Il avait fait un détour par Avendale, le temps de charger le mektoub avec quelques packs de bhyr. Feinigan n’aurait jamais entamé un voyage sans avoir de quoi se désaltérer.
Avec soulagement, il mit son casque pour la traversée de la Loria. Promener seul un mektoub ici, puis dans la Masure de l’Hérétique, était assez difficile, mais Haokan avait besoin de se défouler et les prédateurs qui pensaient se faire un steak facile se prirent quelques coups de hache bien sentis.
Haokan ne ralentit qu’en arrivant vers le Trésor, dans le Jardin Fugace. Il s’arrêta là un bon moment, le temps pour son animal comme pour lui de se reposer un peu. Il repensait aux contes que lui et Feinigan s’étaient échangés ici. Le tryker l’avait traîné sur les traces de Jinovitch, défendant la théorie selon laquelle le tyran était devenu méchant uniquement à cause d’un amour manqué, et que de s’obstiner sans fin à aimer quelqu’un qui ne pouvait pas nous aimer en retour ne menait qu’à la tristesse, l’aigreur, puis peu à peu à l’expression de nos pires instincts. Le parallèle n’était pas très subtil par rapport à l’amour impossible qui brisait le cœur d’Haokan à cette époque-là, mais la manœuvre du tryker s’était retournée contre lui. Le zoraï avait pointé sa relation avec Néjimbé, qui de toute évidence ne voulait plus entendre parler de l’honnête commerçant.
— Mais noooon, c’est pas pareil avec Néjimbé ! Elle m’aime, je le sais !
— Elle t’a attaché dans une cave plusieurs jours, puis quand elle a fini par te laisser sortir, elle a payé des gardes pour te tirer dessus à vue si tu approchais de chez elle.
— De l’amour bodoc ! J’dis pas, ça pourrait prêter à confusion, mais je te jure, si elle fait ça, c’est que c’est une passionnée !
— Et toi tu es un passionné des ennuis. Laisse-la tranquille.
— Quoi, tu vas laisser ton matis tranquille ?
Oui, Haokan avait essayé. Il y était même plutôt bien arrivé. Où était-il à présent ? Il ne devait pas y penser… cette partie de sa vie était finie. Mais le pincement de cœur était encore là, l’écho de cette souffrance qui l’avait poussé…
Avant que ses souvenirs l’entraînent plus loin, Haokan avait ouvert une nouvelle bhyr, se forçant à la boire en entier, puis lançant la bouteille en direction d’un javing.
— Au trésor de Jinovitch… que cela ait été un amour perdu, ou une folie bien réelle.
Son second arrêt avait été aux Chutes de Virginia. Haokan avait pleuré là un moment, ses larmes rejoignant celles des cascades, repensant à un moment bien particulier.
C’était peu de temps après leur escapade au-delà des Nouvelles Terres. Durant ce voyage au prétexte fumeux (Feinigan tentait d’éviter la colère d’un client mécontent et avait besoin d’un guerrier pour veiller sur ses arrières), le tryker lui avait fait du rentre-dedans… pas du tout de façon figurée. Il fallait ce niveau de finesse pour qu’Haokan ouvre les yeux, de toute façon. Il s’était laissé faire avec plaisir, il fallait bien l’avouer, et cette aventure avait été la première véritable lueur de bonheur après des années toutes plus sombres les unes que les autres.
Le marchand avait qualifié leur relation de tous les épithètes dévalorisants qu’on pouvait imaginer. Juste pour se détendre, rien de sérieux, fallait pas croire qu’il y avait des sentiments dans tout ça, ne pas commencer à s’imaginer des choses parce que c’était juste une façon comme une autre de prendre soin d’une relation d’affaire, etc, etc. Haokan y avait presque cru, jusqu’à ce que Feinigan « l’embauche » pour une escorte aux Chutes de Virginia. Là, devant le décor somptueux, le tryker s’était laissé allé à une pincée de romantisme sur la beauté du paysage, et il fallait bien l’avouer, il n’avait vraiment pas eu besoin de la hache d’Haokan pour se déplacer dans la zone. Et quand le zorai lui avait demandé si, par hasard, tout ça n’était pas juste une excuse pour se retrouver tous les deux dans l’endroit connu comme étant le summum du romantisme, Feinigan avait un instant perdu sa verve. Avant de la retrouver rapidement pour une de ses piques cruelles. Puis de faire machine arrière devant l’air peiné du zorai.
