Ba’rakha passe au hall de guilde faire son rapport après l’assemblée des cercles. Il fredonne tout seul en faisant passer ses dés entre ses doigts et autour. C’était décidément une belle assemblée et une bonne soirée. Il aurait juste bien aimé pouvoir partager ses impressions en direct avec son compère Feinigan, mais celui-ci a disparu de la circulation après son coup d’éclat. Ba’rakha sourit tout seul. Dommage, il est parti trop vite et n’a pas entendu la menace de Maze’Yum. Ça l’aurait sûrement motivé à rester, tiens.
La cheffe est à son bureau, plongée dans des papiers qu’elle met prudemment à l’abri quand il arrive. Ce n’est pas qu’elle n’a pas confiance mais… elle n’a pas confiance. Le sourire de Ba’Rakha s’agrandit. Si elle le laissait fouiner trop facilement, ça serait mauvais signe. Elle le toise de haut un moment – forcément, c’est plus facile quand on est une Zoraïe et qu’on parle à un Tryker.
« Tu as l’intention de faire ton rapport un jour ? Ou c’est juste pour le plaisir de me faire perdre mon temps ?
– Vu que Fein ne met plus les pieds ici, je me suis dit que t’avais peut-être envie d’un nouveau Tryker de compagnie.
– Né. Ça a donné quoi aux Cercles ? »
Bon. Il ne s’attendait pas vraiment à réussir, mais il s’en sort plutôt pas mal sur ce coup-là. Il range ses dés dans la bourse à sa ceinture, se passe les mains dans les cheveux, et raconte sa soirée.
« Alors… Il neigeait, et Zora c’est salement gadouilleux quand il neige. Mais bien sûr, les péquenots dans mon genre sont restés à patauger pendant que leurs saintetés se dandinaient sur le podium. »
La cheffe n’a pas l’air vraiment ravie de sa façon de faire son rapport, mais elle le connaît et elle laisse couler. Pour l’instant. Ba’Rakha n’est pas aussi cinglé que Fein quand il s’agit de la cheffe, mais on est joueur ou on ne l’est pas. Il continue tranquillement.
« Vu que la dernière assemblée date au moins d’avant l’Essaim, plus personne ne connaissait les règles, donc Sève a été obligée de les rappeler, la pauvre. Les grands en haut, les p’tits en bas, ce genre de choses. Pour les armes, elle a été un peu plus coulante. J’aurais pas cru, mais y’a une initiée qu’a pu garder ses amplis. Comme quoi, y’en a au moins une qui sait que les règles, c’est bon pour les crétins qui veulent bien les suivre. »
La cheffe ne relève même pas. En même temps, ça fait longtemps qu’elle ne suit pas d’autres règles que les siennes. Et personne dans la Compagnie n’est assez crétin pour les suivre à la lettre, juste assez pour obtenir les résultats qu’elle attend. Ba’Rakha adore son boulot.
« C’était rigolo de voir le garde hésiter à taper une initiée, mais comme je disais, Sève a laissé couler vraiment trop vite, et ils sont passés à la partie chiante. Les nouvelles des shizu… Ben y’a pas de nouvelles. C’est la dèche. Comme d’hab. À croire qu’ils passent leur vie à prier et à rien faire d’autre. Il paraît que les Senseïs s’appauvrissent. »
La cheffe lève le nez de ses notes et Ba’Rakha hausse les épaules en réponse à la question qu’elle n’a pas posée.
« An. Aucune chance. Ils sont juste encore plus radins que d’habitude si tu veux mon avis. Mais ça ne change pas grand-chose pour nous. Et l’autre shizu… je ne sais même plus qui c’était, pour te dire si leur actualité était paaaaaaaaaaassionante. »
Le Tryker en rajoute dans le bâillement.
« Et après, ça a continué dans le soporifique. Les ambassadeurs… Alors, visiblement, les anciens sont tous morts. Ou disparus. Ou morts et disparus. Donc Sève a trouvé deux nouvelles idiotes à qui refiler le boulot. Bigsbee, une Trykette des Senseïs, et Ylanghao, une Zoraïe sans shizu. »
Ba’Rakha a laissé tomber le dernier nom comme ça, mine de rien. Et la cheffe n’a – presque – pas réagi. Il rigole tout seul, pas vraiment inquiet du regard qu’elle lui lance.
