ROLEPLAY


Fin de partie

Haokan avait reçu l’appel à la guerre de son chef. Il avait remis son casque, enterré ses sentiments au fond de son cœur, fermé à triple tour la pièce où le corps de Feinigan reposait, et était parti faire son devoir d’honnête kamiste. Ensuite il avait répondu à une demande, puis une autre, essayant à travers l’action de ne plus penser.

Jusqu’à ce que Grigri le coince un soir, alors qu’il finissait de préparer le repas :
— Wawa ! Ça suffit maintenant !
— Hmm ? C’est prêt dans quelques minutes.
— Je ne parle pas du repas ! On doit dire adieu à Papa !
— …
— J’m'en moque ! J’suis la cheffe ici, et la cheffe, elle t’ordonne de l’amener demain soir sur la plage de Fairhaven ! On va faire cette cérémonie !
— Mais, Grigri, je n’ai rien préparé.
— Tu l’amènes, c’est tout. Le reste, on s’en moque. Et si tu le fais pas, je demande à Zhen de te forcer !

Grand soupir du grand bleu. Il ne doutait pas que l’enfant userait de tous ses arguments pour obtenir ce qu’elle voulait. Et techniquement, elle avait effectivement le petit badge disant qu’elle était la responsable de l’orphelinat ; une ancienne blague de Feinigan qui avait trouvé hilarant de donner ce titre à la plus jeune et la plus brisée des enfants à l’époque. Cela n’avait pas été une mauvaise chose, permettant à Gris de s’affirmer et de sortir peu à peu de sa coquille.

Et elle n’avait pas tort. Les sortilèges et la stance pour conserver le corps finiraient par se déliter et ce serait pire. Il ne pouvait pas fuir la fin de la corvée éternellement.
— Ukio, ukio… on fera un truc tout simple entre nous. Mais l’île, au sud-est de Crystabell, ce serait mieux, tu ne crois pas ?
— Ouais, si tu veux. Ça nous fera moins à nager, ça me va aussi.

Il s’était donc rendu sur l’île comme convenu, le corps embaumé de Feinigan sur un mektoub. Il aurait pu le porter dans ses bras, mais il allait ensuite avoir de la route à faire. Autant finir ce dernier voyage dans la foulée. Il avait été surpris de voir qu’il n’y avait pas que la petite dizaine d’enfants qui gravitaient autour de « l’Amicale Synarchique », mais aussi de nombreux trykers et des gens d’autres pays. Tout ce monde semblait avoir décidé de faire la fête ici… Déjà Grigri courait vers lui :
— T’es là ! Viens, on va le mettre par là.
— Mais… Grigri… pourquoi ces gens sont là ?
— Ho, ouais, attends, faut que je leur dise.

La trykette sauta sur une table tandis qu’Haokan posait son fardeau, elle prit un cornet pour faire porter sa voix fluette, et commença son discours :
— Merci à toutes et tous d’être là ! J’vous ai dit à tous d’amener de quoi faire un pique-nique, et de quoi boire, et de quoi faire la fête. J’espère que tout le monde a ce qu’il faut ! Mais j’vous ai pas dit pourquoi vous deviez venir. C’est en l’honneur de mon papa.

C’est parce qu’Haokan était tout près qu’il vit l’enfant serrer brièvement les poings, ses yeux un peu plus brillants. Mais Grisen avait une volonté féroce et n’allait pas flancher. Elle continuait, ayant à peine marqué une pause :
— Il part pour son dernier voyage, mais si y'a une vie après la mort, vous pouvez être sûr qu’il rendra tout le monde fou dans l’au-delà. Mon papa – Feinigan – c’était pas mon géniteur, que j’ai jamais connu, mais ça a été le meilleur père que j’aurais pu avoir. C’est pas drôle pour moi de savoir qu’il ne sera plus là pour m’apprendre à mettre du sel sur la queue des izams et à éviter les pinces des cloppers. Mais j’ai pas envie de pleurer, ce soir. J’ai envie de lui faire honneur, de montrer que j’ai bien appris ce qu’il pouvait m’enseigner, et puis le reste aussi. Papa, il aimait que les gens soient libres et heureux. Et les embêter, aussi. J’suis sûre que vous avez plein d’anecdotes sur les niches qu’il a pu faire et les bizarreries qu’il racontait. Alors, c’est sûr, il nous embête bien à nous laisser comme ça, mais j’suis sûre qu’il nous a laissé aussi de quoi se marrer ce soir. Alors, on fait la fête !

Elle sauta sur le sable, lâchant le mégaphone pour attraper un feu d’artifice, qu’elle alluma d’un geste expert devant la foule sidérée. Et tandis que l’engin explosait dans une gerbe de couleurs flamboyantes, quelques personnes se mirent à applaudir et à l’encourager, bientôt suivies par les autres. Le peuple des lacs et ses invités n’était pas du genre à rater une occasion de faire la fête, même si c’était pour un prétexte peu commun.

Haokan restait près du corps dans le charivari, éprouvant presque plus de peine que l’enfant à cacher ses larmes. Il ne pouvait pas mettre son casque pour dissimuler ses émotions, pas ce soir, mais il ne pouvait pas flancher non plus. D’autres portèrent des toasts à son vieil ami, quelques-uns partagèrent les méfaits dont ils avaient été victimes, les étranges marchés que le tryker pouvait passer ou encore quelques anecdotes savoureuses (voir indécentes) sur lui*.

