Nityae, intriguée par l'énigme que lui avait communiquée sa mère et inquiète de l'absence des deux membres de sa famille, était discrètement sortie de sa chambre au retour des deux homins.
Elle ne put s'empêcher d'entendre la conversation de son père et de son frère. Les mots de Rook résonnaient toujours dans sa tête :« Je ne suis pas d'ici ! Je n'appartiens pas à cette société ! Je n'aime pas la Karavan, je n'aime pas la façon d'être matis ni leur façon de vivre ! ». Elle ressentait la blessure de son frère dans sa voix, et sa colère. La jeune fille jugea qu'elle en avait plus que suffisamment entendu et, désorientée, rentra confusément dans sa chambre. Elle s'assit au milieu de sa chambre, en tailleur, tentant de reprendre ses esprits. « Il doit me détester. Il me déteste. Tout le monde me traite trop bien, et le traite mal. » se dit la petite fille. « Je ne peux pas laisser les gens faire ça. Je… ne dois pas les laisser me traiter mieux que lui. ». Nityae se sentait démunie, et s'emplissait de colère envers elle même. C'est au cours de cette nuit au sommeil difficile que la jeune fille de huit ans perdit une première partie de sa naïveté, de façon irrémédiable.
Le soleil était levé lorsque Nityae se réveilla brusquement. Sa première pensée alla à son grand frère, séquelle de la nuit passée. La très jeune homine n'ayant pas pris soin d'enlever ses vêtements avant de s'endormir était dors et déjà prête à sortir. Elle sortit de sa chambre, et gagna immédiatement la porte d'entrée. Sa mère était manifestement sortie, son père n'avait que peu de temps libre dans l'armée, et de son frère elle ne trouvait aucune trace. Elle se chaussa rapidement,
et passa la porte d'entrée. Il fallait qu'elle trouve Rook rapidement, car ils devaient passer les deux prochains après-midi à la bibliothèque et, à en juger par le soleil, il était au alentours de treize heures. « J'aurais dû me réveiller plus tôt. » se dit alors Nityae. Elle savait assez précisément où trouver son frère, à une heure pareille. La très jeune homine prit donc la direction du lac.
Nityae y trouva son frère, assit sur le rocher habituel, lançant ses habituelles pierres dans l'eau. Elle avait malheureusement compris la cause de cette manie morose de son frère. Rook faisait mine de ne pas l'avoir vue. Une chose qu'il faisait souvent, bien qu'au courant de la présence de sa sœur.
- Pourquoi ne me dis-tu jamais rien, quand je te rejoins quelque part ? Demanda Nityae sur un ton duquel une certaine tristesse pointait.
Rook ne se retourna pas, et tout en continuant de jeter ses pierres à l'eau répondit :
- Je n'ai jamais rien à dire quand tu arrives.
- « Bonjour » ?
- 'silam, répondit Rook en faisant un signe de la main droite, sans pour autant se retourner.
Nityae s'avança s'asseoir, à droite du rocher sur lequel son frère était assit, ses genoux remontés contre son thorax. Après environ deux minutes de silence, elle lâcha :
- On passe les deux prochains après-midi à la bibliothèque.
- Père m'en a parlé. L'énigme ?
- « Un est tout, tout est un. », récita Nityae.
Rook resta silencieux.
- Il faut y aller, je n'ai pas envie d'aggraver notre cas en arrivant en retard.
Rook acquiesça, et les deux enfants quittèrent le lac pour rejoindre la bibliothèque.
Frère et sœur se présentèrent à l'entrée de la bibliothèque au début de l'après-midi. Le libraire les accueillit avec le sourire. Du moins, accueillit Nityae avec le sourire. Qui lui répondit avec un regard assombri de mépris, assez violent pour une enfant de son âge. Décontenancé, le libraire les conduisit au devant d'un comptoir sur lequel une conséquente pile de livres étaient entassés. Accoudé au comptoir se tenait un grand matis d'une prestance moyenne qui observait les enfants d'un air narquois.