« Tu me payes pas pour me balader sur l’Écorce le museau au vent comme le premier yubo venu. Je ne me mêle pas de tes affaires, c’est entendu, » enfin, pas trop, et de préférence sans se faire pincer « mais je savais bien que tu gardais un œil sur cette histoire. Ben voilà. Elle est ambassadrice. Mais t’inquiète, elle a l’air aussi coincée que les autres. Après, le Matis nous a joué la sérénade du mariage de leur Karin. »
Ba’Rakha joint les mains d’un air énamouré, met la bouche en cul-de-poule et bat outrageusement des cils. Ça ne fait pas sourire la cheffe. En même temps, qu’est-ce qui la fait sourire, hein ? Le Tryker reprend une attitude plus normale.
« Bon, et il n’a pas dit avec qui, mais comme le principal intéressé ne le sait probablement pas non plus, c’est de bonne guerre. Et le Tryker a fait tout un plat de leur nouveau système d’alarme. Rien de nouveau, je te dis. Franchement, à ce stade, je me demandais même pourquoi j’étais venu. Le seul truc drôle, c’est le conteur qui s’est improvisé ambassadeur et qui a balancé une phrase sans queue ni tête. Mais personne n’a relevé. À croire que les Sages n’avaient rien écouté du blabla d’avant, et je les comprendrais franchement. »
La cheffe a fini de noter et regarde son subordonné avec une expression de patience exagérée.
« Si tu en venais à la partie intéressante avant que ma patience n’ait atteint ses limites ? »
Ba’Rakha s’esclaffe. Il sait que la cheffe a des réserves de patience inépuisable lorsqu’il s’agit d’atteindre ses objectifs. Il sort ses dés et recommence à jouer avec en continuant son rapport.
« Alors… La partie intéressante… Je reprends depuis le début, ou juste à la partie où cet abruti de chasseur de la Théocratie a accusé Eeri d’avoir gooifié la moitié du Pays Malade ? »
Vu la tête de la cheffe, il n’a pas besoin de reprendre au début. Ils en savent tous les deux largement plus que la Théocratie sur les détails logistiques de l’histoire, et aucun des deux n’ira jamais en parler à qui que ce soit.
« Ouais. J’me disais bien. Donc Sève a demandé à Eeri sa version des faits. Avec toute l’empathie, la chaleur et la compréhension des passions homines qui caractérisent les Zoraïs, hein. » Ba’Rakha ricane tout seul. « Donc Eeri leur a mis le nez bien profond dans leur phobie de la goo, et leurs contradictions quand il s’agit de l’affronter. Et aussi leur manie d’envoyer les Trykers se faire gooifier à leur place. Elle a toujours eu un foutu caractère, et ça s’est pas amélioré depuis qu’elle a pris du poids. Je ne crois pas qu’elle soit au courant de l’époque où les Zoraïs avaient des esclaves trykers, sinon je pense qu’elle le leur aurait balancé à la tronche aussi. »
Le Tryker fait une pause pour réfléchir à ce qu’il vient de dire et secoue la tête.
« Mouais. Elle aurait peut-être pas eu le temps, parce que tout le monde s’en est mêlé à ce moment là. Ylanghao, qui a l’air de faire une fixette sur les tribus à goo, va savoir pourquoi. » Il ne regarde pas sa cheffe et elle ne le regarde pas. Ils savent très bien pourquoi. « L’ambassadeur tryker qui lui fait une fixette sur Maze’Yum et a l’intention de tout lui coller sur le dos. Les Drakani qui étaient là et qui n’étaient pas au courant qu’ils avaient juste le droit de la fermer. En même temps, je crois pas qu’ils l’auraient fermée s’ils avaient su, ils aiment bien partager les emmerdes. Et la moitié des initiés s’est réveillée pour répéter en boucle que la goo c’est pas bien, pas bien, pas bien. Sans parler du seul Éveillé du tas, qui a sorti un texte soi-disant officiel de je ne sais où pour dire la même chose… Ça faisait un de ces bazars… Encore mieux qu’une assemblée des Taliari. »
Ba’Rakha a les yeux qui brillent à ce souvenir.
