ROLEPLAY


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#1 [fr] 

Anyume avait perdu le décompte des jours et des nuits, ainsi que le sens du nord et du sud. Elle savait qu'elle les retrouverait, à un moment, mais pour le moment elle errait dans la nature, loin de toute présence homine, uniquement concentrée sur sa survie.

L'année qu'elle avait passé dans les Nouvelles Terres lui avait permis d'acquérir plus de force et de vie, mais c'était loin de suffire pour affronter ce qui traînait dans les Anciennes Terres ou sur le chemin de celles-ci. Elle avait rapidement retrouvé ses vieux réflexes acquis durant les huit ans sur la route. Se cacher, courir sous le vent, se glisser dans les hautes herbes, les sens en éveil, attentif au moindre changement dans l'environnement... Ce cache-cache permanent avec la mort la faisait se sentir vivante. Elle avait besoin de ça, passer sous le nez des prédateurs, échapper au dernier moment à leurs griffes, voler les oeufs dans les nids des izams et se sauver avant que les parents ne reviennent...

Pourtant, ce n'était plus comme avant. Déjà, il y avait moins de kitins. Il y en avait encore, mais plus ces horribles patrouilles aux griffes acérées, et largement la place d'éviter les quelques kitins agressifs qui restaient.
Ensuite, elle avait dans son sac une carte et une boussole. Lorsqu'elle en aurait marre de tourner en rond, retrouver son chemin ne serait plus qu'une question de jours, et non de mois.
Enfin, elle était seule. Son porte-bonheur n'était pas à ses côtés pour faire aller le vent dans le bon sens, pour que les prédateurs décident soudain d'aller voir ailleurs, et toutes ces petites coincidences qui arrivaient lorsqu'elle était avec Na Djaï'tal. Son grand bleu lui manquait dans sa course sauvage. Il avait été aussi ce qui la rattachait à la civilisation et lui avait permis de garder son but en tête, autrefois, lorsqu'elle avait encore un but. Avant de trouver les Nouvelles Terres, lorsque le nom qu'elle avait pris avait encore un sens. Mais plus rien n'avait de sens à présent. Elle avait fui, incapable de savoir comment trouver sa place dans ce nouveau monde, abandonnant ceux qu'elle aimait sans même avoir la force de leur dire au revoir.

Anyume errait dans les sous-bois, à la lisière des prairies, et un homin qui l'aurait croisé aurait cru apercevoir une bête sauvage. Cela faisait des semaines à présent qu'elle n'avait pas parlé. Les seuls sons qui avaient quittés sa gorge avaient été des grondements pour voler la proie de ragus ou intimider un torbak. Parfois, quand elle reprenait un peu conscience, elle imaginait la délicate matisse qui lui avait donné des cours à Avalae la voir dans l'état où elle était, et l'image lui arrachait un rictus. Il y aurait eu de quoi donner une crise cardiaque à cette vieille harpie qui avait tenté de lui inculquer les bonnes manières. Qui y avait réussi, en fait, jusqu'à ce qu'Anyume décide de claquer la porte et de reprendre sa liberté. Anyume avait jeté son hominité et son impossible définition dans les herbes folles et avait renoué avec la part la plus animale de son être. Chasser, bondir, survivre. S'ébrouer sous la pluie qui tombait et jouer avec les gouttes ; suivre les traces d'un gibier et lui bondir dessus quand il ne s'y attendait pas ; se rouler en boule dans un creux de l'écorce aux heures chaudes de la journée et dormir d'un oeil, prête à détaler au moindre bruit suspect.

Elle aurait aimé se satisfaire de cette vie-là. Retourner entièrement à la vie sauvage et oublier toutes ces smishnozzë d'histoires homines. Ne plus avoir à réfléchir, faire des choix, souffrir. Ne plus se poser de questions. Vivre uniquement au moment présent, sans souci des conséquences de ses actes.

Mais, hélas, la chaleur homine lui manquait. Elle avait goûté au bonheur paisible de la domestication, une petite caresse de temps en temps, des repas à heures régulières, et cet horrible petit confort paisible lui manquait.

Parfois, lorsque l'été étirait les heures et qu'elle somnolait sous un creux de racine, les souvenirs de ceux qu'elle avait laissé lui revenait et le manque qu'elle en avait la faisait frémir. Où étaient-ils à présent ? Que faisaient-ils ? Shaakya avait-elle réussit à être plus forte que ses vieux démons ou ces derniers continuaient-ils de lui dicter sa vie ? Na Djaï'tal était-il devenu le sigisbée d'une des Amazones, peut-être Samae, qui lui faisait les yeux doux ? Alric avait-il fini de sombrer dans la folie de sa maudite drogue, ou est-ce que sa déesse lui avait enfin envoyé un signe pour lui dire de se réveiller ? Zorro'Argh avait-il retrouvé la trace des découvertes de Tepsen ? Denakyo s'était-elle décidé à fausser compagnie à son maître ? Icus allait-il vraiment se marier avec Gunbra ? Krill et Stcentor continuaient-elles leur trafic d'alcool ?

Toutes les petites histoires de l'Ecorce lui revenait, et un instant elle souriait en les imaginant continuer leur vie pour le meilleur, insouciants... Mais non, jamais insouciants. La guerre et l'exil planaient au dessus de leurs têtes et hantaient chaque homin avec constance. Les gens ne riaient que pour oublier le malheur, une façon comme une autre de maintenir le spectre de la douleur loin d'eux, quelques instants. Beaucoup cherchaient refuge dans les drogues, que ce soit dans l'ivresse des préparations des barmens, dans la fumée hallucinogène des mélanges zorais ou dans les seringues sombres qu'on trouvait dans les lieux les plus mal famés... Le seul moyen pour beaucoup d'affronter l'âpreté de la vie, se perdre et s'affaiblir pour un peu de plaisir factice. Et elle comprenait. Ho, comme ça avait été tentant de se laisser aller aussi à son tour, de pouvoir espérer l'oubli dans ces préparations colorées.

Mais elle savait qu'aucun alcool, aucune drogue, ne permettait de trouver le chemin qu'elle cherchait.

