РОЛЕВАЯ ИГРА


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#1 [fr] 

Elle observe pensivement son fils. Elle l'aime infiniment, mais peut-elle prétendre le connaitre ?

Le grand zoraï mange les galettes sans entrain, ignorant le regard de sa mère posé sur lui. Il est perdu dans ses pensées et son masque affiche clairement qu'elles ne sont pas joyeuses. Ylang Hao s'inquiète tout autant de cette humeur sombre de plus en plus fréquente que de son manque d'appétit. Il a toujours été gourmand ; si même ce petit plaisir ne lui amène plus un sourire...

Cela leur demande un effort à tous les deux de briser le silence. Elle, parce qu'elle doit lutter contre l'effroi qu'il commence à faire naitre en elle ; lui, parce qu'il ne peux plus supporter de n'être jamais à la hauteur de ce qu'il suppose être les attentes de sa mère. Enfin, Ylang Hao rassemble son courage :
- Tu as encore des soucis avec ton ami ?

Il repose sa galette, un peu surpris :
- Mon ami ?
- Le karavanier...
- Je n'aurais pas dû t'en parler. Né, il n'y a rien.

Cependant, son masque tient un autre discours tandis qu'il repense au matis. À présent, c'est à dessein qu'Ylang Hao garde le silence, laissant son fils cheminer sans le brusquer.
- La dernière fois que je l'ai vu, finit-il par dire, j'étais en train de m'énerver après une fyros. Il a dû me prendre pour un barbare, ce que je suis de toute façon. Je ne pense pas qu'il me parlera à nouveau, après ça.
- Tu n'es pas un barbare, Nati...
- Cesse de m'appeler comme ça, je ne suis plus un enfant, et je ne suis pas nati !

Brutale explosion de colère. Ylang Hao se recule, se recroqueville, effrayée ; et son fils, face à la réaction de sa mère, se décompose complètement. En un instant, son courroux s'éteint, laissant place à sa honte :
- Mi... nu... guzu...

Elle prend quelques instants pour retrouver son souffle, ordonner ses pensées. Elle aurait envie de fuir au Temple, de se perdre dans les prières. Mais il ne faut pas se dérober, si elle veut l'aider. Elle comprend qu'il a encore plus besoin d'aide que les autres fois. Si elle veut le protéger du plus grand péril, alors elle doit tenir bon. Lorsqu'elle reprend la parole, sa voix est affirmée, même si sa posture trahit la tension qui l'habite :
- Fii, les mots ont du pouvoir, et tu le sais. Je t'ai baptisé de ces noms pour qu'ils te servent de point d'ancrage dans ta vie. Tu n'es pas ton père, ni personne de sa famille. Je t'ai dénommé Natikwaï afin de conjurer leur méchanceté, et Wa'laï pour que tu ne te perdes pas dans les ténèbres. Je t'ai donné le suffixe de mon propre prénom en espérant te transmettre un peu de ma foi, et celui de ton grand-père pour que son esprit te donne la force qui m'a souvent fait défaut. Je t'ai donné mon nom de famille, car si les Sen-Siang n'étaient pas parfaits, ils ont toujours respecté les valeurs zoraï et honoré les kamis. Quand tu me dis que tu es un barbare, comment puis-je l'accepter ? Je préfère conjurer le sort que tu te lances en te rappelant ton identité.
- Mon identité ? Tu oublies la partie qui ne vient pas de toi. J'ai l'impression de lutter contre elle sans cesse, ces derniers temps. Et plus je lutte, plus je la nourris !

Ylang Hao acquiesce du masque :
- Très certainement. Le Vide se nourrit du Vide. Kyo mayu kyo. Si tu le sais, pourquoi le fais-tu ?
- Si je baissais les bras, le Vide gagnerait aussi. Il gagne toujours, quoi qu'on fasse.
- Ce n'est pas vrai. As-tu perdu le chemin vers les kamis, pour ne plus trouver d'autres façons de voir le monde ?

