ROLEPLAY


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#23 Multilingue 

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Cela fait quatre jours qu’Eeri, Azazor et Kickan ont quitté Fort-le-Phare en direction de la Halte d’Oflovak. Quatre jours sans soucis, à suivre sans encombre la route traversant la Mer de Bois. Avoir un ranger qui connaît bien le chemin est d’une grande aide. Et si ce n'est la fatigue dû à la marche et surtout au milieu ambiant qui a l'air d'absorber leur énergie, la traversée n'a pour l'instant rien à voir avec ce qu'ont vécu les deux fyros la dernière fois. Ce soir, les trois homins ont fait un feu, le premier depuis leur départ du phare. Devant ce feu salvateur, ce feu qui réchauffe l’âme et le corps, Azazor est pensif. Depuis leur départ, il n’a quasiment pas parlé, restant mutique. Aussi, quand il parle ce soir-là, les deux autres homins le regardent, incrédules.

- Hmm, Kickan…
- Oui Azazor ?

Le fyros marque une pause, comme s'il avait du mal à poser sa question. Celle-ci à l'air d'embraser son esprit et ses yeux, à moins que ce ne soit le reflet des flammes du feu devant eux. Puis, dans un soupire, la question finit par sortir, comme un craquement de braise.

- Est-ce que tu crois au Grand Dragon ?

Eeri, qui jusqu'ici touillait les braises avec un bâton, s'interrompt et jette un regard à Kickan, attendant sa réponse.

- Comme tout homin, j’ai entendu parler de cette histoire. Le Dragon qui vient sur Atys, Jena qui le repousse avec sa lumière et l’envoie se réfugier dans les profondeurs. C’est quelque chose que tout le monde connaît.
- Et tu y crois ?
- Tu sais ici, on n’a pas trop le temps de se pencher sur ce genre de choses. Là d’où tu viens, je conçois qu’on puisse réfléchir aux fondements des mythes, mais ici, on pense surtout survie.

Eeri pousse un soupir en lâchant son bâton dans le feu et se tourne vers Azazor.

- Aza, j’ai une question sur ta dent de fyrak…
- C’est pas une dent, mais un éclat de dent.
- Ouais, bon, peu importe. Pourquoi tu ne l’as pas montré quand tu nous as raconté la première fois ton histoire ?
- Je ne suis pas Husyrech. Je voulais que vous me croyiez sans preuve, pour tester votre foi.

Eeri a un début de rire qu’elle réfrène aussitôt. Si elle veut faire parler le fyros, il vaut mieux éviter de le brusquer dès maintenant.

- Et puis, voyant que ça ne suffisait pas, j’ai envisagé de vous le montrer. Mais entre temps, j’avais remarqué un truc.

Il laisse passer un silence, comme s’il attendait qu’on lui pose la question. Au loin dans la brume, un armadaï pousse un beuglement plaintif. Devant l’absence de question, l'ancien légionnaire enchaine.

- L’éclat de dent semble être de la même matière que les machines de la karavan.

Eeri sourit. Elle aussi l’avait remarqué. Azazor sort l’éclat de dent d’une poche de son armure et le fait luire devant le feu.

- Quand j’ai vu fyrak, il a ouvert sa gueule et…
- Et tu lui as donné un coup de lance dans les dents, je sais, tu l’as déjà raconté.
- ney, et c’est là qu’un éclat de dent a dû s’incruster dans mon armure, car une fois que les kamis m’ont téléporté loin du dragon, j’ai remarqué le morceau de dent, fiché au niveau de mon plastron.

Kickan, un léger sourire aux lèvres, murmure une suggestion:
- ça ne peut pas être une hallucination tout simplement ?

Azazor le regarde alors intensément, comme s’il voulait percer l’intention dans les propos du tryker. Puis il se tourne vers Eeri et lui demande :
- Toi, t’en penses quoi ?
- Si c’est une hallucination ?
- ney
- Ben… je ne remets pas en doute ta bonne foi, mais je ne crois pas que tu sois descendu suffisamment profond pour tomber sur fyrak. Et encore moins pour y survivre.
- Et la dent ?
- Je sais pas.