Il sentit une petite main se glisser dans la sienne, puis une deuxième de l’autre côté. Grigri et Rena le regardaient gravement. Il se pencha vers elles, serrant les deux trykettes contre son cœur.
— Poko'i… il va falloir que je vous laisse la maison quelque temps.
— On sait, Wawa.
— Guzu…
— T’inquiète pas. On est grandes.

Étrange déclaration de la part d’une trykette de 10 ans, pas très haute même malgré les critères de sa race, presque rattrapée par sa cadette de 5 ans. Mais les yeux de Grisen montraient qu’il y avait bien longtemps qu’elle n’était plus vraiment une enfant, malgré les efforts que Feinigan, Haokan et Zhen avaient fait pour lui permettre d’être insouciante. Rena s’en sortait mieux, parce qu’ils l’avaient eue alors qu’elle n’était qu’un nourrisson, mais ce soir l’étincelle taquine dans son regard était éteinte.

— Vous êtes grandes, yui… Mais vous avez encore besoin d’un adulte de temps en temps. Sauf que…
— T’inquiète pas, j’te dis, Wawa. Y'a Krill, et puis Zhen, et puis y'a les grands aussi, et… bref, on sait ce qui est dangereux, comment survivre et tout. Va faire ce que t’as à faire, on sera là à ton retour. T’es juste le plus grand de ses enfants, Wawa, et le seul qui peut traverser la Route des Ombres pour le moment. Et nous, notre rôle, c’est de nous assurer que t’aie une maison où revenir.
— Ho, Grigri…

Oui, tout le monde était là ce soir, et nombreux étaient ceux qui tenaient à montrer leur sympathie. Gestes de réconforts, des plus expansifs comme Zhen qui manqua l’étouffer à force de le câliner, ou plus à distance, comme tous ceux qui savaient qu’Haokan était prompt à sortir la hache et s’agacer quand il se sentait trop sollicité.

Et c’était trop. Vraiment trop pour lui. Trop de monde, trop d’attentions, et aucune place pour exprimer son chagrin. Il finit par lever la bhyr qu’il avait dans la main pour demander la parole (glissée par un tryker soit facétieux, soit ne connaissant pas la répugnance d’Haokan pour l’alcool quel qu’il soit). Et se retrouva bête devant le silence qui s’installait. Il voulait juste se sauver, pas faire un discours. Il avait le pacte sous le bout des doigts, mais…

Une petite phrase de Feinigan, dans sa dernière lettre, lui trottait dans la tête. Une phrase qui répondait bien au moment présent. La dernière exigence du tryker.

Devant ses proches médusés, Haokan leva la bhyr plus haut, comme pour porter un toast au disparu, puis l’avala d’une traite. Il ne put retenir la grimace de dégoût et le frisson de son corps s’offusquant contre l’amer produit, mais Feinigan lui avait dit de boire à son souvenir quand l’appel du Vide serait fort, alors…

Et cela lui donna la force de parler :
— Ukio, ukio. À la santé… enfin… aux souvenirs de mon ami ! Qui aura été un enquiquineur jusqu’au bout. Je vais devoir vous laisser, un long voyage m’attend encore, avec notre invité d’honneur. Et né, je n’ai pas envie de compagnie. Mais il y a encore bokuu de bhyr et de victuailles, alors je vous en prie, continuez de faire la fête pour moi, pour que le rire nous accompagne sur ce début de route. Ari'kami d’être venus, tous.

Il réinstalla le corps sur le mektoub, partant en direction de la Loria. Zhen le rejoignit rapidement :
— Pas si vite, attends-moi. J’ai trop bu, haha, faut que tu me laisses un instant.
— Guzu, Zhen. Pas là. Je veux vraiment être seul. Ce qui veut dire sans toi aussi.
— Mais, zaki…

Haokan s’arrêta un instant, le temps que son mari arrive à sa hauteur. Il le prit dans ses bras, lui fit un grand moaï passionné, avant de le repousser avec tendresse :
— Guzu, zaki. Mais si tu viens avec moi, tu vas me distraire. Il y a bokuu de jours où c’est très bien. Mais là, j’ai vraiment besoin de faire ce dernier voyage avec… lui… Ukio ? De traverser ce chagrin pour qu’il ne reste pas éternellement avec moi, et de traverser Atys pour ça.

Le regard triste de Zhen était éloquent. Pourtant il comprenait aussi ce que demandait Haokan. Caressant son masque tendrement, l’Illuminé précisa :
— Ukio, c’est ton chemin. Si tu as besoin, tu m’envoies un izam. Même si c’est juste pour un câlin sur la route, d’accord ? Surtout pour un câlin…
— D’accord. Promis. Prends soin des enfants pour moi. Ne leur fais pas goûter tes bonbons ! Je reviendrai. Mais il va me falloir un peu de temps.
— Si tu tardes trop, je viendrais te chercher. Il ne voulait pas que tu déprimes.
— Je sais, je sais… Mata, zaki.
— Mata népuké.

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