Son fils, cette fois, retient à temps ce qu'il s'apprête à rétorquer. Elle le voit bouillonner, ouvrir la bouche pour parler, puis la refermer, serrer les dents. Au fond d'elle-même, elle se demande si la fréquentation de ce karavanier n'est pas le déclencheur de ces histoires. Elle le trouverait bien pour lui dire deux mots, si seulement elle savait de qui il s'agissait. Mais elle ne questionnera pas son fils pour le moment, elle n'ira pas non plus discuter avec le chef de guilde de son fils ; il faut d'abord que son enfant adoré revienne un peu vers la lumière, ou ils le perdront complètement. Et puis même si le karavanier est le déclencheur, il n'est pas la cause. La cause du vide qui ronge son cœur, elle a une petite idée de ce que c'est, et c'est un problème qui demanderait le soutien des prêtres et des Sages. Le voyant lutter avec succès contre la colère qui menace toujours de le submerger, Ylang Hao reprend avec douceur :
- Je te l'ai déjà dit la dernière fois. Je suis fière de toi, de tout ce que tu as réalisé depuis que tu es revenu sur le continent. Tu as travaillé dur, yui, et tu es en train de devenir un grand guerrier. Tu passes un temps infini à répondre aux demandes des kamis, tous font l'éloge de ta dévotion, et tu as même reçu la bénédiction réservée aux plus fidèles. Tu as accompli la difficile tâche que Plemus t'avait confiée ; je le sais, bien que tu n'en ai pas parlé, et je ne peux qu'imaginer à quel point cela a été difficile pour toi. Tu es allé te battre contre les Esclavagistes et le Cercle Noir ; si tu m'avais demandé, je t'aurais dit d'en rester loin, même les armes à la main. On ne combat pas ces gens avec une hache. Mais tu l'as fait, tu as vaincu, tu as montré la force de tes convictions face à ces vilaines personnes. J'ai aussi appris que tu t'entrainais à d'autres compétences afin de soutenir ta shizu. Tout le monde ne dit que du bien de toi. Mais tu es trop dur avec toi-même. Tu travailles et tu te bats ; quand prends-tu le temps de vivre ?
- Tu ne sais pas tout, mi.
- Yui, nu né sok fuu, nu né sok ce que tu ne dis pas. Dis-moi que tu as d'innombrables amis, que tu passes tes soirées à danser et chanter ; dis-moi que tu as fait de belles rencontres, que ton cœur bat d'un amour partagé. Raconte-moi ton plaisir à explorer l'Écorce, les observations que tu as fait de la faune et la flore, comme tu le faisais quand tu étais plus jeune ; raconte-moi ce que tu as trouvé dans les archives poussiéreuses ou en allant discuter avec les homins, ces histoires que tu glanes et qui illuminent ton masque. Peux-tu me dire tout ça ? As-tu pris le temps de faire ces choses, ces dernières saisons ?

Le masque du fils est plein de chagrin.
- Je suis seul, Mi. Seul au milieu des gens qui rient. Je m'entraine et nous ne parlons que de techniques de combats avec mes compagnons. Je cherche dans les archives et les rencontres de passage le moyen de lutter contre ceux qui déséquilibrent notre monde. Enfin, je trouve notre ennemi là où je ne pensais pas qu'il pouvait se nicher, et je dois le défaire sans blesser quiconque.
- Cela répond à ma question. Tu portes un poids trop lourd sur tes épaules. J'en suis responsable, et pour cela je te demande pardon. Je n'imaginais pas que tu en ferais tant, ce n'était pas ce que je voulais. Fii, je vais être plus directive. Que tu ne ressembles pas à ton père et aux siens me suffit ; tu n'as pas besoin de lutter contre eux. Pars loin de la Jungle, loin de ce que j'ai à réparer : ce ne sont pas tes affaires. Va dans un des autres pays, change encore de nom, trouve-toi des amis, des vrais. Et même, si tu veux devenir Ranger, comme tu semblais le vouloir fut un temps, vas-y ! Tant que tu ne renies pas les kamis, tant que tu restes hoministe, tu me combleras de joie.
- Je ne peux pas abandonner ma shizu comme ça, ils ont tant fait pour moi...
- Ukio, mais tu peux prendre des vacances et ralentir le rythme. Je ne pense pas que quiconque t'en voudra, et si quelqu'un t'en fait le reproche, envoie-le-moi, je saurais m'en occuper !

Pour la première fois depuis le début du jour, un sourire timide éclot sur le masque de son fils, alors qu'il l'imagine en train de réprimander les solides guerriers de sa shizu, elle toute menue et toute frêle. Ce sourire apaise un peu les inquiétudes d'Ylang Hao, qui sourit à son tour avec chaleur, rayonnante de l'amour qu'elle porte à son fils.

#2 [fr] 

Ylang Hao repensait à la rencontre du soir avec un sourire sur le masque. Elle ne savait toujours pas où était son fils et s’il était en bonne santé, mais elle était heureuse d'apprendre qu’il s’était fait une nouvelle amie.