- Voici votre travail de l'après-midi. Vous serez libre de partir une fois que tous les livres ici présents seront rangés dans leurs étagères respectives. Le système est simple, les livres sont marqués sur la tranche. Les livres marqués « His » vont dans l'étagère « Histoire », et sont à ranger par ordre alphabétique de nom d'auteur. Il en va de même pour les livres « Géo » qui iront dans « Géographie », et ainsi de suite. C'est entendu ?
- Oui, ser, répondirent ensemble Rook et Nityae.
- Bien. Ser Sisnasas ici présent supervisera votre travail pendant que je me dois d'effectuer le mien.
- Oui, ser, répondirent ensemble Rook et Nityae.
Le libraire laissa donc les enfants aux mains du ser Sisnasas. Nityae sentait quelque chose d'étrange à propos de cette homin. Sa façon d'être, son expression narquoise, sa posture… Pour le moins étrange. Sous le regard du grand matis, Nityae saisit un livre à sa hauteur. La tranche était marquée « Soc ». En parcourant les étagères, Nityae déduisit que l'étagère appropriée était « Sociologie ». Son frère avait à son tour prit un livre et la rejoignit, assez loin du ser au nom étrange.
- A sa posture, c'est un soldat. A son expression, il a très confiance en lui et est sans doute un abruti monumental. A son attitude, il est passablement ennuyé d'être ici et ne m'apprécie que peu.
Rook avait murmuré ces mots en passant à côté de sa sœur pour ranger son livre. Nityae avait parfaitement entendu et, bien que troublée par le fait qu'un soldat les surveille, ne le montra pas et rangea normalement le livre qu'elle avait en main.
Environ deux heures de labeur s'écoulèrent. Le libraire repassa une fois déposer une nouvelle pile de livres sur le comptoir, pour être certain que les enfants eurent assez de travail. Le soldat avait ouvertement pesté plusieurs fois et, tournant parfois en rond, commençait à s'agacer de façon manifeste. Rook avait saisit un énième livre pour aller le ranger. Cependant, il devait ranger celui-ci dans la partie la plus haute de l'étagère à laquelle il était assigné. Malgré sa taille de zorai, ses onze ans ne lui avait pas procuré la hauteur suffisante pour ranger ce livre-ci. Après avoir essayé plusieurs biais, Rook hésita un moment. Il marcha en direction du soldat qui sifflait un air agaçant.
- Excusez-moi, ser... commença Rook.
L’intéressé ne l'était nullement.
- Ser, je ne suis pas assez grand pour atteindre la partie haute de l'étagère. Pourriez-vous m'aider et ranger ce livre sur l'étagère « Kitinologie » ?
Le ser posa nonchalamment ses yeux sur l'enfant qui s'adressait à lui.
- L'umanea vient me dire qu'il n'est pas assez grand pour atteindre le haut d'une étagère, lança le soldat d'un ton cinglant. Oh, et il veut que je fasse son travail ? Mais bien sûr, mon garçon… Je vais t'aider.
Sa voix était dénuée de bonnes intentions. Elle était grave, et semblait rageuse. Sur ces mots, le soldat repoussa avec une force mesurée l'épaule gauche de Rook, ce qui eut pour effet de le retourner vers l'étagère. Nityae assistait à la scène sans dire un mot.
- Tu vas emmener ce livre à cette étagère, et tu vas le ranger là où tu es censé le ranger, dit l'homin d'un ton sec.
Le rouge monta aux joues du jeune zorai, si cela se peut dire de quelqu'un qui porte un masque pour visage, et il avança d'un pas énervé vers l'étagère. Sans trop réfléchir, Rook escalada négligemment l'étagère dans le but de ranger le livre en haut. Dans sa colère, le jeune homin prit un mauvais appui et tomba. En tentant de se rattraper, Rook ne fit qu'entraîner plus de livres dans sa chute -ce qui représentait une vingtaine d'entre eux- et s'écrasa lourdement au sol. Nityae ayant, impuissante, assisté à la chute de son frère, se rua à ses côtés pour s'assurer qu'il allait bien. Le soldat s'était aussi rapproché d'un pas lent, finalement heureux d'avoir un événement à se mettre sous la dent.
- Mauvais appui pour l'umanea. Qui va devoir ramasser et ranger les livres éparpillés ceux autour de lui. Y compris ceux qui venaient d'en haut de l'étagère.
