ROLEPLAY


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#18 Multilingue 

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Journal de bord d'Azazor

2618 Dia tria quadria.... qu'importe

Je ne dors pas.

Les Yeux. Ils sont là, dans la nuit. La Bête est là aussi. Elle fait vibrer l’air de son meuglement.

Eeri dort. Mais elle a peur, je le sais. Elle tremble dans son sommeil.

Si on ne fait pas de bruit, la Bête ne s’approche pas. Mais les Yeux nous regardent. Ils attendent qu’on s’endorme pour se rapprocher. La technique, c’est de dormir assis. Comme ça, les Yeux ne savent pas qu’on dort et ne se rapprochent pas.


Nuptina 3450 après Dexton

Je ne dors pas.

Eeri pousse un gémissement. Elle doit rêver des Yeux. Ou de la Bête. Le jour, elle ne me croit pas. Mais la nuit… la nuit même les plus irréductibles finissent par voir l’indicible.


3450 après la mort de mon père

Encore une nuit à veiller et dormir assis. Demain, nous quitterons je l’espère LEUR territoire.

On va partir oui. J’ai vu la tour ce matin à l’aube. L’espace d’un instant avant que la brume la recouvre. Une tour penchée, tordue, comme un mauvais rêve.
Eeri ne sait pas. Je n’ai rien dit. Si c'est une hallucination ??? Et puis, j’aime voir Eeri trembler dans son sommeil.Tu as peur Eeri ? Tu as peur des Yeux n’est-ce pas ? Tu ris le jour, mais la nuit… La nuit ils t’observent toi aussi. Ils voient que tu dors.

MOI AUSSI je te vois dormir Eeri

Fragile                 Faible                        Seule dans tes rêves


2799 après la mort de Lykos

Des pas                 le vent                        crac fait l’écorce. L’écorce aux pieds de géant. La Bête bouge. Elle se déplace. Mais la Bête n'est pas seule, d'autres monstres la traquent. Ou ce sont ses enfants?

Et il y a les Yeux. Les Yeux savent que je ne dors pas. Je ne dormirai pas ce soir.
Elle                     Dors Eeri           Je veille                 Pour ne pas que les Yeux nous emportent
Crrrrrrrrrr écorce écorce crac petite écorce, craque sous les pas de la Bête.


3000 années après la naissance de la Bête

Eeri tu vois la Bête ? Elle se déplace. Ils y a ses petits aussi, qui grognent à côté d'elle.

Crac Crrrrrrrrrrrrrr kkkkk l’écorce l’écorce l’écorce vient jouer sur l’écorce

Si tu fermes les yeux tu as perdu. Ne ferme pas les YEUX

Eeri tu dors ? Moi pas. Jamais. Je regarde. Je TE regarde. Et j’écoute l’écorce qui craque craque craque sous les pas de la Bête et de ses enfants.

Demain nous serons liiiiiiiiiiibre


9310 après la mort d’Eeri

Cette nuit je vois le phare. Et la Bête elle dort avec Elle. ELLE ! Nous dormons tous ensemble.

Crac Crac crrrrrr fait l’os brisé.
Un matin je verrais la tour. Fort le phare. Toute tordue, je l'ai vu en rêve.

Un matin trois jardins fait le tour du gradin Crac Crac une shooki deux shookis c’est le fête à Eeri

Eeri tu dors ? Tu DORS ? Pour toujours ? Et Moi ? Je dors ? Je DORS ? JE DORS ???

Edité 2 fois | Dernière édition par Azazor (il y a 1 an).

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#19 Multilingue 

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Journal de bord d'Eeri
Date? 2618 - ...

Fort-le-phare.

J’avais perdu espoir de réécrire un mot dans ce journal.
Où commencer? La fatigue me fait perdre la notion du temps, et la notion des choses qui nous entourent. Je vais essayer de reprendre où je m’étais arrêtée. Azazor est toujours plongé dans ses pensées.

La lumière. Nous avons aperçu cette lueur, au loin, dans l’obscurité profonde. D’abord très diffuse, comme un reflet sur le ciel ou la canopé. Nous l’avons suivie, oubliant de chercher d’autres repères.
L’obscurité. Comparé à ce trou, le couloir brulé est une promenade de santé, les kitins en moins. La brume quasi permanente qui règne ici rend l’orientation sur les astres quasiment impossible. Après avoir vu cette lueur, nous avons marché encore plusieurs jours, ainsi qu’une partie de la nuit quand la brume se dissipait, car la journée nous perdions ce repère précieux. Je ne saurais dire combien de jours.

Azazor n'a rien dit. Il me regardait avec ses yeux de plus en plus fous, et marchait. J'ai discrètement gardé ma hache à portée de main, et je n’ai dormi que d’un oeil. Il avançait bien, le bougre, mais son esprit semblait ailleurs. Sans doute le manque de nourriture. Mais la lumière au loin a fait renaître l’espoir en nous, même en lui. Même s'il n'a rien dit.

Alors que la lueur est devenue plus concrète, nous sommes soudainement arrivés en bas d'une falaise. Nous avons escaladé, le chemin était relativement aménagé, plus facile que j’avais pu prévoir. Notre pauvre mektoub a même réussi à nous suivre, je ne saurais expliquer comment. Plus tard, lorsqu’il a compris que nous étions arrivés, il s’est écroulé. Il a du sentir notre soulagement. J’espère qu’il s’en remettra. Une bête comme ça, c’est irremplaçable. Au point où on en est, s'il claquait, ça me ferait quelque chose de le bouffer. Un pincement au coeur. Non, je ne pourrais pas.

Et donc, nous sommes arrivés. Comment décrire l'endroit? Au fur et à mesure que nous nous approchions, je me suis rendue compte que le village n'était pas juste au bord de la falaise, comme je l'avais imaginé. La lueur, encore haute au dessus de nos têtes, semblait toujours sortir de la canopée. Nous avons continué, et sommes arrivés à ce que je pourrais appeler le village lui-même. Il est comme encerclé dans une énorme souche, mais sans aucune racine. Comme un arbre gigantesque. La lumière rayonne étrangement dedans. Il doit s'agir d'une magie puissante que je n'avais jamais vue auparavant.

Puis un tryker est venu vers nous, non armé, il semblait néanmoins sur ses gardes. Relativement massif, il était habillé d'un genre d'armure que je n'avais jamais vue auparavant.
"Nous venons des nouvelles terres", j’ai dit, sans réfléchir. Azazor est resté silencieux, derrière moi.
Le tryker a levé un sourcil, étonné : "Des nouvelles terres?"
Son accent était différent de ce que j'avais pu entendre jusque là. Il a fait signe à deux homins que je n’avais pas vus. Ces derniers sont sortis de l’ombre et se sont approchés de nous, les armes à la main, sans pour autant nous menacer.
"Maraudeurs?" a dit l’un d’eux, un Zoraï au masque buriné.
J’ai répété : "Nouvelles terres. Pas maraudeurs."
J'ai senti qu'ils ne me croyaient pas, mais ce qui me restait de discernement a pris le dessus.
"Nous avons du prendre un détour", j’ai fait. "Et nous sommes revenus ici"
Le Zoraï s’est approché de notre mektoub, l’a observé un moment, puis a reposé les yeux sur nous.
"ça m’a tout l’air" il a dit, avant de faire un signe de tête au tryker.
Azazor s'est alors approché de l'un des gardes et l'a regardé avec des yeux à moitié révulsés.
"les Yeux... la Bête... ils peuvent rentrer ici ?"

Je ne peux pas savoir quelle tronche atterrée j'ai dû faire en entendant la voix d'Azazor, lui qui n'avait pas dit un seul mot depuis des jours, ou des semaines... Les homins ont rigolé un coup, et se sont adoucis.

Le tryker s’est finalement approché et a repris la parole : "Nous avons peu de voyageurs. En général ceux qui arrivent d’où vous venez ont l’air un peu plus… enfin... Vous m'avez l'air trop armés pour de simples voyageurs, et trop inoffensifs pour des maraudeurs." Il a sourit.
J’ai hoché la tête, ne sachant quoi faire d’autre. Puis il a continué en regardant Azazor qui restait planté là :
"Lui, c’est le bras armé ? Ce qu’il reste de vos troupes? Il y a d’autres homins?"
J'ai secoué la tête, pour lui signifier que nous n’étions en effet que deux. D'un ton presque facétieux, à moins que ce ne soit cet accent étrange, Il a dit quelque chose du genre :
"Quoi, un armadaï a mangé votre cristal ?"
Voyant que notre réaction n'était qu'un regard confus, il ajouta :
"Bon. Alors vous êtes encore en vie, on va dire que c’est de la chance. Vous restez la nuit et rentrez chez maman?"

Ils nous ont observés encore un moment, puis le zoraï et son comparse se sont éloignés. J'ai cru les entendre rire, l'un deux disant quelque chose du genre : "définitivement pas des maraudeurs, ils se seraient déjà énervés. Des mous des nouvelles terres… ça nous changera"
Ils ont rit de nous, et peu importe. Un rire. Les derniers jours, j'aurais donné mon âme pour un rire.

Le tryker nous a fait signe de le suivre. Nous avons passé des murs épais. Il me semble qu'Azazor a redemandé quelque chose à propos des yeux, de la bête. Le tryker a expliqué que le village était un endroit sûr. J'essayais de concentrer toute mon attention à observer ce qui nous entourait, malgré la fatigue. Il nous a mené vers une petite pièce, pas loin de l'entrée. Je ne peux décrire en quoi les murs sont fabriqués. Un coté de cette chambre ressemble à un gigantesque morceau d'écorce, de l'autre coté le mur semble être un enchevêtrement de lianes et de boue séchée. Quelques lits sont installés. Des lits !! J'ai failli pleurer quand j'ai réalisé que je n'avais pas dormi dans un véritable lit depuis presque une année déjà.

Puis on nous a apporté de la nourriture et de l’eau. Un autre a amené de quoi faire boire notre mektoub, puis l'a emmené, sans doute vers une étable. Il est aussi mal en point que nous, j'espère qu'il passera la nuit. J'ai amené tous nos sacs, dont celui du mektoub, dans ce qui nous servira de dortoir. Azazor a avalé ce qu’on lui a servi, puis s'est allongé, sans me dire un mot. Il s'est sans doute vite endormi.
Les homins ne nous ont pas beaucoup plus parlé. Ils nous observent, un peu étrangement, mais sans animosité. L'endroit est calme, silencieux, si l'on excepte le sifflement du vent qui nous apporte les réminiscences de lointains et étranges hurlements.
Lorsque le tryker est revenu, je lui ai fait comprendre que je voulais parler. Il nous a regardés, Azazor alongé et moi. Puis il nous a dit de nous reposer, avec un je ne sais quoi de bienveillance dans la voix. Nous parlerons demain. Je lui ai dit nos noms, et il nous a dit le sien : Kickan. Mac'opin Kickan..

Maintenant, j’ai juste la force de terminer l'écriture de ces lignes. Je lui demanderai la date demain. Je tombe de sommeil et pour la première fois depuis des semaines, je sais que je réussirai à dormir.

Edité 2 fois | Dernière édition par Eeri (il y a 1 an). | Raison: NOTE : Traduction en Anglais par Nilstilar ! English Translation by Nilstilar

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Eeri
"Quand on a le nez trop près de la bouteille, on ne voit plus le bar"

#20 Multilingue 

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Petit point d'étape:

Azazor et Eeri se trouvent actuellement à Fort-le-Phare, où ils se reposent après un long et harassant périple sur la route d'Oflovak, avec un détour par la mer de bois où ils se sont perdus. En vert, le chemin déjà parcouru.

Edité 2 fois | Dernière édition par Azazor (il y a 1 an).

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#21 Multilingue 

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Journal de bord d'Azazor

J1

La première chose que j’ai vu depuis que je me suis effondré de fatigue, c’est le plafond de la salle où je me trouve allongé. Un plafond très bas, où un zoraï tiendrait à peine de debout. Sur ce plafond, mais aussi sur les quatre murs de la salle, sont gravés des noms, probablement d’homins de passage, mais aussi des dates, des symboles, certains faisant penser à ceux de la rue Arispotle à Pyr. J’ai vite pris mon sac et sorti un cuir de varinx pour noter tout ça, avant qu’un fyros n’arrive et me demande de le suivre.



Il m’a demandé si j’avais bien dormi. J’ai rien dit. Bien dormir est un euphémisme. Dormir, c’est forcément bien. L’homin m’a emmené dans une autre pièce, plus grande, où j’ai pu retrouver Eeri. Elle m’a accueilli avec un sourire. Il y avait aussi une zoraï. Puis on m’a tout expliqué. L’arrivée à la tour dans un état déplorable, moi qui demande à un garde si les Yeux et la Bête peuvent rentrer dans le camp, leurs éclats de rire. Et… trou noir. Je me suis endormi pendant une journée entière.

Je n’ai jamais eu aussi peur de ma vie. Je crois en fait que je n’avais jamais eu peur avant ça. Comment nous, homins des nouvelles terres, habitués à ne pas mourir sous les coups, habitués à notre environnement, pouvons-nous savoir ce qu’est la peur ? Sans les puissances, nous sommes si faibles. Et pourtant… Pourtant cette tour existe. Il y a des homins qui vivent là, dans cet endroit inhospitalier, sans puissances pour les aider. Et je leur demande si les yeux peuvent rentrer ici… Mais quel toub !

On a encore un peu discuté avec le fyros et la zoraï, puis je suis retourné dans le dortoir des voyageurs, prétextant avoir des choses à revoir. En fait, j’avais honte. Moi, Azazor, akenak, ancien légionnaire, j’ai honte de ce que j’ai été dans ce désert qui rend fou. Une loque, un moins que rien. Sans Eeri, je serai mort.

Maintenant que j’ai dormi, je dois me reprendre. J’irai faire le tour du propriétaire, noter tout ce que je peux, interroger du monde aussi. Je dois savoir ce qu’il y a réellement dans la Mer de Bois. Sur akash, Azazor ne faiblira plus.


J2

La zoraï est l'intendante de Fort-le-Phare. Elle a été nommée par le conseil ranger qui administre la Halte de Oflovak. En fait, ici, c'est une sorte d'antenne de l'Halte. Son nom est Tao Shin, 73 ans, ce qui d’après les homins ici est plus que vénérable. Avec l'absence de résurrection, la durée de vie sur la route d’Oflovak est bien plus courte que dans les nouvelles terres. Le fyros, c’est Barylus Abythan, chef des gardes. Il m’a dit que ceux-ci ont bien rigolé quand ils nous ont vu arriver. Ils ne nous ont pas cru quand Eeri leur a dit qu’on venait des Nouvelles Terres. C’est rare les homins passant par là qui ne soient pas rangers ou marauds. Alors venant des Nouvelles Terres, c’est du jamais vu de mémoire d’homin. Tao Shin m’a dit que dans les archives, il y a quelques noms d’homins comme ça. Mais elle n’était pas née et n’a pas pu les connaître. La plupart des voyageurs sont rangers. Quelques maraudeurs de temps en temps, mais aussi des émissaires ou des bannis d'autres tribus des environs, du moins ceux qui ne sont pas morts en route. Parce que oui, il y a des tribus implantées de-ci de-là le long de la route, surtout au nord de Fort-le-Phare. Certaines entretiennent d'ailleurs de bonnes relations avec eux. Le marchandage est régulièrement pratiqué.

Du coup, on nous a questionnés, que ce soit sur les Nouvelles Terres, qu’ils connaissent un peu grâce aux témoignages d’autre rangers, ou sur le but de notre voyage. Quand on leur a dit qu’on voulait aller jusqu’au désert de l'ancien Empire fyros, de l’autre côté de la Citadelle, ils ont cherché à nous en dissuader. Il paraît que traverser la Mer de Bois sans guide, c’est du suicide (et ne parlons pas du reste de la route). Plus on reste de temps dans cet endroit, plus on perd en vitalité. Il faut aller vite, et donc il faut suivre les balises avec soin. Mais entre la fatigue, l’absence de repère à cause de la brume et les prédateurs, c’est impossible pour des novices comme nous. Si on a survécu, c’est miraculeux.

