ROLEPLAY


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#1 [fr] 

Eeri ouvrit l’oeil quelque part sur la plage d’Avendale. Comme bien des fois, elle tenta de réveiller la vision de son oeil mort, sans bouger. En vain. Le cauchemar continuait, rien de tout ça n’était un mauvais rêve.

Même si elle n’avait pas su le montrer, elle était profondément heureuse pour Kyriann et Ostium, qui au fils des années avaient construit une relation stable, durable, dans les valeurs de la fédération. Leur mariage avait été à cette image, festif, heureux, insouciant. En un mot, Tryker.

Mais tant de monde, quelle épreuve pour elle. Tant de regards sur son visage défiguré, son bras droit autrefois terrifiant qui maintenant pendouillait lamentablement à son épaule elle aussi presque immobile. Elle n’avait pas répondu aux nombreux saluts. Elle avait dû faire un effort gigantesque pour finalement aller à la rencontre de Wixarika, Lylanea et quelques autres, feignant de ne tout simplement pas les avoir vues.

La terrible Eeri, devenue l’ombre d’elle même à la suite de cette folie de trop. Coriolis n’était pas assez, il fallait encore qu’elle se croit capable de continuer, pour contempler les remparts de Fyre. Le Kipesta flamboyant, contre lequel elle avait failli au combat, avait gagné. Elle pensait bêtement être à la hauteur, courant follement vers le combat, sans réfléchir, au lieu de laisser son compagnon prendre la hache. Oh, quelle chance de revenir, quelle chance de ne pas avoir perdu totalement l’esprit, disaient-ils tous. Elle aurait mieux fait d’y crever, de mourir dans l’honneur, au combat. Elle aurait mieux fait de retourner à Citadelle, donner la vérité aux maraudeurs, et faire face à leur justice. Et comment en vouloir à ces agents de la Karavan qui les avaient recueilli? Dans la même situation, elle aurait tout fait pour aider des semblables en perdition.

Le seul réconfort qu’elle trouvait était auprès d’Azazor. Les deux avaient tellement traversé, s’étaient tellement détestés, engueulés, qu’un lien invisible les liait, oscillant entre amour, dévotion et complicité. Certes, ils s’engueulaient encore, avaient un désaccord profond sur bien des sujets, mais aussi partagent une vision commune et unique, comme deux âmes qui s’étaient liées dans la mort et dans la résurrection. Deux âmes qui n’avaient besoin que d’un bref regard pour se comprendre et s’accepter.

Mais il n’était pas là.
Azazor n’était pas là pour lui donner la petite étincelle d’énergie dont elle avait tant besoin. S’étaient-ils perdus en chemin? Le fyros avait décidé d’amener leur fils, Uzykos, vers Fairhaven, sans lui en parler. Que le père et son fils soient partis sans elle ne la surprenait pas. Uzykos l’évitait, par peur, ou par honte, elle ne savait pas trop. Il avait sans doute trouvé un moyen de retarder leur arrivée, se fichant bien d’arriver à l’heure pour le mariage des amis de sa mère. Toutes les tentatives d’Eeri pour créer un lien avec son fils échouaient, jour après jour, la plongeant d’autant plus dans la boisson.

Elle aurait mieux fait d’y crever. Son fils aurait du garder l’image d’une mère héroïque, l’image de parents fous et géniaux, aux rêves grandioses qui les auraient conduit à leur perte, ou à ne jamais reprendre la route du retour. Cela aurait été mieux? Elle avait fait la promesse de revenir, elle était revenue, mais à quel prix… Elle se rendait bien compte, elle avait tout raté. Bon, Lyren semblait s’en sortir à peu près. Sans doute parce qu’elle n’avait pas été élevée par sa mère.Ò



Ces agents de la Karavan auraient mieux fait de les laisser crever.



Son époque était révolue. Elle était inutile, finie, détruite.

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Eeri
"Quand on a le nez trop près de la bouteille, on ne voit plus le bar"

#2 [fr] 

Pourtant, un choix ultime, une dernière décision s’offrait à elle.
Un choix sans retour possible.

Elle devait d’abord le retrouver, le convaincre, et espérer qu’il soit toujours en état de travailler. Les rumeurs disaient beaucoup de choses sur son état, mais l’once de pragmatisme qu’il restait à la fyrette lui dictait que le propre d’une rumeur était de rester fausse tant qu’elle n’était vérifiée. Il accepterait toujours de l’aider, elle le savait.
La décision était prise depuis longtemps, et n’avait été que retardée trop longtemps. La décision de le laisser opérer, de le laisser expérimenter sur elle ce que, de mémoire d’homins, n’avait jamais été tenté ou réussi. S’il réussissait, ce pouvait être là un pas gigantesque pour la recherche et la science, pour la guérison de dommages irréparables. Ça ouvrirait peut-être un espoir pour guérir les intoxiqués à la goo, ceux dont la graine de vie est touchée, en allant opérer au plus près d’elle. S’il réussissait, elle pourrait retrouver l’usage de son bras, peut-être de son oeil.

S’il échouait, au pire, elle allait mourir. Une terrible perte, ricana t-elle au fond d’elle-même. Crever, pour de bon, finir le travail de ce kitin. De toute façon, les homins des Nouvelles Terres courent à leur perte, inconscients de ce qui les attend si le passage de Citadelle cède. Autant crever avant et éviter de voir ça sans n’y pouvoir rien faire, pensait-elle, ça débarrasserait tout le monde de sa présence pesante, gênante. Personne n’osait lui dire à quel point elle était devenue un fardeau, dépendante et insupportable. Tous évitaient à tout prix de la froisser, d’être désagréable avec elle. Ces voix fausses, oh, tu as bonne mine aujourd’hui, Eeri, tiens, reprends une byrh, mais tais-toi, ne râle pas trop. Ou peut-être ne voyaient-ils simplement pas. Azazor, Lyren, Kyriann, les drakani, et les autres, Tous avaient bien trop à faire pour remarquer ou admettre qu’elle s’enfonçait lentement dans la solitude et la folie. Ou peut-être qu’elle arrivait bien à le cacher. Ou peut-être qu’ils le faisaient tous exprès, pour la pousser à bout. Ou qu’ils s’en fichaient bien, ils avaient bien trop de choses à faire avec leurs deux bras.