Nityae lança un regard mauvais à l'homin.
- Rook, ça va ?
Son frère avait les mains portés sur son genou gauche.
- Je suis pas tombé de haut, mais je crois que je suis tombé dessus… Ça fait mal…
Rook tenta péniblement de se lever, et retomba lourdement dès qu'il prit appui sur sa jambe gauche.
- Ser Sisnasas, il faut un médecin pour mon frère ! S'exclama Nityae
- Oh, non. Regardez, il va bien. Vous n'avez pas fini votre travail, dit le soldat dans un sourire malsain.
- C'est de sa faute… Sale…
Rook prit le temps de réfléchir au mot qu'il allait prononcer, mais nullement aux conséquences désastreuses qu'il allait avoir.
- Kterhos, cracha Rook.
Le sang du soldat ne fît qu'un tour. D'un mouvement vif, il saisit Rook par le cou et le souleva du sol à une main, le visage figé sur un rictus mauvais.
- Sale… quoi ? Demanda-t-il
- Lachez mon frère ! Hurla Nityae.
Rook, mal-en-point, fît face au soldat et cracha un nouvelle fois :
- Kterhos.
L'homin vira au pourpre et lança Rook contre l'étagère la plus proche. Nityae vit son frère s'écraser contre le bois solide de l'étagère et tomber au sol. Elle hurla une nouvelle fois. Mais le monde ne la prenait plus en compte. Son frère tenta de se relever et se mit à quatre pattes.
- Il y a quelque chose que tu vas apprendre ce jour même, mon garçon. Le respect.
Le soldat frappa du pied Rook, au visage. Celui-ci para de façon peu efficace le coup avec son bras, et s'écroula sur le sol. Nityae était maintenant figée dans une stupeur irréaliste, à quelques mètres de son frère couché à terre. Rook ne put essayer de se relever une fois de plus; le soldat le saisit à la gorge d'une main ferme et le souleva en le plaquant contre une étagère. Rook découvrit sa sœur dans le dos du soldat, en proie à une terreur incapacitante. L'étreinte de la main du matis se faisait insistante tandis que l'oxygène se raréfiait. Le jeune homin remarqua sa dague, tombée non loin des pieds de sa sœur lorsque le soldat l'avait lancé contre l'étagère. Rook ouvrit la bouche pour parler à sa sœur mais les mots restèrent dans sa gorge. Il poussa un grognement inintelligible qui eut pour effet de sortir Nityae de sa torpeur. Frère et sœur se regardèrent dans les yeux; les flammes vacillantes dans ceux de Rook semblaient dire « Bats-toi. Marche, et bats-toi ». Nityae, prise de panique, aperçu la dague à ses pieds qu'elle saisit tandis que les yeux de Rook se fermaient sur une expression de douleur et de rage. Le soldat, aveuglé par sa colère, ne relâchait pas sa poigne et ne remarqua pas la jeune fille qui se tenait derrière lui, l'arme à la main. Nityae chargea. D'un mouvement rapide et instinctif, elle sauta en direction du grand matis et lui planta la dague dans la partie accessible de son cou non protégé par son armure. Le soldat sursauta dans une expression de surprise et lâcha immédiatement Rook. Il porta les mains à la dague, mais il était trop tard. La mort le foudroya dans une expression de terreur, et son sang se répandit sur le sol tandis qu'il s'écroulait. Rook inspira un grand coup dans un râle et rouvrit ses yeux ; il découvrit le soldat à terre dans un bain de sang, une dague plantée dans l'artère carotide, et Nityae, les mains rouges. Le jeune homin comprit immédiatement et, après une quinte de toux compulsive, se releva et essuya les mains de sa soeur -figée dans l'horreur de l'acte qu'elle venait de commettre- avec son haut de vêtement. « Nityae. Pars chercher père, vite. Dis lui qu'il est arrivé quelque chose de grave. Ne lui dit pas ce que tu as fait, ne dis jamais à personne ce que tu as fait. C'était pour mon bien. Ne t'inquiète pas. Vas ! ». Sur ces mots, il poussa sans ménagement sa sœur en direction de la sortie. Celle-ci, d'un pas mécanique, se dirigea vers la porte. « Cours ! Hurla son frère ». Et Nityae courut.
