ROLEPLAY


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#1 [fr] 

Mon vieux Pleton,

J’aurais pas du revenir au pays. Pas si tôt, en tous les cas. Et puis, je ne sais pas. Ce désert, il m’avait manqué, ça, je le croyais ; j’emmerdais tout le monde avec ça, à Silan. A chaque pause, il fallait que je fasse une réflexion sur l’humidité de l’air, sur le sol tellement spongieux que tu le croirais là pour te faire les bottes, sur la tronche des arbres et aussi sur le vent incessant. Le silence, la chaleur, le crissement du sable me manquaient.

Mais la vérité, c’est que j’étais blessé dans ma fierté comme un yubo en grève. Je savais plus comment j’étais arrivé là, à Silan, réfugié parmi les réfugiés. Je me souviens juste du voyage, un voyage initiatique, parce que je voulais devenir un guerrier, pour suivre la voie que tu m’avais montrée. Un grand guerrier du désert, massif, invincible, un bras protecteur au service des kamis peut-être, et surtout, du peuple Fyros.

… et aussi, j’avais quinze ans quand je suis parti. Et il y a eu l’attaque des Kitins. Et puis, plus rien, j’ai du prendre la fuite, j’ai même perdu ma hache en route, un Kizoar m’a arraché mon armure. Je suis arrivé nu comme je suis né, et celui qui m’a sauvé...

Je te le donne en mille, mon gars... c’était un foutu Matis. Les types que j’avais appris à détester de réputation. Et le mieux : en voulant payer mon dû au camp, je me suis mis à suivre et à admirer l’un d’entre eux, un artisan. Ouais. J’ai presque lâché les armes tellement que j’étais pris par la couture, juré. Et le mieux ? Comme je devenais pas plus fort, j’ai du demander de l’aide. Et cette aide, elle m’est à nouveau venu d’un Matis, et aussi d’un Tryker. Pas un foutu Fyros à l’horizon. Le mieux ? C’était des gens biens. Ils gueulaient quand je fonçais, que je me faisais casser la tête sans réfléchir ; mais c’était la première fois que j’apprenais à rire de moi. Pense à moi si au hasard de ta route, tu croises Eolinius, Xebei ou Pierrefeu, et fais leur bon accueil !

Enfin, j’ai commencé à jouer les nostalgiques quand le maître artisan Matis a commencé à vouloir m’utiliser. Ce jour là, j’ai tellement voulu couper la gorge à tous ses compatriotes que le chef du camp, un grand Zoraï pas causant, m’a immobilisé. Genoux à terre, le manche d’une grosse hallebarde sous la gorge, la glotte écrasée et tout le corps bloqué par une poigne d’acier. A partir de là, j’ai commencé à me dire que j’avais plus ma place ; je refusais de progresser dans la voie que le Matis m’avait poussé à embrasser. J’avais bien décidé de devenir un sacré armurier. Mais je savais plus à qui me vendre. Ce que je savais, c’est que je voulais découvrir en profondeur notre artisanat, à nous, les Fyros. Il fallait que je parte. Mais j’ai foncé. J’ai commencé à être trop sûr de moi, à trouver la région trop peu dangereuse. Et j’étais avide de beaux matériaux, de belles peaux du désert.

Résultat, j’ai perdu les gars de vue. A la fin, je captais plus qu’ils étaient pas Fyros, qu’ils repartiraient tous chez eux, qu’on chasserait plus ensemble. J’ai pris la direction du désert sans prévenir personne, comme un connard, sans me poser de questions. Et maintenant, non seulement je me rends compte à quel point le désert est sans pitié, mais en plus, j’ai perdu mes soutiens. Ici, à Pyr, mes frères sont tous partis. Alors, je joue les mercenaires, je rends quelques services à droite à gauche, en pensant aux autres, comment ils doivent s’amuser avec les petits kitins de la jungle. Ça fait une semaine, et mon corps est déjà plus qu’un énorme tas de cicatrices.

La vérité, c’est que j’étais pas fait pour devenir un grand guerrier. Et pas franchement bâti non plus pour le désert.

Et aussi, les gars de la Karavan me font autant flipper que les Kamis. Kamis que j’ai vu menacer de mort tous les homins si on s’occupait pas vite de leurs problèmes avec la Goo. Je sais bien à quoi tient l’accueil que nous leur donnons dans nos cités, ce qu’ils représentent pour les Zoraïs, leur opposition à la Karavan. Mais de là à dire qu’ils sont conciliables avec ce que nous sommes censés représenter en terme d’indépendance, de liberté et d’honneur, je ne sais pas.

En attendant, je cours dans le désert avec mon armure couleur de forêt. Et je profite de ces longues courses pour me poser une sale question pour la première fois de ma vie : par Atys, qu’est-ce que je fous là ? »

J’espère que tu te portes bien, et que la caravane n’a pas subi de pertes suite aux dernières attaques des Kitins. En ville, ils ne parlent que de ça. Je n’ai qu’une seule certitude, et c’est celle d’être impatient de pouvoir vite vous rejoindre.