Est-ce qu’elle pouvait se laisser à espérer que cette charmante Liliko prendrait soin de son garçon adoré et lui apporterait un peu de la sérénité qui lui manquait tant ? C’était prématuré. La kwai avait dit qu’elle avait partagé quelques chasses avec Haokan, rien de plus. Mais elle semblait vraiment intéressée par lui.

En plus, elle devait être kamiste. C’était assez probable pour une zoraïe, mais jamais absolument certain ; or la demoiselle avait remercié les Kamis de leur rencontre.

Vraiment, cette Liliko lui avait fait la meilleure impression. Elle était d’un physique assez imposant, ce qui contrastait avec sa charmante timidité. C’était une travailleuse, mais elle ne profitait pas d’être dans les Lacs pour boire : Ylang Hao savait que cela plairait autant à son fils qu’à elle. Elle-même détestait les substances qui pouvaient amener à des états seconds et avait transmis cette répugnance à son enfant, mais c’était rare de rencontrer d’autres homins (et homines !) qui comme eux se méfiaient des drogues et poisons, bhyr comprise. Et en plus, Liliko avait le sens de la piété filiale ! La famille, c’était important ; trop de jeunes zoraïs avaient tendance à l’oublier. Yui, à tout point de vue, Liliko lui avait donné l’impression d’être une homine sérieuse et agréable.

Restait à voir si son fils serait du même avis. Cette fois, elle demeurerait à distance. Si elle s’en mêlait, il allait encore se braquer. Mais rien ne l’empêchait d’inviter cette nouvelle amie à boire le tcay à l’occasion, afin de faire plus ample connaissance.

Pas tout de suite, cependant. Avant, elle voulait savoir ce que Haokan devenait. Depuis leur dispute de l’autre jour, il n’avait pas donné signe de vie et cela l’inquiétait. Est-ce qu’il était retourné harceler les Antekamis ? Ce genre de chose ne pouvait que mal tourner. Il était fort, ils ne pouvaient pas l’avoir fait prisonnier. Les Kamis veillaient sur lui. Mais s'il continuait d'aller les chercher… Malgré toutes ses craintes, elle n’osait pas s’approcher de la tribu pour essayer d’avoir des nouvelles de son enfant belliqueux. L’idée même de poser le pied au Bosquet de l’Ombre, ou d’aller à Min Cho, la rendait malade.

Peut-être que si Liliko l’accompagnait, avec quelques guerriers de la Compagnie de l’Arbre Éternel…

Mais avant d’explorer cette piste effrayante, il y avait d’autres endroits où chercher. Entre autres le Désert, puisqu’on avait vu Haokan là-bas il n’y avait pas si longtemps.

#3 [fr] 

Ylang Hao rêve. Ou plutôt, elle cauchemarde. Elle ne sait plus vraiment ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. Est-ce que ce ne serait pas juste un vieux souvenir qui revient la hanter ? Non, ces masques… ce ne sont pas des souvenirs, mais quelque chose de récent. Et ce n’est pas un simple voyage onirique. Cette impression, elle sait ce que c’est.

Elle lutte pour rassembler sa volonté. Elle a appris, au fil des ans. Déjà à l’époque, elle s’en sortait bien. À présent, elle sait comment faire. Il faut juste y arriver.

Son esprit se fragmente et s’éparpille, avant de se rassembler à nouveau. Le temps s’étire. « Il n’y a pas de temps ni d’espace dans l’Âge d’Or Kami » : cette phrase résonne dans sa tête durant un temps infini. Elle se rappelle enfin et murmure :

An, O Ran Ma'An
An, O Mayu Kami


Elle répète le mantra, encore et encore. Sa bouche est pâteuse, elle n’arrive pas à articuler, mais elle se concentre sur les mots jusqu’à ce qu’ils soient rayonnants dans son âme. C’est son fil rouge. Lorsqu’ils sont éclatants de lumière, elle se laisse pénétrer de leur paix, avant de rassembler son énergie pour la suite.

Son fils. Elle doit sauver son fils.

Cette pensée-là brouille sa concentration ; un instant son mantra se délite, les ombres dans son champ de vision se peuplent de masques effrayants. Elle recommence depuis le début.