Justement, les prédateurs (la Bête et les Yeux…), c’est pas ce qu’on croit. Le genre de craquement plaintif qu’on entend, le même que celui qu’on pouvait entendre en bord de falaise dans les Nouvelles Terres, c’est Armadaï. Enfin, c'est comme ça qu'ils l'appellent ici. Il parait qu'il a d'autre nom ailleurs. Mais c'est toujours la même bête. Pour faire simple, c’est une sorte d’arma géant, mais pas tout à fait. Plus long, mais avec des pattes plus courtes. Herbivore pour le coup. Voilà ma Bête, celle qui fait trembler l’écorce. Juste un bon gros herbivore, plus gros toutefois que nos plus grands shalah. Faudra que j'en vois une de plus près pour me faire à l'idée. Ce qu’on doit craindre par contre, c’est les prédateurs de ces armadaïs (les Yeux...). Des yetins, de type bien coriace. Ils viendraient des îles de la Mer de Bois ou du Continent Verdoyant (c'est comme ça qu'ils appellent l'endroit où on est, ou alors Forêt Ancestrale). Contrairement aux armadaïs, ces yetins ne sont pas fait pour vivre dans la Mer de Bois. Eux aussi ça les tuerait d'y rester trop longtemps. Et s’ils nous ont épargné lors de notre petit périple dans la Mer de Bois, c’est juste un coup de chance. Barylus m’a expliqué qu’ils chassent en meute les armadaïs. Quand ils chassent, c’est là qu’on a le plus de chance de s’en tirer. On ne représente pas grand-chose à se mettre sous la dent par rapport aux armadaïs. Le risque, c’est si on passe à côté d’une meute qui n’est pas en pleine chasse. Il y en a toujours un ou deux pour se faire un petit en-cas opportuniste. Mais a priori, pas de risque d'en croiser dans la mer de bois sans qu'ils soient en chasse. Ceci dit, vaut mieux éviter de les croiser quand même.

Bref, on a eu droit à un topo sur la Mer de Bois. Ils nous ont bien sûr parlé de la Halte d’Oflovak. C'est une île assez tranquille, sur laquelle la ville de La Halte a été construite il y a très longtemps par les descendants des premiers Rangers. Ils ont bien insisté sur le fait qu’il serait impératif, si on voulait malgré tout poursuivre notre voyage, d’y passer avant de continuer vers l’Avant-Poste Diplomatique de la Falaise Nuageuse, ne serait-ce que pour se reposer et ne pas devenir fou dans la Mer de Bois. Ça m’a fait tiquer. Effectivement, j’étais en train de devenir fou. Mais maintenant que je sais mettre un nom sur ce que j’ai entendu là-bas, j’aurai moins peur. C’est la peur qui rend fou. Surtout quand on ne l’a jamais vraiment éprouvée.

Ils nous ont dit qu’on pouvait rester ici quelques jours, le temps de nous remettre d’aplomb et surtout de bien peser notre choix sur continuer ou non le voyage vers l’est. Puis ils sont retournés à leur fonction, nous laissant là, Eeri et moi, avec encore tout un tas de questions sans réponse. Moi, ce que j’aimerais savoir, c’est quels homins des Nouvelles Terres ont réussi notre exploit de venir jusque-là ? Et qu’est-ce qu’ils cherchaient ?


J3

Mac'opin Kickan, le tryker qui nous a reçu à notre arrivée ici, et avec qui Eeri a beaucoup sympathisé, nous a fait une petite visite des lieux.
La tour est un morceau de canopée qui serait tombé et resté planté dans l'écorce. Leur hypothèse est que le morceau est longtemps resté à moitié attaché au reste de la canopée, ce qui lui a permis de se stabiliser avec la pousse de la végétation adjacente. Heureusement aujourd'hui, la tour est totalement solidaire. Donc pas de risque qu'elle s'effondre malgré qu'elle soit penchée. D'ailleurs, au vue du relief très accidenté autour de la tour, il doit y avoir une quantité de débris de cette canopée aux alentours, depuis recouvert par la végétation. La chute doit avoir eu lieu il y a au moins plusieurs siècle. C'est donc à l'intérieur de cette racine que ces descendants de rangers ont construit leur habitat, en creusant tout un tas de cavités dans la racine. On y retrouve des dortoirs comme celui où on loge, des salles de vie et même un bar, le tout relié par des boyaux étroits, des escaliers taillés à même le bois et des échelles. Tout en haut de la tour se trouve le bureau de l'intendante Tao Shin.

On a aussi pu visiter le phare en lui-même. Il s'agit d'un gigantesque brasero et d'un ensemble de miroirs et de... de quoi? Des trucs qui déforment la vue quand on regarde dedans. J'ai pas posé la question sur leur nom. Mais c'est constitué de matières totalement inconnues. Il parait que ça vient d'une épave d'un vaisseau de la karavan, retrouvée au nord du Continent Verdoyant il y a un siècle environ. Du haut de la tour, on peut voir l'Arbre Éternel à l'ouest, émergeant au dessus du couvert végétal. D'après le tryker, il y a là bas des animaux très hostiles et particulièrement gros. Lui n'y ait jamais allé, donc il ne sait pas trop, mais d'après ce qu'on lui a dit, il y a aussi des homins qui y vivent, et même des tribus de gibbaïs. Cependant, c'est assez compliqué à confirmer, les rangers y allant rarement. Pourtant, il y aurait des ressources extrêmement rares dans ces terres. Il nous a aussi expliqué que d'autres arbres de ce genre, que certains appellent Arbres Ancestrales, existent ailleurs, loin de la route d'Oflovak. Mais il a été bien incapable de me dire où ils sont. Ou alors, il n'a pas le droit de le révéler?

Tout ce que je peux dire, c'est que de là-haut, Atys est bien plus grande qu'on ne peut l'imaginer. Ce sont des forêts donnant sur d'autres terres nues, des îlots de vie, des reliefs, des plaines désolées. Un monde si vaste, si... inconcevable? On n'a pas idée de l'immensité tant qu'on n'a pas vu ça.

Après cette belle visite, Kickan nous a proposé de le rejoindre ce soir au bar. Il nous fera goûter la spécialité de la route d’Oflovak : le baba.


J4

Gros mal de crâne ce matin. Son foutu baba, mais qu’il se le garde ! J’ai rarement bu un truc aussi insipide. Même la byrh de Lorlyn a plus de goût. Le baba, c’est un alcool fait à partir de graines de balogna, une sorte de buisson rustique de la forêt. On pile les graines, on laisse macérer avec de l’eau puis on y met un peu de sciure pour la conservation. On a à boire et à manger avec ça. Alors oui, je comprends que ce soit utile quand y'a rien à manger, surtout que ça se conserve assez longtemps. Mais de là à boire ce truc par plaisir… En plus ça bourre très peu. C’est pas immonde, mais c’est pas la joie à boire. Et si j’ai mal aux cheveux ce matin, je suis sûr que c’est leur baba. Avec Eeri, on a hésité à sortir la fiole d’essence d’ocyx qu’on a réussi jusqu’ici à préserver miraculeusement de la casse. Mais on s’est dit que c’était pas encore l’occasion de fêter ça. On n’a même pas fait la moitié du chemin.

Ceci dit, c'était une bonne soirée avec le Kickan. Il est né à la Halte d'Oflovak, comme la plupart ici. Puis, après avoir commencé comme garde là bas, il est monté en grade. Il y a 5 ans, il est venu comme officier ici. De temps en temps, il repart à la Halte. Il est officier de liaison, principalement. La plupart des rangers ici ont plusieurs postes à la fois. Lui, c'est surtout la liaison avec la Halte (courriers, quelques marchandises). Il s'occupe aussi de l'entretien des balises dans cette portion de la route. Il nous a d'ailleurs proposé de nous accompagner dans quelques jours jusqu'à la Halte. Il a justement quelques messages à apporter, principalement des messages personnels des homins à leurs familles restées à la Halte. Bref, c'est un chic type et Eeri s'entend bien avec lui. Faut l'entendre glousser à chaque fois que Kickan sort une blague. Ils ont un humour particulier ces rangers...

Dernière édition par Azazor (il y a 1 an).

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#22 Multilingue 

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Journal de bord d'Eeri
Winderly 14, 1st AC 2619

Si seulement j’avais la moindre idée de ce qui nous attendait.
Fort-le-phare, dans mon imagination, c’était un petit camp, au bord d’une falaise, perdu dans un environnement des plus hostiles, un peu comme le camp des Veilleurs. Un brasero fixé en haut d’une pique, sur une butte, en hauteur. Une bande de rangers acariâtres et rudes, luttant contre les éléments. Trois tentes, un feu de camp.
Nous avons découvert une petite ville, construite à l’intérieur d’un morceau de canopée, illuminée par une magie incroyable. Je ne m’attendais pas à avoir un choc pareil avant de voir les remparts de Fyre. L’étage supérieur, là d’où la lumière vient, est un habile enchevêtrement d’objets, les "lentilles" d’un vaisseau Karavan, apparemment accidenté et pillé il y a plusieurs siècles, comme nous l’a expliqué l’intendante du camp. Des objets qui reflètent et amplifient la lumière d’un grand brasero. J’ai pu observer l’un de ces objets, de près, l'une des lentilles qui était un peu cassée. On peut y voir à travers, d’une certaine façon, comme s’il s’agissait d’eau solidifiée, incrustée dans un grand anneau fait de la matière étrange des vaisseaux Karavan. En observant Azazor à travers ça, j’ai ri, il semblait avoir repris le poids qu’il a perdu ces dernières semaines. Oy, on a tendance à flotter dans nos armures, il faut dire.
L’intendante a eu beau m’expliquer qu’il n’y avait aucune magie dans ces objets, je reste à penser qu’il s’agit d’une sorte d’amplificateur, comme ceux que l’on porte, mais spécialement pour la lumière. Quelque chose de magique qui déforme la réalité. J’ai demandé s’il serait possible de prendre l'un de ces fragments de lentille avec moi… Puis réfléchissant un instant, sentant l'oeil lourd d'Azazor, j’ai ajouté : "sur le chemin du retour... On est déjà assez chargés comme ça". Elle a sourit, et m’a proposé d’en reparler lorsqu'on reviendra.

L’intendante, Tao est une homine d’un calme incroyable. Elle a demandé des nouvelles des Nouvelles Terres, et nous a écouté sans vraiment s’impressionner de quoi que ce soit. J’ai raconté ce que je pensais : un empereur fyros grabataire et sans descendance, la théocratie toujours terrifiée dès qu’un yubo pète de la goo, des trykers qui mettent le nez partout… On a pas vraiment parlé des matis. Azazor a donné quelques autres nouvelles, peut-être un peu moins désabusées que les miennes. L'homine nous observait, et semblait s’amuser de nos personnalités diamétralement différentes. Nous avons évoqué le nexus aussi, le tremblement d’écorce, les gibbaïs, des matières premières, sujet qui a suscité plus d’intérêt de sa part. Azazor a aussi raconté sa chute dans la faille, sa fameuse rencontre avec fyrak. Tout comme moi, Tao n’a pas caché ses doutes. Il a alors sorti un objet, qu’il gardait visiblement dans une poche de son armure, tel un conteur exhiberait une preuve. "J’ai ramené ça" il a dit. "Une dent, qui s'est incrustée dans mon armure quand j'ai donné un coup de lance dans sa gueule béante". Une dent de fyrak, d’une matière aussi froide que les éclats de vaisseau karavan que nous avions observés plus tôt. J'ai regardé Azazor avec étonnement, mais n'ai rien dit de plus.

Puis j'ai expliqué à Tao avoir été ranger, pendant des années, avant de rejoindre les drakani pour servir la fédération des lacs. J’ai demandé pourquoi les rangers ici n’utilisaient pas de tunnels pour se déplacer. Sa réponse était si évidente, je me suis sentie idiote. Les tunnels sur les Nouvelles Terres ne font tout au plus que quelques kilomètres, et il s’agit toujours d’un moyen de transport dangereux, même s’il est bien maîtrisé. De plus, les accointances des rangers d’Almati avec les deux puissances font qu’un homin sera de toute façon ramené, si quelque chose tourne mal. Ici, les distances à parcourir sont infiniment plus grandes. "Nous avons développé et cherché ces passages", elle a dit, "mais nous avons eu trop de pertes. Chez nous, un homin qui reste coincé dans un tunnel n’a aucune chance de revoir la lumière de la surface."

Bref, nous avons beaucoup parlé avec l’intendante, et avec Kickan aussi, autour de quelques boissons.
Azazor est relativement moins bavard avec lui. Pour ma part, je l’aime bien ce tryker. Il faut dire que j’avais pris l’habitude d’en être entourée, ces dernières années. Je me rends compte que ces filous de drakani me manquent un peu. Il faut croire que Kickan a le même humour caustique et sincère. On a ri en comparant son accent à celui des nouvelles terres, Il a expliqué que les rangers ici parlaient le dialecte ranger entre eux, et qu’il est possible que le tyll et les autres langues homines aient eu moins d’occasion de se déformer avec le temps. On a aussi goûté à leur alcool local, le Baba, et j'ai essayé de lui faire goûter un reste du pain d’épice d’Eolinius, un peu sec maintenant. J’ai dû lui expliquer que c’était une spécialité de chez nous et que c’était bien meilleur frais, rien à faire. Même trempé dans le baba. Bon, faut dire que c’était sec comme un casse-croute de légionnaire.
Quand je lui ai demandé pourquoi tant d’homins vivaient ici et pourquoi ils ne venaient pas habiter dans les Nouvelles Terres, il m’a répondu :
"Pourquoi partir d’ici? Aller nous entasser dans les Nouvelles Terres, devoir respecter les caprices de vos empereurs et rois… Et puis, si nous ne restons pas, qui fera notre travail ici? Recueillir les imprudents dans votre genre? " Il a ri, j’ai ri aussi. Azazor pas trop.
Puis il a ajouté avec un sourire : "la Halte d’Oflovak compte au moins 10 fois plus d’homins qu’ici, et pourtant on a assez de place pour tous. Vous verrez ça bientôt. Nous y partons dans cinq jours"
Nous avons ouvert de grands yeux et attendu son explication : "Il me tardait d’y retourner. Je viens d’obtenir de Tao l’autorisation de faire la prochaine liaison à la place de Pad’ocett et de Laniolle. Nous partons toujours au moins à deux normalement, et mon équipier habituel a d'autres tâches en ce moment. Mais comme vous serez sans doute du voyage… Nous serons assez de trois."
On a souri. Cinq jours, c’était assez pour qu’on se remette totalement sur pied.

Un peu plus tard dans la soirée, alors qu’Azazor commençait à dormir debout, ou qu'il râlait dans son coin comme à son habitude, j’ai demandé nonchalamment si l’île d’Oflovak comptait des Trytonistes. Il a hoché la tête et souri : " Oh, ceux qui combattent les puissances des Nouvelles Terres? Pas trop à la Halte, non. De ce que je sais, ils se réunissent à Sombre Rive pour échapper à la Karavan. C'est leur repère. Et puis, s'ils viennent jusqu'ici, ils n’ont plus de raison d'être Trytonistes. Il n’y a pas de puissances ici"
J’ai répondu que, de ce qu'il me semblait, il ne s’agissait pas vraiment de livrer un combat, qu’ils n’attaqueraient pas les puissances de front et qu'ils tentent surtout de maintenir un certain équilibre. Il a rit, s’est levé et a fait quelques pas titubants (ou était-ce une danse?) vers le bar. "l’équilibre, on est les rois de l’équilibre, ici !". Il est revenu avec d’autres doses de baba.
Lorsqu'il s'est assis, son regard s'est ostensiblement posé sur ma main, celle où cette tache noire reste incrustée dans ma peau. Je me suis figée, ramèch de toub d'idiote que je suis d'avoir oublié de porter un gant. Puis ses yeux se sont posés sur moi, et il m'a regardée profondément un moment. Je suis restée silencieuse, avec l'impression qu'il lisait mes pensées. Après un moment, il a tendu une fiole de baba, a sourit et dit :
"Tu sais ce que dit un zoraï qui se cogne sur une table de bar?"