« Le sommet, c’est quand Sève a suggéré de demander réparation à la Fédération sous prétexte que Eeri est citoyenne… J’ai cru que tous les Trykers allaient lui sauter dessus, mais Kyriann a à peu près réussi à calmer toute sa couvée, pendant que ça discutait mesures de rétorsion sur le podium… Une belle occasion de gâchée... »
Le Tryker soupire, les yeux dans le vague. La cheffe a fini de griffonner ses quelques notes et attend qu’il se décide à continuer.
« Bref. Sève a demandé aux initiés. Et à l’éveillé, pardon, ouh là là, j’ai failli l’oublier, lui. De lui mettre leurs propositions par écrit. Autant dire qu’Eeri sera vieille et édentée avant que les Zoraïs aient décidé quoi faire de son cas. Sauf si Ylanghao arrive à les secouer. Elle a de l’énergie et une sacrée motivation, mais quelle trouillarde. Après tout ça, elle ne voulait plus parler des Antekamis. Sève l’a un peu bousculée pour qu’elle se lance et balance ce qu’elle avait sur le cœur et là... »
Ba’Rakha écarte les bras comme s’il attendait des applaudissements.
« Tada ! Jazzy… Tu sais qu’il s’est barré des Drakani pour aller méditer » - on sent toute l’ironie du Tryker sur le dernier mot « dans la Jungle ? Ouais, j’m’en doutais. Donc Jazzy a insisté pour parler alors que la garde était en train de perdre ses nerfs. Et il s’est pris un bon coup derrière les oreilles ! Et c’est là que c’est devenu magnifique. La garde s’est mise à distribuer les coups. Sur l’ambassadeur matis dans les Lacs, qui était dans le public vu que c’était pas son secteur. Et rien que ça, c’était un pur bonheur. Et sur quelques autres. Dont Kyriann. T’imagines ? Avec tous les Drakani chauffés comme ils l’étaient autour. L’incident diplomatique de première ! Et, avant que tu dises quoi que ce soit, j’y étais pour rien, hein ! Mais du coup, tous les Drakani se sont faits expulser. »
Le sourire du Tryker devient pensif.
« Sauf l’ambassadeur, vu qu’il est ambassadeur, et qu’il avait pas bougé du podium. Je sais plus quand c’est, la dernière fois que j’ai vu quelqu’un se faire expulser d’une assemblée. À part chez les Matis, bien sûr. Mais ils sont tellement coincés que ça compte pas. Et au moins, ils ont la décence d’annoncer dès le début qu’on n’est pas à leur niveau et qu’il faut pas mélanger les bodocs et les ploderos… Enfin voilà… Après, c’est redevenu chiant. Ylanghao a fini de raconter qu’elle essayait de suivre les traces de Sève et de retourner une des Antekamis, même si elle a pas l’air d’avoir trop de succès pour l’instant, donc elle sera pas nommée Sage tout de suite. Voilà. »
La cheffe réfléchit un moment à tout ça. On n’entend que le bruit des dés qui s’entrechoquent dans la main de Ba’Rakha.
« Qu’est-ce que tu ne m’as pas dit ?
– Plein de choses. Déjà, l’ambassadeur tryker est parti fâché parce que personne ne voulait s’en prendre à Maze’Yum.
– Ça risque de changer ? »
Ba’Rakha n’en sait rien, et comme toujours dans ces cas là, il lance ses dés. Il sourit en voyant le résultat et les rempoche.
« Bien possible. Ce Tryker est franchement remonté, et je crois bien que les autres Drakani sont pas mal du même avis, quoi qu’en dise Eeri. Mais ils attendront probablement qu’elle ait perdu du poids, pour ne pas la contrarier.
– Je vois. Quoi d’autre ?
– Juste un ragot en passant. Faudrait surveiller Ylanghao et Jazzy…
– Ils conspirent quelque chose tu crois ?
– Nan. Mais elle s’est fâchée avec la seule personne qui comptait pour elle au point qu’il s’est barré dans les Anciennes Terres, elle vit une période difficile et stressante, elle a besoin de réconfort, et tout le monde sait que les Trykers sont doués pour ça... »
Ba’Rakha arbore un grand sourire malicieux sous le regard soudain glacial de sa cheffe.