Azazor rumine un truc inintelligible, puis ajoute:
- Vous voulez savoir le fond de ma pensée ?
- C’est bien prudent? tente Eeri, le regard amusé. Devant la mine du fyros, elle regrette aussitôt. Pourtant, sa réponse l’étonne.
- Tu as raison Eeri, c’est illogique que j’ai pu rencontrer fyrak.

Il laisse passer un nouveau silence puis ajoute :
- Mais il y a l’éclat de dent. Je pense que celui-ci est un morceau d’une machine de la karavan. Même matière probablement, donc même provenance. Alors de deux choses l’une. Ou fyrak est une création de la karavan. Une sorte de… vaisseau. Ce qui ne serait pas déconnant. J’étais déjà arrivé à la même conclusion dans mon tome 4 de la symbologie.
- La symboquoi? s’étonne le tryker.
- La symbologie, l’étude des symboles. Tu l’as lu Eeri ?
- Ouep, mais de là à te faire un résumé, comme ça à froid...
- Peu importe. Dans ce tome, j’arrive à l’hypothèse que la karavan est venu sur Atys sur le dos du dragon. cak fyr kam pyr lik, soit terre, chaleur, sève, eau, essence végétale. Notre terre, Atys, est postérieure à la chaleur du dragon. Puis la sève des kamis, l’eau et la vie végétale viennent après.

Le tryker regarde Eeri éberlués. On sent qu'il se retient de rire. Mais Eeri se fait étrangement plus sérieuse.

- Bref, première hypothèse, fyrak est une création matérielle de la karavan. Son vaisseau en quelque sorte. L’autre hypothèse est plus audacieuse.

Un coup de vent fait vaciller les flammes du brasier, avant que celui-ci ne reprenne sa combustion.

- Houla, le feu va finir par s'éteindre avec tout ce vent, s'inquiète Kickan.
- Le vent est au feu ce que l’absence est à l’amour. Il éteint le petit et allume le grand.
- Bon, au lieu de faire ton poète à deux dappers, ton autre hypothèse c'est quoi? insiste Eeri.
- La poésie est à la vie ce que le feu est au bois. Elle en émane et la transforme, lance Azazor, le regarde amusé.
- Aza !

Celui-ci regarde son auditoire. Il prend un malin plaisir à les voir dans l'attente, surtout Eeri. C'est donc ça ce que ressentent les professeurs à l'Académie Impériale, quand ils discourent devant leurs élèves captivés? Se raclant la gorge, il reprend:

- L'autre hypothèse disais-je, et bien je n’ai simplement jamais vu fyrak. Pas même de machine.

Eeri prend une grande inspiration, comme si elle allait dire quelque chose, mais le fyros enchaîne.

- La vue de fyrak serait une sorte d’hallucination. Ou un rêve. Peut-être même un rêve envoyé par les kamis. J’ai lu beaucoup de témoignages d’homins ayant parcourus les primes racines et revenus vivants. Pourtant, par où sont-ils passés ? Comment ont-ils survécu aux kitins qui grouillent en bas ? La solution la plus simple à cette énigme est qu’ils n’ont simplement jamais entrepris le voyage qu’ils décrivent. Que tout n’est qu’un rêve. Comme s’ils avaient été mis en pause par les kamis pendant quelque temps, vivant une aventure en rêve alors qu’ils gisent dans un recoin d’une faille ou d’un tunnel des primes racines.
- Les kamis seraient capables de ce genre de chose? demande Kickan, intrigué.
- Je ne sais pas. Mais les plus éveillés des zoraïs parlent de voyage. Que lorsqu’ils atteignent l’âge kami, ils ne font qu’un avec les kamis. On parle d’illumination. Ça ne me paraît donc pas improbable, bien au contraire. Sauf qu’il y a un hic.

Les deux homins lèvent un sourcil en même temps. Leur synchronisation en est comique. Ces deux-là se sont bien trouvés. Azazor ne le remarque même pas, trop obsédé par expliquer sa vision des choses.

- Le hic, c’est l’éclat de dent. Ceci dit, j’ai pu la récupérer autrement sans m’en rendre compte. Par exemple taper sur un artefact de la karavan dans les profondeurs, le genre d’artefact qu’on voit parfois sur la route des ombres, le tout en état mi-éveillé. Un rêve où tu bouges quand même.
- Ou un kami facétieux t’en a glissé un dans la poche pendant que tu dormais, suggère Kickan.