Elle avait cru que l'amour qu'on lui offrait lui permettrait de trouver des réponses et s'y était accrochée comme d'autres s'accrochaient à leur bouteille. Après tout, c'était l'amour de Na Djaï'tal qui l'avait autrefois sauvé des ténèbres dans lesquelles elle sombrait. Elle avait fait la paix avec son passé grâce à lui. Du moins l'avait-elle cru avant d'arriver sur les Nouvelles Terres.

Mais le passé a bien des façon de perturber le présent. Elle s'était intéressée aux Rangers, elle avait cru un instant reprendre le combat de son odrazzë pridkainee. Seulement, ça n'allait pas. Elle ne pouvait pas prendre parti, elle n'avait pas sa place d'un côté ou de l'autre des frontières. Coincée entre deux civilisations sans être d'aucune, Anyume avait perdu pied. Elle avait finit par se réfugier dans les bras de ses amants, cherchant l'apaisement dans leurs caresses, cherchant dans leur yeux un signe de sa propre identité, sans rien trouver qui la satisfasse. Elle avait senti le souffle de la folie la chatouiller et avait fini par faire la seule chose qu'elle maitrisait depuis toute petite : elle avait fuit.

Loin, très loin sur la route, l'attendait Karavia, ou ce qu'il en restait. Peut-être qu'elle trouverait des réponses là-bas, mais elle en doutait. Même si, comme les légendes le disait, la ville avait été reprise par les Maraudeurs, elle était sûre de se trouver aussi étrangère parmi eux qu'elle l'avait été dans les Nations. Au moins pourrait-elle parler sa langue maternelle sans qu'on la regarde comme une bête curieuse.

Mais pour le moment, Anyume se perdait en route, savourant quelque temps de perdre son hominité à défaut d'avoir pu lui donner un sens.

#2 [fr] 

Un jour, alors qu'elle se rafraîchissait sous une cascade, une vieille mélodie lui revint en mémoire. Comme un sortilège, la chanson résonnait dans sa tête, tant et si bien qu'elle se mit à la fredonner. La chanson avait eu plus de couplets qu'elle ne pouvait s'en souvenir ; pendant longtemps, seuls les derniers lui étaient restés. Mais aujourd'hui la chanson renaissait avec un peu plus d'entrain. Inventait-elle les paroles ou était-ce un souvenir ?

C'était de toute façon le signe qu'il fallait reprendre la route, et pour ça, la retrouver. Anyume s'ébroua pour disperser l'eau qui s'accrochait à elle, puis ressortit la boussole du fond du sac.

Et lorsqu'elle se remis en route, retournant en quête d'hominité, elle fredonnait encore :

♫♬ Le roi yubo est parti ♩
♪ Dans un lointain pays ♫♬
♫♬ Izam vole avec joie ♪
♩ L'aventure suit tes pas ♫♬


La nuit suivante, les cauchemars revinrent.

#3 [fr] 

Un feu de camp qui étincelle et rugit. Quelques enfants aux pieds d'une zoraie lisant un carnet. Anyume reconnaît le carnet en question, l'un de ses préféré parce qu'il était plein de dessins. Le bruit du feu l'empêche d'entendre le conte, mais elle les connaît par cœur. Combien de fois lui a-t-elle demandé de répéter celui là ?

"Il était une fois un izam qui voulait découvrir de nouveaux cieux. Un jour il prit son envol et chevaucha le vent... Après quelques temps à virevolter, il croisa un yubo qui lui demanda :
Izam, ho bel izam, où file-tu si vite ? Fuis-tu quelque prédateur ?
-Né gentil yubo, je part à l'aventure, découvrir de nouveaux pays."

Tandis que la zoraie continue son histoire, Anyume se répète les mots d'un conte qu'elle a enterré dans le silence depuis des cernes. Elle connaît la saveur particulière de ce genre de rêve et redoute le moment où la conteuse finira son histoire.

Soudain, elle sait qu'il est là. Une présence dans son dos lui donne la chair de poule. Elle ne se retourne pas. Elle sait qu'il est trop tard pour ça. Elle sent le poids du regard de Bëshzaikain. Elle ne fuit pas non plus. Ça ne servira à rien. Malgré ses efforts et sa jeunesse, elle est bien loin de pouvoir le battre à la course ou dans un quelconque domaine. Mais qu'il se dépêche... cette attente la rend folle.
-Tu vas te décider à me tuer ? finit-elle par souffler.
-C'est la mort que tu cherche ? grogne le vieux professeur.
-Nani. Mais tu ne supportais pas que tes élèves échouent. Uniquement des réussites à l'examen final... les autres morts avant. Et j'ai échoué.
-Si tu es encore en vie, c'est que l'examen n'est pas encore passé et que je ne désespère pas complètement.

Un glissement derrière elle... elle se fige, certaine de sentir bientôt la lame. Mais non, rien, juste le silence.

La place est déserte. Le feu éteint depuis des heures, la nuit froide sous les étoiles. La zoraie est encore assise là-bas, dans l'ombre. Il n'y a pas un bruit. Rien avant qu'un premier cri vienne de la forteresse sur la colline proche. Un cri, puis un autre, le bruit de la mort et de la souffrance en marche, de son Clan qui meurt, pour une utopie, un rêve déjà mort.

La zoraie ne bouge pas mais Anyume sait qu'elle la regarde de ses yeux morts, un ichor étrange perlant des cicatrices de son masque, la douceâtre odeur de la décomposition l'enveloppant comme un linceul.

Anyume aimerait pouvoir fuir, encore. Mais elle ne bouge pas. Elle sait que là aussi, elle ne peut pas aller assez vite.
-Et toi, que vas-tu me reprocher cette fois-ci ? Quelles folies vas-tu me souffler ?" crie-t-elle au masque dans l'ombre.
-Rien, lui répond la voix douce de la zoraie. Mais s'il ne doit rester qu'une question à poser...
-Laisse-moi, avec tes questions ! Tes questions t'ont tué !!! hurle Anyume, ses larmes coulant le long de ses joues sans qu'elle comprenne pourquoi.
-Né... tu sais ce qui m'as tué à présent. Ni les questions, ni les maraudeurs. Juste, une fois, n'avoir pas cherché la bonne réponse, ni même posé la question... Et que personne, jamais, ne l'a demandé.
-Je ne veux plus savoir. Je ne suis plus sur les Nouvelles Terres. J'ai donné ton héritage. Laisse-moi... Arrête de me hanter !
-Il reste une question... souffle le masque mutilé de la zoraie.


