai repris conscience assez vite.

Reprendre conscience était un bien grand mot. Elle avait vaguement senti la présence de l’Éveillée, avait tenté de la prévenir du danger ; mais quand elle avait réussi à se redresser, tout était déjà réglé. Nikuya avait mis Zhen à terre d’un grand coup de poing sur le masque et l’avait rattaché soigneusement. Elle n’avait pas laissé Yokao se relever, elle l’avait prise dans ses bras et sortie de la prison, laissant le soin aux gardes de sécuriser la cellule. L’ancienne Antekamie était forte et vibrait d’une énergie incroyable. Elle avait posé la guérisseuse au pied d’un arbre, s’assurant de son état. Mais derrière l’inquiétude qu’elle montrait pour l’état de Yokao, une rage terrible couvait. Yokao s’était sentie hypnotisée par ce masque.

— C’était d’une telle intensité… Comme si elle était devenue un grand yétin aux dents acérées. Je savais que sa colère n’était pas contre moi ; elle était effroyable, et si j’avais été un de ses ennemis, je crois que je serais morte simplement en croisant son regard. Mais je voyais comme elle tentait de garder le contrôle, comme le fait que je sois saine et sauve était plus important même que cette colère…

Un long silence, que Misuno-ko laisse se dévider sans chercher à le combler. Enfin Yokao ajoute :
— C’est vraiment une Éveillée. Elle a mis toute sa force à défendre autrui… ce soir-là, moi. Elle aurait pu s’acharner sur Zhen, personne ne l’aurait arrêté, mais elle l’a juste mis hors d’état de nuire et s’est assurée que je sois en sécurité.

Misuno-ko hoche le masque, laisse encore passer un peu de silence pour ce que Yokao pourrait vouloir ajouter, puis demande :
— Que veux-tu faire à présent ?

Yokao réfléchit, consciente que sa mentore ne demande pas une réponse toute prête. Enfin, elle répond :
— Je vais dire au revoir à Zhen. Je ne pourrais plus l’aider. Nikuya ne le laissera plus sortir après ça, à moins qu’il ne change complètement, et je ne me sens pas capable de l'accompagner dans sa vie de prisonnier. Il va finir comme les Antekamis, avec les bonzes qui l’assommeront jusqu’à ce qu’il récite les prières de lui-même, ou jusqu’à ce qu’il meure de vieillesse. Quelqu’un d’autre pourra se charger de l’aider à supporter l’emprisonnement ?
— Yui, bien sûr. Mais ensuite ?
— Ensuite, je vais prendre des vacances. De longues vacances. Cela fait un moment que je voulais retourner à Yrkanis, ou dans les lacs. C’est le moment.
— Ukio. Mais, fais attention à toi. Tu n’es plus une jeune zoraïe inconnue, à présent. Même là-bas, certains sauront que tu es une des Duk'yumlao-ko de la Théocratie.
— Je ferai attention, Sokna-ko.

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