Le tryker, ne tenant plus, éclate de rire, trop content de sa blague. Eeri se met aussi à rire mécaniquement, mais on sent qu'elle essaie de se contrôler, ne voulant pas bloquer la discussion quand elle devient justement intéressante. Le fyros reste impassible, attendant que le fou rire passe. Depuis qu’il est revenu de son voyage sous terre, il a l’habitude d’être moqué. Ça le change des plaisanteries sur son ventre. Kickan essuie ses larmes tout en regardant Eeri avec des yeux rieurs. Celle-ci lui rend son sourire et tourne de nouveau sa tête vers Azazor qui continue d'expliquer.

- Rien n’est impossible. Toujours est-il que l’hypothèse la plus probable est bien le rêve. Se pose alors la question du pourquoi.

Prenant une voix de vieux sage, Kickan murmure :
- Et oui, pourquoi, telle est la question…

Eeri se retient d’exploser de rire de nouveau. Elle aimerait, bizarrement, quand même avoir le fin mot de l’histoire. Elle se mord alors la langue pour se retenir.

- Pourquoi croyons-nous au Grand Dragon ? Comment se fait-il qu’une grande partie des homins, d’où qu’ils viennent, peu importe leur religion, croit en son existence ? Ce mythe du Grand Dragon est presque aussi tenace que celui de Jena. Même chez les kamistes, la foi en Jena est encore forte chez beaucoup.
- Les kamistes jenaïstes, souligne Eeri.
- ney, et il a fallu toute la force d’un Hoï Cho pour que celui-ci soit progressivement remplacé par le kamisme des révélations.
- Et selon toi, il vient d’où ce mythe du Grand Dragon ?

Azazor ferme les yeux, comme s’il se concentrait. Puis murmure d’une voix lugubre :

-Les cendres du dragon, dans les profondeurs, ouvrent la voie vers la Vérité…
Eeri et Kickan s’expriment en chœur :
- Quoi ??
- C’est une phrase que j’avais en tête depuis mon retour des profondeurs. Une sorte de mantra. Je ne sais pas d’où ça vient. Mais je pense avoir compris ce que ça voulait dire.

Eeri pense que plus le temps passe, plus Azazor devient littéralement fou. D’un légionnaire bougon mais néanmoins valeureux, il est devenu une sorte de vieux fou déblatérant des trucs incompréhensibles. C’est donc ça, devenir vieux ? Pourtant elle est à peine plus jeune que lui. Ça ne donne pas envie de vieillir. Ou alors c'est le fait de passer son temps à la bibliothèque impériale.

- Je crois que les kamis, en m’envoyant ce rêve et en me faisant découvrir cette « dent de dragon » ont voulu me faire passer un message. Cet éclat de dent est un morceau de machine karavan. Mais tout n’était qu’un rêve, sauf cet artefact. Peut-être alors que le dragon…

Il laisse courir sa phrase et jette un œil à Eeri, qui s'agace.
-Quoi bordel ? Quoi ?
- Peut-être que le dragon du mythe est aussi un rêve. Un rêve envoyé par la karavan.

Un silence se fait soudain, seulement terni par le mugissement d’un armadaï au loin.