« Dégage.
– Seelagan cheffe. Je te tiens au courant de l’avis des initiés. Dans un siècle ou deux. »
La cheffe est à son bureau, plongée dans des papiers qu’elle met prudemment à l’abri quand il arrive. Ce n’est pas qu’elle n’a pas confiance mais… elle n’a pas confiance. Le sourire de Ba’Rakha s’agrandit. Si elle le laissait fouiner trop facilement, ça serait mauvais signe. Elle le toise de haut un moment – forcément, c’est plus facile quand on est une Zoraïe et qu’on parle à un Tryker.
« Tu as l’intention de faire ton rapport un jour ? Ou c’est juste pour le plaisir de me faire perdre mon temps ?
– Vu que Fein ne met plus les pieds ici, je me suis dit que t’avais peut-être envie d’un nouveau Tryker de compagnie.
– Né. Ça a donné quoi aux Cercles ? »
Bon. Il ne s’attendait pas vraiment à réussir, mais il s’en sort plutôt pas mal sur ce coup-là. Il range ses dés dans la bourse à sa ceinture, se passe les mains dans les cheveux, et raconte sa soirée.
« Alors… Il neigeait, et Zora c’est salement gadouilleux quand il neige. Mais bien sûr, les péquenots dans mon genre sont restés à patauger pendant que leurs saintetés se dandinaient sur le podium. »
La cheffe n’a pas l’air vraiment ravie de sa façon de faire son rapport, mais elle le connaît et elle laisse couler. Pour l’instant. Ba’Rakha n’est pas aussi cinglé que Fein quand il s’agit de la cheffe, mais on est joueur ou on ne l’est pas. Il continue tranquillement.
« Vu que la dernière assemblée date au moins d’avant l’Essaim, plus personne ne connaissait les règles, donc Sève a été obligée de les rappeler, la pauvre. Les grands en haut, les p’tits en bas, ce genre de choses. Pour les armes, elle a été un peu plus coulante. J’aurais pas cru, mais y’a une initiée qu’a pu garder ses amplis. Comme quoi, y’en a au moins une qui sait que les règles, c’est bon pour les crétins qui veulent bien les suivre. »
La cheffe ne relève même pas. En même temps, ça fait longtemps qu’elle ne suit pas d’autres règles que les siennes. Et personne dans la Compagnie n’est assez crétin pour les suivre à la lettre, juste assez pour obtenir les résultats qu’elle attend. Ba’Rakha adore son boulot.
« C’était rigolo de voir le garde hésiter à taper une initiée, mais comme je disais, Sève a laissé couler vraiment trop vite, et ils sont passés à la partie chiante. Les nouvelles des shizu… Ben y’a pas de nouvelles. C’est la dèche. Comme d’hab. À croire qu’ils passent leur vie à prier et à rien faire d’autre. Il paraît que les Senseïs s’appauvrissent. »
La cheffe lève le nez de ses notes et Ba’Rakha hausse les épaules en réponse à la question qu’elle n’a pas posée.
« An. Aucune chance. Ils sont juste encore plus radins que d’habitude si tu veux mon avis. Mais ça ne change pas grand-chose pour nous. Et l’autre shizu… je ne sais même plus qui c’était, pour te dire si leur actualité était paaaaaaaaaaassionante. »
Le Tryker en rajoute dans le bâillement.
« Et après, ça a continué dans le soporifique. Les ambassadeurs… Alors, visiblement, les anciens sont tous morts. Ou disparus. Ou morts et disparus. Donc Sève a trouvé deux nouvelles idiotes à qui refiler le boulot. Bigsbee, une Trykette des Senseïs, et Ylanghao, une Zoraïe sans shizu. »
Ba’Rakha a laissé tomber le dernier nom comme ça, mine de rien. Et la cheffe n’a – presque – pas réagi. Il rigole tout seul, pas vraiment inquiet du regard qu’elle lui lance.