— Rêve pas, quand même, on va pas se marier. Bon… okal, j’avoue, on s’amuse bien, tous les deux. Mais va pas te faire de grandes idées hein ?
— Promis, je n’imagine rien. Mais je ne serais pas contre le fait de simplement profiter de la ballade avec toi, tu sais ?
Il avait fallu du temps pour que Feinigan lui avoue tenir à lui. Mais en y repensant, Haokan avait compris, bien avant ce moment, à quel point le tryker l’aimait. Ce n’était pas très difficile. L’un des grands secrets de Feinigan, qu’il cachait derrière ses taquineries parfois dures, était qu’il aimait tout le monde, et certaines personnes encore plus que d’autres. C’était sans doute une des choses qui les avait rapprochés… trop d’amour à donner, plus que ce que la plupart des homins ne voulaient, dans un monde où il était bien vu de découper les autres en rondelles.
Haokan jeta dans les Chutes un bouquet qu’il avait acheté en passant à Natae :
— À l’amour qui a parfois du mal à s’exprimer, et encore plus à être entendu.
Sa halte à Pyr avait été plus longue. Là aussi, il y avait un endroit que Feinigan arrosait de ses dappers durement arnaqués. Un autre orphelinat, récupérant les gamins des rues de Pyr, un endroit où ils pouvaient trouver la sécurité, un repas chaud, et au besoin, un peu d’aide pour aller casser la figure des nuisibles. La vieille fyros qui s’occupait de la place au quotidien rassembla la petite troupe à la Forge, comme promis. La cérémonie, ici, fut moins expansive et en comité bien plus restreint. Avec cette compagnie limitée, Haokan se sentit plus à l’aise pour faire un petit discours, qu’il conclut de cette façon :
— Pour vous qui saviez quelle passion Feinigan pouvait avoir pour le Dragon, vous vous attendiez peut-être à ce que la fin du voyage soit ici, purifié par le Feu Sacré qui brûle dans la Forge. Ce qui aurait été un peu trop facile pour lui. Hélas nous avons encore de la route à faire, pour honorer toutes les facettes de cette créature. D’après Feinigan, le Dragon était un être polymorphe, changeant, amoral par nature, capable du pire et du meilleur, dont l’essence ne pouvait qu’être devinée à travers les multiples histoires courant sur lui. Croire qu’on l’avait compris, c’était n’avoir rien compris. Une force impossible à dompter réellement, mais qui pouvait cependant être canalisée avec précaution et humilité, pour un temps plus ou moins long mais par définition impermanent, comme le feu. J’espère que parmi vous, la plupart se tiendront loin du chemin de fyrak, et suivront le chemin plus… prévisible… des kamis. Mais, s’il vous venait l’envie de le suivre un jour ou l’autre, souvenez-vous que Feinigan, qui suivait la Voie du Feu bien mieux que nombre de fyros, avait aussi réussi à se jouer des fyrakistes les plus malsains, ceux qui dénient aux autres le droit de vivre et de chercher la Vérité. Et si je prends l’un d’entre vous à frayer avec les mauvais homins, je serais d’autant plus dur avec vous que vous avez eu le meilleur guide possible pour trouver une voie acceptable.
Voyant qu’il s’était un peu emporté, Haokan reprit plus gentiment :
— Mais je n’ai pas de doute que Fei aie aussi su vous montrer que la voie du Feu est aussi celle de la passion et de l’inconséquence et qu’à tout prendre, vous vous amuserez plutôt avec ça.