"Tahi !! Ça va encore me faire un bleu"

*****

Aujourd’hui, j’ai pu accompagner deux rangers, un fyros et un matis, pour un tour de garde autour du fort. C’est une tâche qu’ils accomplissent très régulièrement. Azazor est resté à la tour pour tenter d'accéder aux archives. Il veut savoir quels homins des Nouvelles terres sont passés par là. Il faut croire que ça l'obsède.
Nous avons commencé par faire le chemin jusqu’à la falaise, celui que nous avions emprunté en arrivant. Cette fois, ça m'a paru être une distance beaucoup plus courte. Nous devions vraiment être dans un état lamentable en arrivant. Ils ont inspecté le chemin et les éventuels signes au sol, expliquant que dans de rares cas les prédateurs de la mer de bois s’étaient aventurés jusqu’ici, laissant de nombreuses traces de griffes dans la sciure. Ceci aurait pu être le signe d’une agitation inhabituelle. Dans ce cas, nous devrions repousser notre départ vers la Halte. Mais tout semble calme et habituel en ce moment, m’ont-ils dit.
Ensuite, nous avons longé la falaise vers le nord. Ils ont noté deux ou trois glissements de terrain, fréquents dans cette zone et sans grande gravité. D’un endroit, nous avons eu une vue imprenable et dégagée sur la brume de la Mer de Bois. Le temps était relativement dégagé. Ils m’ont montré une zone, au loin, une trainée de brume qui semblait s’élever un peu plus, comme si elle était remuée par une agitation au sol. "Ils sont en chasse" m’ont ils dit. "Cette zone au nord est l’une des plus dangereuse, plus on remonte, et en général, plus on est proche d’une falaise où se trouve une rampe d’accès". J’ai plissé les yeux, pour essayer d’observer. "Ils sont à 7 ou 8 kilomètres, tu n’y verras rien de plus. En bas, nous nous repérons surtout à leurs cris."

Les prédateurs ne restent pas dans la zone, m’ont-ils dit plus tard. ils y viennent seulement chasser et se nourrir, en meute. C’est aussi parce qu’il est difficile de survivre à mesure qu’on s’enfonce vers le centre de la Mer de Bois, phénomène que les homins ressentent aussi. Seul l’Armadaï et quelques autres créatures aussi étranges que discrètes y vivent. Les meutes viennent en général du nord, parfois du sud, et les rangers soupçonnent qu’une ou deux meutes auraient trouvé refuge sur l’un des îlots en hauteur, un peu plus au sud. La falaise de Fort-le-Phare n’étant pas adaptée pour les griffes de ces sortes de grands yetins, ils ne s’y aventurent que s’ils sont surpris par de forts orages ou tempêtes de sciure.

Nous avons laissé la falaise et pris la direction des terres. Ils ont pointé l’horizon, droit devant nous :
"l’arbre éternel est dans cette direction. Par temps très clair, comme aujourd'hui, nous en voyons la cime depuis le haut de la tour."
À mesure qu’on avançait dans les terres, nous passions d’une zone désertique à une sorte de jungle. Nous sommes arrivés dans ce qu’ils appellent les souches dormantes. Un endroit qui m’a tout de suite rappelé le couloir aux écorces, entre Pyr et l’Oasis d’Oflovak, mais couvert d’une végétation dense et variée. Il s’agit de résidus des morceaux de canopée tombée, lors de la formation naturelle du Fort. Une multitude d’écorces, certaines gigantesques, tombées du ciel il y a des siècles. Autant dire, je suis restée émerveillée par cet endroit. Les rangers sont restés sur leur gardes, car les jugulas s’aventurent parfois jusqu’ici pour chasser les petits herbivores qui y vivent. J’ai ramassé quelques spécimens de feuilles, de petits arbres inconnus sur les Nouvelles Terres, ainsi que quelques petits morceaux d’écorce.

Puis nous avons continué, en restant à distance du fort, et sans vraiment le perdre de vue, décrivant un large cercle. Les deux rangers ont observé plusieurs mouvements de troupeaux, des jugulas au loin, quelques groupes d'herbivores, dont des yelks très communs avec ceux de notre désert. Après une ou deux heures de marche, nous avons repris la direction du Fort, afin de rentrer.
"Pendant que nous faisons la partie nord, une autre équipe s’occupe du sud. Autrement le tour est beaucoup trop long pour être fait en une journée, surtout quand il y a des imprévus. Mais c’est une journée calme, pas grand chose à signaler."

En rentrant, j’ai retrouvé Azazor et nous sommes montés en haut de la tour, afin d’admirer la cime de l’arbre éternel, encore éclairé par la lumière du soir. Ce que nous pouvons voir n’est qu’une infime partie de ce gigantesque arbre, qui s’étend sur des milliers de kilomètres au sol. Je me demande s'il est possible pour des yeux homins de l’admirer en entier dans son immensité. D’autres rangers sont venus raviver la flamme du grand brasero qui illumine le phare. Nous les avons observés, puis Azazor est redescendu à l’appel du repas du soir. Je suis restée un moment seule en haut, à m’imaginer rester et passer la fin de ma vie dans cet endroit. Puis j’ai pensé à la route qu’il nous restait, et à tout ceux qui attendraient notre retour.
Nous repartons dans deux jours.

Il me faut encore écrire deux lettres, les sceller, et les confier à l'intendante, en espérant que quelqu'un de pas trop empoté fasse la route vers les Nouvelles Terres bientôt. L'une est pour mes amies et amis des lacs et du désert. L'autre, codée, pour Mazé'Yum, par l'intermédiaire de Nikuya pour plus de discrétion, je pense qu'elle saura le trouver. Avec l'ordre sur chaque enveloppe de ne rémunérer le porteur à l'arrivée seulement si le sceau est intact.

Dernière édition par Eeri (il y a 1 an).

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Eeri
"Quand on a le nez trop près de la bouteille, on ne voit plus le bar"

#23 Multilingue 

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Cela fait quatre jours qu’Eeri, Azazor et Kickan ont quitté Fort-le-Phare en direction de la Halte d’Oflovak. Quatre jours sans soucis, à suivre sans encombre la route traversant la Mer de Bois. Avoir un ranger qui connaît bien le chemin est d’une grande aide. Et si ce n'est la fatigue dû à la marche et surtout au milieu ambiant qui a l'air d'absorber leur énergie, la traversée n'a pour l'instant rien à voir avec ce qu'ont vécu les deux fyros la dernière fois. Ce soir, les trois homins ont fait un feu, le premier depuis leur départ du phare. Devant ce feu salvateur, ce feu qui réchauffe l’âme et le corps, Azazor est pensif. Depuis leur départ, il n’a quasiment pas parlé, restant mutique. Aussi, quand il parle ce soir-là, les deux autres homins le regardent, incrédules.

- Hmm, Kickan…
- Oui Azazor ?

Le fyros marque une pause, comme s'il avait du mal à poser sa question. Celle-ci à l'air d'embraser son esprit et ses yeux, à moins que ce ne soit le reflet des flammes du feu devant eux. Puis, dans un soupire, la question finit par sortir, comme un craquement de braise.

- Est-ce que tu crois au Grand Dragon ?

Eeri, qui jusqu'ici touillait les braises avec un bâton, s'interrompt et jette un regard à Kickan, attendant sa réponse.

- Comme tout homin, j’ai entendu parler de cette histoire. Le Dragon qui vient sur Atys, Jena qui le repousse avec sa lumière et l’envoie se réfugier dans les profondeurs. C’est quelque chose que tout le monde connaît.
- Et tu y crois ?
- Tu sais ici, on n’a pas trop le temps de se pencher sur ce genre de choses. Là d’où tu viens, je conçois qu’on puisse réfléchir aux fondements des mythes, mais ici, on pense surtout survie.

Eeri pousse un soupir en lâchant son bâton dans le feu et se tourne vers Azazor.

- Aza, j’ai une question sur ta dent de fyrak…
- C’est pas une dent, mais un éclat de dent.
- Ouais, bon, peu importe. Pourquoi tu ne l’as pas montré quand tu nous as raconté la première fois ton histoire ?
- Je ne suis pas Husyrech. Je voulais que vous me croyiez sans preuve, pour tester votre foi.

Eeri a un début de rire qu’elle réfrène aussitôt. Si elle veut faire parler le fyros, il vaut mieux éviter de le brusquer dès maintenant.

- Et puis, voyant que ça ne suffisait pas, j’ai envisagé de vous le montrer. Mais entre temps, j’avais remarqué un truc.

Il laisse passer un silence, comme s’il attendait qu’on lui pose la question. Au loin dans la brume, un armadaï pousse un beuglement plaintif. Devant l’absence de question, l'ancien légionnaire enchaine.

- L’éclat de dent semble être de la même matière que les machines de la karavan.

Eeri sourit. Elle aussi l’avait remarqué. Azazor sort l’éclat de dent d’une poche de son armure et le fait luire devant le feu.

- Quand j’ai vu fyrak, il a ouvert sa gueule et…
- Et tu lui as donné un coup de lance dans les dents, je sais, tu l’as déjà raconté.
- ney, et c’est là qu’un éclat de dent a dû s’incruster dans mon armure, car une fois que les kamis m’ont téléporté loin du dragon, j’ai remarqué le morceau de dent, fiché au niveau de mon plastron.

Kickan, un léger sourire aux lèvres, murmure une suggestion:
- ça ne peut pas être une hallucination tout simplement ?

Azazor le regarde alors intensément, comme s’il voulait percer l’intention dans les propos du tryker. Puis il se tourne vers Eeri et lui demande :
- Toi, t’en penses quoi ?
- Si c’est une hallucination ?
- ney
- Ben… je ne remets pas en doute ta bonne foi, mais je ne crois pas que tu sois descendu suffisamment profond pour tomber sur fyrak. Et encore moins pour y survivre.
- Et la dent ?
- Je sais pas.

Azazor rumine un truc inintelligible, puis ajoute:
- Vous voulez savoir le fond de ma pensée ?
- C’est bien prudent? tente Eeri, le regard amusé. Devant la mine du fyros, elle regrette aussitôt. Pourtant, sa réponse l’étonne.
- Tu as raison Eeri, c’est illogique que j’ai pu rencontrer fyrak.

Il laisse passer un nouveau silence puis ajoute :
- Mais il y a l’éclat de dent. Je pense que celui-ci est un morceau d’une machine de la karavan. Même matière probablement, donc même provenance. Alors de deux choses l’une. Ou fyrak est une création de la karavan. Une sorte de… vaisseau. Ce qui ne serait pas déconnant. J’étais déjà arrivé à la même conclusion dans mon tome 4 de la symbologie.
- La symboquoi? s’étonne le tryker.
- La symbologie, l’étude des symboles. Tu l’as lu Eeri ?
- Ouep, mais de là à te faire un résumé, comme ça à froid...
- Peu importe. Dans ce tome, j’arrive à l’hypothèse que la karavan est venu sur Atys sur le dos du dragon. cak fyr kam pyr lik, soit terre, chaleur, sève, eau, essence végétale. Notre terre, Atys, est postérieure à la chaleur du dragon. Puis la sève des kamis, l’eau et la vie végétale viennent après.

Le tryker regarde Eeri éberlués. On sent qu'il se retient de rire. Mais Eeri se fait étrangement plus sérieuse.

- Bref, première hypothèse, fyrak est une création matérielle de la karavan. Son vaisseau en quelque sorte. L’autre hypothèse est plus audacieuse.

Un coup de vent fait vaciller les flammes du brasier, avant que celui-ci ne reprenne sa combustion.

- Houla, le feu va finir par s'éteindre avec tout ce vent, s'inquiète Kickan.
- Le vent est au feu ce que l’absence est à l’amour. Il éteint le petit et allume le grand.
- Bon, au lieu de faire ton poète à deux dappers, ton autre hypothèse c'est quoi? insiste Eeri.
- La poésie est à la vie ce que le feu est au bois. Elle en émane et la transforme, lance Azazor, le regarde amusé.
- Aza !

Celui-ci regarde son auditoire. Il prend un malin plaisir à les voir dans l'attente, surtout Eeri. C'est donc ça ce que ressentent les professeurs à l'Académie Impériale, quand ils discourent devant leurs élèves captivés? Se raclant la gorge, il reprend:

- L'autre hypothèse disais-je, et bien je n’ai simplement jamais vu fyrak. Pas même de machine.

Eeri prend une grande inspiration, comme si elle allait dire quelque chose, mais le fyros enchaîne.

- La vue de fyrak serait une sorte d’hallucination. Ou un rêve. Peut-être même un rêve envoyé par les kamis. J’ai lu beaucoup de témoignages d’homins ayant parcourus les primes racines et revenus vivants. Pourtant, par où sont-ils passés ? Comment ont-ils survécu aux kitins qui grouillent en bas ? La solution la plus simple à cette énigme est qu’ils n’ont simplement jamais entrepris le voyage qu’ils décrivent. Que tout n’est qu’un rêve. Comme s’ils avaient été mis en pause par les kamis pendant quelque temps, vivant une aventure en rêve alors qu’ils gisent dans un recoin d’une faille ou d’un tunnel des primes racines.
- Les kamis seraient capables de ce genre de chose? demande Kickan, intrigué.
- Je ne sais pas. Mais les plus éveillés des zoraïs parlent de voyage. Que lorsqu’ils atteignent l’âge kami, ils ne font qu’un avec les kamis. On parle d’illumination. Ça ne me paraît donc pas improbable, bien au contraire. Sauf qu’il y a un hic.

Les deux homins lèvent un sourcil en même temps. Leur synchronisation en est comique. Ces deux-là se sont bien trouvés. Azazor ne le remarque même pas, trop obsédé par expliquer sa vision des choses.

- Le hic, c’est l’éclat de dent. Ceci dit, j’ai pu la récupérer autrement sans m’en rendre compte. Par exemple taper sur un artefact de la karavan dans les profondeurs, le genre d’artefact qu’on voit parfois sur la route des ombres, le tout en état mi-éveillé. Un rêve où tu bouges quand même.
- Ou un kami facétieux t’en a glissé un dans la poche pendant que tu dormais, suggère Kickan.

Le tryker, ne tenant plus, éclate de rire, trop content de sa blague. Eeri se met aussi à rire mécaniquement, mais on sent qu'elle essaie de se contrôler, ne voulant pas bloquer la discussion quand elle devient justement intéressante. Le fyros reste impassible, attendant que le fou rire passe. Depuis qu’il est revenu de son voyage sous terre, il a l’habitude d’être moqué. Ça le change des plaisanteries sur son ventre. Kickan essuie ses larmes tout en regardant Eeri avec des yeux rieurs. Celle-ci lui rend son sourire et tourne de nouveau sa tête vers Azazor qui continue d'expliquer.

- Rien n’est impossible. Toujours est-il que l’hypothèse la plus probable est bien le rêve. Se pose alors la question du pourquoi.

Prenant une voix de vieux sage, Kickan murmure :
- Et oui, pourquoi, telle est la question…

Eeri se retient d’exploser de rire de nouveau. Elle aimerait, bizarrement, quand même avoir le fin mot de l’histoire. Elle se mord alors la langue pour se retenir.