Wixarika, en la giflant le soir du mariage, lui avait montré qu’elle était peut-être la seule à avoir encore un peu d’espoir, l’espoir qu’elle se ressaisisse, qu’elle sorte de sa spirale destructrice.

Elle secoua la tête, toujours sur cette plage. Vain, l’espoir. Il était trop tard pour elle. Elle ne voulait pas continuer comme ça, dans le déni, dans l’immobilité. Elle ne pouvait pas continuer à regarder les autres faire ce qu’elle rêvait de faire.
Retrouver sa mobilité ou crever. Redevenir sciure et arbre, Redevenir matière, eau, poussière.
Ou être de nouveau capable de bouger, de remuer.
L’un ou l’autre, sans compromis.

Elle devait retrouver Maze’Yum, une dernière fois.

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Eeri
"Quand on a le nez trop près de la bouteille, on ne voit plus le bar"

#3 [fr] 

Eeri s’accroupit, haletante. Elle laissa passer quelques prédateurs, des torbaks contre lesquels elle avait l’habitude de se défendre à la dague en faisant fuir les autres à coups de bottes, autrefois. Chaque instant, chaque pas lui rappelait le temps d'avant, ce monde lointain, Ce monde dans lequel elle était encore capable de brandir une hache, de narguer bandits et varinx, de rire, de courir.

La route vers la Masure n’était pas bien longue. Elle n'avait prévenu personne, cette fois. Ni Lyren, ni Wixarika, ni même Azazor. Elle s'était enfermée dans son appartement de Fairhaven et avait donné pour instruction au gardien de ne faire entrer personne, de ne la déranger sous aucun prétexte. La nuit venue, elle avait enfilée son armure, mis quelques bouteilles dans son sac et profité d'une courte inattention du gardien pour s’éclipser. Elle avait quitté Fairhaven à la nage, partant directement du ponton. Il était hors de question d’utiliser les téléporteurs, le risque d’être vue était trop grand, et elle ne passait hélas pas inaperçue. Elle évita les villages, et traversa la Loria en direction du vortex qui reliait les lacs à la Masure, avec toutes les précautions pour ne croiser personne. Elle longea la falaise pour ne pas être repérée par l’agent Karavan planté là et traversa le vortex.

De l’autre coté, alors qu’il lui fallut quelques secondes pour s’habituer à la pénombre, elle vérifia que personne ne se trouvait à l’autre téléporteur, côté forêt. Par chance, de nuit, elle pouvait passer sans être véritablement reconnue, et l’agent Karavan n’avait pas pour fonction de surveiller les passages homins. Devant elle se trouvait le véritable défi, traverser ce labyrinthe, seule. Elle connaissait certes le chemin, mais la moindre inattention ou le moindre bruit pouvait la transformer en proie pour les nombreux prédateurs de la zone.

Quelques centaines de mètres plus loin, elle vit un homin, debout, au milieu du chemin. Elle s’approcha lentement, soulagée qu’il soit venu à sa rencontre, à condition qu’il s’agisse bien de lui.

- J’ai presque pensé que tu renoncerais à venir.
- T’ai-je déjà laissé tombé?
- Non. Et tu es bien l’une des rares.

Mazé’Yum était nerveux, elle le sentait. Elle s’approcha de lui, et contempla son masque fatigué, puis ses mains, légèrement tremblantes.

- Tes amies ne m’ont pas raté.
- Je sais.
- J’ai mieux à faire que de me venger d’elles, malgré le temps qu'elles m'ont fait perdre, ajouta t-il d’un ton neutre.
- Ça ne t’apporterait rien, à part d’autres problèmes. Et je n’ai plus aucun pouvoir pour t’aider.
- Je sais. Je préfère les ignorer. La médiocrité et l’ignorance sont leur choix.

Le zoraï retroussa une manche pour observer sa main, et plia ses doigts plusieurs fois.

- En plus, tout le monde me croit hors d’état de travailler. On va les laisser penser que c’est vrai. Même si j’ai beaucoup perdu.
- Elle a donc vraiment fait du bon travail, cette… C’est quoi, son nom, déjà?
- Varnili. Elle est douée, mais spéciale. Souviens-toi que tu n’es pas là pour devenir amie avec elle.
- J’avais cru comprendre. Mais je…
- Tant que je suis là, elle fera du bon travail, coupa t-il. C’est tout ce qui importe.

Les deux restèrent là un moment, en silence.

- Allons-y, se décida finalement à dire Mazé’Yum. Tu dois te préparer.
- Après toi.
- À propos, tu as bien écrit une lettre?
- Elle est sur la table de mon appartement. Ils viendront me chercher là, lorsqu’ils remarqueront mon absence. Ça les occupera un moment.

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Eeri
"Quand on a le nez trop près de la bouteille, on ne voit plus le bar"

#4 [fr] 

Ça y était. Eeri était sanglée sur la table d'opération, afin qu'un faux mouvement ne vienne pas mettre en péril la réussite de l'opération. Mazé'yum se sentait aussi fébrile que lors de ses premières dissections, même s'il le laissait peu paraître. Toutes ces années d'études de la physiologie homine et de la graine de vie étaient aujourd'hui au service d'une expérience inédite. Si cela réussissait, ils auraient dépassés les compétences de la Karavan. L'échec n'ayant aucun intérêt, ses pensées ne s'y attardèrent pas un instant.