Ton frère, qui te salue,


Eudemon.

#2 [fr] 

Pleton,

J’ai bien reçu ta dernière lettre. Je te remercie pour ta bienveillance et pour ta résolution impitoyable, je te cite « de venir me flanquer des coups de latte au cul si je continuais à faire mon petit yubo effarouché». J’ai suivi tes conseils dans l’ensemble, et si je suis toujours aussi indécis, je dois dire que je me sens globalement plus à l’aise.

Je m’entraîne sans relâche dans un petit coin du désert peuplé d’adversaires herbivores, mais puissants et déterminés. Le mouvement des muscles des caprynis, l’appréhension des sabots, des griffes des Izam, m’évoquent irrémédiablement les prédateurs qui me menaient la vie si dure à mon arrivée. Je ne suis presque plus tombé sous leurs crocs depuis que j’ai gagné en force. Et puis, je me suis rapproché d’un des dirigeants militaires de Pyr, qui m’a lui-même jugé capable. J’en suis très heureux, et plus que jamais, je sens en moi la marque des Fyros, ce sang de basalte coulé qui pousse à se relever, à frapper, à culbuter le plus féroce ennemi alors qu’on a déjà posé un genou en terre. Et je comprends à quel point ma précédente lettre a du porter atteinte à ta fierté d’être de mes amis. Cela ne se renouvellera plus.

Régulièrement au cours de mon entraînement, j’ai retiré des pièces d’armure, afin de mieux sentir le soleil du désert me manger la peau et le sable me fouetter les reins. Je ne veux plus simplement être un guerrier du désert, tu comprends. Si je continue dans cette voie, je sais que je m’écraserais contre plus fort que moi, et que je commettrais le grand péché qui consiste à se croire plus fort qu’Atys. Mais je veux être le désert. Je veux que ma chair soit un roc, mes mouvements, une tempête de sable, mes réactions, celles d’un Gingo enragé, et mes yeux, deux fentes de lumière brûlante à laquelle rien n’échappe.

Je reste aussi indécis en ce qui concerne le choix d’un camp. Pour l’heure, je me vends au plus offrant tout en restant à l’écart de la Karavan, conformément aux lois de Pyr. Je rends service aux kamis plus en vertu du défi qu’ils proposent que par réelle dévotion. Même le choix des pièces que j’ai envie de forger ou de façonner m’est difficile. Nous sommes de très nombreux artisans à Pyr, et la concurrence est rude.

Bien à toi,

Eudemon.

#3 [fr] 

Chère maman,

Il n’y a que toi qui pourrait comprendre ce qui suit. Je ne t’ai pas donné de nouvelles depuis des lunes, et j’en suis profondément désolé. J’espère que tu prendras ces quelques mots comme la marque de toute ma confiance et de mon affection.

J’ai de bonnes raisons de penser que Pleton s’est vendu à la Karavan. Tu sais que je ne trahirais jamais une seule de nos lois – du moins, pas celle-ci, et ce soupçon me pèse trop pour que je le garde pour moi. Et il n’y a que toi qui puisse l’entendre.

Mes nouveaux amis sont – j’en ai peur – essentiellement des Matis. L’un d’entre eux m’a prodigué une aide tellement généreuse que je m’en suis trouvé profondément endetté, quand bien même il m’ait assuré que nous étions quittes. Mais je n’aurais jamais du accepter. Maintenant, je me sens en dette envers une nation que nous réprouvons à l’unanimité. Et je me sens coupable d’utiliser cet argent, dont j’ai pourtant besoin.

Depuis la dernière fois où nous nous sommes écrits, je suis devenu un élève artisan chevronné. Mais tu connais Pyr mieux que moi ; la concurrence y est très rude, et l’habilité de mes mains est tout juste en mesure de satisfaire les nouveaux arrivants de Silan, ou les ignorants qui se piquent d’aimer l’artisanat Fyros (comme d’autres trouvent jolis certains motifs sur les carapaces des Kittins).

L’autre jour, je me croyais un peu plus maître du désert, et je suis parti courir dans les dunes dans le plus simple appareil. Il était tôt le matin, et l’air était encore frais de la nuit. J’étais heureux, je me sentais confiant. Deux gingos m’ont pris en tenaille avec un kitin, et j’ai eu encore l’occasion de voir mon orgueil ramper devant moi.

Je crois qu’il manque un but à mes journées. Le messager qui a porté ma précédente missive à Pleton s’est amusé à la lire, et m’a envoyé à son tour une missive pour me féliciter sur le style. Bon, tu l’auras deviné, c’était un Tryker. Mais je me demande presque si je devrais pas aller bosser pour ma gazette du désert et arrêter ce drôle de train de vie qui a pas forcément de sens tous les jours.

Une dernière chose avant de te laisser, maman. As-tu déjà fréquenté de près les rangers ? J’ai vécu auprès d’eux à Silan. Mais je veux savoir ce que tu penses de ces gens, de leur cause, de leur éthique.

Répond moi plus vite que je ne t’ai donné de nouvelles,

Ton fils,

Eudemon.
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