- Pourquoi croyons-nous au Grand Dragon ? Comment se fait-il qu’une grande partie des homins, d’où qu’ils viennent, peu importe leur religion, croit en son existence ? Ce mythe du Grand Dragon est presque aussi tenace que celui de Jena. Même chez les kamistes, la foi en Jena est encore forte chez beaucoup.
- Les kamistes jenaïstes, souligne Eeri.
- ney, et il a fallu toute la force d’un Hoï Cho pour que celui-ci soit progressivement remplacé par le kamisme des révélations.
- Et selon toi, il vient d’où ce mythe du Grand Dragon ?

Azazor ferme les yeux, comme s’il se concentrait. Puis murmure d’une voix lugubre :

-Les cendres du dragon, dans les profondeurs, ouvrent la voie vers la Vérité…
Eeri et Kickan s’expriment en chœur :
- Quoi ??
- C’est une phrase que j’avais en tête depuis mon retour des profondeurs. Une sorte de mantra. Je ne sais pas d’où ça vient. Mais je pense avoir compris ce que ça voulait dire.

Eeri pense que plus le temps passe, plus Azazor devient littéralement fou. D’un légionnaire bougon mais néanmoins valeureux, il est devenu une sorte de vieux fou déblatérant des trucs incompréhensibles. C’est donc ça, devenir vieux ? Pourtant elle est à peine plus jeune que lui. Ça ne donne pas envie de vieillir. Ou alors c'est le fait de passer son temps à la bibliothèque impériale.

- Je crois que les kamis, en m’envoyant ce rêve et en me faisant découvrir cette « dent de dragon » ont voulu me faire passer un message. Cet éclat de dent est un morceau de machine karavan. Mais tout n’était qu’un rêve, sauf cet artefact. Peut-être alors que le dragon…

Il laisse courir sa phrase et jette un œil à Eeri, qui s'agace.
-Quoi bordel ? Quoi ?
- Peut-être que le dragon du mythe est aussi un rêve. Un rêve envoyé par la karavan.

Un silence se fait soudain, seulement terni par le mugissement d’un armadaï au loin.

- Tu veux dire que fyrak n’existerait pas ? Mais t’es fou! , s’enrage Eeri.
- Je ne sais pas vraiment en fait. Mais ça ne me paraît pas si fou que ça.
- Toi, Azazor, fyros jusqu’au bout de tes ongles crades, tu viens de dire que tu ne crois pas en fyrak ?
- Je n’ai pas dit ça, j’ai dit que c’était une hypothèse.
- Parce que t’as rêvé d’un dragon et que t’as trouvé un morceau de vaisseau de la karavan en guise de dent ?
- Dit comme ça, c’est bien faible comme démonstration. Mais il y a d’autre raison de le penser.
- Comme quoi?
- Qui nous interdit de descendre dans les profondeurs ? La Karavan. A cause de quoi ? Des kitins ? Non, du Dragon. A croire que la Karavan n’avait même pas connaissance des kitins pour nous faire peur avec eux. Alors…. Alors elle a peut-être inventé le mythe du dragon. C’est bien pratique, comme ça elle passe pour la gentille qui l’a terrassé, et on n’a pas envie de descendre tout en bas.
- Et quel serait son intérêt à la Karavan qu’on ne descende pas? interroge Kickan.
- Pour qu’on ne trouve pas des trucs comme ça, répond Azazor en montrant la « dent ». Je suis persuadé que les profondeurs regorgent de ce genre d’artefact. Il y a cet artefact étrange mentionné par Pylos Cetheus dans l’ouvrage « sel ûr atalbem ûr selak », et bien sûr ceux qu’on peut trouver dans les primes racines accessible depuis les Nouvelles Terres. J’avais aussi mentionné dans un ouvrage sur les foreuses, la rumeur racontant que les foreuses remontaient des artefacts et que c’était pour ça qu’elles avaient été mises en arrêt en 2494.
- Une sorte de grand méchant pour faire peur, souffle Eeri.
- ney, mais ce que la Karavan n’avait pas pensé, c’est que les fyros aimeraient le feu. Alors forcément une grosse bête qui crache du feu, ça ne pouvait qu’attiser leur curiosité.

Il laisse de nouveau planer un silence, le temps qu’ils digèrent l’information, puis reprend :

- Vu la teneur incendiaire de cette hypothèse, tu comprends Eeri pourquoi je n'ai même pas osé aborder le sujet dans les Nouvelles Terres. La Karavan a des oreilles... Toi qui es trytonniste, tu peux comprendre...
- Que.. QUOI? Mais je suis pas tr...

Devant le sourire d'Azazor, elle s'arrête. L'enfoiré, il joue avec ses nerfs. Un point pour lui. Le fyros continue:

- Les cendres du dragon, dans les profondeurs, ouvrent la voie vers la vérité, c’est une métaphore.
- J'vais t'en foutre des métaphores, grommelle Eeri.
- Une méta quoi, demande Kickan?
- Une métaphore, une image quoi. La quête du Dragon, en somme, c’est la quête de la Vérité.

Kickan se masse les tempes en soufflant.

- Je sais pas si c’est la Mer de Bois ou tes propos, mais je commence à avoir mal au crâne.
- Ouais pareil, le coup de fyrak qui n’existe pas, c’est trop pour moi ce soir. Je vais aller me coucher, rajoute Eeri.

Se faisant elle lance un regard rageur vers Azazor. Comment peut-il savoir le fond de ses convictions? Cela se voit tant que ça? Le fyros ne la regarde pas et range sa « dent » dans son plastron, gardant les yeux fixés sur le feu.

- ney, ça fait beaucoup de chose pour ce soir. Il est effectivement temps d’aller dormir.

Les deux fyros et le tryker se blottissent chacun dans leur peau de bête. Les nuits sont fraîches ici bas. Dans la plaine désolée, un armadaï meugle pour appeler un partenaire.

Edité 2 fois | Dernière édition par Azazor (il y a 1 an).

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fyros pure sève
akash i orak, talen i rechten!
élucubrations
biographie

#24 Multilingue 

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Journal de bord d'Eeri
Tria, Harvestor 21, 2nd AC 2619

À l’heure où j’écris ces lignes, nous sommes arrivés au village de la Halte d’Oflovak. Nous sommes encore épuisés, mais déjà moins qu’en bas. Et nous avons devant nous quelques bonnes nuits de sommeil. Je n'ai pas écrit depuis longtemps, et vais essayer de reprendre où je m’étais arrêtée.

Nous sommes partis avec Kickan du fort, par une belle journée. Je dois avouer ici avoir eu beaucoup d’appréhension à redescendre dans cet enfer de la mer de bois, et le plus grand mal du monde à le cacher. La présence de Kickan était tout de même rassurante, surtout après les mots élogieux de Tao, l'intendante du fort, à son égard. J’arrivais à entrevoir qu’Azazor cachait lui aussi tant bien que mal son anxiété par un silence pesant et un peu dramatique. Notre bon mektoub, remis sur pied, nous a suivi sans rechigner, sans doute content d’avoir un peu d’exercice.

Il faut dire qu’avec un guide, le chemin est nettement plus rapide. Nous allions de balise en balise, sans en rater une seule. De temps en temps, les balises étaient écrasées au sol, sans doute renversées par un armadaï. Pas étonnant que nous nous soyons perdus… Ratez une balise, et la brume vous empêchera de trouver la suivante. C’est donc la principale tâche des officiers de liaison comme Kickan, de veiller à ce qu’un maximum de balises soient visibles. Certaines, carrément cassées, ne montent pas plus haut que notre mollet... Nous en avons redressé un certain nombre sur le chemin. C’est primordial pour cette partie de la route, qui doit être faite en un minimum de temps au risque de perdre la tête. On a vu ce que ça donne, déjà.
Kickan nous a expliqué en riant qu’à force, il pourrait sans doute faire le chemin sans balise. À vue de nez, il a effectué le chemin une cinquantaine de fois, au moins. Nous, sans balise, on balise.

Finalement, Azazor a compris quelles étaient mes convictions. Je ne saurais comment raconter ce moment, autour d’un feu, où il a quasiment renié l’existence de Fyrak, expliquant que son histoire avec le dragon n’était peut-être qu’un rêve… Finalement, il n'est peut-être pas totalement fou. Puis des théories encore plus inattendues, demandant à la Trytoniste que je suis si je comprenais de quoi il parlait. Incroyable. J’ai feint la surprise, très mal. Ou non, j’étais vraiment surprise, je ne m’attendais pas à ce qu’il sorte ça devant quelqu’un d’autre. Depuis son retour, il faisait un candidat parfait pour être recruté parmi nos cercles, pourtant le bougre de Fyros semblait toujours s’accrocher aux Kamis comme un gingo nous mordrait les fesses. De plus, la discrétion… Bon, je ne peux rien reprocher sur ce point, non plus, mais quand même. Mais qu'est-ce que j'ai été faire dans cette galère, avec un Fyros qui doute à ce point de ses propres convictions? Il semblait déjà moins fragile mentalement, quand nous sommes partis. Je me suis sans doute trompée sur ce point. Ou pas, je ne sais plus quoi penser. Ça n’a plus trop d’importance maintenant.

Bon, il sait. Je m’en doutais bien, maintenant je sais qu'il sait. Heureusement, il ne sait pas encore tout. D'une part, ce n’est pas ici que la Kuilde va venir nous chercher des puces. Et au final, Kickan, lui, se moque bien de tout ça. Et puis de toute façon, vais-je passer le reste de ma vie sur l'écorce à cacher ce que je suis? Qu'elle vienne, cette Kuilde, qu'elle s'occupe de ma graine de vie, ça renforcera l'opinion que la karavan a beaucoup trop de choses à nous cacher. Notre cause a peut-être besoin de ça, d'un nouveau sacrifice. Je m'égare. Revenons à nos frippos.

Le voyage s’est passé sans trop de heurts. Nous avons pu voir quelques Armadaïs d'un peu plus près, une cinquantaine de mètres. Et nous avons entendu ses prédateurs en chasse, ils étaient heureusement trop loin pour qu'on puisse les voir. En théorie, tant qu’il y a du gibier pas trop loin et que les carnivores sont en meute, nous ne les intéressons pas trop. En théorie. S'ils ne nous sentent pas. Azazor était très intéressé par voir l'armadaï de près. "les yeux... la bête..." on s'est moqué. On a surtout pu observer quelques carcasses gigantesques, des os aussi gros qu'une cuisse de légionnaire. En parlant de cuisse, marcher ici est épuisant, je ne l'écrirai jamais assez. Chaque geste requiert une énergie bien plus grande, et beaucoup plus de concentration. Heureusement, nous avons pas dû sortir nos haches, je n'aurais peut-être pas eu la force de la soulever.

Et finalement, la Halte.

Nous sommes arrivés au pied d’une falaise, étrangement moins haute que celle du Phare. Nous l’avons longé un petit moment, Kickan avait l’air de chercher un endroit précis, avec nonchalance, content d'être arrivé. Puis il a dit : "Voilà, ici ! " et il a attrapé une sorte de liane qui pendouillait là, un petit morceau de bois attaché au bout. Il a tiré quelques coups secs dessus, et nous a dit qu’on allait attendre un petit moment. Après quelques minutes, nous avons entendu quelques bruits au dessus de nos têtes, et vu une énorme chose décoller à quelques pas de nous. Quelques morceaux de sciure tombaient par ci par là. "le contre-poids" a dit Kickan, le plus naturellement du monde. Nous nous sommes écartés, et avons vu une sorte de plate-forme descendre vers nous, attachée par plusieurs cordes. Nos deux tronches de fyros perplexes ont certainement dû prendre une expression de bolobi désorienté. Puis nous avons ri nerveusement :

— On va devoir monter là dedans, a demandé Azazor?

Kickan a considéré un moment et a répondu :
— D’abord Eeri et son mektoub. Elle est un peu plus légère. Puis nous deux.
— Plus légère, plus légère... On voit que tu ne la connais pas, a gromellé Azazor.
— On ne peut pas laisser vot’ mektoub seul dans la nacelle, de toute façon, il a dit, très sérieusement.
— ney, tu as raison. Les bêtes d’abord, les homins après.

Foutu Azazor, j'ai rien trouvé à répondre… Je ne vais pas retranscrire la totalité de ses moqueries, quand j’ai mis mon foulard sur les yeux de Ru-Dun et que nous sommes montés dans la nacelle, pas trop rassurés. Ha, oui, c’est Kickan qui a appelé le toub comme ça en route, du tyll local avec leur accent étrange. Puis il nous explique qu'il existe un autre chemin, une rampe d'accès, mais tout au sud de l'île, ce qui ferait plusieurs jours de marche en plus.

La nacelle a commencé à se hisser vers le haut. Un ingénieux système, qu’ils ont. Le contrepoids descend lorsque la nacelle monte, et pareil dans l'autre sens, avec un système de poulies. Sans doute une invention de Trykers, d’ailleurs, la structure en haut pourrait ressembler à celles de nos réservoirs d’eau dans les lacs.
Je suis arrivée là-haut, et quelques homins m’ont accueillie d’un regard, occupés à freiner les poulies pour stopper la nacelle en douceur. Je ne saurais pas dire s’ils étaient aimables. L’un d’eux a simplement sourit et fait un signe de tête lorsque, ne sachant quoi leur raconter après mon oren pyr, je leur ai indiqué que nous étions avec Kickan, qui attendait encore en bas.

Kickan et Azazor sont arrivés en haut après quelques minutes. J’en ai bien profité pour lancer quelques piques à ce dernier qui s’accrochait fébrilement à une cordelette, tâchant d'avoir l'air décontracté. Puis nous avons pris la direction de la Halte, un peu plus à l’intérieur des terres. Il existe deux camps comme ceux-ci, à l’ouest et à l’est de l’île, pour accueillir et remonter, ou descendre les voyageurs, chacun étant à environ une journée de marche du village lui-même. Était-ce la présence de Kickan, qui semblait connaître chaque homin du camp, personne ne nous a posé de questions.

Après une nuit de sommeil à mi-chemin, et une autre petite journée de marche, nous sommes finalement arrivés au village lui même. Si l'on peut appeler ça un village. De quelques constructions éparses dans la forêt sans organisation apparente, nous sommes arrivés en haut d'une petite vallée couverte d'habitations, donnant sur un grand lac. Bon, rien de comparable avec la beauté du lac de Fairhaven, mais même par cette journée nuageuse, l'endroit ne manque pas de charme. Chaque cabane semble relativement propre et bien tenue, mais possède son propre style. À y voir de plus près, certains murs semblent constituées de grands os, parfois de bois, ou de grands morceaux de cuir. Nous avons continué notre chemin en descendant vers ce qui semble le centre, ou la place principale.

Puis quelqu’un a crié le nom de Kickan, quelques homins sont arrivés pour l’accueillir, d'autres sortaient la tête de leur fenêtres. Nous aurions préféré passer un peu plus inaperçus. Kickan arborait un grand sourire, saluant chacun d'entre eux, en lançant ses inimitables lordoy de chaque coté du chemin.
Un matis est arrivé, sans se presser, et Kickan l’a montré de loin :

— Un membre du conseil, nous a dit Kickan en souriant, avant de nous faire signe de rester un peu à l'écart et d’aller à sa rencontre. Ils ont parlé un moment, puis sont venus vers nous.