- Tu veux dire que fyrak n’existerait pas ? Mais t’es fou! , s’enrage Eeri.
- Je ne sais pas vraiment en fait. Mais ça ne me paraît pas si fou que ça.
- Toi, Azazor, fyros jusqu’au bout de tes ongles crades, tu viens de dire que tu ne crois pas en fyrak ?
- Je n’ai pas dit ça, j’ai dit que c’était une hypothèse.
- Parce que t’as rêvé d’un dragon et que t’as trouvé un morceau de vaisseau de la karavan en guise de dent ?
- Dit comme ça, c’est bien faible comme démonstration. Mais il y a d’autre raison de le penser.
- Comme quoi?
- Qui nous interdit de descendre dans les profondeurs ? La Karavan. A cause de quoi ? Des kitins ? Non, du Dragon. A croire que la Karavan n’avait même pas connaissance des kitins pour nous faire peur avec eux. Alors…. Alors elle a peut-être inventé le mythe du dragon. C’est bien pratique, comme ça elle passe pour la gentille qui l’a terrassé, et on n’a pas envie de descendre tout en bas.
- Et quel serait son intérêt à la Karavan qu’on ne descende pas? interroge Kickan.
- Pour qu’on ne trouve pas des trucs comme ça, répond Azazor en montrant la « dent ». Je suis persuadé que les profondeurs regorgent de ce genre d’artefact. Il y a cet artefact étrange mentionné par Pylos Cetheus dans l’ouvrage « sel ûr atalbem ûr selak », et bien sûr ceux qu’on peut trouver dans les primes racines accessible depuis les Nouvelles Terres. J’avais aussi mentionné dans un ouvrage sur les foreuses, la rumeur racontant que les foreuses remontaient des artefacts et que c’était pour ça qu’elles avaient été mises en arrêt en 2494.
- Une sorte de grand méchant pour faire peur, souffle Eeri.
- ney, mais ce que la Karavan n’avait pas pensé, c’est que les fyros aimeraient le feu. Alors forcément une grosse bête qui crache du feu, ça ne pouvait qu’attiser leur curiosité.

Il laisse de nouveau planer un silence, le temps qu’ils digèrent l’information, puis reprend :

- Vu la teneur incendiaire de cette hypothèse, tu comprends Eeri pourquoi je n'ai même pas osé aborder le sujet dans les Nouvelles Terres. La Karavan a des oreilles... Toi qui es trytonniste, tu peux comprendre...
- Que.. QUOI? Mais je suis pas tr...

Devant le sourire d'Azazor, elle s'arrête. L'enfoiré, il joue avec ses nerfs. Un point pour lui. Le fyros continue:

- Les cendres du dragon, dans les profondeurs, ouvrent la voie vers la vérité, c’est une métaphore.
- J'vais t'en foutre des métaphores, grommelle Eeri.
- Une méta quoi, demande Kickan?
- Une métaphore, une image quoi. La quête du Dragon, en somme, c’est la quête de la Vérité.

Kickan se masse les tempes en soufflant.

- Je sais pas si c’est la Mer de Bois ou tes propos, mais je commence à avoir mal au crâne.
- Ouais pareil, le coup de fyrak qui n’existe pas, c’est trop pour moi ce soir. Je vais aller me coucher, rajoute Eeri.

Se faisant elle lance un regard rageur vers Azazor. Comment peut-il savoir le fond de ses convictions? Cela se voit tant que ça? Le fyros ne la regarde pas et range sa « dent » dans son plastron, gardant les yeux fixés sur le feu.

- ney, ça fait beaucoup de chose pour ce soir. Il est effectivement temps d’aller dormir.

Les deux fyros et le tryker se blottissent chacun dans leur peau de bête. Les nuits sont fraîches ici bas. Dans la plaine désolée, un armadaï meugle pour appeler un partenaire.

Edité 2 fois | Dernière édition par Fyrenor (il y a 2 ans).

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fyros pure sève
akash i orak, talen i rechten!
élucubrations
biographie

#24 Multilingue 

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Journal de bord d'Eeri
Tria, Harvestor 21, 2nd AC 2619

À l’heure où j’écris ces lignes, nous sommes arrivés au village de la Halte d’Oflovak. Nous sommes encore épuisés, mais déjà moins qu’en bas. Et nous avons devant nous quelques bonnes nuits de sommeil. Je n'ai pas écrit depuis longtemps, et vais essayer de reprendre où je m’étais arrêtée.

Nous sommes partis avec Kickan du fort, par une belle journée. Je dois avouer ici avoir eu beaucoup d’appréhension à redescendre dans cet enfer de la mer de bois, et le plus grand mal du monde à le cacher. La présence de Kickan était tout de même rassurante, surtout après les mots élogieux de Tao, l'intendante du fort, à son égard. J’arrivais à entrevoir qu’Azazor cachait lui aussi tant bien que mal son anxiété par un silence pesant et un peu dramatique. Notre bon mektoub, remis sur pied, nous a suivi sans rechigner, sans doute content d’avoir un peu d’exercice.