Elle ne put s'empêcher d'entendre la conversation de son père et de son frère. Les mots de Rook résonnaient toujours dans sa tête :« Je ne suis pas d'ici ! Je n'appartiens pas à cette société ! Je n'aime pas la Karavan, je n'aime pas la façon d'être matis ni leur façon de vivre ! ». Elle ressentait la blessure de son frère dans sa voix, et sa colère. La jeune fille jugea qu'elle en avait plus que suffisamment entendu et, désorientée, rentra confusément dans sa chambre. Elle s'assit au milieu de sa chambre, en tailleur, tentant de reprendre ses esprits. « Il doit me détester. Il me déteste. Tout le monde me traite trop bien, et le traite mal. » se dit la petite fille. « Je ne peux pas laisser les gens faire ça. Je… ne dois pas les laisser me traiter mieux que lui. ». Nityae se sentait démunie, et s'emplissait de colère envers elle même. C'est au cours de cette nuit au sommeil difficile que la jeune fille de huit ans perdit une première partie de sa naïveté, de façon irrémédiable.
Le soleil était levé lorsque Nityae se réveilla brusquement. Sa première pensée alla à son grand frère, séquelle de la nuit passée. La très jeune homine n'ayant pas pris soin d'enlever ses vêtements avant de s'endormir était dors et déjà prête à sortir. Elle sortit de sa chambre, et gagna immédiatement la porte d'entrée. Sa mère était manifestement sortie, son père n'avait que peu de temps libre dans l'armée, et de son frère elle ne trouvait aucune trace. Elle se chaussa rapidement,
et passa la porte d'entrée. Il fallait qu'elle trouve Rook rapidement, car ils devaient passer les deux prochains après-midi à la bibliothèque et, à en juger par le soleil, il était au alentours de treize heures. « J'aurais dû me réveiller plus tôt. » se dit alors Nityae. Elle savait assez précisément où trouver son frère, à une heure pareille. La très jeune homine prit donc la direction du lac.
Nityae y trouva son frère, assit sur le rocher habituel, lançant ses habituelles pierres dans l'eau. Elle avait malheureusement compris la cause de cette manie morose de son frère. Rook faisait mine de ne pas l'avoir vue. Une chose qu'il faisait souvent, bien qu'au courant de la présence de sa sœur.
- Pourquoi ne me dis-tu jamais rien, quand je te rejoins quelque part ? Demanda Nityae sur un ton duquel une certaine tristesse pointait.
Rook ne se retourna pas, et tout en continuant de jeter ses pierres à l'eau répondit :
- Je n'ai jamais rien à dire quand tu arrives.
- « Bonjour » ?
- 'silam, répondit Rook en faisant un signe de la main droite, sans pour autant se retourner.
Nityae s'avança s'asseoir, à droite du rocher sur lequel son frère était assit, ses genoux remontés contre son thorax. Après environ deux minutes de silence, elle lâcha :
- On passe les deux prochains après-midi à la bibliothèque.
- Père m'en a parlé. L'énigme ?
- « Un est tout, tout est un. », récita Nityae.
Rook resta silencieux.
- Il faut y aller, je n'ai pas envie d'aggraver notre cas en arrivant en retard.
Rook acquiesça, et les deux enfants quittèrent le lac pour rejoindre la bibliothèque.
Frère et sœur se présentèrent à l'entrée de la bibliothèque au début de l'après-midi. Le libraire les accueillit avec le sourire. Du moins, accueillit Nityae avec le sourire. Qui lui répondit avec un regard assombri de mépris, assez violent pour une enfant de son âge. Décontenancé, le libraire les conduisit au devant d'un comptoir sur lequel une conséquente pile de livres étaient entassés. Accoudé au comptoir se tenait un grand matis d'une prestance moyenne qui observait les enfants d'un air narquois.
- Voici votre travail de l'après-midi. Vous serez libre de partir une fois que tous les livres ici présents seront rangés dans leurs étagères respectives. Le système est simple, les livres sont marqués sur la tranche. Les livres marqués « His » vont dans l'étagère « Histoire », et sont à ranger par ordre alphabétique de nom d'auteur. Il en va de même pour les livres « Géo » qui iront dans « Géographie », et ainsi de suite. C'est entendu ?