Le matis nous a lancé un oren pyr pour nous saluer, avec un accent encore plus étrange que celui des habitants du fort, mais d’une voix maîtrisée et peut-être trop polie… Un matis, quoi.
Il nous a souhaité la bienvenue, commençant à nous poser des questions sur notre voyage. Partant du principe qu’Azazor n’allait pas lui faire le plaisir de bavarder, j’ai répondu quelques banalités, rien de plus que ce que Kickan aurait pu lui dire. Puis que nous souhaiterions d'abord nous reposer un moment, pour commencer. Il a sourit et a pris congé, nous invitant à partager un baba plus tard. Kickan nous a mené vers une sorte de petite hutte, nous invitant à nous installer, avant de nous laisser aussi. Il a beaucoup de monde à saluer, à commencer par sa famille. Famille, tiens, un mot que j'avais presque oublié. Je me suis perdue un moment dans mes pensées, espérant qu'Uzykos et Wixarika vont bien. Quelle misérable je suis de les avoir abandonnés... Puis Azazor m'a secouée. Nous allons devoir nous concerter, rafraichir notre stratégie sur ce que l’on peut dire et ce dont il vaudrait mieux ne pas parler. Il y a peut-être déjà quelques maraudeurs par ici. Pas le temps de laisser mes émotions prendre le dessus.

Avant de nous laisser, Kickan nous a prévenu à propos du conseil. Il s'agit d'un groupe de six, élus par la population. La vie ici est très tranquille et en général ils n'apprécient pas ce qui peut troubler le calme des lieux. Maraudeurs, réfugiés, voyageurs sont acceptés, mais ils ne sont pas habitués à voir des voyageurs qui partent vers l'est, autres que les officiers de liaison comme lui. Par chance, ce matis s'était trouvé là et Kickan le connait un peu. Il nous a dit avoir préparé le terrain pour qu'on le rencontre et qu'on puisse le convaincre des bonnes intentions de notre voyage. Ce sera déjà ça de gagné, non pas qu'ils puissent nous empêcher de partir, mais nous savons bien que les homins des Nouvelles Terres sont rares et pas forcément bien vus ici. Étrange comportement, pour des rangers, j'ai dit. Puis Kickan a rit : "hahaha ! Des Rangers?" Là dessus, il est parti sans rien ajouter.

J'aurai encore temps de comprendre ce qui se passe ici, et de décrire plus précisément les lieux dans les prochains jours. La route qui nous attend jusqu’à l’Avant-Poste Diplomatique de la Falaise Nuageuse est similaire, et Kickan nous a déconseillé de repartir avant une bonne semaine, le temps que notre métabolisme se remette suffisamment. Il nous a aussi expliqué que contrairement à Fort-Le-Phare, vu que nous sommes ici sur une île relativement peu élevée, les effets néfastes de la Mer de Bois se ressentent, dans une moindre mesure. Nous ne recouvrirons pas totalement notre énergie physique, mais il faut au moins que l’on récupère tout notre entendement.

Azazor ronfle déjà, toub. Et je n'ai plus que de la fibre de shu à me mettre dans les oreilles. Ça suffira pas, mais j’ai plus rien d’autre sous la main.

Dernière édition par Eeri (il y a 1 an). | Raison: NOTE : Traduction en Anglais par Nilstilar ! English Translation by Nilstilar

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Eeri
"Quand on a le nez trop près de la bouteille, on ne voit plus le bar"

#25 Multilingue 

Multilingue | English | [Français]
Journal de bord d'Eeri
Folially 24, 3rd AC 2619

Les choses commencent à se préciser quant à notre départ. Le temps de nous préparer, nous repartons dans deux jours. On sera de nouveau accompagnés, mais cette fois pas par Kickan. Lui repart dès demain vers le Fort, avec un autre équipier et des marchandises.

Celui qui nous accompagnera, c’est Titus. Un fyros, qui parait jeune, mais semble avoir l'énergie d'un celiakos grabataire. J'exagère. Il est juste jeune, en fait. C'est apparemment aussi dû à l'altitude, ici tout le monde semble un peu plus lent qu'ailleurs. Moi-même, je me sens faible. Je vois bien que Ru-Dun mâche son fourrage plus lentement que d'habitude, aussi. Azazor semble vouté comme après 3 fioles d'ocyx. Comme si tout tournait légèrement au ralenti.
Ce Titus, donc. Depuis que nous sommes arrivés, il nous a suivi, nous a regardés avec de grands yeux, puis nous a posé des questions. Puis il nous a demandé de nous accompagner. Il veut quitter l'île, partir, trouver les maraudeurs. Il parait que son père en était un, sauf qu'il ne l'a jamais connu, il a grandi sur l'île. À force, Azazor a finit par céder à sa demande avec un "Bon. Mais pas de blague, hein?". Emmener un fils de Maraudeur, la belle affaire. Je me suis opposée à ça. Azazor pense sans doute que ça jouera en notre faveur. Et si le père les avait trahi? Bon, ça doit faire un sacré bout de temps, ils auront oublié. Il semble surtout trop inexpérimenté pour un tel voyage. Tu sais au moins tenir une épée par le bon bout, j'ai demandé? Soit disant, il s'entraîne tous les jours, il nous a dit. Je n'ai pas voulu être trop dure avec lui, mais je ne pense pas qu'il se soit déjà confronté un kirosta, ou quoi que ce soit de cette taille.

Et il a demandé pourquoi on voyageait, si nous aussi nous allions rejoindre les maraudeurs.
Je n'ai rien répondu de plus que "voyage scientifique", en sortant tout naturellement ma hache afin de refaire l'affûtage de la lame. Je n'aime pas ça, mais c'est vrai qu'arriver à notre prochaine destination avec un homin de la Halte pourrait être un bon point pour nous. Tenez, une recrue toute fraiche, faites en ce que vous voulez. Ou pas, qui sait. Il faudra que l'on s'adapte très vite à l'accueil qu'ils nous feront.

Donc c'est décidé, il fera le voyage avec nous jusqu'à l’Avant-Poste Diplomatique de la Falaise Nuageuse. Discrètement j'ai demandé à Kickan s'il le connaissait, si on pouvait avoir confiance. Ici, m'a t-il dit, personne n'a de raison de vouloir notre perte, tant que l'on ne provoque pas de catastrophe. J'ai compris ça en buvant un baba avec lui et le matis. En passant, le baba est légèrement meilleur ici qu'au Phare, mais ça reste quand même plus fadasse et insipide que la plus légère des byrh.

Ils nous ont raconté tout un tas de choses sur la Halte. Les habitants ici sont des descendants des Rangers d'Atys, qui se sont installés ici. Au début, il y a maintenant plusieurs générations. Afin de guider les réfugiés, leur offrir une pause sur le chemin des Nouvelles Terres. Ça on le savait. Beaucoup sont partis, mais certains ont fait le choix de s'installer, et la Halte s'est rapidement transformée en une petite ville. Ils ne manquent de rien, ici, m'explique Coccio, le matis. Peu de prédateurs, quelques Javing au nord, tout au plus, assez de gibier, une forêt assez généreuse, un lac. Les homins chassent l'Armadaï, aussi. C'est donc ça, les os et cuirs qui servent à construire les maisons. Azazor a demandé comment, et s'il pouvait assister à une chasse, mais la prochaine n'aura lieu que dans un bon mois. Il y a un grand trou, un piège, quelque part au sud-est de l'île. Des homins imitent le cri de l'animal, ou de son prédateur, et l'attirent vers le piège. Quand ils arrivent à le faire tomber, il est achevé à la pique par les chasseurs, puis dépecé sur place. Il ne pourra de toute façon pas ressortir du piège en un seul morceau. La chasse de l'Armadaï nécessite de nombreux homins, et donne en parfois lieu à une grande fête. Sa viande est très fortifiante et revigorante, la principale source d'énergie pour eux. Coccio nous a d'ailleurs offert deux grands sacs remplis de cette viande séchée, pour la suite de notre voyage.

Plus personne n'est véritablement ranger ici, ou ne fait partie de la guilde, maintenant. L'un des seul qui pourrait prétendre à les rejoindre, c'est Kickan, comme quelques autres de son tempérament. Mais il est satisfait de son travail entre le Fort et la Halte. Et comme il nous disait : s'il ne le faisait pas, qui s'en occuperait? Les véritables rangers passent régulièrement par ici, et sont admirés et accueillis comme des héros, tant la vie à l'extérieur de l'île est rude. Mais si beaucoup de jeunes rêvent de les rejoindre, peu le font. Comme dit le matis, quand on naît ici, la vie est tellement tranqulle, nous n'avons pas besoin de partir courir le monde... Kickan a blagué quelque chose du genre : "Coccio, tu dis ça à deux fyros qui viennent de traverser la moitié de la route d'oflovak, tu crois quoi, que tu vas les convaincre de s'installer ici?"
Le cas de Titus est assez rare, ainsi. Ça s'est déclenché lorsqu'enfant, il a appris que son père était un ancien maraudeur. L'homin en question était d'ailleurs mort lors d'une chasse à l'Armadaï, en glissant et tombant dans le piège. L'animal, paniqué, l'a écrasé d'un coup de patte, accident rare mais fatal.

Mais alors, on a demandé : Sur l'Île, ni rangers, ni maraudeurs, comment peuvent-ils rester aussi désinvoltes? Les Maraudeurs, dans les Nouvelles Terres, sont en guerre contre les nations. Que feraient-ils si les Maraudeurs d'ici venaient envahir l'île ? De ce que j'ai compris dans les explications de Coccio, ça n'aurait aucun intérêt, pour personne. Les maraudeurs sont aussi bien accueillis que n'importe quel homin, par fidélité à la tradition Ranger. Les capacités physiques sont moindres, pour ceux qui n'y sont pas nés, ce qui fait que ces derniers ne restent pas bien longtemps, ils se sentent trop faible. Tout comme pour nous. Et puis, il n'y a rien à combattre ici : pas de Kitins, pas de puissances, pas ne nation, et une organisation populaire. Le travail du Conseil de l'Île est de veiller aux respects de ces traditions, et d'administrer la ville en concertation avec tous. Coccio est élu avec 5 autres pour quelques années de Jena, il laissera sa place, dans deux années. Peut-être à Kickan, a-t'il sourit. Il ferait du bon travail. Ce à quoi Kickan a répondu sarcastiquement qu'il n'était pas assez vieux, comme lui, pour une telle tâche. "Le conseil? Un truc de grabataires". Pas autant que chez nous dans le désert, j'ai ajouté.
Nous savons calmer les fauteurs de trouble, pour en revenir aux maraudeurs, me dit Coccio. En général ils se comportent bien. Il est même arrivé par le passé que certains s'installent sur l'île, ce qui est très mal vu chez eux. Tout comme nous, on sera très mal accueillis, nous prévient-il. Le fait que nous partions avec un homin d'ici aidera peut-être, et si l'on amène quelques marchandises, aussi.

Outre leur bienveillance, Azazor et moi avons cru voir une sorte d'insouciance face aux problèmes du monde, et surtout, étions stupéfaits par ce manque de curiosité, cette absence totale de la soif de savoir qui nous habite. Nous nous sommes regardés, et n'avons rien dit. Comme si pour la première fois depuis pas mal de temps, nous nous comprenions.

Dernière édition par Eeri (il y a 1 an). | Raison: NOTE : Traduction en Anglais par Nilstilar ! English Translation by Nilstilar

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Eeri
"Quand on a le nez trop près de la bouteille, on ne voit plus le bar"

#26 Multilingue 

Multilingue | English | [Français]
Journal de Titus
Aujourd’hui, deux étrangers sont arrivés de l’ouest. Ils accompagnaient notre cher Kickan. Je les ai pas encore vu, mais Tikra dit que ce sont deux fyros venus d’au-delà des contrées verdoyantes. Plus loin que Fort-le-Phare. Plus loin que chez Kickan. Je dis que Tikra raconte encore n’importe quoi. Depuis qu’elle travaille à la passerelle ouest, elle me raconte que des conneries. La dernière fois, elle avait vu un armadaï plus gros que les autres écraser un yetin sous son poids. Si c’était pas ma grande sœur, je la haïrai. Demain, j’irai voir les deux étrangers, et on verra si c’est encore des krakras de Tikra.


J’y crois pas, les deux fyros viennent bien d’un endroit très à l’ouest de la Halte. Par de là l’horizon, il existe des terres où les homins ont bâti d’immenses cités. Le fyros a parlé d’un empire avec un type à sa tête qui a plus d’un siècle. Ça a fait rigoler la fyrette qui l’accompagne. Mais le plus incroyable, c’est que ces deux homins vont vers l’est, en direction de la Citadelle. Du coup je leur ai parlé de mon père, qui était un ancien maraudeur venu prendre sa retraite ici. Ils ont trouvé ça intéressant puisqu’ils m’ont tout de suite posé des questions sur comment c’est là-bas, et où était mon père. J’ai bien vu la déception sur leur visage quand je leur ai dit que mon père était mort deux ans après ma naissance et que je connaissais rien de là-bas. Mais moi, j’ai plein de questions à leur poser. Des étrangers venus d’aussi loin, ça a forcément des tas de choses à raconter, sûrement plus intéressantes en tout cas que les conneries de Tikra et ses armadaïs géants.


Le fyros s’appelle Azazor. Il m’a dit qu’il était une sorte de chercheur de dragon. Du coup, je lui ai montré le dessin du tatouage qu’avait mon père, celui avec le monstre volant cracheur de feu qui s’appelle dragon rouge d’après les vieux du Conseil. Mon père, c’était un chasseur de dragon lui aussi. J’ai bien vu que ça a plu à Azazor. Il a d'ailleurs un tatouage de dragon sur le visage lui. Mais c'est pas le même. Ouais que je lui ai dit, mon père maraudeur était un vrai tueur de dragons. J’aimerai tant être comme lui. Mais faudrait que je quitte ce trou. Parait qu’en dehors de la Halte, c’est trop dangereux. Mais je m’en fous moi du danger ! Je suis fils de maraudeurs ! Fils de chasseur de dragon ! Qu’est-ce que ça peut me faire des yetins ou des armadaïs ?


JE VAIS QUITTER LA HALTE !!!! Après 3 jours à leur tanner les fesses, ils ont fini par céder. Je partirai donc avec eux, direction la Citadelle ! Azazor m’a montré la carte de la route qu’ils suivent depuis tout ce temps. Ça passe d’abord par l’Avant-Poste de la Falaise Nuageuse. Ils me laisseront là-bas et je devrais me débrouiller ensuite tout seul pour continuer. Azazor m’a dit qu’il aimerait bien que je continue avec eux jusqu’à la Citadelle, mais Eeri, la fyrette, ne préfère pas. Parait qu’elle a pas confiance. Azazor m’a rassuré en me disant que la confiance, je la gagnerai en chemin et qu’Eeri changera peut-être d’avis une fois qu’on sera arrivé à l’Avant-Poste. 
Maman, si tu reviens un jour de la Grande Flaque, je te laisserai mon journal intime, pour que tu saches que je t’aime. Mais mon destin m’attend, loin à l’est, chez les maraudeurs. Je veux vivre comme papa.


Le grand départ arrive. J’ai fini de charger Polly avec ma viande séchée. Mes deux nouveaux compagnons l’ont goûté et ont adoré. C’est des bouchers chez eux, entre autre métier qu’ils exercent. Ma viande doit donc être exceptionnelle. Je vais t’ouvrir un marché à l’avant-poste de la falaise, ça va être la folie !
Allez, qu’est-ce que je peux écrire comme phrase ultime sur mon journal ? Un truc qui en jette. Je sais, la phrase que m’a dit Azazor quand Eeri a dit que ce serait trop dur pour moi de les accompagner.
Ne souhaite pas que ce soit plus facile, souhaite que tu n’en sois que meilleur. 
Ouais, je sais que je vais en baver. Mais quand j’arriverai à la Citadelle, je serai un autre homin. Fort et fier, comme mon père !


Neuf jours se sont écoulés après leur départ de la Halte d’Oflovak. Dans la plaine désolée et recouverte de brouillard, Azazor est en tête du cortège, recht à la main. Suivent Titus, tirant son mektoub Polly chargé de viande séchée, puis Eeri, fermant la marche avec son mektoub Ru-Dun, une hachette dans l'autre main. 