Varnili vérifiait le tranchant de ses instruments. La matisse aussi était excitée, même si ses raisons différaient un peu. Bien sûr, l'aspect scientifique l'intéressait aussi, presque autant que de voir la résistance à la douleur de son nouveau sujet d'expérience. Mazé'yum ne lui avait cependant pas dit qu'il avait prévu divers anesthésiants afin de préserver (autant que possible) le mental de son élève et cobaye. Varnili serait outrée quand elle le découvrirait, mais une fois lancée, elle ne s'arrêterait pas. Le zoraï n'avait pas non plus raconté à Eeri la façon dont Varnili avait acquis ses talents de chirurgienne. Du reste, il était une des rares personne à voir cette qualité chez la matisse ; pour ses congénères, c'était juste la plus sadique et inventive des tortionnaires. Peu importait les adjectifs qu'on lui donnait, elle était aussi experte que lui en anatomie homine, si ce n'est plus, et ses mains étaient bien plus assurées. D'autant plus depuis que Nikuya et Naveruss avaient brisé les doigts du zoraï ; c'était justement grâce au talent de Varnili qu'il avait pu retrouver l'usage de ses mains mais il en restait quelques séquelles, un peu trop pour un travail sensible comme celui dans lequel ils se lançaient.

La première partie était facile : tester l'état des nerfs et des muscles d'Eeri dans ce bras qui ne répondait plus. Il suffisait d'appuyer au bon endroit et de noter la réaction aux stimulis. Cela permit de circonscrire les zones abimées. Le bras était un poids mort, absolument inerte et insensible, mais certaines manipulations réveillaient un réflexe ou un arc de douleur rapide.

Ensuite commença le travail de reconstruction. C'était aussi bien que Varnili se soit entrainée peu de temps avant sur les doigts de Mazé'yum, elle allait d'autant plus vite cette fois-ci. Ils étaient aussi aidé par un aspect sur lequel le scientifique n'aurait pas parié : Eeri ayant été très affaibli par ses épreuves, sa régénération naturelle était naturellement plus lente, ce qui laissait le temps de guider et de forcer les fibres à se refaire dans le bon sens. Les potions préparées pour contrer cette régénération naturelle ne furent guère entamées, ce qui était aussi bien vu leurs effets secondaires.

Cette phase était un travail de boucherie des plus salissants. Il fallait parfois recommencer sur la même zone, encore et encore, jusqu'à ce que la chair se recompose suivant ce qu'on en voulait. C'était douloureux, mais Eeri en avait vu d'autres. Elle serrait les dents, assassinant la matisse de l'œil, mais ne demandant même pas de pause. Le sourire de Varnili s'élargit comme celui d'un torbak face à un yubo particulièrement juteux. Elle adorait quand ce n'était pas facile. Maze'yum se contenta de noter les réactions physiologiques, veillant à ce que certaines drogues agissent en quantité suffisante et laissant les deux homines dans leur combat mental. Ce que le zoraï donnait au fil du temps à Eeri permettaient de garder les muscles flasques ; une mauvaise tension au mauvais moment aurait été gênant. Il surveillait soigneusement les signes vitaux de la fyrette, qui pour le moment montrait toujours autant de combativité dans son regard, coincée dans ce corps qui lui échappait, torturée par les manipulations de la matisse. Les anti-douleurs seraient pour si elle commencerait à faiblir, mais autant qu'elle aie de la rage pour le moment, cela ne pouvait que l'aider à ne pas se laisser partir.

Enfin ils arrivèrent à un moment où le bras était raisonnablement fonctionnel. La partie motrice était réglée ; cela n'avais été que quelques problèmes mécaniques presques "faciles". Mazé'yum offrit à Eeri le confort d'un anti-douleur puissant qui plongea l'homine dans un sommeil proche de la mort ; il fallait qu'elle regagne des forces pour la suite. Et ses deux médecins aussi.

Varnili se moqua :
- Tu es toujours une petite nature. Elle dormira avec ou sans ton produit.

Mazé'yum était toujours un peu vexé que Varnili le considère comme un faible, mais il ne la ferait pas changer d'avis, et puis il savait bien que ce n'était pas une faiblesse de caractère qui motivait ses actes, seulement le besoin de réussir pleinement l'expérience, ce qui voulait dire de garder le cobaye en aussi bonne santé physique et mentale que possible.

La matisse repartit à sa tribu afin de dormir à son tour et manger un peu. Mazé'yum s'occupa de nettoyer le laboratoire et les instruments, préparant la suite, avant de se poser dans un coin pour souffler un peu tout en gardant un œil sur Eeri. Cela aurait été pratique d'avoir Mac'Duncan pour ce travail de larbin, mais Varnili détestait cordialement le tryker, et ce dernier était tellement terrifié par la matisse qu'il commettait bourdes sur bourdes quand elle était là. C'était finalement moins de travail de ne pas les avoir ensemble au même endroit.

Il somnola un moment, jusqu'à ce que un gémissement d'Eeri le tire de son sommeil. Il s'occupa alors de la faire boire et manger, observant la façon dont elle récupérait. Elle râla sur le fait qu'il lui donnait de l'eau et réclama de la shooki, ce qui était plutôt bon signe pour la suite. Mais malgré tous ses efforts, impossible pour elle de remuer les doigts ou de plier le coude.

- Me dit pas que tout ça n'a servi qu'à amuser cette tarée, Yum.
- Non. Ça aurait été bien que ça suffise. Mais, demain, on va passer aux choses sérieuses. Comme nous le craignons, il y a bien quelque chose du côté de la graine de vie.

Il laissa la fyros se rendormir, notant son air las, voire un peu desespéré. Lui-même était épuisé, mais il prit le temps de revoir certaines potions qu'il comptait utiliser le lendemain, avant de s'autoriser à son tour quelques heures de sommeil.