Elle ne peut pas l’aider directement, pas dans cet état. Mais il ne faut pas qu’il tombe dans le piège. Il faut qu’il soit averti. Elle tisse un deuxième mantra en dessous du premier. C’est un peu comme surveiller deux plats en train de cuire, même si l’exercice est complexe avec tous les ragus qui hantent les abords du camp.

Kami wa Laï
Kami wa aribini
Kami wang waki
Taki wang waki
Laï wang waki aribini


Elle sait qu’elle hallucine, mais sur quoi ? Qu’est-ce qui est vrai ? La lumière des kamis est vraie. Toujours. Et par le chemin vers la lumière, elle l’atteindra. Lui ou un de ses amis.

Sa transe s’approfondit. Elle sent Atys respirer. Elle se sent bercée dans les bras de Ma-Duk. Le Vide est encore là, la peur aussi, et comme toujours cela l’empêche de communier complètement, mais elle sait que cela peut suffire. Cela doit suffire aujourd’hui.

Elle évoque l’image de son fils, son fii chéri. Mais il n’y a que le Vide qui lui répond. Il est si loin… Si perdu… Né, il ne pourra pas l’entendre. La terreur la submerge à nouveau, brise sa transe, la ramène dans ce monde sombre et humide, avec ces masques horribles, ces prédateurs et la douleur.

Ça ne sert à rien de rester ici. Elle recommence, encore. Un mantra, puis l’autre. Elle repart dans sa transe, ou peut-être dans un rêve absurde.

Qui peut agir ? Qui peut l’entendre ?

Elle évoque des images, encore et encore. Un fyros dans les lacs, puis un autre dans le désert. Une trykette ; une autre trykette ; toutes avec de la bhyr. Un matis savourant un coucher de soleil dans le jardin majestueux. Un bonze du temple de Zora ; des zoraïs au Havre et au Nexus. Mais chaque fois qu’elle croit arriver à les contacter, sa concentration se brise, sans qu’elle arrive à délivrer un message, sans même savoir si elle a réussi à les effleurer. C’est trop compliqué de tout expliquer par ce biais.

Elle recommence, encore. Elle n’a rien d’autre à faire, rien de plus important. Il faut un message plus simple.

Kaipai zo'hoja. Kaipai. Kaipai.

Prévenez-le. Aidez-le. Ne le laissez pas seul.

#4 [fr] 

Ylang Hao sort de l’appartement pour aller saluer le soleil depuis le ponton. C’était étrange de dormir dans une habitation tryker.

Infiniment plus confortable que la mousse humide des Primes.

Il fait beau, elle savoure pleinement la lumière sur son masque. Simple moment de bonheur, à remercier les kamis de l’avoir sauvé encore une fois, à prendre des forces pour les jours qui s’annoncent.

En se retournant vers la tour, elle remarque un zoraï en train de somnoler dans un coin. Un instant la terreur la saisit, persuadée qu’ils l’ont déjà retrouvée ; et puis elle reconnait le zoraï en question et son cœur bondit de joie.

Elle s’approche avec douceur, s’assoit à côté de lui, attentive à ne pas briser son sommeil brutalement.

— Ari'Kami.

Elle adresse une prière de gratitude aux Kamis dans ce simple mot du taki.

Elle scrute son masque. Même ainsi, endormi, il n’est pas serein, serrant les poings. L’ombre qui plane sur lui voile sa lumière.
— Ho, Wa'Laï, guzu, murmure-t-elle.

Elle a compris quelque chose, là-bas dans les ténèbres, à discuter avec les filles de Gia'Suki. Mais comprendre ne suffit pas à réparer. Elle a commis tant d’erreurs, et ses tentatives pour remédier aux problèmes ont conduit à des maux encore plus grands. Si seulement prier pouvait tout arranger. Mais à défaut de changer vraiment le monde, la prière apaise. Par habitude, elle cherche son chapelet, puis se rappelle que cela fait partie des nombreuses choses que les Antekamis ont gardées avec eux.

Son fils se réveille en sentant sa présence à côté de lui. Clignant des yeux dans la lumière matinale, il met quelques instants à se remémorer où il est et pourquoi il s’est endormi dans un endroit aussi inconfortable. Puis il voit sa mère et le changement sur son masque est fulgurant :
— Mi !!!