Soudain, un grognement se fait entendre. Comme un reniflement puissant. Avant même que Titus comprenne ce qu’il se passe, Eeri lâche son mektoub et sort son bouclier, se plaçant derrière lui pour le protéger. Azazor se rapproche d’eux et se met devant Titus. Le groupe, faisant bloc, a une vision panoramique de la région. Pourtant, rien ne bouge à l’horizon. Le brouillard empêche de voir à 20 mètres. On entend cependant comme une galopade venant droit vers Eeri, suivi d’un nouveau grognement. On voit alors surgir du brouillard un immense yetin haut comme un homin. Il bondit sur Eeri qui pare avec son bouclier et l’envoie valser par-dessus elle. Le yetin tombe sur le dos d'Azazor qui n’a pas eu le temps de se retourner. La bête, à peine sonnée, va planter ses crocs dans le dos du fyros quand Titus, n’écoutant que son courage, s’enfuit en hurlant. Le yetin a un moment d’hésitation en voyant le jeune homin s’enfuir, instant qu’Azazor saisit pour se retourner sur le ventre et donner un coup de hache dans la gueule du monstre. Celui-ci recule en grognant et charge Titus. Il lui bondit dessus les deux pattes en avant et plante ses griffes acérées dans son dos. Le jeune homin s’écroule en hurlant de douleur. Son cri est de courte durée, car le yetin ne perd pas de temps et arrache sa tête d’un coup de mâchoire qu'il envoie valser au loin. Celle-ci roule sur quelques mètres avant de s'immobiliser, le visage déformé par la peur et le regard tendu vers les deux survivants. Le yetin tourne alors sa gueule vers les deux autres fyros qui se sont remis sur leurs jambes et s’apprêtent à en découdre. Mais le yetin s’en délaisse aussitôt et attrape le corps décapité de Titus dans sa gueule qu’il emmène dans le brouillard, vers l’ouest. Ne demandant pas leur reste, Azazor et Eeri en profitent pour s’enfuir, chacun prenant les rênes d’un mektoub et hâtant le pas vers l’est. Ils jettent un dernier coup d'oeil sur la tête de Titus, qui continue de les fixer de ses yeux épouvantés. 

Ainsi vécu Titus, fils d’un ancien maraudeur du Clan des Chasseurs de Dragons et d’une homine partie pour on ne sait quelle raison en quête de la Grande Flaque. Telle est la vie en ces terres reculées. Cruelle, dévorant les faibles et leur destin, dévorant même leur propre passé. Toi qui oseras peut-être t’aventurer là-bas, n’oublies jamais d’écrire ton histoire si tu ne veux pas être dévoré.

Edité 4 fois | Dernière édition par Azazor (il y a 1 an).

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fyros pure sève
akash i orak, talen i rechten!
élucubrations
biographie

#27 Multilingue 

Multilingue | English | [Français]
Journal de bord d'Eeri
Germinally ..., 4th AC 2619

Je lui avais dit de mettre un casque.
Si seulement. La bête aurait arraché le casque, et sa tête serait encore sur ses épaules. Qui sait.
Mais dey, j’ai chaud sous mon casque, ça me démange, il a dit.

Cela fait cinq jours que nous marchons, Azazor et moi, sans dire un mot, sans même presque rien avaler. J’ai l’impression de voir les yeux de ce Titus en face de moi, dans la brume. Ses yeux exorbités de terreur sur sa tête sans corps, un flot de sang imbibant sa bouche encore ouverte.
Et dire, j’en ai vues, des choses dégueulasses. Des scènes de torture, des morts atroces, des membres voler. Tiens, quand j’étais jeune légionnaire, la fois où Icus avait tranché le bras d’une matisse, avant de lui ouvrir les veines du cou une à une. Le sang avait giclé sur mon armure, et on lui avait dit de ne pas revenir. On a rigolé. Et évidemment, elle est revenue. On a recommencé jusqu’à ce qu’elle ne revienne plus.

Si seulement on pouvait arriver à la falaise nuageuse, et voir un Titus tout frais, ramené par je ne sais quelle puissance… Peut-être par les maraudeurs ? Mais ça me semble peu probable qu’il ait un cristal, et quand bien même il aurait celui de son père, que celui-ci soit actif.

Sur le moment, je n’ai pas eu le temps d’enfiler mes amplificateurs et d’essayer de le soigner. La bête était déjà loin, emportant son corps. Je sais maintenant que ça aurait été vain. Aucune magie de soin, même la plus puissante qu’il soit, ne peut recoller une tête sur un corps, autrement qu’en passant entre les mains des puissances. Nous avons donc fui, emportant les mektoubs, et laissant sa tête là où elle était tombée. Si Jena ou Ma'Duk l'avaient rappelé à eux, son visage terrorisé aurait déjà disparu en poussière fine, dégageant cette lueur bleutée.

J’ai peur. Nous avons peur. Mais il faut avancer. On ne le reverra plus. Mis à part dans ma propre folie, ses yeux dans la brume, et ma propre voix qui ressasse dans ma tête : "‘si tu tombes ici, tu ne reviendras pas.".

D’après nos estimations sur la carte, l’avant poste devrait encore être à cinq ou six jours de marche. Jamais je ne me suis autant réjouie de rencontrer des maraudeurs.


Eeri et Azazor s'attendent d'un moment à l'autre à apercevoir les lumières de l'avant poste au loin.

- Bon, on leur parle de Titus, aux maraudeurs, ou pas, demande Azazor.
- Qu'est-ce qu'ils vont en avoir à faire? Ils le connaissent pas. Au mieux ils se rappelleront du père. Et pas forcément en bien.
- C'est vrai. Sans lui, c'est nous qu'ils vont avoir envie de lyncher, s'ils s'en souviennent comme d'un traitre.
- En même temps, vu leur espérance de vie ici, ceux qui s'en souviennent sont sans doute grabataires.
- Je sais quoi leur dire, de toute façon.
- Et tu comptes m'en parler quand?
- Fais moi confiance, ça te changera.

La fyrette s'arrête :

- Confiance ? Mais ce n'est pas une question de confiance, mon pauvre fyros. On a dépassé ce stade. Bien sur que je te fais confiance, je ne me serais pas mise dans cette bouse de situation avec toi, sinon.
- Bon, alors, tu me laisses parler.
- dey. On ne fait pas comme ça. Nous devons avoir la même ligne de conduite. Plus de cachoteries.
- C'est toi qui dis ça, après avoir ramené du matos dangereux sans rien me dire ?
- ça va, on va pas recommencer. T'es rancunier ou quoi ?
- Tu viens de le découvrir ?
- Je veux bien comprendre que tu sois devenu parano avec moi, mais justement, là je te propose de parler, de dire les choses.
- Mouef...
- C'est une question de stratégie. Si tu leur dis quelque chose, puis que j'affirme le contraire juste après, on aura l'air de deux gnoofs... déjà qu'on pue comme des yelks...

Azazor s'arrête, reste un instant pensif, puis renifle autour de lui

- Je ne vois pas le problème.
- Il n'y a pas de problème. Juste une chose à faire : s'asseoir et parler. Tu me dis ce que tu comptes faire, et je te dis quel est mon plan. Puis on...
- Peut-être que je ne veux pas entendre parler de ton plan ?
- Il le faut. Il y a trop de choses dont tu ne veux entendre parler. Je fais partie de ce voyage. Nous passons ensemble, ou nous crevons. Ensemble.
- Mais je le connais ton plan. On arrive, tu leurs colles une bombe à goo en pleine tronche, et on passe. Mais on ne fera pas comme ça.

Eeri a un petit rire pendant qu'Azazor termine de grommeler quelque chose

- La bombe à goo, c'est le dernier plan. Quand tous les autres ont foiré.
- Excellent. Alors je te ferai signe à ce moment.
- Azazor... Je déconne pas. Tu ne veux pas finir comme Titus. Pas maintenant. Et moi non plus.
- Hrmf...
- Alors on s'assoit, on parle, et on définit ce que l'on fera et dira. Si ça tourne mal, on définit un second plan, et ainsi de suite.
- Tu ne me fais donc pas confiance.

Eeri réfléchit un moment, et soupire.

- Mais si !! Mais imagine, je dis une touberie de trop... Autant que je sache à quoi m'en tenir... Et que je ne sois pas surprise par ce que tu vas leur dire.

Azazor grogne un moment :

- Bon, dès qu'on peut, on s'arrête, et on cause. Si tu y tiens.
- J'y tiens. Nous sommes une équipe, rappelle toi.
- ney... une équipe...


Quelques kilomètres plus loin, les deux fyros trouvent un endroit un peu abrité et caché, pas loin d'une balise et dans le creux d'une petite butte. Ils décident de rester là pour la nuit et mâchonnent chacun un morceau de viande d'armadaï, nourriture énergétique, la seule qui permet de garder un tant soit peu d'énergie et d'entendement dans cet endroit.

- Je commence, ou tu commences ?
- À quoi?
- Plan A, plan B, plan C...
- T'en as tant que ça ?
- Jusqu'au plan goo.
- Alors je vais commencer, comme ça si tes conneries sont trop longues, je pourrai m'endormir.

Eeri ne peut s'empêcher de rire à cette dernière remarque d'Azazor, qui étrangement répond par un un petit sourire satisfait..

-Je t'écoute, dit-elle.
- Alors, voilà ce que je vais leur dire...

Edité 2 fois | Dernière édition par Eeri (il y a 1 an). | Raison: Traduction en Anglais par Nilstilar / English Translation by Nilstilar

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Eeri
"Quand on a le nez trop près de la bouteille, on ne voit plus le bar"

#28 Multilingue 

Multilingue | English | [Français]
Après trois semaines de marche, ce sont deux homins épuisés qui arrivent au pied de la pente menant à l’Avant-Poste de la Falaise Nuageuse. Celui-ci est jusque-là resté caché à la vue des homins par un épais manteau de brume, si ce n'est il y a quelques jours, quand la brume s'étant levée, ils ont pu l'apercevoir à flanc de falaise. Comme on leur avait expliqué avant leur départ de la Halte, l’ascension commence par un long et étroit chemin serpentant entre les racines, souvent remplacé par des escaliers taillés à même le bois quand le chemin est trop pentu. Il finit ensuite par un élévateur comme pour la Halte. D'après ce qu'on leur a dit, le désert où est construit l'avant-poste est bien plus haut que le continent verdoyant où se situait Fort-le-Phare. Ils ne peuvent pas encore voir le haut de la falaise à cause de la brume, mais la falaise doit être gigantesque.

Après une remontée laborieuse de plusieurs heures, en tirant des mektoubs aussi éreintés qu’eux, Eeri et Azazor sortent enfin de la brume. Ils peuvent alors voir se détacher l'avant-poste, une structure principalement en bois posée à flanc de falaise. Bâti sur une grande racine qui dépasse de la falaise, l'avant-poste est solidement protégé, à l'ouest par le vide, ailleurs par des murailles. Celui-ci est détenu par les maraudeurs, bien que les rangers y soient autorisés. La nuit tombant, il se détache du ciel étoilé grâce à des flambeaux allumés de-ci delà. D'où ils sont, il semble déjà imposant. Pourtant, il leur reste encore plus de la moitié de la hauteur de la falaise à grimper.

- Il reste probablement au moins une heure avant d’arriver à l'élévateur. Je te propose de passer la nuit ici et d’attendre demain matin pour y aller.
- Sûr qu’on sera plus frais.

Eeri note le changement d’Azazor à son égard. Avant, il n’aurait pas proposé mais imposé. Mais depuis leur conversation il y a quelques jours sur leurs plans respectifs pour se faire accepter des maraudeurs, il semble enfin la prendre un peu plus au sérieux.

Ils posent leurs affaires à dos de falaise. Comme toujours depuis leur départ, Eeri s’occupe d’attacher les mektoubs et de leur donner à manger, tandis qu’Azazor s’active à allumer un feu. Avant que le bois ne prenne, Eeri le stoppe dans son élan.

- C’est peut être pas très prudent d’indiquer notre présence ce soir tu trouves pas ?
- T’as raison, pas de feu ce soir.

« T’as raison ». Oui, décidément, Azazor a changé.

De là où ils sont installés, ils peuvent voir à l’ouest la couverture nuageuse qui recouvre la Mer de Bois. Sagaritis émerge au-dessus de la brume. L’astre aux anneaux semble flotter sur les nuages, comme une bulle de savon prête à éclater. Une bulle fragile, comme la situation de nos deux homins, perdus dans le brouillard à des années de marche de leurs amis.



Azazor rêve ce soir-là. Il se remémore ce jour où il a annoncé son départ à la chancelière de l’Académie Impériale.

C’est un jour d’orage, comme le désert en connaît parfois. La pluie vient marteler les façades de l’Académie Impériale dans un grondement assourdissant. Prenant son courage à deux mains, Azazor frappe à la porte de l’archiviste impériale. Il a terminé sa formation initiale depuis peu. Avec la publication de ses nombreux ouvrages, il se sent enfin légitime pour demander une place au talumetim-an, la formation élitiste de l’Académie, celle auprès des grands maîtres.
Pourtant tout ne se passe pas comme prévu. Euphanix Apotheps lui dit que le temps n’est pas encore venu. Et puis, aucun maître ne le soutient. Tous accordent à l’akenak une certaine intelligence, de l’intuition et une bonne mémoire. Mais il lui manque tantôt un peu de rigueur et de discipline, tantôt un je ne sais quoi. Azazor a beau insister, demander ce qu’il lui manque réellement, rien à faire, l’archiviste n’a pas le temps pour ça, elle est très occupée. Le fyros finit par exploser, il exige qu’on le mette au défi, qu’il est bien plus méritant que la plupart des élèves qu’il a côtoyés pendant sa scolarité tardive, que ce n’est pas juste. Il veut seulement qu’on lui dise ce qu’il doit faire.
Alors, se levant calmement de son bureau pour s'approcher d'Azazor, Euphanix prend un ton grave.

- Tu veux savoir Azazor pourquoi à l’Académie rares sont les homins qui t’apprécient ? Je vais te le dire, puisque tu tiens tant à savoir la Vérité.

Le fyros regarde intensément la chancelière, prêt à encaisser le coup. Celle-ci lui dit alors ce qui le marquera à vie, ce qui le poussera à entreprendre ce voyage jusqu’aux Anciennes Terres.

- Tu n’es pas de leur monde, voilà tout. Ils sont issus pour la plupart des plus hautes classes sociales. Alors que ton père était un médiocre apprenti boucher et un piètre combattant. Quant à ta mère, ce n’était qu’une prostituée dégottée au bar par ton père un jour de beuverie. Voilà la crue Vérité !

Azazor encaisse difficilement le choc. Il avait toujours vu son père comme un grand soldat. Quant à sa mère, qu’il n’a pas connu, il ne la connaissait que dans les dires élogieux de son père. Il sert les poings, son visage virant au rouge.

- Désolé akenak, mais tu viens d’une classe sociale à peine au-dessus de la sciure. Ton ascension au sein de l’Empire est une injure pour beaucoup de bien nés.

N’en pouvant plus, l’ancien légionnaire s’écroule à genoux, ses poings serrés venant cogner le sol avec force. Une larme vient s’évaporer sur son visage brûlant de colère et de honte. La dernière fois qu’il a versé une larme, c’était à la mort de son ami Lopyrech, il y a bien longtemps. La rage ne tarde toutefois pas à reprendre le dessus.

- Mon père est mort lors du second grand essaim pour défendre la retraite de notre peuple jusqu’à l’Oasis Kami ! Il a sauvé tous ces traines-palais, tous ces lâches qui...
- Oui, je sais. Il a fait partie des volontaires restés à Pyr pour couvrir la retraite des autres homins. Et en cela, il a sauvé l’honneur de ta famille. Mais tes origines parlent malheureusement en ta défaveur auprès d’une certaine élite sociale.