#5 [fr] 

Retour à la table d'opération. Cette fois Eeri était plongé dans l'inconscience ; il ne servait à rien qu'elle entende Varnili découper sa calotte cranienne. La matisse s'était âprement moquée de Mazé'yum, jusqu'à ce qu'il lui signifie qu'il se lassait :
- Ça suffit. Si elle se fait ressusciter par les Puissances, on pourra recommencer. Si elle fait le moindre mouvement, ça risque d'arriver. Et si elle perds la tête, ça n'aura servi à rien. D'autant que je ne lui ai pas seulement donné de quoi l'endormir.

Le reste, c'était une petite merveille appris via Tao Sian. Évidement, la Guérisseuse Dynastique n'avait pas appris cela aux scientifiques du Cercle Noir directement, mais les informations circulaient. Quelques années auparavant, l'illustre zoraïe avait essayé un remède sur Supplice, afin de ralentir son mal, grâce à une fleur rare des Primes. La mixture avait effectivement ralenti le mal... et le Sage, bloqué dans un temps qui s'étirait lentement, très lentement. Ce n'était pas exactement l'effet recherché à l'époque.

Mais, dans le cas présent, c'était parfait. À partir du moment où on ouvrait le crâne d'un homin, un compte à rebours démarrait. Rien de mieux comme opération pour tuer quelqu'un... et que les Puissances le ramènent après un temps bien trop court. Pendant longtemps, Varnili et Mazé'yum avaient dû (discrètement) explorer l'intérieur des têtes homines avec un sablier à côté d'eux et par tranche de dix minutes. Au bout de ce temps, et à condition de ne pas avoir fait trop de dégâts avant, il fallait utiliser un sort de soin, ou voir leur victime se faire rappeler par les Puissances. C'était quasiment impossible d'atteindre la graine de vie en un temps si court et sans faire trop de dommages. Quand à agir dessus...

Là, le Puo-Kean allait leur donner du temps. C'était minuté aussi (et assez précisément grâce à d'autres cobayes involontaires) mais cela offrait bien plus de marge de manœuvre.

Couper, découper, soigneusement, avec précaution, sans jamais aller trop loin. Admirer ce spectacle que si peu d'homins connaissaient : une graine de vie active, au cœur du cerveau, dont les ramifications s'étendaient en tout sens. Mazé'yum avait préparé tout un appareil grossissant afin de pouvoir voir les détails. La graine de vie n'avait pas fini de livrer ses mystères, mais au moins savait-il à quoi elle devait ressembler, plus ou moins. Un tout petit grain aux stries innombrables, dont des fils infinitésimaux partaient vers les diverses zones du cortex et du corps, se liant aux nerfs jusqu'à s'y confondre. Il prit des lucios, de toutes les façons possibles, afin de pouvoir observer plus tranquillement les éventuels dommages une fois Eeri recousue (et sauvée de la résurrection). Ils durent recommencer trois fois l'ensemble de l'opération, pour éviter que la résurrection ne se mette en route, avant que le zorai estime avoir tout vu et avoir assez de clichés. Nouvelle pause, tandis qu'il observait les lucios pensivement. C'était vraiment, vraiment complexe. Un homin avec moins d'orgueil que lui aurait pu s'avouer vaincu, à ce moment-là. Comment pouvait-il faire mieux que la Karavan, alors qu'il n'avait pas tout leur savoir, ni leurs outils ?

Mais cela n'allait pas arrêter Mazé'yum. Certes, il ne comprenait pas pourquoi ce bras ne répondait pas. Aucune graine de vie ne ressemblant exactement à une autre, difficile de dire si les différences sur celles d'Eeri étaient liées à un dommage ou à la nature de l'homine. Difficile aussi de savoir comment changer ça. Par expérience, il savait que toucher une graine de vie était... très aléatoire. Elles étaient extrêmement solides, presque inaltérables, jusqu'au moment où elles se brisaient soudainement en milliers de morceaux qui se dissolvaient dans la foulée, sans raison réellement identifiable.

Varnili ne se moquait plus pour le moment, attendant les directives du zoraï. Malgré son sadisme et son mépris, même elle ressentait le caractère sacré de la graine de vie. Les deux scientifiques se sentaient presque sacrilèges d'approcher de ce mystère, d'oser intervenir dessus, et seul leur ambition à aller toujours plus loin, à combattre toutes les limites arbitraires qu'on pouvait leur mettre (fussent les limites d'un sentiment encore un peu homin) les poussait à continuer.

- Ukio, marmonna Mazé'yum qui dans ce genre de moment retrouvait les accents de son langage natal. Je ne vois que cela... il faut que ça marche.

"Cela", c'était une fiole aux reflets noirs et violacés, intouchée jusque là. "Cela", c'était surtout l'aboutissement de longues années de recherches sur plusieurs générations. Les sciences des zorais, des matis, des maraudeurs et des trytonnistes, des diverses tribus de l'Écorce et des recherches plus ou moins avouables de certains, combinées pour transcender les limitations homines. "Cela", si Mazé'yum ne s'était pas trompé dans ses formules, allait faire le même effet sur une graine de vie qu'un sort de soin en faisait sur le corps des homin. Ou la briserait.

- On y retourne. Ne coupe aucun fil.
- Tu veux prendre ma place, Ser la tremblotte ?
- Varnili...

Trop de tensions, qu'il faudrait évacuer à un moment. Mais pas maintenant. La matisse recommença le travail de découpage. Trancher, découper, jusqu'à laisser apparaître la graine de vie à nouveau.

- Une goutte, souffla le zoraï. Juste une.

La pipette laissa tomber sa larme noire sur la graine de vie scintillante. Un instant le liquide sembla devoir glisser le long du corpuscule, puis il fut soudainement absorbé, transformant la couleur de son support, ainsi que sa texture. C'était un de ces moments où l'absence d'une Déesse à qui adresser ses prières se faisait lourdement ressentir.