Anyume arrive enfin à sortir de son rêve en se débattant, le souffle court, regardant sans le voir le morceau d’Écorce qui la surplombe et sous lequel elle s'est endormie quelques heures plus tôt. "Pas de questions, gémit-elle, pas de réponses... ce n'est pas ma vie..."

Elle cherche de la main la présence de son frère dans un futile réflexe, et sent la solitude étreindre son cœur en se rappelant qu'elle l'a laissé avec sa belle fyrette sur la colline de Thésos.

Alors, pour combattre la peur que lui a laissé le cauchemar, elle se remémore les moments passés, lorsqu'il était à ses côtés. Le souvenir de Na Djaï'tal l'enveloppe comme une chaude couverture et la calme peu à peu, jusqu'à ce que le sommeil revienne.

#4 [fr] 

2562, durant le second Essaim

Le jeune homin ouvrit une paupière lourde, submergé par le vacarme environnant. Autour du bar, ce n'était que chaos, destruction et confusion : des Kitins détruisaient systématiquement la cité des Trykers, hurlant leur puissance en claquant des mandibules. Heureusement pour lui, les habitations vides ne les excitaient que peu, et la plupart vaquaient sans faire grands dommages.
"Toub ! Toub ! Toub !" pensa Na Djaï'tal. "Pas une bonne idée d'avoir voulu profiter de la bière de Ba'Naer une dernière fois !"
Tout en se morigénant, le jeune zoraï cherchait ses compagnons. Il espérait ne pas être seul à avoir tant bu que ses souvenirs étaient flous. Ne voyant personne, il se tassa dans le recoin où il était et fouilla dans ses poches. Son masque se glaça d'effroi : il avait perdu ses perles kamiques !
Conscient qu'il n'avait aucun moyen de fuir par la terre, il fit rouler un tonneau jusqu'à l'eau. Une ombre passa sur son masque.
"Si je m'en sors, je promets à Jena que..." puis il sauta dans le frêle esquif.

Le courant emporta le tonneau, mais sur chaque rivage les kitins étaient là, leurs cris désagréables hantant l'atmosphère et empêchant d'aborder. Le temps passait et Na Djaï'tal ne voyait pas quand il pourrait sortir de la barrique. Bercé par l'onde, il finit par s'endormir.

Un choc sourd le réveilla. Il tenta de se redresser et s'aperçut que sa longue immobilité l'avait coincé dans le fond du tonneau. Que faire ? Crier, en expérant qu'un homin passe dans le coin mais au risque d'alerter des kitins aussi ? Espérer arriver à réveiller un peu ses membres ankylosés, peu à peu ?

Il en était là de ses réflexions quand il sentit son embarcation être poussée, puis racler le sol d'une plage. Puis le visage d'une très jeune fyrette s'encadra dans le cercle de ciel qui constituait son horizon.

L'enfant fit une moue en découvrant le contenu de sa trouvaille.
-Arterundzzë arkarit ! grommela-t-elle.
Puis voyant que le zoraï ne bougeait pas, elle reprit :
-Uk zënarhim na-vonut. Za ëserhim anium.
-Woha ! fit Na Djaï'tal dans un sourire.
Il tenta de s'extraire du tonneau mais n'y arrriva pas et tendit la main vers la jeune homine.
- Nu oda ozuo, kai'bini...

Ne voyant que de l'incompréhension dans le visage face à lui, il tenta de s'extraire comme il le pouvait, profitant de l'immobilité de son navire. Il s'étala de tout son long sur la grève, le masque dans la vase. Il s'assit et se massa les jambes, souriant à son étrange sauveuse. Il tourna la tête de droite et de gauche, cherchant sur la longue plage les traces de la famille de la fyrette, craignant d'y découvrir des féroces kinchers. Mais il ne voyait que des messabs, quelques ybers et, au loin, des yubos qui jouaient. Aucune activité kitine à l'horizon, ni même de cris au loin.
-Ari'kami ! Hajia kitin'i ? Hajia su mi y pa ? Nu den wa Pyr, y lu no.
Tout en parlant, il renifla l'odeur de ses vêtements et les effluves de bière rancie qui s'en échappaient rappelèrent cruellement à son estomac les abus récents. Il ne put retenir sa nausée et vomit copieusement entre ses jambes.

Anyume contempla le zoraï avec des yeux ronds, se demandant quelle était sa maladie, si c'était contagieux, s'il fallait l'aider ou le fuir. Sa méfiance instinctive la poussait à se sauver, parce qu'il était sans doute plus costaud qu'elle. Quoique, peut-être pas dans la situation présente. Elle avait en même temps soif de compagnie, ayant passé de longues journées seule à fuir les kitins, grapillant sans s'arrêter des baies pour se nourrir. Et puis elle avait une mission à remplir et cet homin là était visiblement un de ceux qui pourrait lui indiquer le chemin.

Elle sortit de son sac un bout de tissu qu'elle alla tremper dans l'eau, puis le tendit à Na Djaï'tal, ainsi que sa gourde. Elle sortit aussi de ses poches une poignée de baies écrasées, idéales pour faire passer le goût désagréable d'un renvoi:
-Merënhim uk zae na!

Elle en avala quelques unes au passage pour calmer les protestations de son estomac. Dommage que ce tonneau n'ai pas contenu de nourriture. Elle laissa son regard errer sur la crique, évaluant les autres débris qui étaient venus s'échouer là. Le tonneau lui avait paru le plus prometteur...

Na Djaï'tal accepta de bonne grâce le tissu humide et se le passa sur le masque, mais fit une grimace devant les baies. Devant l'insistance de la jeune fille, il céda et les avala, les mâchonnant sans conviction. Il sourit à l'enfant et cherchait toujours sa famille, espérant qu'elle n'était pas seule. Que ferait une jeune fille du désert perdue aux abords des lacs ? Et puis il réalisa sa situation. Il semblait bien qu'ils étaient deux enfants perdus. Il inspira longuement et hocha la tête à plusieurs reprises.
"Lao. Nu den ozuo... Hajia niu..."Puis il s'arrêta, conscient qu'ils n'arriveraient à rien. Il employa alors l'atysien.
-Je suis Na Djaï'tal, de Jen Laï, et toi, tu viens de Pyr ? Ou tu y vas ? Où est ta famille ?"