Personne ne l’attendait et Haokan aurait pu, après Pyr, couper au plus court. Pourtant il prenait conscience que non, ici comme souvent, il fallait prendre son temps.
Son chemin l’avait conduit, sans surprise, à Dyron. Là, sur l’île au milieu du Lac, Néjimbé et quelques Ombres l’avaient rejoint alors qu’il se faisait griller des brochettes. Il n’y avait pas grand-chose à ajouter, mais certains partagèrent quelques histoires du tryker, des histoires qu’évidement chacun s’empresserait de nier si jamais un garde ou un représentant de la loi s’avisait de les questionner. Haokan, malgré son titre de Gardien de la Fédération et Béni de Ma-Duk, ne comptait pas ; après tout, il faisait un peu partie de la Famille depuis le temps, et en savait bien assez sur les affaires de ces milieux troubles pour avoir prouvé qu’il s’en moquait pas mal tant que personne ne souffrait.
Cela le toucha de prendre conscience à quel point ces homins étranges, un peu effrayants, l’avaient inclus dans leur groupe. Il n’avait pas vraiment envie d’être associé à leurs affaires louches, mais faire partie de « quelque chose » ne le laissait jamais indifférent. Il porta un toast en fin de soirée, buvant là encore toute une bhyr en l’honneur de Feinigan :
— À la Famille, qui a continué à soutenir mon ami, quand bien même vous l’aviez officiellement banni. Et aux Ombres, pour qui ne compte que ce qui est officieux, et pour qui la Lumière ne sert qu’à animer les Illusions.
La suite… la suite était difficile, et pourtant évidente. Feinigan lui avait expressément interdit de retourner au Promontoire du Désespoir. Mais le tryker avait aussi passé sa vie à démontrer que tout ordre, toute règle, devait être interrogé et qu’il fallait expérimenter la pertinence des limites.
Tandis qu’Haokan progressait dans le Nœud de la démence, puis dans le Havre de Pureté (passant bien au large de la présence kami et des tribus locales), il descendait à intervalles réguliers une bouteille. C’était sans doute la flagellation la plus absurde qu’il pouvait trouver, mais elle eut le mérite de le faire arriver complètement saoul au lieu-dit. Là, dans ce petit coin au silence assourdissant, face aux brumes pourpres du terrible fléau, il s’assit et pleura encore. Puis il se releva, et avec rage, lança une bouteille aussi loin que possible vers la barrière de goo :
— À la tienne, Gami ! C’était moi que tu devais prendre ! Moi !!! Pas lui ! Viens, espèce de traîtresse ! Méchante ! Monstre !
Gami ne jugea pas utile de lui répondre. Il passa la nuit là, puis au matin, continua sa route vers le Bosquet de l’Ombre.
Il laissa le mektoub près du kami du téléporteur, ignorant les grognements courroucés de la boule de poil face aux odeurs de goo de son chargement. Puis il vérifia tout son équipement de guerrier, laissant pour une fois son casque de côté… et rejoignit, à pied, le camp des Antekamis.
Il venait pour se battre, ses intentions étaient évidentes. La patrouille qu’il croisa hésita un instant, temps qu’Haokan mit à profit pour balancer un grand coup de poing dans le premier de la bande. S’ensuivit une mêlée générale ; comme souvent avec les Antekamis, l’un avait reçu un coup destiné au Kamiste, l’avait rendu à un autre, et tout le monde se battait contre tout le monde au bout d’une ou deux minutes.
— Attrapez-moi ce crétin ! hurla la cheffe de la patrouille.
Mais Haokan n’avait pas prévu ce genre de fin. Mordant, frappant, il agaça tellement ses adversaires que l’un d’eux finit par lui mettre un coup fatal.
Il se réveilla au pied du téléporteur. S’étirant douloureusement, il eut un petit rire :
— Y'en a qui doivent se faire engueuler, là…
Puis à l’adresse du corps silencieux sur le mektoub :
— Yui, je sais, c’était gratuit… Mais avoue que la tournée n’aurait pas été complète sans avoir pété le masque de quelques cousins.