- Oui, ser, répondirent ensemble Rook et Nityae.
- Bien. Ser Sisnasas ici présent supervisera votre travail pendant que je me dois d'effectuer le mien.
- Oui, ser, répondirent ensemble Rook et Nityae.
Le libraire laissa donc les enfants aux mains du ser Sisnasas. Nityae sentait quelque chose d'étrange à propos de cette homin. Sa façon d'être, son expression narquoise, sa posture… Pour le moins étrange. Sous le regard du grand matis, Nityae saisit un livre à sa hauteur. La tranche était marquée « Soc ». En parcourant les étagères, Nityae déduisit que l'étagère appropriée était « Sociologie ». Son frère avait à son tour prit un livre et la rejoignit, assez loin du ser au nom étrange.
- A sa posture, c'est un soldat. A son expression, il a très confiance en lui et est sans doute un abruti monumental. A son attitude, il est passablement ennuyé d'être ici et ne m'apprécie que peu.
Rook avait murmuré ces mots en passant à côté de sa sœur pour ranger son livre. Nityae avait parfaitement entendu et, bien que troublée par le fait qu'un soldat les surveille, ne le montra pas et rangea normalement le livre qu'elle avait en main.
Environ deux heures de labeur s'écoulèrent. Le libraire repassa une fois déposer une nouvelle pile de livres sur le comptoir, pour être certain que les enfants eurent assez de travail. Le soldat avait ouvertement pesté plusieurs fois et, tournant parfois en rond, commençait à s'agacer de façon manifeste. Rook avait saisit un énième livre pour aller le ranger. Cependant, il devait ranger celui-ci dans la partie la plus haute de l'étagère à laquelle il était assigné. Malgré sa taille de zorai, ses onze ans ne lui avait pas procuré la hauteur suffisante pour ranger ce livre-ci. Après avoir essayé plusieurs biais, Rook hésita un moment. Il marcha en direction du soldat qui sifflait un air agaçant.
- Excusez-moi, ser... commença Rook.
L’intéressé ne l'était nullement.
- Ser, je ne suis pas assez grand pour atteindre la partie haute de l'étagère. Pourriez-vous m'aider et ranger ce livre sur l'étagère « Kitinologie » ?
Le ser posa nonchalamment ses yeux sur l'enfant qui s'adressait à lui.
- L'umanea vient me dire qu'il n'est pas assez grand pour atteindre le haut d'une étagère, lança le soldat d'un ton cinglant. Oh, et il veut que je fasse son travail ? Mais bien sûr, mon garçon… Je vais t'aider.
Sa voix était dénuée de bonnes intentions. Elle était grave, et semblait rageuse. Sur ces mots, le soldat repoussa avec une force mesurée l'épaule gauche de Rook, ce qui eut pour effet de le retourner vers l'étagère. Nityae assistait à la scène sans dire un mot.
- Tu vas emmener ce livre à cette étagère, et tu vas le ranger là où tu es censé le ranger, dit l'homin d'un ton sec.
Le rouge monta aux joues du jeune zorai, si cela se peut dire de quelqu'un qui porte un masque pour visage, et il avança d'un pas énervé vers l'étagère. Sans trop réfléchir, Rook escalada négligemment l'étagère dans le but de ranger le livre en haut. Dans sa colère, le jeune homin prit un mauvais appui et tomba. En tentant de se rattraper, Rook ne fit qu'entraîner plus de livres dans sa chute -ce qui représentait une vingtaine d'entre eux- et s'écrasa lourdement au sol. Nityae ayant, impuissante, assisté à la chute de son frère, se rua à ses côtés pour s'assurer qu'il allait bien. Le soldat s'était aussi rapproché d'un pas lent, finalement heureux d'avoir un événement à se mettre sous la dent.
- Mauvais appui pour l'umanea. Qui va devoir ramasser et ranger les livres éparpillés ceux autour de lui. Y compris ceux qui venaient d'en haut de l'étagère.
Nityae lança un regard mauvais à l'homin.
- Rook, ça va ?