Anyume le regarda d'un air sombre. Elle avait bien entendu un changement de sonorité dans ce que le zoraï disait, sans plus comprendre. La seule langue qu'elle comprenait était le marund. Et visiblement l'homin ne le parlait pas. Ça n'allait pas être simple pour trouver ces "Cercles". A condition qu'ils existent encore, d'ailleurs.
Tant pis. Sa mission n'avait jamais eu aucune chance d'aboutir. Tout ce qui comptait à présent c'était de survivre. Si cet homin pouvait l'aider, tant mieux ; sinon, elle continuerait seule.
Elle pointa son index vers elle, et en détachant bien les syllabes, donna son nom :
-Anyume.
Puis elle pointa le doigt vers le zoraï. Ce dernier lui fit un sourire ennuyé, comprenant enfin que l'atysien ne suffirait pas non plus et que les prochains jours promettaient d'être très longs. Il répéta donc son nom pour que l'étrange fyrette le comprenne :
-Na Djaï'tal.

HRP
Ce texte a été écrit à deux mains (Na Djaï'tal et Lyz) durant la fermeture des serveurs tandis que nous imaginions nos persos. Il date donc vraiment du second Essaim ^^ et il était temps de penser à le poster...
Le thème central est la rencontre entre deux cultures et l'impossibilité de communiquer... alors pas de traduction ! Si vous êtes curieux, je vous invite à vous intéresser au taki et au marund.
Ces liens peuvent aussi aider :
Grammaire du marund
Grammaire du taki

#5 [fr] 

Durant le second essaim.

Des jours et des nuits à avancer où les kitins n'étaient pas. C'était bien beau, de vouloir trouver les Nations, mais la route n'avait jamais été évidente à trouver et à présent, les kitins remontés des profondeurs rendaient la progression des plus périlleuses. La fyrette et le zorai passaient leur temps à fuir. Une éternelle fuite pour vivre encore un jour de plus...

Au début, la communication avait été un vrai problème. Impossible de savoir ce que voulait l'autre. Il fallait se débrouiller avec des gestes. Elle l'avait bousculé avant qu'il rentre sur le territoire d'une meute de ragus ; elle avait failli le mordre quand, d'un geste calme, il avait posé la main sur son épaule pour attirer son attention sur un kincher qui approchait. Anyume du haut de ses huit ans était une boule de nerf.

Quand elle avait compris qu'il n'était pas un grand combattant et qu'il était aussi perdu qu'elle, elle avait failli l'abandonner. En fait, si elle était restée, c'était pour une raison odieusement pratique : qu'il lui serve de leurre si les kitins ou les assassins les repéraient et lui donne ainsi le temps de se sauver. On se focalise plus sur les grands tous bleus que sur les minuscules petites sauvages.

Peu à peu ils avaient appris quelques mots de la langue de l'autre. Voir Na Djaï'tal écorcher le marund était amusant ; lui-même riait beaucoup quand avec son accent elle tentait de parler taki ou atysien.

Petit à petit aussi il l'avait apprivoisé. Anyume n'était que méfiance et attention au début. C'était dans l'ordre du monde tel qu'elle avait appris : on se servait des gens et les gens tentaient de se servir de nous. Les plus forts imposaient leur loi aux plus faibles, jusqu'à ce que ces derniers s'endurcissent assez pour prétendre à l'affrontement. L'Essaim ne faisait que continuer la leçon de sa vie : passer son temps à survivre, espérer vivre quelques jours de plus. Elle était attentive à ce que ce grand dadais pourrait bien lui vouloir, prête à prendre la poudre d'escampette au moindre signe de danger.

Sentiments totalement inconnus à Na Djaï'tal. Il lui souriait, fredonnait des mélopées, n'hésitait pas à lui tourner le dos, à manger ce qu'elle lui tendait en toute confiance, sans demander à ce qu'elle goûte avant. D'accord, il n'avait rien qui l'intéressait, mais comment pouvait-il le savoir ?

Elle mit longtemps à comprendre qu'il ne savait pas. Simplement, il la voyait comme une enfant innoffensive, perdue comme lui dans un monde hostile. Il mettait sa sauvagerie sur le compte du traumatisme de l'Essaim.

Tandis que peu à peu ils trouvaient les mots pour échanger et que le temps passé à survivre côte à côte les rapprochait, il apprenait à Anyume l'une des plus belles leçons : la confiance et la sécurité. Elle finit par comprendre qu'elle n'aurait jamais rien à craindre de lui, non pas parce qu'il était plus faible ou idiot, mais parce qu'il ne lui ferait jamais de mal.

Bien plus tard, elle tenterait de transmettre cette leçon à Shaakya : les blessures se cautérisaient peut-être un temps dans l'alcool, mais pour les soigner, il fallait de la douceur et du temps.

Les cauchemars qui hantaient la petite fyrette depuis la fuite de son village se calmèrent peu à peu dans les bras du zoraï qui la réconfortait lorsqu'elle se réveillait en sursaut la nuit, fredonnant sa mélopée pour l'aider à retrouver le sommeil. Ces mauvais rêves disparurent au bout de quelques mois, tandis qu'Anyume apprenait à sourire. Non pas sourire pour se moquer, ou parce qu'on venait de remporter une victoire, ou pour montrer son assurance, non : des vrais sourires de joie simple, des vrais rires aussi. Car malgré les kitins, il y avait pleins de moments de douceur et de jeux.

Durant les huit années à errer, ils croisèrent parfois le chemin d'autres homins. Mais ils ne restèrent jamais avec eux. Parfois la séparation était cruelle, forcée par les kitins ; d'autres fois, en pleine nuit, Anyume secouait Na Djaï'tal pour qu'ils se sauvent, parce qu'elle savait qu'ils étaient tombés sur des mauvais homins et que la sécurité qu'ils offraient avec leurs armes aurait un prix trop élevé à payer.