Un instant, un très court instant, il fait mine de l’enlacer, avant de se reprendre. Ylang Hao elle-même hésite, esquisse un mouvement, puis renonce à son tour. Ils sont là, ils sont ensemble : cela doit suffire. Elle voit passer sur le masque de son fils sa joie de l’avoir retrouvé, son inquiétude pour ce qu’elle a dû vivre, sa frustration de ne pas pouvoir la serrer dans ses bras, ses questions qu’il ne formulera probablement pas, et une étrange expression de honte qui le pousse à baisser le masque. Mais sous tout cela, il y a une colère sourde, ce qui effraie Ylang Hao plus que tout. Il n’a pas de raison d’être en colère à l’instant présent.

Ils s’installent sur le ponton. Il y a des choses à dire, même s’ils prendront sans doute beaucoup de temps pour les exprimer. Elle remarque comme il reste vigilant, surveillant tous les homins qui s’approchent. Finalement c’est lui qui commence :

— Pourquoi les lacs ?
— Je suis sortie de ce côté, je n’ai pas vraiment eu le temps de choisir. Ils m’avaient emmené dans les Primes et pris tous mes pactes, toutes mes affaires. Je n’ai pas voulu risquer de les recroiser en allant au Vortex du Bosquet de l’Ombre, ni traverser cette région ensuite.
— Ça n’a pas dû être facile d’arriver ici.
— Les Kamis m’ont aidé.

Manière élégante de dire qu’elle n’a pas échappé à tous les torbaks… mais qu’heureusement cela ne signifie pas la fin du voyage.

— Comment as-tu réussi à t’évader ?
— J’ai eu de la chance. Les Kamis veillent sur moi.

Haokan grogne, sa colère flamboie un instant, mais il se retient de dire quoi que ce soit sur le sujet. Ylang Hao choisit ses mots pour raconter son histoire. Cela lui brise le cœur de mentir à son fils, de devoir se comporter avec lui comme elle l’a fait avec les Antekamis, mais il n’est pas en mesure de bien réagir à certains détails :
— Il y a des Maraudeurs qui patrouillent dans les Primes. Ils attaquent tout le monde, même leurs alliés. J’ai profité de l’occasion pour m’esquiver.

Elle voit la façon dont il sert le manche de sa hachette avec fureur, et précise :
— Ce n’est pas la peine d’aller attaquer leur camp, cela ne changera rien.
— Le tour viendra aussi, répond Haokan d’une voie glaciale qui épouvante sa mère.
— La vengeance ne résout jamais rien. Et puis leur assaut m’a aidé, tu n’as pas de raison de leur en vouloir.
— Bien sûr, ricane Haokan. Ils ont tué les Antekamis, puis t’ont détaché et escorté aimablement jusqu’au vortex, sans doute. Peut-être même qu’ils t’ont soigné !
— Né. Bien sûr que ce n’était pas ça. Ils se sont contentés de tuer tout le monde sans distinction. Mais je suis libre, fii. C’est tout ce qui compte.

Il grogne, mais n’ajoute rien. Où est son fils doux et souriant, qui disait que les kamis n’ont soif que d’amour et que cet amour devait s’étendre à tout le monde ? Comme il a changé en quelques années…

— Fii, il y a plus important. J’ai parlé avec eux, durant mon enlèvement, je sais ce qu’ils veulent. Enfin, ce que veut Gia'Suki, surtout.
— Je me contrefiche de ce qu’elle veut. Elle va payer pour ce qu’elle a fait.
— Né ! Cela suffit ! Arrête ça !

Ylang Hao élève rarement la voix, et son cri est plus terrifié que grondeur. En d’autres époques, cela aurait cependant suffi à calmer son fils. Pas cette fois :
— Toi, arrête ! Cette situation dure depuis trop longtemps ! Après tout ce qu’ils t’ont fait, ils n’ont jamais été inquiétés, et ils peuvent se permettre de t’enlever encore aujourd’hui et… Jia ? Tu veux les laisser partir avec la bénédiction de Ma-Duk, pour qu’ils recommencent encore ? C’est leurs drogues qui te manquent ?
— Comment peux-tu dire ça ???

Ylang Hao se tait avant de dire des sottises, et Haokan se tait pour ne pas déverser toute sa rage. Il sait très bien ce qu’il va faire ; cela faisait bien longtemps qu’il n’avait pas été aussi sûr de lui. Gia'Suki avait fait la plus grosse erreur de sa vie, mais il pouvait presque l’en remercier : cela avait balayé tous ses doutes.

Ylang Hao finit par retrouver le courage de parler :
— Fii, je t’en prie, écoute-moi.
— Je t’écoute, Mi. Mais je ne veux pas entendre d’appel à la fraternité. Pas avec ces gens, pas venant de toi.