Haokan reprit les rennes du mektoub, et passa le vortex, un peu ragaillardi.
Avec soulagement, il mit son casque pour la traversée de la Loria. Promener seul un mektoub ici, puis dans la Masure de l’Hérétique, était assez difficile, mais Haokan avait besoin de se défouler et les prédateurs qui pensaient se faire un steak facile se prirent quelques coups de hache bien sentis.
Haokan ne ralentit qu’en arrivant vers le Trésor, dans le Jardin Fugace. Il s’arrêta là un bon moment, le temps pour son animal comme pour lui de se reposer un peu. Il repensait aux contes que lui et Feinigan s’étaient échangés ici. Le tryker l’avait traîné sur les traces de Jinovitch, défendant la théorie selon laquelle le tyran était devenu méchant uniquement à cause d’un amour manqué, et que de s’obstiner sans fin à aimer quelqu’un qui ne pouvait pas nous aimer en retour ne menait qu’à la tristesse, l’aigreur, puis peu à peu à l’expression de nos pires instincts. Le parallèle n’était pas très subtil par rapport à l’amour impossible qui brisait le cœur d’Haokan à cette époque-là, mais la manœuvre du tryker s’était retournée contre lui. Le zoraï avait pointé sa relation avec Néjimbé, qui de toute évidence ne voulait plus entendre parler de l’honnête commerçant.
— Mais noooon, c’est pas pareil avec Néjimbé ! Elle m’aime, je le sais !
— Elle t’a attaché dans une cave plusieurs jours, puis quand elle a fini par te laisser sortir, elle a payé des gardes pour te tirer dessus à vue si tu approchais de chez elle.
— De l’amour bodoc ! J’dis pas, ça pourrait prêter à confusion, mais je te jure, si elle fait ça, c’est que c’est une passionnée !
— Et toi tu es un passionné des ennuis. Laisse-la tranquille.
— Quoi, tu vas laisser ton matis tranquille ?
Oui, Haokan avait essayé. Il y était même plutôt bien arrivé. Où était-il à présent ? Il ne devait pas y penser… cette partie de sa vie était finie. Mais le pincement de cœur était encore là, l’écho de cette souffrance qui l’avait poussé…
Avant que ses souvenirs l’entraînent plus loin, Haokan avait ouvert une nouvelle bhyr, se forçant à la boire en entier, puis lançant la bouteille en direction d’un javing.
— Au trésor de Jinovitch… que cela ait été un amour perdu, ou une folie bien réelle.
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Son second arrêt avait été aux Chutes de Virginia. Haokan avait pleuré là un moment, ses larmes rejoignant celles des cascades, repensant à un moment bien particulier.
C’était peu de temps après leur escapade au-delà des Nouvelles Terres. Durant ce voyage au prétexte fumeux (Feinigan tentait d’éviter la colère d’un client mécontent et avait besoin d’un guerrier pour veiller sur ses arrières), le tryker lui avait fait du rentre-dedans… pas du tout de façon figurée. Il fallait ce niveau de finesse pour qu’Haokan ouvre les yeux, de toute façon. Il s’était laissé faire avec plaisir, il fallait bien l’avouer, et cette aventure avait été la première véritable lueur de bonheur après des années toutes plus sombres les unes que les autres.
Le marchand avait qualifié leur relation de tous les épithètes dévalorisants qu’on pouvait imaginer. Juste pour se détendre, rien de sérieux, fallait pas croire qu’il y avait des sentiments dans tout ça, ne pas commencer à s’imaginer des choses parce que c’était juste une façon comme une autre de prendre soin d’une relation d’affaire, etc, etc. Haokan y avait presque cru, jusqu’à ce que Feinigan « l’embauche » pour une escorte aux Chutes de Virginia. Là, devant le décor somptueux, le tryker s’était laissé allé à une pincée de romantisme sur la beauté du paysage, et il fallait bien l’avouer, il n’avait vraiment pas eu besoin de la hache d’Haokan pour se déplacer dans la zone. Et quand le zorai lui avait demandé si, par hasard, tout ça n’était pas juste une excuse pour se retrouver tous les deux dans l’endroit connu comme étant le summum du romantisme, Feinigan avait un instant perdu sa verve. Avant de la retrouver rapidement pour une de ses piques cruelles. Puis de faire machine arrière devant l’air peiné du zorai.