C'était étrange, cette fyrette minuscule bien trop sérieuse avec ce zoraï immense bien trop étourdi. Chacun apprenait de l'autre. Chacun prenait conscience que sa survie, finalement, était essentiellement dû à la présence de l'autre. Sans les connaissances sur la survie d'Anyume, Na Djaï'tal n'aurait sans doute pas fait long feu ; sans la tempérance et l'apaisement de Na Djaï'tal, Anyume aurait fini par prendre trop de risques et sans doute devenir un peu dingue.

La confiance et la paix. Huit ans à savoir que seul l'autre nous raccrochait à l'hominité, à ses buts, à sa sécurité. Huit ans à n'avoir aucune autre relation. Ils étaient tout l'un pour l'autre. Comment expliquer ce lien qui les unissaient ? Ils n'avaient pas besoin de parler pour savoir ce que l'autre pensait... Même si parfois, ils ne voulaient pas écouter certaines choses...

Et puis ils trouvèrent le chemin de Silan.

#6 [fr] 

Le paysage dans lequel elle voyageait changeait peu à peu, la forêt s'asséchant pour laisser place à la sciure. La région des Grands Canyons, une des plus dangereuses de la traversée vers les Anciennes Terres, sans être pourtant bien loin des terres des Nations.

Étrangement le parfum de la sciure lui rappelait un matis, un beau et charmeur matis. C'est à Pyr qu'elle l'avait rencontré, et dans les dunes qu'elle lui avait cédé. A l'époque, elle ne voyait ça que comme une expérience sans conséquence. Elle n'attendait rien, elle n'avait rien à perdre (rien dont elle eu conscience), il était beau et séduisant mais aussi impertinent, et il flottait autour de lui une odeur de combat qui ne pouvait que lui plaire...

Elle, d'habitude si attentive au moindre détail, n'avait juste pas pensé à donner du sens à quelques petits détails. L'odeur particulière, sa façon d'éviter certaines questions et d'autres petites choses... Mais ce n'était pas grand chose, et elle avait passé tant de temps loin des homins, avec juste sa relation particulière avec Na Djaï'tal, qu'elle avait oublié la méfiance.

C'est quand elle l'avait croisé avec ses semblables qu'elle avait alors compris qu'elle venait de renouer avec son passé. Un maraudeur. Et lui qui l'avait traité de yubette, comme s'il avait oublié leur histoire d'un soir... Ce qui aurait pu et du rester une histoire d'un soir, d'ailleurs, mais la colère avait enflammé Anyume, de se faire traiter comme ça, elle qui avait l'habitude d'être adulée (certes par son frère seulement, mais tout de même). Et le petit jeu avec Alric avait commencé. Sans bien savoir qui jouait et ce qu'était l'enjeu... Ils s'étaient cruellement blessés avant de se retrouver, dans un cycle qui chaque fois devenait plus féroce et passionnel. Chacune de leur passe d'arme lui faisait prendre conscience de choses en elle qu'elle ne pensait pas trouver.

Le poid de son passé, l'héritage dont elle ne savait que faire, et son cœur qu'elle croyait de glace et qui la trahissait... Tandis qu'Alric essayait de lui arracher des serments et de l'éloigner de ceux qui composaient l'autre moitié de son âme, elle avait pris conscience de ses faiblesses et surtout des erreurs qu'elle avait commise.

Elle avait fini par comprendre pourquoi Na Djaï'tal avait semblé si triste lorsqu'il avait appris qu'un autre avait été son premier amant. Sur le moment, ça ne lui avait paru n'avoir aucune importance, mais par la suite, elle avait compris que cela l'avait éloigné de son frère. Ils avaient gagnés en liberté, mais elle avait perdu en apaisement. Elle avait pris conscience que des mondes autour d'elle attendaient d'être exploré et que se contenter de l'étreinte du zoraï ne suffirait plus. Mais surtout elle s'était mise à aimer. Son cœur s'était ouvert, bénéficiant des leçons de son grand bleu, prêt à aimer Atys entière... et de manière plus précise, certains homins et homines. Mais plus seulement son frère, son aimé, son âme...

La fusion exclusive qu'elle avait partagé avec Na djaï'tal avait perdue de son exclusivité, parce qu'elle n'avait pas pris conscience à temps des conséquences de ses actes, et cela n'avait pas été que du bonheur. Elle était toujours relié à lui, elle sentait sa présence dans ses rêves et lorsqu'ils se retrouvaient, les mots n'étaient pas nécessaires pour qu'ils communiquent, mais il y avait le reste du monde qui l'appelait.

Shaakya aussi avait volé son cœur sans difficulté. C'était parti comme une blague, et puis... Elle avait croisé la fyrette à Thésos et rapidement une solide camaraderie était née entre elles. Toutes les deux intéressées par les Rangers et curieuses de ce que l'Écorce avait à offrir, elles s'amusaient parfois comme des gosses, tout en reconnaissant chez l'autre les mêmes petits moments de tristesse. Et puis il y avait eu cette blague, un des jeux d'Anyume pour piéger Alric, qui n'avait pas tourné comme elle l'espérait, ni avec l'un, ni avec l'autre.

HRP
Si vous voulez en savoir plus, la rencontre de Shaakya et Anyume est déjà raconté avec talent ici, quand à l'épisode suivant que j'évoque, c'est là. Quand à mes propres textes sur ce qui s'est passé entre la fin de l'Exode et la fuite d'Anyumé vers les Anciennes Terres, ce sera peut-être l'occasion d'une nouvelle série, je ne sais pas encore... Mais là j'ai envie de revenir, donc je vais essayer d’accélérer :P

#7 [fr] 

Juste une blague, mais les mains de la fyrette l'avait troublée, tout autant que l'étrange jalousie du matis. Elle se sentait avec Shaakya dans un sentiment proche de celui qu'elle avait avec Na Djaï'tal : comme s'ils faisaient partie de la même âme. La confiance était là, sans qu'il y ait de questions à se poser. Les rires résonnaient de concert. Il n'y avait que de la douceur, quand sa relation avec Alric n'était que fureur.

Cette dichotomie était à l'image du reste de sa vie. Plus vraiment Maraudeuse, pas vraiment des Nouvelles Terres. Désirant tout autant frapper que pacifier. Tiraillée entre le fracas des armes et la tranquillité des discussions entre amis. Aimant la guerre autant que la paix. Parfois elle vitupérait contre ces mous fanatiques des Nations et leur aliénation, parfois elle raillait la haine sans fin des Anciens et la violence de leur Civilisation.