« Tu me payes pas pour me balader sur l’Écorce le museau au vent comme le premier yubo venu. Je ne me mêle pas de tes affaires, c’est entendu, » enfin, pas trop, et de préférence sans se faire pincer « mais je savais bien que tu gardais un œil sur cette histoire. Ben voilà. Elle est ambassadrice. Mais t’inquiète, elle a l’air aussi coincée que les autres. Après, le Matis nous a joué la sérénade du mariage de leur Karin. »
Ba’Rakha joint les mains d’un air énamouré, met la bouche en cul-de-poule et bat outrageusement des cils. Ça ne fait pas sourire la cheffe. En même temps, qu’est-ce qui la fait sourire, hein ? Le Tryker reprend une attitude plus normale.
« Bon, et il n’a pas dit avec qui, mais comme le principal intéressé ne le sait probablement pas non plus, c’est de bonne guerre. Et le Tryker a fait tout un plat de leur nouveau système d’alarme. Rien de nouveau, je te dis. Franchement, à ce stade, je me demandais même pourquoi j’étais venu. Le seul truc drôle, c’est le conteur qui s’est improvisé ambassadeur et qui a balancé une phrase sans queue ni tête. Mais personne n’a relevé. À croire que les Sages n’avaient rien écouté du blabla d’avant, et je les comprendrais franchement. »
La cheffe a fini de noter et regarde son subordonné avec une expression de patience exagérée.
« Si tu en venais à la partie intéressante avant que ma patience n’ait atteint ses limites ? »
Ba’Rakha s’esclaffe. Il sait que la cheffe a des réserves de patience inépuisable lorsqu’il s’agit d’atteindre ses objectifs. Il sort ses dés et recommence à jouer avec en continuant son rapport.
« Alors… La partie intéressante… Je reprends depuis le début, ou juste à la partie où cet abruti de chasseur de la Théocratie a accusé Eeri d’avoir gooifié la moitié du Pays Malade ? »
Vu la tête de la cheffe, il n’a pas besoin de reprendre au début. Ils en savent tous les deux largement plus que la Théocratie sur les détails logistiques de l’histoire, et aucun des deux n’ira jamais en parler à qui que ce soit.
« Ouais. J’me disais bien. Donc Sève a demandé à Eeri sa version des faits. Avec toute l’empathie, la chaleur et la compréhension des passions homines qui caractérisent les Zoraïs, hein. » Ba’Rakha ricane tout seul. « Donc Eeri leur a mis le nez bien profond dans leur phobie de la goo, et leurs contradictions quand il s’agit de l’affronter. Et aussi leur manie d’envoyer les Trykers se faire gooifier à leur place. Elle a toujours eu un foutu caractère, et ça s’est pas amélioré depuis qu’elle a pris du poids. Je ne crois pas qu’elle soit au courant de l’époque où les Zoraïs avaient des esclaves trykers, sinon je pense qu’elle le leur aurait balancé à la tronche aussi. »
Le Tryker fait une pause pour réfléchir à ce qu’il vient de dire et secoue la tête.
« Mouais. Elle aurait peut-être pas eu le temps, parce que tout le monde s’en est mêlé à ce moment là. Ylanghao, qui a l’air de faire une fixette sur les tribus à goo, va savoir pourquoi. » Il ne regarde pas sa cheffe et elle ne le regarde pas. Ils savent très bien pourquoi. « L’ambassadeur tryker qui lui fait une fixette sur Maze’Yum et a l’intention de tout lui coller sur le dos. Les Drakani qui étaient là et qui n’étaient pas au courant qu’ils avaient juste le droit de la fermer. En même temps, je crois pas qu’ils l’auraient fermée s’ils avaient su, ils aiment bien partager les emmerdes. Et la moitié des initiés s’est réveillée pour répéter en boucle que la goo c’est pas bien, pas bien, pas bien. Sans parler du seul Éveillé du tas, qui a sorti un texte soi-disant officiel de je ne sais où pour dire la même chose… Ça faisait un de ces bazars… Encore mieux qu’une assemblée des Taliari. »
Ba’Rakha a les yeux qui brillent à ce souvenir.