Elle pose une main amicale sur l’épaule du fyros.

- Fût un temps, l’Empire était beaucoup plus méritocratique. Mais de nos jours, ceux d’en haut se méfient de ceux qui viennent d’en bas. C’est comme ça. Alors laisse le temps au temps. Ils finiront par reconnaître ta valeur.
- Le temps… Non, je n’ai pas de temps à perdre ici ! Ils veulent du mérite, alors je leur en donnerai au centuple !

Se faisant, il se relève et s’apprête à partir. La chancelière ne tente pas de le retenir. Elle sait qu’il ne sert à rien d’apaiser un feu qui brûle. Il faut attendre que celui-ci ait fini de se consumer. Alors qu’il est dans l’encadrure de la porte, Azazor se tourne une dernière fois vers elle.

- En vérité nous autres les basses classes, nous sommes comme le bois. C’est le bois qui supporte la douleur du feu. C’est lui qui, enflammé, cuit la viande. Mais quand vient l’heure de manger, on dit au bois : tu ne peux pas venir à table, tu salirais la nappe. On laisse alors le bois se consumer et retourner à la sciure.

Avant qu’il ne claque la porte du bureau de l’archiviste, Euphanix l’apostrophe.
- Que vas-tu faire Azazor ?
- Je vais chercher le Dragon, là où tout a commencé.
- Au Nexus ?
- Non, dans les Anciennes Terres. A Coriolis.

Quelques jours plus tard, il enverra une lettre à Euphanix, lui expliquant son projet, qu’il mûrissait depuis des années déjà. Établir une carte de la route d’Oflovak et du désert ancestral, étudier les kitins locaux, et si possible, percer le mystère de l’incendie de Coriolis. Il ne précise pas son intention de marchander du savoir avec les maraudeurs. Il n’est même pas sûr qu’il en discutera avec eux. Cela dépendra de l’impression qu’ils lui donnent. Quant à récupérer un éventuel artefact impérial dans la cité de Fyre, autant ne pas en parler non plus. Rien ne dit qu’il arrivera jusque-là...

Edité 2 fois | Dernière édition par Azazor (il y a 1 an).

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#29 Multilingue 

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Journal de bord d'Eeri
fin de Nivia, 4th AC 2619. Ou déjà 2620?

Nous y voilà, nous sommes chez les maraudeurs.

Depuis que nous sommes arrivés, nous avançons de surprise en surprises. Certaines plus désagréables que d’autres.
La plus inattendue, c’est qu’Azazor a été de bien meilleure humeur ces derniers jours. Nous parlons plus calmement, et nous nous sommes mis d’accord sur notre ligne de conduite. C’était pas trop tôt. Je ne m’y attendais plus. Le bodoc, il m’a même demandé mon avis, et pas qu’une fois. J’ai cru qu’il manigançait quelque chose, mais j’ai dû me tromper.

Bref. Nous avons passé une nuit à flanc de falaise. Je n’ai jamais escaladé une falaise si haute. Nous nous sommes arrêtés à mi-chemin environ, suivant les indications des homins de la Halte, lorsque nous avons pu trouver une plateforme convenable. Puis nous avons encore marché quelques heures le matin avant de trouver cette fameuse nacelle. Là, ça n’a pas été aussi facile.
Déjà, il a fallut comprendre ce qu’ils racontaient. Plus on s’éloigne des Nouvelles Terres, plus l’accent est atroce. Toub, et il a fallu qu’on se rende compte que c’était réciproque. Que nous devions parler lentement, avec des mots simples, articuler. Ne pas parler vite en mangeant des mots comme j’avais pris l’habitude de le faire chez les trykers, par imitation.

Alors, ils ont descendu la nacelle, et gueulé des trucs d'en haut. À force de gueuler de chaque côté sans se comprendre, ils ont finit par remonter la nacelle avec nous dedans. Elle était bien plus large que celle de la Halte, ce qui nous a permis de tenir avec les deux mektoubs. En arrivant en haut, on a tout de suite senti que les homins en face de nous avaient une autre carrure que ceux de la Halte. Le système de poulies était pourtant similaire, faut croire qu'ils savaient tirer plus fort.

Ils nous ont regardés avec des yeux un peu effarés, sans doute à cause de notre accoutrement ou de ce qu'on avait gueulé d'en bas, puis l'un nous a dit qu'ils ne s'attendaient pas à voir un convoi de la Halte avant plusieurs semaines. J’ai laissé Azazor parler, comme convenu. Nous ne sommes pas un convoi de la Halte, même si nous en arrivons. Nous sommes des scientifiques fyros des Nouvelles Terres, nous nous dirigeons vers la Citadelle. Ils étaient visiblement confus, comme on s’y attendait. Ils ont demandé si on avait des marchandises, on leur a vaguement expliqué ce que l’on transportait, un mektoub chargé de sacs de viande d’Armadaï. De derrière eux est arrivé un matis le pas un peu pressant et l’air sévère.

"c’ui là, je l’aime pas" j’ai chuchoté à Azazor. Deux heures plus tard, on était fixés, j’avais entièrement raison de pas l’aimer.

Celui là, c’est Ostini. C’est une sorte de chef des gardes, ou plutôt c’est l’un des sous-fifre du chef du clan qui possède l’avant-poste, les Passeurs, comme ils se font appeler. C’est toujours comme ça avec les homins. Donne leur un peu de pouvoir, ils s’emploieront à dévaloriser les autres pour conserver le petit bout de privilège qu’ils ont en plus. Au final, Ostini a posé les mêmes questions que ses homins, employant un ton condescendant et obséquieux. Un bon matis du genre de ceux qui m’avaient manqué depuis notre départ. Après quelques minutes, nous avons compris qu’il ne s’intéressait qu’aux marchandises que l’on pouvait transporter, et comprenant que nous n’étions pas des marchands, il nous a alors demandé de payer notre séjour ici. Un sac de viande d’armadaï par personne et par nuit. On lui a donné deux sacs du mektoub de Titus, sans rechigner. Celui-là ne viendra plus les réclamer, sauf dans mes cauchemars. Ostini nous a fait un topo des règles de l’avant-poste. Ils nous laissent nos armes, mais nous devons les garder rangées lorsqu’on est à l’intérieur de l’enceinte, ainsi que deux ou trois trucs relativement logiques, l’eau est rationnée et il nous faudra la payer. Nous sommes libres d'utiliser le dortoir, la taverne, et un hall en partie ouvert qui sert de lieu d’échange, de marché. Il nous a montré le dortoir où l’on pourra rester, en précisant de nouveau : tant qu’on a de quoi payer.

Nous avons donc pu arriver au centre de l’avant-poste. Il y a en effet six bâtiments dont deux visiblement réservés aux membres du clan, disposés en cercle à l'intérieur des murs d'enceinte. Une tour de guet, le marché, l'auberge, le dortoir. Rien de bien joli, comme à la Halte. Un style plutôt fonctionnel, mais certains détails ressemblant vaguement à ce que les maraudeurs construisent dans les nouvelles terres.

"Deux sacs par nuit, on ne va pas faire long feu", j’ai chuchoté à Azazor.
À ce moment mes yeux se sont posés sur deux étranges silhouettes qui passaient plus loin, entre deux bâtiments. Deux silhouettes étrangement familières.
J’ai eu un moment d’inattention, comme si j’avais cru rêver. Azazor m’a dit des choses que je n’ai pas intégrées sur le moment. Il me les a répétées plus tard : on allait peut-être passer plus de temps que prévu ici. Par exemple qu'on devrait se faire embaucher comme bouchers ou cuisiniers à la taverne pour payer notre séjour, le temps d’organiser et surtout de récupérer notre énergie après plusieurs semaines dans la Mer de Bois.

Les silhouettes, entre-temps, avaient disparu. Sur le moment, Azazor ne m’a pas crue. Quoi, des Fraiders? Qu’est-ce qu’ils foutraient là? Tu es sûre? Que feraient-ils dans un camps maraudeur? Nous sommes entrés dans ce dortoir. C’est très rudimentaire, mais ça sera toujours mieux que de passer une nuit en bas. Je profite d’un moment de repos pour écrire ces lignes, puis nous irons à la taverne. J’ai un plan.


Plus tard, les deux fyros se dirigeaient vers la taverne :

— Bon, on va d’abord se renseigner comment on va pouvoir payer, dit Azazor.
— On leur propose nos services, tu disais… Mais ils ont sans doute déjà des cuisiniers…
— Il faudrait pas que ça nous coûte tout notre stock de viande séchée. En garder quelques sacs serait bien pour la traversée du désert.
— C’est vrai. Mais demandons déjà ce qu’ils servent. Je donnerais un bras pour une shooki… Ou plutôt un oeil, tiens, ça sert moins souvent.

Eeri ferma alors son oeil gauche, ouvrant son oeil droit au maximum, ce qui fit légèrement rire Azazor. La situation aurait pu être pire. Un peu plus loin, de la fenêtre d’un des halls du clan, Ostini regardait les fyros qui traversaient lentement la place déserte de l’Avant-Poste en discutant.

— Alors, ces Fraiders, demanda Azazor ?
— C’est notre chance, dit Eeri. J’ai passé tellement de temps chez eux, je connais suffisamment leur dialecte, L’une de mes hachettes est de leur fabrication, je l’ai ici. Enfin, ça vient des fraiders des Nouvelles Terres, mais ce n’est sans doute pas bien différent.
— Mais pourquoi allais-tu chez eux? Qu’ont-ils de spécial?
— As-tu déjà vu un agent Karavan ou un Kami chez eux?
— Hmmm…
— Même si on raconte que les Fraiders avaient été approchés par la Karavan, ils se sont sans doute désintéressés avec le temps.
— J'avais lu un truc sur eux à l'Académie, comme quoi ils collectionnaient pas mal d'artefact kara. C'était moins par foi qu'une sorte d'addiction.
— J'ai jamais vu ce genre de chose dans leur campement.
— Et donc, tu y tenais des réunions de Trytonistes?
— Même pas. Juste pour être tranquille, penser, m’entraîner. En zone neutre. Tu vas te moquer… Mais je leur trouve une sagesse que les homins n’ont pas.
— Oh, ça, c’est facile. Ils sont sans doute moins corrompus, et moins avides de pouvoir.

Eeri sourit, hocha la tête, et ajouta :

— Ils sont avides de matières premières rares, pour leur artisanat. Mais ils maintiennent un équilibre et partagent les richesses dans leur tribu.
— Bon, mais alors comment les convaincre de nous aider?
— On va déjà voir ce qui s’échange ici, ce qu’ils recherchent et ce qu’ils offrent. Si je montre ma hache et que je leur parle de la tribu des Nouvelles Terres, avec un peu de chance, on se fera des alliés.
— Et si on n'a pas de chance?
— On pourra toujours faire des affaires avec eux.
— On a quoi à leur échanger?
— À voir. Il me reste quelques matières rares sur mon Mektoub. Quelques ambres de Zun, que je préfèrerais garder au cas où nous ayons besoin de nouveaux amplificateurs… Deux lianes de Maga, un peu de Vedice. Jusque là, nous avons moins usé nos armes que je ne l’avais prévu.
— Tu as ça dans ton Mektoub?

Eeri sourit et répondit à mi-voix, en s’arrêtant.

— Dans une poche cachée sous la selle. Les ambres sont dans le rembourrage. De quoi fabriquer deux paires.

Le fyros regarda Eeri en coin, sans rien dire, alors qu'elle ajoutait :

— Eh, ça je t’en avais parlé, que j’emmène de quoi refaire des amplificateurs. Je ne t’avais juste pas dit à quel endroit c’était rangé.
— J’avais dû oublier… Tant que ce n’est pas une troisième bombe à goo, grommela Azazor.
— Mais je n’en ai qu’une, promis !

Entre temps, Eeri et Azazor étaient arrivés à la Taverne. Ce dernier poussa la porte et entra, suivi d’Eeri. Après quelques secondes, les quelques homins présent se turent, certains se tournant pour fixer les nouveaux venus. Autour des quelques tables se trouvaient des maraudeurs, reconnaissables à leurs armures rutilantes, quelques homins aux tenues plus discrètes, comme on pouvait en voir à la Halte. Des rangers, peut-être, pensa Eeri. Un certain nombre étaient vêtus de longues tuniques et de turbans couvrant quasiment tout leur visage. Un Fraider était même attablé avec l'un d’entre eux.
Les voyageurs s’avancèrent lentement vers le comptoir où se tenait, à leur grand soulagement, un fyros massif qui les regardait, un couteau à la main.

— oren pyr, qu’est-ce que vous servez ici?
— Je vais vous appeler la patronne, répondit-il. O’Teelo?

Quelques secondes plus tard, une tryker descendit l’escalier et se dirigea derrière le comptoir, une expression légèrement pincée, mais souriante, pendant que les clients reprenaient petit à petit leurs conversations d’une voix légèrement plus feutrée.

Edité 2 fois | Dernière édition par Eeri (il y a 1 an). | Raison: Traduction en Anglais par Nilstilar / English Translation by Nilstilar

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Eeri
"Quand on a le nez trop près de la bouteille, on ne voit plus le bar"

#30 Multilingue 

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La tavernière avait le corps charpenté et bien en chair. Des tatouages tribaux ornaient ses deux avant-bras qu’elle avait nus. Son sourire semblait marquer une certaine appréhension devant les deux nouveaux venus. Ce n’était pas tant qu’ils soient nouveaux qui l’inquiétait. L’Avant-Poste n’était qu’un va-et-vient d’homins de toute sorte, marchands pour la plupart, d’autres simples aventuriers ou vagabonds en recherche d’un gîte temporaire. C’était aussi un haut lieu d’assemblée diplomatique entre rangers, maraudeurs, haltiens et les tribus des alentours. La taverne était alors le lieu où l’on venait fêter la signature de tel pacte d’entraide ou accord commercial.
Non, ce qui l’inquiétait émanait d’eux comme une sorte d’aura déplaisante. Etait-ce leur armure entièrement fyros quand celle des rangers était disparate, ou leur tatouage inconnu alors qu’elle se targuait de connaître les tatouages de toutes les tribus alentour. Il y avait quelque chose en eux de complètement inconnu, de jamais vu.

L’homine lui demanda avec un accent étranger à couper au couteau une liqueur de shooki. O’Teelo s’étonna :

— Une quoi ?
— Laissez tomber…
— Ici, on ne sert que du baba, rajouta la tavernière devant la moue de la fyrette.
— C’est combien le baba, dit le fyros en posant sa bourse sur le comptoir.

Celui-ci portait un étonnant tatouage de dragon sur le visage. Pourtant, il ne ressemblait pas à celui du Clan des chasseurs de dragons rouges. Le fyros n’était d’ailleurs pas maraud à en croire son armure.

— ça dépend, vous réglez comment?
— Vous acceptez les dappers?

La tavernière prit un air dédaigneux. Les dappers restaient encore utilisés sur la route mais étaient de plus en plus délaissés en faveur du troc. On trouvait aussi quelques monnaies locales suivant les endroits.

— Ce sera 5000 dappers, et c’est accompagné du plat du jour, expliqua O’teelo. Ragoût d’arma aux graines de botoga.

Les deux fyros se regardèrent avec une mine déconfite.

— Y’a rien d’autre à manger et surtout à boire ?
— Demain y’aura peut être du ragoût de ploderos, ça dépend des arrivages. A boire il y a aussi le glorx.
— Le glork ?
— Glorx, répéta la tavernière, en insistant bien sur le x final. C’est une spécialité des Atakorum.

Ce faisant, elle pointa de la tête le groupe d’homins enturbannés.