Les Rangers lui avaient plu, dans l'idée où c'était contre les kitins que l'agressivité se défoulerait. Un ennemi commun pour unir les homins et réconcilier son double héritage. Mais unir, cela voulait dire de la politique, convaincre chaque camp, se retrouver sans cesse face à ses propres contradictions, aux souvenirs qui remontaient...

Et dans le fond de son âme, elle était terrifiée. Une terreur qui ne s'exprimait que dans ses rêves, quand la sciure se teintait de noir. Le croque-mitaine de son enfance n'était malheureusement pas un monstre de placard. Il existait, elle le savait, elle l'avait vu à l'œuvre, elle voyait des signes, dans les cités, de petites choses qui indiquaient qu'ils vivaient toujours. Affronter cela, elle ne le pouvait pas. À chaque fois que ses pensées s'égaraient dans cette direction, elle se rappelait l'enfant qui se tordait au sol, hurlant dans son agonie tandis que sa graine de vie se flétrissait... puis son esprit déclarait forfait, elle enfouissait tout ça au fond d'elle et courait se réfugier dans les bras de Na Djaï'tal. Na Djaï'tal qui continuait à éloigner les cauchemars d'elle, tous, que ce soit la fin de son clan, ceux de la salle de torture, ou les plus anciens encore, cet enfant qu'elle avait tué, ses frères (ceux de sa sève) qui étaient revenus dans une boîte un peu trop petite pour leur corps, certaines leçons bien particulières auxquelles elle avait assisté...

Oui, elle s'était découvert un cœur au cours de l'errance avec le zoraï et elle avait découvert en même temps la souffrance. Il n'était pas possible de revenir en arrière, ni d'effacer le passé, et vivre avec tout ça était si lourd, si pénible... Au bord de la folie.

Elle avait fui. Mais elle ne savait pas encore ce qu'elle devait trouver.

#8 [fr] 

Elle hésitait un peu sur la route à prendre. Il fallait se décider à présent. Tout droit, Karavia, dans plusieurs semaines, avec sans doute les secrets des botanistes royaux et peut-être de la Karavan... ou rien. Ou pire. À gauche, à quelques jours de marche encore... Il ne devait plus rien rester, la végétation avait sans doute tout recouvert, d'un côté comme de l'autre. Mais si les homins étaient revenus, alors... Alors ce serait une mauvaise idée !

Anyume fit quelques pas vers Karavia. Puis serra les poings et d'un air résolu, changea de direction.

Elle avait vu au cours de son voyage quelques traces de présence homine, par endroit. Elle prenait toutes les précautions pour rester indétectable. Rencontrer un homin dans ces Terres sauvages, c'était rarement bon signe. Tandis qu'elle se rapprochait de son "petit détour", la présence homine se faisait plus sentir. Des coups de lames sur certains troncs, des zones visiblement très utilisée pour la cueillette...

Il lui fallait tout son courage pour continuer à avancer.

Elle reconnut enfin certaines dispositions du terrain. Ici, c'était la zone où les grands faisaient leur entrainement à la survie. Là, un des lieux où elle venait se réfugier pour être au calme. Les souvenirs remontaient, dont certains qu'elle croyait enfouis et disparus. Elle se rappela le visage de son frère ainé, lorsqu'il était parti pour l'examen final, fier et sûr de lui dans son armure noire. Le rire du cadet qui l'emmenait vagabonder et comment ce rire s'était tu après la disparition du plus grand... puis il avait disparu à son tour, sans que personne ne prenne le temps de dire à Anyume ce qui avait détruit la graine de vie de son frère. Et elle avait compris peu à peu, en suivant les mêmes cours qu'eux.

C'était ici qu'elle jouait aux Kamis et aux Karas avec les enfants de son âge. Là, ils avaient un jour trouvé un izam tombé du nid et l'avaient soigné, jusqu'à ce qu'un grand les trouve et écrase le piaf sous sa botte. Ici qu'elle avait couru comme une dératée pour échapper à un savon, avant de glisser sur les feuilles et de faire la plus belle pirouette de sa vie.

Les larmes coulaient le long des joues d'Anyume tandis qu'elle revoyait les huit premières années de sa vie, les comparant à présent avec la vie calme et douce des nations et la façon dont les enfants y étaient élevés. Si semblable et si différent. La zone était pleine de fantômes...

Mais pas seulement des fantômes. Des homins aussi. Malgré son chagrin, Anyume ne perdait pas le nord, se glissant d'ombre en ombre, attentive.

Elle arriva à la colline avant la forteresse. En face d'elle, la plus grande des tours se confondait dans les arbres, intacte. À ses pieds, le village s'étendait.

Tapie dans l'herbe, Anyume retenait son souffle. C'était impossible... elle avait vu le lieu ravagé par les kitins. Il ne restait plus rien à son départ. Elle s'était tenue sur cette colline, debout du haut de ses huit ans, avait contemplé les ruines fumantes et voué à l'oubli le nom de son Clan, de sa famille et son propre nom, pour devenir toute entière dévouée à sa mission.
Elle avait l'impression de se retrouver dans un de ses cauchemars. Elle se pinça fortement, sans être sûre que la douleur la réveillerait si c'était vraiment un mauvais rêve...

Les lieux avaient cependant changé, elle prenait peu à peu conscience d'un tas de détails différents. Les habitations avaient été reconstruites sur les ruines des précédentes, mais pas à l'identique.

Elle se demanda si c'était possible que d'autres de son Clan aient survécu. S'ils avaient fui dans les bois... Elle secoua la tête : pas la peine de cultiver un espoir aussi risible et quand bien même, elle n'avait plus rien en commun avec eux, en dehors du souvenir d'une rébellion au mauvais moment.

Mais la question était : qui habitait là à présent ?

Pas question de s'approcher pour le savoir. Si les anciens propriétaires des lieux étaient revenus et lui tombait dessus, elle finirait comme Laofa. Anyume tremblait comme une feuille de les imaginer là. Si c'était eux, quel espoir avait-elle d'être passé entre les mailles des guetteurs ? Ils étaient peut-être autour d'elle, prêt à lui tomber dessus... Le cœur battant à toute allure, terrifiée, Anyume recula sans un bruit, fit demi-tour et s'éloigna de la zone aussi vite qu'elle l'osait, regrettant de n'avoir personne à prier pour lui accorder la chance d'en sortir en un seul morceau...