« Le sommet, c’est quand Sève a suggéré de demander réparation à la Fédération sous prétexte que Eeri est citoyenne… J’ai cru que tous les Trykers allaient lui sauter dessus, mais Kyriann a à peu près réussi à calmer toute sa couvée, pendant que ça discutait mesures de rétorsion sur le podium… Une belle occasion de gâchée... »
Le Tryker soupire, les yeux dans le vague. La cheffe a fini de griffonner ses quelques notes et attend qu’il se décide à continuer.
« Bref. Sève a demandé aux initiés. Et à l’éveillé, pardon, ouh là là, j’ai failli l’oublier, lui. De lui mettre leurs propositions par écrit. Autant dire qu’Eeri sera vieille et édentée avant que les Zoraïs aient décidé quoi faire de son cas. Sauf si Ylanghao arrive à les secouer. Elle a de l’énergie et une sacrée motivation, mais quelle trouillarde. Après tout ça, elle ne voulait plus parler des Antekamis. Sève l’a un peu bousculée pour qu’elle se lance et balance ce qu’elle avait sur le cœur et là... »
Ba’Rakha écarte les bras comme s’il attendait des applaudissements.
« Tada ! Jazzy… Tu sais qu’il s’est barré des Drakani pour aller méditer » - on sent toute l’ironie du Tryker sur le dernier mot « dans la Jungle ? Ouais, j’m’en doutais. Donc Jazzy a insisté pour parler alors que la garde était en train de perdre ses nerfs. Et il s’est pris un bon coup derrière les oreilles ! Et c’est là que c’est devenu magnifique. La garde s’est mise à distribuer les coups. Sur l’ambassadeur matis dans les Lacs, qui était dans le public vu que c’était pas son secteur. Et rien que ça, c’était un pur bonheur. Et sur quelques autres. Dont Kyriann. T’imagines ? Avec tous les Drakani chauffés comme ils l’étaient autour. L’incident diplomatique de première ! Et, avant que tu dises quoi que ce soit, j’y étais pour rien, hein ! Mais du coup, tous les Drakani se sont faits expulser. »
Le sourire du Tryker devient pensif.
« Sauf l’ambassadeur, vu qu’il est ambassadeur, et qu’il avait pas bougé du podium. Je sais plus quand c’est, la dernière fois que j’ai vu quelqu’un se faire expulser d’une assemblée. À part chez les Matis, bien sûr. Mais ils sont tellement coincés que ça compte pas. Et au moins, ils ont la décence d’annoncer dès le début qu’on n’est pas à leur niveau et qu’il faut pas mélanger les bodocs et les ploderos… Enfin voilà… Après, c’est redevenu chiant. Ylanghao a fini de raconter qu’elle essayait de suivre les traces de Sève et de retourner une des Antekamis, même si elle a pas l’air d’avoir trop de succès pour l’instant, donc elle sera pas nommée Sage tout de suite. Voilà. »
La cheffe réfléchit un moment à tout ça. On n’entend que le bruit des dés qui s’entrechoquent dans la main de Ba’Rakha.
« Qu’est-ce que tu ne m’as pas dit ?
– Plein de choses. Déjà, l’ambassadeur tryker est parti fâché parce que personne ne voulait s’en prendre à Maze’Yum.
– Ça risque de changer ? »
Ba’Rakha n’en sait rien, et comme toujours dans ces cas là, il lance ses dés. Il sourit en voyant le résultat et les rempoche.
« Bien possible. Ce Tryker est franchement remonté, et je crois bien que les autres Drakani sont pas mal du même avis, quoi qu’en dise Eeri. Mais ils attendront probablement qu’elle ait perdu du poids, pour ne pas la contrarier.
– Je vois. Quoi d’autre ?
– Juste un ragot en passant. Faudrait surveiller Ylanghao et Jazzy…
– Ils conspirent quelque chose tu crois ?
– Nan. Mais elle s’est fâchée avec la seule personne qui comptait pour elle au point qu’il s’est barré dans les Anciennes Terres, elle vit une période difficile et stressante, elle a besoin de réconfort, et tout le monde sait que les Trykers sont doués pour ça... »
Ba’Rakha arbore un grand sourire malicieux sous le regard soudain glacial de sa cheffe.
« Dégage.
– Seelagan cheffe. Je te tiens au courant de l’avis des initiés. Dans un siècle ou deux. »