- Referme... Il faut voir...

Varnili remit les matières en place autour de la graine de vie et de sa toile, laissant glisser un léger flux de soin le long de ses instruments, jusqu'à refermer le crâne et la peau de la fyros toujours endormie et ralentie, mais dont le souffle était devenu lourd et saccadé.

Mazé'yum se laissa glisser le long d'une banquette, sans même chercher à dissimuler le tremblement de ses mains. Varnili ne tenait pas en place, serrant par moment la table de toutes ses forces, comme si cela pouvait accélérer le réveil de la fyros.

L'attente était insupportable. Mais leur patiente respirait. Un souffle de plus en plus fort, comme si l'air peinait à lui arriver. Puis, soudain, Eeri s'arqua, faisant craquer les liens qui la retenaient, et poussant un cri venant du fond de son âme. Mazé'yum se précipita, s'agitant afin de limiter les dégâts des convulsions, jusqu'à donner à regret de nouvelles drogues pour calmer la fyrette. Il aurait préféré limiter les produits, incertains des interactions, mais elle allait se tuer si elle continuait comme ça.

Durant trois jours, il la veilla, attendant qu'elle reprenne réellement conscience. Chaque fois qu'elle émergeait, Eeri hurlait de façon incohérente et luttait de toutes ses forces, jusqu'à ce que le zoraï lui redonne des anti-douleurs. Impossible de trouver un juste milieu, soit cela l'assommait, soit ce n'était pas assez. Il commençait à accepter qu'il avait échoué, mais refusait encore de renoncer. Tant qu'elle était en vie... Et puis, malgré le fait qu'Eeri ne reprenait pas ses esprits, il y avait un aspect réussi : elle serrait son poing droit avec férocité dans ces moments de souffrance.

Varnili les avaient laissé, cette partie-là ne l'intéressait pas ; la souffrance d'autrui ne l'excitait que quand elle y prenait une part active. Patiemment, Mazé'yum veilla son élève, lisant et relisant ses notes pour trouver une idée, quelque chose qu'il aurait pu oublier, qui pourrait améliorer la situation.

Et puis, peu à peu, la douleur sembla refluer. Eeri finit par se réveiller, l'œil hagard. Le deuxième œil était toujours mort, mais il est vrai qu'ils n'avaient pas travaillés sur cette partie mécanique (et que cela semblait plus complexe qu'un bras). Elle n'était pas en état de parler encore, elle semblait perdue, terrifiée même, ce qui était perturbant quand on la connaissait. Mais tout de même un peu plus "là".

Encore quelques jours entre inconscience, douleur et hébétement... et enfin...

#6 [fr] 

Mazé'Yum détacha doucement les sangles qui retenaient encore la fyrette. Rarement il avait agit avec tant de douceur, de précaution. Ça faisait plusieurs heures qu'elle était éveillée, mais il était encore difficile de dire si elle était totalement consciente derrière son oeil qui regardait, sans cligner, droit devant elle. Pourtant, le scientifique sentait que quelque chose avait changé, comme si elle le suivait de l'oeil, comme si elle avait repris conscience de la réalité qui l'entourait.

- Allez, tu devrais essayer de te lever, et on va aller un peu dehors.

Sa patiente ne bougea pas, alors qu'il lui libérait les pieds, puis le bras droit. Sa respiration était lente et profonde, mais aussi étrangement sonore et tremblante.

- On va y aller doucement. Tu n'as rien à craindre.

Maze'yum détacha la dernière sangle, celle qui reliait le bras gauche d'Eeri, mais d'un geste maladroit la laissa tomber de sa main, par terre. Le bruit sec que la lanière de cuir fit en heurtant le sol le fit sursauter, et il crut un instant voir la fyrette tressaillir, sans vraiment savoir si ses yeux lui jouaient des tours ou si elle avait vraiment bougé. Il se baissa pour ramasser la sangle, et la reposa doucement, sans bruit, sur une tablette à coté de lui.

- Allez, je sais que tu entends ma voix. De l'air frais te fera du bien. Essaye déjà de t'assoir, je vais t'aider.

Mazé'Yum posa sa main sur le bras gauche d'Eeri afin de l'inciter à faire un léger mouvement. La réaction de la fyrette à ce contact fut un geste sec, elle sauta sur ses pieds et fit volte-face de l'autre coté du lit où elle était allongée. Alors que son bras droit pendouillait toujours, inerte, elle attrapa vivement de sa main gauche une petite dague qui trainait sur la table. Puis dans un élan de fureur, elle s'élança sur le Zoraï. Ce dernier, si surpris qu'il en était resté immobile, parvint à esquiver deux coups de dague, mais fut bien vite blessé au torse par l'homine qui redoublait de vivacité. Cette dernière ne lui laissa que peu de temps de répit, elle le frappa de nouveau au flanc puis à l'épaule, le faisant s'écrouler au sol. Laissant sa raison prendre le pas sur la panique, il décida de ne pas riposter, au risque de laisser Eeri l'achever sans résistance, esquivant encore ce qu'il pouvait. Le Zoraï savait que sa force physique était bien supérieure à celle de la fyrette, mais le risque de la blesser et la renvoyer aux puissances était trop grand. C'était encore bien trop tôt après l'opération pour une résurrection.

Elle réussit à lui assener encore plusieurs coups de dague dans le ventre. Crachottant, il réussit à crier le nom de son assaillante, afin d'essayer de lui demander d'arrêter.

- Eeri...!