— Rêve pas, quand même, on va pas se marier. Bon… okal, j’avoue, on s’amuse bien, tous les deux. Mais va pas te faire de grandes idées hein ?
— Promis, je n’imagine rien. Mais je ne serais pas contre le fait de simplement profiter de la ballade avec toi, tu sais ?
Il avait fallu du temps pour que Feinigan lui avoue tenir à lui. Mais en y repensant, Haokan avait compris, bien avant ce moment, à quel point le tryker l’aimait. Ce n’était pas très difficile. L’un des grands secrets de Feinigan, qu’il cachait derrière ses taquineries parfois dures, était qu’il aimait tout le monde, et certaines personnes encore plus que d’autres. C’était sans doute une des choses qui les avait rapprochés… trop d’amour à donner, plus que ce que la plupart des homins ne voulaient, dans un monde où il était bien vu de découper les autres en rondelles.
Haokan jeta dans les Chutes un bouquet qu’il avait acheté en passant à Natae :
— À l’amour qui a parfois du mal à s’exprimer, et encore plus à être entendu.
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Sa halte à Pyr avait été plus longue. Là aussi, il y avait un endroit que Feinigan arrosait de ses dappers durement arnaqués. Un autre orphelinat, récupérant les gamins des rues de Pyr, un endroit où ils pouvaient trouver la sécurité, un repas chaud, et au besoin, un peu d’aide pour aller casser la figure des nuisibles. La vieille fyros qui s’occupait de la place au quotidien rassembla la petite troupe à la Forge, comme promis. La cérémonie, ici, fut moins expansive et en comité bien plus restreint. Avec cette compagnie limitée, Haokan se sentit plus à l’aise pour faire un petit discours, qu’il conclut de cette façon :
— Pour vous qui saviez quelle passion Feinigan pouvait avoir pour le Dragon, vous vous attendiez peut-être à ce que la fin du voyage soit ici, purifié par le Feu Sacré qui brûle dans la Forge. Ce qui aurait été un peu trop facile pour lui. Hélas nous avons encore de la route à faire, pour honorer toutes les facettes de cette créature. D’après Feinigan, le Dragon était un être polymorphe, changeant, amoral par nature, capable du pire et du meilleur, dont l’essence ne pouvait qu’être devinée à travers les multiples histoires courant sur lui. Croire qu’on l’avait compris, c’était n’avoir rien compris. Une force impossible à dompter réellement, mais qui pouvait cependant être canalisée avec précaution et humilité, pour un temps plus ou moins long mais par définition impermanent, comme le feu. J’espère que parmi vous, la plupart se tiendront loin du chemin de fyrak, et suivront le chemin plus… prévisible… des kamis. Mais, s’il vous venait l’envie de le suivre un jour ou l’autre, souvenez-vous que Feinigan, qui suivait la Voie du Feu bien mieux que nombre de fyros, avait aussi réussi à se jouer des fyrakistes les plus malsains, ceux qui dénient aux autres le droit de vivre et de chercher la Vérité. Et si je prends l’un d’entre vous à frayer avec les mauvais homins, je serais d’autant plus dur avec vous que vous avez eu le meilleur guide possible pour trouver une voie acceptable.
Voyant qu’il s’était un peu emporté, Haokan reprit plus gentiment :
— Mais je n’ai pas de doute que Fei aie aussi su vous montrer que la voie du Feu est aussi celle de la passion et de l’inconséquence et qu’à tout prendre, vous vous amuserez plutôt avec ça.
***
Personne ne l’attendait et Haokan aurait pu, après Pyr, couper au plus court. Pourtant il prenait conscience que non, ici comme souvent, il fallait prendre son temps.