— Mais faut avoir le coeur bien accroché. Y’a qu'eux et les Fraiders qui en boivent d’habitude. Je sais même pas à partir de quoi c’est fait.
— Alors va pour le glorx, s’exclama la fyrette en tapant de la main sur le comptoir.
— T’es sûr? s’enquit le fyros.
— Ça peut pas être pire que le baba…

Le fyros fit un signe pour dire qu'il prendrait la même chose.

— Ce sera 10 000 dappers en tout, dit la tavernière.

Les deux fyros passèrent une bonne partie de leur journée à la taverne, tentant d’engager la conversation avec différents homins. Eeri pris contact avec un fraider, Azazor discuta le bout de gras avec un gros fyros du nom de Krapoutos. Ils apprirent ainsi que l'Avant-poste Diplomatique accueillait des réunions entre des généraux importants de la Citadelle et des Rangers. Le clan qui possédait l’Avant-Poste ne jouait cependant pas le rôle de porte-parole de la Citadelle. Le Clan des Passeurs en profitait seulement pour faire leurs affaires, d'autant plus que la diplomatie passait parfois aussi par le commerce.

Le soir venu, après une longue discussion entre Azazor et O’Teelo, celle-ci finit par être convaincu de les embaucher pour une semaine en cuisine. Pelorus, le cuistot, manquait de bras. Azazor lui avait assuré qu’ils étaient bouchers et qu’elle ne le regretterait pas. Elle leur proposa un contrat d’une semaine pour voir, en commençant dès demain, avec possibilité de prolonger s’ils faisaient l’affaire. L’accord se conclut sur une poignée de main et un akep du fyros. Celui-ci lui avait expliqué d’où ils venaient, où ils allaient et ce qu’ils étaient. Des scientifiques venus des Nouvelles Terres en route pour la Citadelle et au-delà. Oui, son instinct ne l’avait pas trompé. Ces deux homins étaient vraiment très particuliers. O'Teelo se demandait si elle n’allait pas regretter l’accord avec le fyros...

Edité 2 fois | Dernière édition par Azazor (il y a 1 an).

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#31 Multilingue 

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Pelorus Mekor observe les deux nouveaux avec dédain. On lui envoie encore des incompétents qu’il va falloir former. Il paraît même qu’ils viennent de la Halte. Des faiblards à n’en pas douter, qui ne savent probablement pas se servir d’un couteau.

P - Bon les novices, prenez un couteau, on va découper une cinquantaine de steak de bodoc pour ce soir. Je vais vous montrer comment on fait. On prend un rosbif et...
A - Inutile malos, on sait faire. Tu les veux tendres ou pas les steaks ?
P - Comment ça ?
E - Azazor veut savoir si on les coupe dans le sens du grain ou pas.
P - Le… un sens ?
A - Ouais, regarde ton rosbif, y’a un sens pour les fibres musculaires. Si on coupe dans leurs sens, la viande est moins friable.
E –Mais elle est moins tendre. Tailler dans le sens perpendiculaire, c’est plus dur, mais la viande fond en bouche.
A - Attend, on te montre comment faire.
E - Le truc, c’est de bien aiguiser le couteau.

En quelques minutes, les steaks sont tous coupés. Les deux fyros regardent en souriant le chef cuistot.

A - Tu les veux encore plus tendre ?
P - Gue…
A - Dans ce cas, fais les mariner.
P - Mariquoi ?
E - Mariner, baigner dans l’huile pendant une bonne heure
A - Sans oublier les herbes aromatiques pour plus de goût
E - Ah ça oui, on a justement quelques aromates cueillis dans la forêt près de la Halte.
P - Mettre des herbes avec la viande?
E - Fais nous confiance, on était boucher d'où on vient.

Pelorus s’assoit quelques instants pendant que les deux bouchers s’activent avec aisance à faire mariner les steaks de bodocs dans une marinade aux herbes.

E - Ce sera parfait pour faire poêler.
P - Poêler ?
E - Ben oui. Tu les cuis comment tes steaks ?
P - On fait bouillir avec les légumes.
E - Mais on fait pas bouillir une viande comme ça !
P - Parfois, on la cuit en broche, mais pas le bodoc, c’est trop dur.
A - Pas comment on l’a découpé. Et encore moins une fois marinée.
P - Bon, écoutez, visiblement, vous avez l’air de vous y connaître. Alors je vous laisse carte blanche pour la viande de ce soir à la taverne.
A - C’est comme si c’était fait. T'as une poêle ?
P - C’est quoi une poêle ?
A - Une hanche de ploderos qu’on place sur les braises. Quand c’est bien chaud, on met le steak dessus, trente secondes, on retourne pour encore trente secondes et c’est fini.
P - C’est tout ?
A - Oui.
E - En oubliant pas d'arroser avec le jus de cuisson.
P - J’ai pas de "poêle".
A - Tant pis. Eeri, passe-moi ton plastron.
E - Ma Kostomyx ? T’es fou. On a une poêle dans le mektoub.
A - Ouais mais c'est loin, et dans le plastron, avec la sueur, ça donne un goût inimitable
E - Je comprend d'où vient l'odeur chez toi
A- Alors va chercher la poêle. Et ramène la louche aussi, pour arroser les steaks.

Une fois Eeri revenue avec la poêle, Azazor la place directement sur le feu dans l’âtre, calée avec quelques braises.

A - Poêler ça prend pas de temps. Le plus long, c’est de laisser mariner. Mais c’est pas obligatoire. Une petite marinade de quelques minutes, c’est déjà pas mal.
E - Surtout si le bodoc a été battu avant.
A - ça attendrit la viande.
E - Faut aussi bien faire attention quand on le tue.
A - Ouais, faut éviter le coup de stress quand il sent qu’il va mourir. Ça libère de mauvaises choses dans le muscle.
E - D’où l’importance de le tuer par surprise et rapidement.
A – Ou alors encore mieux, faut prendre du bodoc élevé par les kitins
E - Ouais, directement ramené d’une kitinière. Vous avez pas ça à proximité ?
P – Une kiti… Non, pas ici. Il y a des bodocs dans les kitinières ?
A – Bien sûr. Même que notre métier consistait à aller les chercher.
E – ça et les aranas, les madakam…
A – Hmm très bon le madakam
E – As-tu déjà essayé le madakam braisé ?
A – ney ! Toi aussi tu le déglaces avec de la shooki ?
E – Ah Ah carrément ! Même qu’une fois...


Laissant les deux fyros disserter sur l’art de cuisiner la viande, Pelorus quitte à reculons la cuisine pour aller voir son chef. Ou ces deux-là étaient de vrais baratineurs, ou il venait de tomber sur les deux plus grands maîtres bouchers d’Atys. Quoi qu’il en soit, il devait avertir le chef.

Dernière édition par Azazor (il y a 1 an).

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#32 Multilingue 

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Du haut de sa tour de guet, Wozung observe les deux fyros marcher lentement dans l’enceinte du camp. Ils viennent de passer la grande porte à l'est en transportant sur leurs épaules un arma de taille moyenne, ficelé à un pieu. Le fyros semble invectiver la fyrette derrière. Celle-ci éructe quelque chose en faisant un signe vers le coin sud-ouest du camp, auquel le fyros répond par un crachat au sol.

Cela fait quatre jours que Wozung observe le même manège. Au petit matin, les deux fyros sortent par la porte est, unique porte menant au désert. Ils reviennent une heure avant midi chargés tantôt d’un arma, tantôt d’un ploderos, qu’ils emmènent à la taverne pour le repas du midi. L’après-midi, ils repartent de nouveau pour revenir avant la tombée de la nuit, cette fois-ci chargé d’un grand sac plein à l’aller et vide au retour. Le garde zoraï ne se pose pas de question sur ce qu’ils mijotent. Ce ne sont pas ses affaires et de toute façon, ces deux-là se sont fait une belle réputation à la taverne. Il est vrai qu’il n’a jamais aussi bien mangé depuis qu’ils sont aux fourneaux. Alors ce qu’ils peuvent bien trafiquer, il s’en fout comme de son premier troc.

Alors qu’il est sur le point de se désintéresser d’eux, l’un des officiers les apostrophe. C’est Ostini Facili, le chef des gardes. Pas un tendre celui-là, véritable parano et expert en poison. Il leur montre le sac utilisé par les fyros l’après-midi. Les fyros posent leur arma au sol et haussent les épaules. Ostini semble monter d'un ton. Le fyros se met à pousser l’officier qui l’étale d’un coup de poing au plexus. La fyrette relève le fyros tout en éructant à son tour quelque chose. Ostini fait un signe aux gardes alentour qui se mettent aussitôt autour des deux fyros, puis ils les emmènent en direction du nord-est du camp. Wozung sait ce qui se trouve au nord-est. La prison de l’avant-poste. Dommage, c’était de bons cuistots.


Quelques instants plus tard, dans le bureau d'Ostini.

Celui-ci les regarde froidement assis sur leur chaise. Ils ont chacun un garde lourdement armé derrière eux.

O - Je passerai outre votre geste agressif envers moi tout à l'heure. Nous mettrons ça sur l'épuisement d'une chasse en plein désert.

Le chef des garde leur montre alors le sac qu'il leur a présenté dehors.

O - Je vais répéter ma question de tout à l'heure. Pourquoi portez-vous ce sac qui sent la viande dans le désert chaque après midi? Il est plein à l'aller et vide au retour.
A - Bon, vous voulez vraiment savoir ? D'accord, alors on va vous le dire.
E - Aza, tais toi !
A - Non, ce marché je ne l’ai jamais approuvé. Je savais que ça allait nous retomber dessus.
E - orak !
A - Et talen t’en fais quoi ?
O - orak, talen ? Qu’est-ce que c’est que ça ?
A - Un truc que tu peux pas comprendre l’orskos !
O - L’orsk…
A - Le sale mat…

Eeri parvient à temps à mettre sa main devant la bouche d’Azazor.

A - Ça va lâche-moi !
E - C’est juste du fyrk, parlé encore dans les nouvelles terres.
O - Ecoutez-moi bien les deux comiques, ici ce ne sont pas les Nouvelles Terres. Ici, nous sommes chez les Passeurs. Et le détournement de marchandise est sévèrement puni par notre clan.

Azazor rumine un truc inintelligible et crache au sol.

O – Alors ce marché ?
A – ça va, tu vas l’avoir ta vérité l’orskos !
E – Tu trahis ton honneur Aza en révélant notre accord.
A – Rien du tout. J’ai pas signé moi. Je t’ai juste donné un coup de main par amitié.
E – Amitié ?

La fyrette éclate de rire.

E - Tu peux te la mettre où je pense ton amitié, le traître.
A – C’est pas moi qui flirte avec des dégénérés.

Eeri se lève et balance un coup dans la tête d’Azazor qui vacille de sa chaise. Celui-ci se relève et réplique en se jetant sur elle pour l’étrangler. Les gardes doivent alors intervenir pour séparer les deux furieux.

O – C’est pas bientôt fini ? Mettez-moi celle-là au cachot en attendant. Quant à toi le fyros, ma patience à des limites. Tu te mets à table tout de suite ou on joue à un autre jeu.
A – C’est des avances mon beau ?

N’y tenant plus, Ostini attrape le fyros et le met au sol violemment. Il fait un signe aux gardes qui se mettent à le bastonner à coups de pieds jusqu’à ce que le fyros s’évanouisse sous les coups.

O - Trainez-moi ça au cachot avec l’autre !

Ostini n'a jamais perdu patience comme cela. Il est réputé pour son calme à toute épreuve. Et pourtant, là, il vient de faire rosser un homin. Il sent qu’il va avoir du mal à faire parler ces deux-là. Il en connaît des retors, mais eux semblent vraiment se moquer de se prendre des beignes. On dit que d’où ils viennent, on meurt difficilement. Si c’est le cas, ça explique qu’ils résistent aussi bien aux coups. Ça doit être une habitude chez eux. Alors qu’ici, la meilleure technique de survie est justement de les éviter.
Il lui faut d'abord reprendre son calme. Sa réputation est en jeu. Et puis, visiblement, les coups n'ont aucune emprises sur ces homins. Il respire un grand coup et tente de se calmer un moment.


Dans la cellule où sont enfermés nos deux fyros.

Une fois Azazor enfermé dans la même cellule qu’Eeri, celle-ci attend un moment que les gardes partent. Puis elle se dirige vers son compagnon de route sévèrement amoché. Celui-ci ne se relève pas. Son souffle est roque et haletant, comme s’il allait s’étouffer. Alors qu’elle approche son visage pour mieux le voir, il ouvre un œil et la regarde avec un grand sourire.

E - Crétin !
A - Hahaha

Il se relève alors et s’assoit à côté d’elle.

A - Alors, il était beau notre numéro non ?
E - Un vrai chef d’œuvre...
A - On a gagné un peu de temps. Vu ce que j’ai dégusté, ils vont penser que ce que je vais leur dire sera la vérité. Ça nous laisse quelque temps pour trouver quoi leur dire.
E - ça va être compliqué d’expliquer pourquoi le sac qu’on amène plein tous les après-midi dans le désert pue la viande et se retrouve vide à notre retour.
A - On peut leur dire qu’on a un marché avec la tribu des Atakorum.
E - Les Atakorum? Les nomades mystiques dont parlait l'autre grande gueule au bar la dernière fois?
A - Ouais. On explique qu’on leur apporte de la viande en échange d'informations?
E - Si tu dis ça, c’est la potence directe.
A - C’est toujours mieux que de leur dire la vérité, à savoir qu’on détourne de la viande et qu'on l'enterre dans le désert pour la suite de notre voyage. Un marché c'est mieux que du vol.
E - On sait même pas à quelle distance ils ont installé leur campement les Atakorum. Si on veut prétendre trafiquer avec eux, faut être crédible un minimum.
A - Bah, ils doivent pas être bien loin d’après les dires de Krapoutos.
E - Krapoutos raconte beaucoup de choses, mais ça n’en fait pas des faits.
A - De toute façon, je pense pas qu’ils voudront avoir les détails. Si on leur dit qu’on leur ramène un peu de viande qu’on a chassé en échange de renseignements sur la région, ils vont pas monter au créneau non ? Ces marauds n'ont pas l'air d'être de gros lourds comme ceux de chez nous. Faire du marchandage, même si c'est pas avec des marauds, ça semble toléré.
E - Pas avec leurs biens.
A - C'est nous qui la cuisinons.
E - Mais ça reste leur viande. Et ils vont vouloir récupérer le fruit du marchandage. Des informations que les Atakorum nous aurait filé sur le désert, ils s'en foutent.
A - Tu penses à quoi alors?
E - On peut dire qu'on marchande du poison.
A - Du poison? Mais on n'a pas de p....

Eeri lui sourit de toutes ses dents en battant des paupières.

A - Ah, la fameuse fiole...
E - héhé
A - Et elle est où cette fiole?
E - Dans mon toub, s'ils l'ont pas déjà fouillé.
A - ça peut se tenter. On trafique de la viande avec la tribu en échange de poison. On s'est fait prendre et donc on accepte de rendre le poison...


Soudain, des pas se font entendre dans le couloir menant à la cellule. Eeri et Azazor se taisent immédiatement. Ce dernier s’allonge et se met à tousser. Une clé vient tourner dans la serrure de bois de feu et la lourde porte s'ouvre dans un grincement, laissant apparaître dans l'encadrure de la porte un garde à l'air sévère.

G - Toi le fyros, assez dormi. Le chef doit te causer.
E - Azazor, ne lui dit rien ! On a juré de ne rien dire !
A - Pas moi.
G - Avance et ferme là !

Tandis qu’Azazor est escorté par deux gardes dans le couloir jusqu’au bureau d’Ostini, Eeri ne peut s’empêcher de sourire. Une vraie pièce de théâtre. Mais avec mise à mort si celle-ci ne plaît pas au public.

Dernière édition par Azazor (il y a 1 an).

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fyros pure sève
akash i orak, talen i rechten!
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