Elle arrêta de soudainement de frapper. Était-elle décontenancée ou surprise, son visage n'en était pas moins d'une froideur implacable. Elle recula d'un ou deux pas, regardant lentement autour d'elle. Mazé'Yum ne put déceler s'il s'agissait d'une crise de panique ou d'une fureur soudaine, et à quel point elle avait le contrôle de ses propres actes. Finalement, avec une rapidité déconcertante, Elle tourna sur elle-même et planta la dague dans le lit, à l'endroit même où ils avaient ouvert sa tête quelques jours plus tôt, puis elle s'élança et fonça vers la porte, qu'elle ouvrit d'un coup d'épaule. Elle disparut dans la pluie battante qui s'abattait sur la Masure, laissant Mazé'Yum à terre.

Elle avait réagit à son nom, pensa Mazé'Yum. Sa mémoire n'a pas été totalement altérée. C'est déjà un élément à prendre en considération. Il se releva, prit le temps de soigner ses blessures et enfila ses amplificateurs, afin de partir à sa recherche.

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Eeri
"Quand on a le nez trop près de la bouteille, on ne voit plus le bar"

#7 [fr] 

Une sensation était venue. Une sensation nouvelle, et pourtant si familière.
La douleur. Une douleur qui grandissait subtilement, jour après jour, nuit après nuit, toujours plus intense. Comme si ce bras, si longtemps privé de sensation et de mouvement, rattrapait son retard.

Chaque minute, des palpitations courraient le long de son bras, qui retrouvait lentement une sorte de mobilité : des réflexes désordonnés, qu’elle parvenait difficilement à maîtriser. Parfois, elle réussissait à se concentrer au point de pouvoir bouger un doigt. Mais à quel prix? La souffrance se répandait dans toutes les parties de son corps, comme si elle brûlait de l’intérieur. Une chaleur irradiante et douloureuse qui se diffusait de sa tête à chaque recoin de son corps. Qu’avait-il fait... Mais elle ne pouvait rien lui reprocher. D’une certaine façon, l’opération avait fonctionné, et il l’avait gardée en vie. D’une certaine façon.

Elle en était là. Le Col des Palpitations, un nom prédestiné pour abriter la souffrance et le désespoir. L’un des rares endroits sur Atys où quelqu’un pouvait hurler sans fin sans que personne ne s’en inquiète. Elle avait trouvé un refuge sous une racine, assez loin de tout prédateur, là ou personne ne viendrait la chercher. Mais comment était-elle arrivée jusque-là restait un mystère. Dans les quelques rares moment ou la douleur s’estompait, elle remettait de l’ordre dans sa mémoire d’après son opération. Elle avait été éveillée longtemps, incapable de bouger, comme prisonnière derrière son oeil unique, fixant le plafond. La silhouette de Mazé’Yum apparaissait et disparaissait en périphérie de son champ de vision, et un tumulte semblait venir de tous côtés, semblable à ce qu’elle avait ressenti durant ce long coma, après être tombée contre le Flamboyant. Sans pouvoir contrôler son corps, elle avait l’impression d’une toute puissance infinie, une énergie incroyable qui emplissait sa conscience, mais qui restait bloquée derrière la fine pellicule de son oeil. La pire des frustration, celle qu’elle endurait depuis des années, son pire cauchemar. Et soudain, une dague s’abat sur son oeil, sur son visage, le tumulte devient silence. Ça y est, elle est dehors, debout, il semble. Mais il lui faut encore trouver la sortie de sa prison. Est-elle encore prisonnière? Elle voit maintenant son propre corps, étendu là, gisant immobile, l’oeil ouvert. Une silhouette s’en approchant plante une dague dans son visage. Elle bondit et frappe, mais c’est elle-même qu’elle frappe, la Eeri d’avant, celle qui a deux yeux et deux bras, en face d’elle. Elle crie son propre nom en s’écroulant, et le tumulte revient, assourdissant. Sur la table d’opération, il n’y a plus rien, plus personne. Avec le vacarme, la douleur jaillit, puissante et désordonnée. Elle doit fuir, elle se lance droit devant elle, l’autre va venir à ses trousses. Elle sort de nouveau de cette prison, de son oeil. Une renaissance dans la douleur et le chaos. Ça y est, elle est dehors. Seule. Elle s’arrête.

La pluie, elle ressent la pluie. Le monde reel, aucun doute. Elle doit courir, de nouveau, l’autre est déjà à sa poursuite.

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Eeri
"Quand on a le nez trop près de la bouteille, on ne voit plus le bar"

#8 [fr] 

Depuis combien de temps était-elle là? Combien de temps était-elle restée dans ce coma, après l’opération? Que s’était-il passé pour qu’elle se retrouve là?
Elle avait survécu quelques jours grace aux plantes qu’elle savait comestibles, mais ce n’était pas suffisant pour lui redonner des forces. Pourtant, sa conscience du temps et de l’espace revenaient, lentement, avec des questionnements, et avec la nécessité de retrouver le monde, de retrouver Mazé’Yum, le laisser l’examiner. Son bras bougeait, lentement, au prix d’une concentration et d'une douleur inimaginable. Elle pouvait ouvrir et fermer sa main, et légèrement plier l’avant-bras. Pourtant, le moindre morceau d’écorce lui semblait peser le poids d’un animal mort, glissant d’entre ses doigts trop faibles pour maintenir quoi que ce soit. Elle passait des heures et des jours à regarder sa main se plier et déplier, si concentrée à tenter de développer ce mouvement faible qu’elle en oubliait de hurler de douleur, si elle ne s'effondrait pas, à bout de force, sous la racine qui lui servait d’abri.