#9 [fr] 

Fuyant sans oser regarder derrière elle, Anyume courut tout le jour et une bonne partie de la nuit. Elle finit par s'écrouler, épuisée. Son sommeil fut agité et de courte durée. Ce qui hantait ses rêves à présent avait l'affreux goût du probable ; elle craignait de sentir une lame sur sa gorge tandis qu'elle gisait sans protection.
Elle se réveilla en sursaut, ayant dormi à peine quelques heures. Tous ses muscles étaient douloureux après sa course, mais il n'était pas question de s'arrêter alors qu'elle devait encore être sur leur territoire. Fuir, il fallait fuir, loin, qu'ils ne sachent pas qu'elle était passée...

Mais comment pouvaient-ils l'ignorer ? Elle se souvenait des cours au petit matin, explorer une zone et raconter par le menu l'origine du moindre déplacement d'herbe, expliquer la course furtive des yubos et l'odeur qui s'attardait des torbaks en chasse. Elle s'était trop approchée, si c'était le même Clan qui était là... et pourquoi pas, après tout. Le clan de leurs maîtres était composé des homins les plus doués parmi les maraudeurs, les plus aptes à la survie, quel espoir qu'un Essaim ait réussi à les annihiler ? Ils allaient voir qu'elle était passée. Ils allaient se demander quelle sorte d'espionne elle était. Ils allaient la trouver, la faire parler...

À ce moment, si Anyume avait eu sur elle le poison qui dissolvait les graines de vie, elle l'aurait pris, tant elle était terrifiée à l'idée de tomber entre leurs mains, tant sa capacité de raisonnement était altérée par la terreur de cauchemars d'enfant qui prenaient corps. Mais elle n'avait pas de poison : aussi elle se releva et reprit sa course, ignorant les protestations de son corps.

Trois jours et trois nuits, elle galopa, ne s'arrêtant que le temps de vérifier qu'elle s'éloignait toujours, le sommeil l'assommant parfois une heure ou deux avant que les rêves ne la réveillent et ne la pousse à courir encore.

Au matin du quatrième jour, elle sentit qu'elle ne tiendrait plus très longtemps. Elle était peut-être assez loin... peut-être, s'ils ne l'avaient pas pris en chasse, si...
Elle se souvint du conte de Loria, l'un des préféré de Laofa qu'elle racontait régulièrement. C'était une histoire qui donnait du courage quand tout semblait perdu, mais surtout qui montrait que les situations les plus désespérées pouvaient se transformer en grande victoire.

Se servir de la faune pour couvrir sa piste, repérer les creux du terrain et trouver les crevasses qui ouvraient l'Écorce vers les Primes... voilà qui était dans ses cordes. Il fallait qu'elle se repose. Elle ne pouvait pas se reposer sans gardiens. Elle allait donc se trouver des gardiens qui l'avertiraient et retiendraient d'éventuels poursuivants.

Anyume disparut dans les plis de l'Écorce.

Last edited by Anyume (1 decade ago)

#10 [fr] 

La fraîcheur de la caverne et la demi-obscurité étaient devenues familières à la fyrette. La peur et le manque de sommeil était aussi à présent son quotidien, la guidant doucement sur les rivages de la folie. L'endroit grouillait de kitins. Anyume les voyaient à présent comme des amis d'un genre particulier, imitant leurs sifflements. Elle s'était rappelé les travaux de l'ASA sur les glandes des kitins, et l'expérience de Shaakya avec les larves. Elle ne faisait pas trop confiance à ces théories et veillait à rester à l'écart des kirostas et autres kipuckas mais s'était soigneusement enduite... d'un tas de trucs assez peu ragoûtants que les kipees lui fournissaient aimablement.

Les Primes de cette région des Anciennes Terres étaient calmes, si on oubliait les cliquetis permanents et les rugissements des insectes.

Elle avait trouvé une sorte de petite esplanade en hauteur, sur laquelle elle avait grimpé avec pas mal de difficultés. D'ici elle voyait le paysage s'étaler autour d'elle, la lumière pâle des lumindra révélant les déplacements des créatures. Une légère dépression creusait la plate-forme, ce qui condensait l'humidité mais la rendait aussi invisible vu d'en bas.

Anyume savait qu'elle ne trouverait pas de meilleure cache. Il fallait attendre, veiller. Dans quelques jours elle saurait si des limiers étaient sur sa piste, ou si son passage était resté inaperçu.

Mais il est difficile d'évaluer le temps qui passe dans les Primes. D'autant que les cauchemars continuaient à agiter le sommeil de la fyrette, tandis que l'humidité de la cuvette lui transperçait les os et la faisait grelotter.

Inconsciente du temps qui passait, Anyume sombra dans la fièvre, frissonnant sans même comprendre ce qui lui arrivait. Lorsqu'elle émergeait, elle trouvait tout juste la force de boire l'eau qui s'était condensée au fond de la dépression, grignotant la mousse qui poussait là sans chercher plus loin.

Ce n'était pas la meilleure façon de survivre et plus d'une fois elle se releva en sursaut, retenant au dernier moment le cri qui voulait franchir ses lèvres, les remontrances de Bëshzaikain résonnant à ses oreilles comme s'il était présent. Le regard halluciné, elle scrutait les alentours, avant de sombrer à nouveau dans un sommeil cauchemardeux.

La fièvre l'emportait doucement. Elle en était vaguement consciente et n'étais pas sûre de vouloir la combattre. Si elle mourrait, elle ne se poserait plus de questions. Peut-être aussi que les Kamis la ramènerait à ses amis... non, elle ne pouvait pas les mettre en danger. Et puis de toute façon, les Kamis ne l'aiderait pas, elle n'avait jamais rien fait pour eux.