Son chemin l’avait conduit, sans surprise, à Dyron. Là, sur l’île au milieu du Lac, Néjimbé et quelques Ombres l’avaient rejoint alors qu’il se faisait griller des brochettes. Il n’y avait pas grand-chose à ajouter, mais certains partagèrent quelques histoires du tryker, des histoires qu’évidement chacun s’empresserait de nier si jamais un garde ou un représentant de la loi s’avisait de les questionner. Haokan, malgré son titre de Gardien de la Fédération et Béni de Ma-Duk, ne comptait pas ; après tout, il faisait un peu partie de la Famille depuis le temps, et en savait bien assez sur les affaires de ces milieux troubles pour avoir prouvé qu’il s’en moquait pas mal tant que personne ne souffrait.
Cela le toucha de prendre conscience à quel point ces homins étranges, un peu effrayants, l’avaient inclus dans leur groupe. Il n’avait pas vraiment envie d’être associé à leurs affaires louches, mais faire partie de « quelque chose » ne le laissait jamais indifférent. Il porta un toast en fin de soirée, buvant là encore toute une bhyr en l’honneur de Feinigan :
— À la Famille, qui a continué à soutenir mon ami, quand bien même vous l’aviez officiellement banni. Et aux Ombres, pour qui ne compte que ce qui est officieux, et pour qui la Lumière ne sert qu’à animer les Illusions.
***
La suite… la suite était difficile, et pourtant évidente. Feinigan lui avait expressément interdit de retourner au Promontoire du Désespoir. Mais le tryker avait aussi passé sa vie à démontrer que tout ordre, toute règle, devait être interrogé et qu’il fallait expérimenter la pertinence des limites.
Tandis qu’Haokan progressait dans le Nœud de la démence, puis dans le Havre de Pureté (passant bien au large de la présence kami et des tribus locales), il descendait à intervalles réguliers une bouteille. C’était sans doute la flagellation la plus absurde qu’il pouvait trouver, mais elle eut le mérite de le faire arriver complètement saoul au lieu-dit. Là, dans ce petit coin au silence assourdissant, face aux brumes pourpres du terrible fléau, il s’assit et pleura encore. Puis il se releva, et avec rage, lança une bouteille aussi loin que possible vers la barrière de goo :
— À la tienne, Gami ! C’était moi que tu devais prendre ! Moi !!! Pas lui ! Viens, espèce de traîtresse ! Méchante ! Monstre !
Gami ne jugea pas utile de lui répondre. Il passa la nuit là, puis au matin, continua sa route vers le Bosquet de l’Ombre.
***
Il laissa le mektoub près du kami du téléporteur, ignorant les grognements courroucés de la boule de poil face aux odeurs de goo de son chargement. Puis il vérifia tout son équipement de guerrier, laissant pour une fois son casque de côté… et rejoignit, à pied, le camp des Antekamis.
Il venait pour se battre, ses intentions étaient évidentes. La patrouille qu’il croisa hésita un instant, temps qu’Haokan mit à profit pour balancer un grand coup de poing dans le premier de la bande. S’ensuivit une mêlée générale ; comme souvent avec les Antekamis, l’un avait reçu un coup destiné au Kamiste, l’avait rendu à un autre, et tout le monde se battait contre tout le monde au bout d’une ou deux minutes.
— Attrapez-moi ce crétin ! hurla la cheffe de la patrouille.
Mais Haokan n’avait pas prévu ce genre de fin. Mordant, frappant, il agaça tellement ses adversaires que l’un d’eux finit par lui mettre un coup fatal.
Il se réveilla au pied du téléporteur. S’étirant douloureusement, il eut un petit rire :
— Y'en a qui doivent se faire engueuler, là…
Puis à l’adresse du corps silencieux sur le mektoub :
— Yui, je sais, c’était gratuit… Mais avoue que la tournée n’aurait pas été complète sans avoir pété le masque de quelques cousins.
Haokan reprit les rennes du mektoub, et passa le vortex, un peu ragaillardi.