Elle devait retrouver la civilisation, trouver de l’aide. Mais où commencer? Elle n’avait rien qu’une tunique légère, sans aucun pacte, aucun dapper, sans même une dague pour se protéger. Plus loin, à la sortie de ce labyrinthe, se trouvait cette tribu de mercenaires fyros, mais elle ne les connaissait pas assez pour ne pas être méfiante. Oh, et puis, pensa t-elle, une homine dans un état pareil, ça ne se revend pas en esclavage. Ils avaient sans doute décelé sa présence, aussi. C’était peut-être sa chance de sortie, en profitant d’une patrouille pour rejoindre le jardin fugace, s’ils acceptaient.
Elle se mit en route très lentement, sachant qu'elle devait être à l'affut du moindre danger, les dents serrées pour ne pas hurler de douleur, tant chaque pas activait les muscles de son bras droit. Elle se souvenait maintenant de ses dernières conversations avec Mazé'Yum, qu’elle devait à tout prix éviter un retour par les puissances, car même lui n'avait pas la moindre certitude des répercussions possibles. Il avait dit qu'elle perdrait des repères au réveil, mais à ce point? Quelque chose avait sans doute mal tourné pour qu'elle se retrouve là, seule. Elle n'était pas la première à survivre une pareille opération, mais le savant avait omit de lui donner trop de détails sur ses précédents cobayes, mis à part que les derniers s'étaient réveillés, vivants.

Elle se perdit bien vite dans ses pensées, mettant un pied devant l'autre au milieu du chemin qui par chance était dépourvu de prédateurs. Elle reprit ses esprits en vue de la tribu, et s’en approcha, le plus dignement possible.

— Tiens, te revoilà, lui dit le garde fyros qui se trouvait là.

Eeri le regarda incrédule. Au moins, il semblait détendu, et assez peu surpris de la voir là. Elle s’arrêta en face de lui.

— Alors, tu te décides à nous parler, cette fois?
— On.. on se connait ?

Le garde sourit, le regard plein de pitié pour elle, puis il lui fit signe de le suivre.

— Viens près du feu, il reste un peu à manger.

Eeri ne se fit pas prier, et profita d’un peu de viande grillée encore chaude, d’eau fraiche, et de la chaleur du feu. Là, un autre garde lui raconta qu’une patrouille l’avait repérée, une semaine plus tôt, au nord de la région. Elle était désorientée et épuisée, tournant en rond autour de l’un des grands arbres. Alors qu’ils s’approchaient, elle perdit connaissance, et ils l’avaient amenée avec eux, la portant jusqu’à leur tribu. Ils l’avaient installée près du feu. Quelques minutes plus tard, alors qu’ils lui cherchaient des vêtements chauds et qu’ils avaient les yeux tournés, elle s’était simplement volatilisée. Elle n’avait donc pas traversé cette région seule, un mystère s’éclaircissait. Puis elle raconta au petit groupe qui s’était formé autour du feu la raison de sa présence ici, commençant par le combat avec le Flamboyant, raison pour laquelle son bras était dans un tel état. Quelques-uns avaient entendu parler de ce voyage, c’était une histoire qui circulait parmi les tribus fyros telle une légende dont les détails se transformaient selon la fantaisie du conteur. Certains racontaient même qu’ils n'étaient pas revenus vivants du voyage. Évidemment que si, leur dit-elle, sinon comment l'histoire serait-elle arrivée ici? Heureusement, ses explications furent suffisantes pour qu’ils acceptent de la raccompagner avec une patrouille dès le lendemain au plus près du laboratoire de Mazé’Yum, sans trop poser de questions.

Ils la laissèrent tout près de l'hôte Karavan du Jardin Fugace, ne pouvant aller beaucoup plus loin, car commençait le territoire contrôllé par les Matisagoo. Mais de là, le chemin était relativement aisé, elle arriva sans problème à son but, se faufila derrière les lianes qui cachaient la porte, et la poussa. Il n'y avait personne. Le lit d'opération était encore là, au milieu de la pièce, un scalpel planté au niveau du coussin sur lequel elle avait été opérée. Ses affaires étaient là, son armure, ses pactes, ses bijoux, son badge. Lentement, après une toilette sommaire, elle s'équipa, puis s'installa dans le fauteil du Zoraï et attendit.

Dernière édition par Eeri (il y a 8 mois).

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Eeri
"Quand on a le nez trop près de la bouteille, on ne voit plus le bar"

#9 [fr] 

Quelques heures plus tard, un Mazé'Yum exténué poussa légèrement la porte que la fyrette avait mal refermée, et passa sa tête à l'intérieur.

— Ah, c'est bien toi, dit-il.
— C'est bien moi, répondit-elle.
— Tu viens pour terminer le travail, ou tu as repris tes esprits?
— Mes esprits, marmonna t-elle, si déjà j'en avais un... Comment veux-tu que j'en aie plusieurs?

Mazé'Yum soupira, et entra finalement. Une pointe d'humour était bon signe.

— Bien. J'ai passé quelques temps à te chercher dans la région, après la crise que tu as faite à ton réveil. Tu me raconteras ce qui s'est passé et où tu étais.
— C'est plutôt à toi de me raconter.
— Je ne m'attendais pas à une réaction si violente.
— C'est à dire?
— Tu as réussi à t'enfuir, surtout. Mes derniers cobbayes étaient plutôt faibles au réveil, et...
— Et ils n'ont pas duré longtemps, c'est ça?
— Passons, répondit Mazé'Yum. Les circonstances n'avaient rien à voir. Puis-je t'ausculter?

Eeri grimaça en se levant et s'approcha du lit d'opération. Elle retira le scalpel toujours planté là, et le posa sur la table.

— C'est moi, ça?
— C'est bien toi.
— Tu me raconteras, quand même.
— Une autre fois. Je veux déjà vérifier dans quel état tu es réellement. Allonge-toi.
— Mon bras bouge, répondit-elle.
— Donc ça a marché... Ça fait mal?
— Pire.
— C'est normal. Je dois d'abord étudier ton sang, ensuite, on verra.
— On verra... Quoi? Les autres dégats que ça a causé?
— Tu es vivante, c'est déjà un succès.
— Tu veux dire, une surprise?