Son rêve changea. Elle courait dans la plaine. La talonnant, un maraudeur au visage balafré chevauchant un gigantesque kirosta rouge lui hurlait des promesses de mort. Elle courait, courait, sans arriver à avancer, tandis que l'autre se rapprochait. Le dard du kirosta se planta à côté d'elle, faisant jaillir la terre et la faisant chuter. Elle se retourna alors, prête à affronter la mort en face, décidant de mourir bravement à défaut de pouvoir vivre. Elle sentit un grand calme l'envahir, ce sentiment qui la prenait à l'instant qui précédait le fracas des armes. Elle regarda le cavalier dans les yeux, à présent sans peur, faisant face à son destin.

Ce n'était pas un maraudeur, mais une maraudeuse, une fyrette comme elle, qui la regardait à présent en souriant. Ce sourire propre aux marauds, pas franchement amical, disant plutôt "bonne réaction". L'homine lui rappelait sa mère, dans sa posture, ses traits, son attitude... Anyume ne faiblit pas. Peu importait le visage de sa poursuivante, elle avait cessé de fuir. Elle était prête.
Une grande lumière jaillit de derrière l'homine et sa terrible monture, obligeant Anyume à fermer les yeux, éblouie. Tout n'était que lumière à présent. Une lumière pure qui mettait son âme à nu, qui avait le goût de la mort. Mais qui était aussi étrangement réconfortante et chaleureuse. Anyume inspira doucement, sentant la chaleur s'insinuer jusqu'au tréfonds de son être, se fondant dans la lumière, devenant lumière...

#11 [fr] 

Lorsqu'elle se réveilla, cette chaleur l'habitait toujours. Elle se rendit alors compte qu'elle était sous une couverture et qu'un feu flambait joyeusement à ses côtés.

Elle se sentait calme, apaisée. Pas une seconde elle ne sentit la peur lui caresser les entrailles. Peu importe qui l'avait trouvé, elle était en vie, libre de ses mouvements. Et la lumière réchauffait toujours son cœur.

Elle tourna la tête, considérant son environnement. Elle était dans une petite caverne visiblement aménagée par les homins : des caisses traînaient contre une paroi, les murs étaient couverts d'étranges graffitis. Un vieil homin la contemplait. Il avait le regard malicieux et curieux, comme riant des blagues que l'Univers faisait perpétuellement. Il n'avait rien d'agressif.

Anyume ne dit rien. Ce dont elle s'éveillait marquait encore son âme. Les mots paraissaient faibles à côté de cette expérience. L'homin ne disait rien non plus, se contentant de sourire, comme s'il savait en partie ce qu'elle avait dans la tête à ce moment.

Une seule chose avait de l'importance. Elle était en vie, elle était visiblement en sécurité. Et elle ne se sentait pas la force de faire plus que de se rendormir, pour gagner cette fois un sommeil réparateur et douillet.


Lorsqu'elle se réveilla à nouveau, il était toujours là, en train de touiller quelque chose dans la marmite sur le feu.
-Tu as faim ? demanda-t-il.
Elle hocha la tête. Il lui tendit un bol de soupe, qu'elle but lentement. Ses membres étaient encore endoloris. Elle découvrit qu'une attelle bloquait sa cheville. Voyant qu'elle l'examinait avec curiosité, l'homin lui expliqua :
-Je t'ai trouvé au pied d'une falaise. Ton pied était salement tordu ! Mais avec la magie, ça doit être quasiment guéri à présent. Tu devrais quand même garder le bandage quelques temps pour ne pas que ça bouge trop.
-Qui êtes-vous ?
-Qui sommes-nous ? Il émit un petit rire chevrotant. Des noms, des races, des croyances ? Qui es-tu, toi ?

Elle croisa son regard amusé. Dans une autre vie, elle l'aurait pris pour un fou. Mais, là, elle comprenait. Qui était-elle, elle qui n'avait plus de nom, plus de croyance, plus de foyer ? Qui était-elle pour oser demander à son sauveur son identité ?

Cependant la lumière de la révélation se frayait doucement un chemin. En partie du à son étrange rêve, en partie grâce aux échos d'histoires des Nouvelles Terres, les pièces du puzzle s'assemblaient. Elle connaissait la réponse à toutes ces questions. Elle savait. Elle sourit à son tour, un peu abasourdie, laissant échapper :
-Jena...

Le vieillard éclata d'un rire joyeux :
-Finis ta soupe, finis-la ! Plutôt que de réveiller des vieux noms... Tu as mieux à faire, bien mieux !

#12 [fr] 

Des jours qui suivirent et du long chemin qui ramena la fyrette vers les Nouvelles Terres, il n'y eut pas grand-chose à dire. Ou peut-être qu'il y aurait eu trop à dire. La jeune femme et le vieillard s'étaient compris sans se parler ; ou peut-être chacun d'eux avait cru comprendre ce que l'autre disait dans son silence. Rien de tout ça n'avait d'importance. Elle avait trouvé ce qu'elle cherchait sans le savoir. Il la guida pour retrouver ceux qu'elle aimait plus que tout, la faisant passer par les Primes les plus secrètes, admirant des choses dont elle se demanda, par la suite, si elle les avait rêvé.

Un jour elle reconnu le lieu où ils arrivèrent. Le voyage était fini. Elle prit la main du vieillard, partageant un moment d'intense communion avec lui.
-Nos chemins se séparent ici... pour le moment.
-Oui, pour un temps. L'Écorce attend. Ils doivent savoir. Autant qu'ils peuvent en entendre.

Elle sourit, déposant un baiser tendre sur ses lèvres, savourant la lueur malicieuse de ses yeux. Puis elle s'apprêta à partir.

Cependant, au bout de quelques pas, elle se retourna et lui demanda :
-Les gens d'ici m'ont connu autrefois sous le nom d'Anyume. Quel nom dois-je leur donner à présent ?
-Les noms... les noms ont trop d'importance et n'en ont aucune. Nous savons qui nous sommes mais nos noms embrouillent souvent les choses. Anyume est un joli mot, qui garde son sens dans plus d'une langue. Il n'est pas plus mauvais qu'un autre, pas meilleur non plus.

Après quelques pas de plus, elle hésita, se demandant si elle devait révéler les "noms" avant de rire doucement. Elle lui envoya un dernier sourire, puis marcha droit devant elle, gardant dans son cœur le cadeau que les Primes lui avaient offert. Une liberté nouvelle...


HRP
C'est fini pour le moment, si vous voulez la suite de l'histoire... même moi je ne la connais pas, elle sera en jeu ;)
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