Son frère avait les mains portés sur son genou gauche.
- Je suis pas tombé de haut, mais je crois que je suis tombé dessus… Ça fait mal…
Rook tenta péniblement de se lever, et retomba lourdement dès qu'il prit appui sur sa jambe gauche.
- Ser Sisnasas, il faut un médecin pour mon frère ! S'exclama Nityae
- Oh, non. Regardez, il va bien. Vous n'avez pas fini votre travail, dit le soldat dans un sourire malsain.
- C'est de sa faute… Sale…
Rook prit le temps de réfléchir au mot qu'il allait prononcer, mais nullement aux conséquences désastreuses qu'il allait avoir.
- Kterhos, cracha Rook.
Le sang du soldat ne fît qu'un tour. D'un mouvement vif, il saisit Rook par le cou et le souleva du sol à une main, le visage figé sur un rictus mauvais.
- Sale… quoi ? Demanda-t-il
- Lachez mon frère ! Hurla Nityae.
Rook, mal-en-point, fît face au soldat et cracha un nouvelle fois :
- Kterhos.
L'homin vira au pourpre et lança Rook contre l'étagère la plus proche. Nityae vit son frère s'écraser contre le bois solide de l'étagère et tomber au sol. Elle hurla une nouvelle fois. Mais le monde ne la prenait plus en compte. Son frère tenta de se relever et se mit à quatre pattes.
- Il y a quelque chose que tu vas apprendre ce jour même, mon garçon. Le respect.
Le soldat frappa du pied Rook, au visage. Celui-ci para de façon peu efficace le coup avec son bras, et s'écroula sur le sol. Nityae était maintenant figée dans une stupeur irréaliste, à quelques mètres de son frère couché à terre. Rook ne put essayer de se relever une fois de plus; le soldat le saisit à la gorge d'une main ferme et le souleva en le plaquant contre une étagère. Rook découvrit sa sœur dans le dos du soldat, en proie à une terreur incapacitante. L'étreinte de la main du matis se faisait insistante tandis que l'oxygène se raréfiait. Le jeune homin remarqua sa dague, tombée non loin des pieds de sa sœur lorsque le soldat l'avait lancé contre l'étagère. Rook ouvrit la bouche pour parler à sa sœur mais les mots restèrent dans sa gorge. Il poussa un grognement inintelligible qui eut pour effet de sortir Nityae de sa torpeur. Frère et sœur se regardèrent dans les yeux; les flammes vacillantes dans ceux de Rook semblaient dire « Bats-toi. Marche, et bats-toi ». Nityae, prise de panique, aperçu la dague à ses pieds qu'elle saisit tandis que les yeux de Rook se fermaient sur une expression de douleur et de rage. Le soldat, aveuglé par sa colère, ne relâchait pas sa poigne et ne remarqua pas la jeune fille qui se tenait derrière lui, l'arme à la main. Nityae chargea. D'un mouvement rapide et instinctif, elle sauta en direction du grand matis et lui planta la dague dans la partie accessible de son cou non protégé par son armure. Le soldat sursauta dans une expression de surprise et lâcha immédiatement Rook. Il porta les mains à la dague, mais il était trop tard. La mort le foudroya dans une expression de terreur, et son sang se répandit sur le sol tandis qu'il s'écroulait. Rook inspira un grand coup dans un râle et rouvrit ses yeux ; il découvrit le soldat à terre dans un bain de sang, une dague plantée dans l'artère carotide, et Nityae, les mains rouges. Le jeune homin comprit immédiatement et, après une quinte de toux compulsive, se releva et essuya les mains de sa soeur -figée dans l'horreur de l'acte qu'elle venait de commettre- avec son haut de vêtement. « Nityae. Pars chercher père, vite. Dis lui qu'il est arrivé quelque chose de grave. Ne lui dit pas ce que tu as fait, ne dis jamais à personne ce que tu as fait. C'était pour mon bien. Ne t'inquiète pas. Vas ! ». Sur ces mots, il poussa sans ménagement sa sœur en direction de la sortie. Celle-ci, d'un pas mécanique, se dirigea vers la porte. « Cours ! Hurla son frère ». Et Nityae courut.