Un vertige la saisit. Comment faire ? Les plans de l’Antekamie semblent impossibles à arrêter. Seule, elle n’y arrivera vraiment pas.
— Ukio. Pas d’appel à la paix, alors. Mais j’aimerais te demander deux choses. En premier, je souhaite retourner dans la Jungle.
— Pour te faire capturer encore ?
— Parce que c’est chez moi, et ce n’est pas négociable. Je me suis exilée durant des années pour fuir les Antekamis, je suis lasse qu’ils décident de ma vie. Ma place est parmi les zoraïs et les Kamis, et je veux servir la Théocratie. Si tu m’aides à retourner à Jen Laï, je serais heureuse, mais sinon je me débrouillerais.

Haokan grommelle, mais n’envisage tout de même pas de kidnapper sa mère à son tour pour la garder dans un endroit plus sécurisé.
— On va rassembler un peu de monde pour t’accompagner. La route est dangereuse.
— Ari'kami. Le second point… Je ne suis pas d’accord avec toi. La Théocratie a agi. Elle a emprisonné une bonne partie des Antekami Kaze, elle avait même attrapé Ezek. Elle m’a aidé à briser les chaines qui m’entravaient et m’a permis de fuir. Sans les gens de la Théocratie, les choses auraient été bien pires. Donc, je vais demander une réunion des Cercles. Nous allons trouver une réponse collective au problème.
— Depuis le temps…
— Je ne veux pas entendre de critique sur les zoraïs. Tu n’es pas Initié, c’est ton choix, mais dans ce cas, ne te mêle pas des affaires de mon pays. Si tu veux te battre contre des Antekamis, fais-le quand la Théocratie sollicitera l’aide de tous pour ça.
— Et pendant ce temps je les laisse continuer à enlever et attaquer les gens ?

Ylang Hao secoue le masque. Elle n’aime pas ce qu’elle doit lui dire, mais il faut absolument qu’il arrête. Elle s’oblige à être aussi dure que possible.
— Ils n’ont enlevé personne depuis des années. Ils ne recrutent même pas tant que ça. Ils étaient calmes avant que tu ailles les voir, aussi calmes que des Antekamis peuvent l’être. Et s’ils m’ont kidnappé, c’était uniquement pour t’atteindre, toi. Ce sont tes actions qui m’ont mis en danger.

Haokan accuse le coup, plus durement que sa mère ne l’avait envisagé. Un instant son masque se fissure, elle entraperçoit le petit Nati qui essaie de toujours bien faire, puis sa colère flamboie à nouveau et il s’écrit :
— Évidemment, ça va être ma faute !
— Pour cette fois, tu as ta part de responsabilité. J’en ai aussi. Tu veux un laï-le Ban ?
— Certainement pas !
— Alors tu attendras l’avis de la Théocratie avant d’agir. Sinon, je demanderais un mandat d’arrêt contre toi en pays zoraï.

Cette déclaration finit d’achever Haokan :
— Jia ????
— Tes actions mettent tout le monde en danger. Tu ne veux pas écouter ce que j’ai à dire, ce que j’ai appris, lao. Tu es grand. Mais je reste ta mère, et je ferais de mon côté tout ce qui est en mon pouvoir pour te protéger. Tout. Y compris t’enfermer au temple pour éviter que ton histoire avec les Antekamis ne détruise tout.

Haokan se relève, détournant son masque pour qu’elle ne puisse plus le voir. Elle se sent mal. Elle aimerait revenir sur ce qu’elle a dit, lui demander pardon. Mais elle sait que c’est ce qu’il faut faire. Elle voudrait lui dire…
— Fii…
— Je dois rester ici pour veiller à ce qu’ils ne te reprennent pas, la coupe Haokan d’une voix pleine de tristesse. Je verrais si des gens de la Lune Éternelle et de Bai Nori Drakani peuvent me relayer. Dès que possible, nous te ramènerons dans la Jungle, comme tu le désires.
— Fii…
— Je ne veux rien entendre de plus. Je ferais ce que tu demandes. Mais je ne veux plus te parler.
— Fii…
— Je vais respecter tes demandes, eny pacty, ne me parle plus.

Ylang Hao se tait, immensément triste. Elle contemple le dos de son fils qui refuse obstinément de la regarder. Enfin elle secoue le masque, essuyant ses propres larmes, et retourne à l’appartement qu’on lui prête.
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