Mazé'Yum émit comme seule réponse un petit soupir, puis il se tourna vers l'étagère pour préparer son matériel : quelques fioles vides et pleines, un scalpel, quelques aiguilles. Eeri l'observa un moment, puis elle s'allongea, non sans frissonner un peu, sur le lit d'opération où elle s'était réveillée quelques jours plus tôt. Et soudain, quelque chose avait changé. Oui, quelque chose n'était plus pareil. Elle le réalisait maintenant, en regardant le plafond du laboratoire, ce plafond qu'elle avait contemplé de longues heures entre deux états de conscience. Passés la douleur, le choc du réveil et les pertes de repères, il y avait eu un changement. Elle tourna la tête à droite, regarda le mur, sans aucun intérêt, puis à gauche, le Zoraï, de dos, qui s'affairait toujours. Non, ce n'était pas ça, son unique oeil en état de fonctionner avait encore les mêmes capacités, sa vision n'avait pas changé. Elle passa sa main gauche dans ses cheveux, puis pinça légèrement son oreille. Ce n'était pas ça non plus, ses sensations n'étaient pas beaucoup plus étranges qu'avant. C'était bien plus profond. Elle sentait une agitation, un chaos grandissant qui secouait de nouveau sa conscience, en plein coeur d'elle même.

— Tu l'as fait, hein? Tu l'a utilisé?

Mazé'Yum se figea une seconde, puis continua ses préparations sans répondre. Que dire? Elle lui avait donné son accord pour qu'il aille jusqu'au bout, il n'avait rien à ajouter. Il se tourna finalement et approcha, une fiole entre les mains. Il lui souleva le bras gauche et annonça froidement :

— Serre le poing. Je vais prendre un peu de ton sang,

L'opération fut rapide, Eeri avait l'habitude et c'était une démarche assez aisée, même pour les mains tremblantes du zoraï.

— J'aurai un peu de travail pour étudier tout ça. Tu devrais te reposer en attendant.
— Je peux aussi rester auprès de toi et t'aider.
— Non. Tu n'es pas en état. Prends du repos, va dans la chambre à côté, il y a de quoi manger. Et dors un peu. Nous parlerons plus tard.
— Je suis totalement en état ! J'ai besoin de savoir...

Mazé'Yum soupira.

— Eeri, laisse moi travailler et va te reposer. Ce n'est pas une demande, c'est un ordre.

Edité 3 fois | Dernière édition par Eeri (il y a 8 mois).

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Eeri
"Quand on a le nez trop près de la bouteille, on ne voit plus le bar"

#10 [fr] 

Mazé'yum avait été soulagé de retrouver Eeri. Les cobayes qui divaguent dans la nature, c'était rarement bon pour la recherche scientifique. Pas de témoins, pas de souci...

Elle semblait être redevenu elle-même. Du moins, en partie. Les résultats biologiques étaient plutôt bons, dans la limite de ce qu'ils pouvaient espérer. Son bras reprenait peu à peu sa mobilité et sa sensibilité ; ce serait très long pour qu'elle puisse l'utiliser comme autrefois mais c'était possible.

Cependant, au fil des jours, Eeri devenait de plus en plus agitée, nerveuse. Elle le regardait par moment comme si elle méditait de lui planter une dague dans le masque parce que les résultats n'étaient pas à la hauteur. C'était un peu plus que l'impatience fyros prévisible et il y avait quelque chose dans tout ça qui rappelait au scientifique d'autres cobayes, dans d'autres circonstances. Agaçant, très agaçant. Il pouvait évidement la droguer pour qu'elle soit plus malléable, ou tester diverses potions pour purger son organisme du poison qui la corrompait. Aucune de ces solutions ne lui plaisait. Échanger l'esprit d'Eeri contre un bras valide était sans grand intérêt, et lutter contre le produit qui avait modifié sa graine de vie mènerait vers des résultats plus qu'incertains.

Une chose de sûre : elle n'était plus suffisament "elle-même" pour faire son choix de façon éclairée. Il n'allait pas pouvoir présenter son expérimentation aux autres scientifiques comme une grande réussite. Ce n'était pas un échec, mais il ne pouvait pas dire que c'était une réussite. Il restait à voir les limites exactes de son expérience.

Il prit le scalpel, serein quand à la suite des opérations.
- Il me faut vérifier encore un détail avec ta sève, Eeri.

Elle le regardait avec méfiance, mais se laissa approcher. Sans lui laisser le temps de réagir, le zorai enfonça l'arme de fortune dans le cœur de la fyros. Tandis que sa vie s'échappait, il garda son regard sur elle, la soutenant presque avec tendresse :
- On se retrouve au vortex.

Il y avait trois options possibles. Soit la réssurection remettait des choses en place, et tout le monde se sentirait mieux. Soit cela révélait plus nettement les défauts de l'opération et permettrait d'agir de façon plus adaptée. Soit les Puissances ne la ramènerait pas... et dans ce cas, cela faisait un problème de moins.

Elle exhala un dernier soupir, puis disparu. Selon toute probabilité, les Puissances s'en étaient donc chargées. Mazé'yum se dépêcha de rejoindre le vortex, quoi que de façon moins expéditive pour lui-même : il n'aimait pas se planter une dague dans le cœur quand il pouvait l'éviter.

Cependant, personne ne l'attendais au vortex. Les agents Karavan n'avaient pas vu de fyrette acerbe, ou d'une autre humeur.

Son corps avait été rappelé. Elle devait être quelque part. Le plus probable restait l'attraction des autres vortex du pays, mais cela lui prendrait du temps pour les vérifier, d'autant que les autres n'étaient pas gardés comme celui de la Masure : Eeri pouvait très bien fuir dans les Primes ou le Désert sans que personne ne la voie passer, complètement déboussolée et ayant perdu tout sens commun.

Et c'était d'autant plus gênant qu'il ne pouvait pas lui-même organiser la chasse à l'homine. Il avait lui-même des personnes à fuir, qui n'attendaient qu'une occasion de le retrouver...
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