Il faut dire qu’avec un guide, le chemin est nettement plus rapide. Nous allions de balise en balise, sans en rater une seule. De temps en temps, les balises étaient écrasées au sol, sans doute renversées par un armadaï. Pas étonnant que nous nous soyons perdus… Ratez une balise, et la brume vous empêchera de trouver la suivante. C’est donc la principale tâche des officiers de liaison comme Kickan, de veiller à ce qu’un maximum de balises soient visibles. Certaines, carrément cassées, ne montent pas plus haut que notre mollet... Nous en avons redressé un certain nombre sur le chemin. C’est primordial pour cette partie de la route, qui doit être faite en un minimum de temps au risque de perdre la tête. On a vu ce que ça donne, déjà.
Kickan nous a expliqué en riant qu’à force, il pourrait sans doute faire le chemin sans balise. À vue de nez, il a effectué le chemin une cinquantaine de fois, au moins. Nous, sans balise, on balise.

Finalement, Azazor a compris quelles étaient mes convictions. Je ne saurais comment raconter ce moment, autour d’un feu, où il a quasiment renié l’existence de Fyrak, expliquant que son histoire avec le dragon n’était peut-être qu’un rêve… Finalement, il n'est peut-être pas totalement fou. Puis des théories encore plus inattendues, demandant à la Trytoniste que je suis si je comprenais de quoi il parlait. Incroyable. J’ai feint la surprise, très mal. Ou non, j’étais vraiment surprise, je ne m’attendais pas à ce qu’il sorte ça devant quelqu’un d’autre. Depuis son retour, il faisait un candidat parfait pour être recruté parmi nos cercles, pourtant le bougre de Fyros semblait toujours s’accrocher aux Kamis comme un gingo nous mordrait les fesses. De plus, la discrétion… Bon, je ne peux rien reprocher sur ce point, non plus, mais quand même. Mais qu'est-ce que j'ai été faire dans cette galère, avec un Fyros qui doute à ce point de ses propres convictions? Il semblait déjà moins fragile mentalement, quand nous sommes partis. Je me suis sans doute trompée sur ce point. Ou pas, je ne sais plus quoi penser. Ça n’a plus trop d’importance maintenant.

Bon, il sait. Je m’en doutais bien, maintenant je sais qu'il sait. Heureusement, il ne sait pas encore tout. D'une part, ce n’est pas ici que la Kuilde va venir nous chercher des puces. Et au final, Kickan, lui, se moque bien de tout ça. Et puis de toute façon, vais-je passer le reste de ma vie sur l'écorce à cacher ce que je suis? Qu'elle vienne, cette Kuilde, qu'elle s'occupe de ma graine de vie, ça renforcera l'opinion que la karavan a beaucoup trop de choses à nous cacher. Notre cause a peut-être besoin de ça, d'un nouveau sacrifice. Je m'égare. Revenons à nos frippos.

Le voyage s’est passé sans trop de heurts. Nous avons pu voir quelques Armadaïs d'un peu plus près, une cinquantaine de mètres. Et nous avons entendu ses prédateurs en chasse, ils étaient heureusement trop loin pour qu'on puisse les voir. En théorie, tant qu’il y a du gibier pas trop loin et que les carnivores sont en meute, nous ne les intéressons pas trop. En théorie. S'ils ne nous sentent pas. Azazor était très intéressé par voir l'armadaï de près. "les yeux... la bête..." on s'est moqué. On a surtout pu observer quelques carcasses gigantesques, des os aussi gros qu'une cuisse de légionnaire. En parlant de cuisse, marcher ici est épuisant, je ne l'écrirai jamais assez. Chaque geste requiert une énergie bien plus grande, et beaucoup plus de concentration. Heureusement, nous avons pas dû sortir nos haches, je n'aurais peut-être pas eu la force de la soulever.

Et finalement, la Halte.

Nous sommes arrivés au pied d’une falaise, étrangement moins haute que celle du Phare. Nous l’avons longé un petit moment, Kickan avait l’air de chercher un endroit précis, avec nonchalance, content d'être arrivé. Puis il a dit : "Voilà, ici ! " et il a attrapé une sorte de liane qui pendouillait là, un petit morceau de bois attaché au bout. Il a tiré quelques coups secs dessus, et nous a dit qu’on allait attendre un petit moment. Après quelques minutes, nous avons entendu quelques bruits au dessus de nos têtes, et vu une énorme chose décoller à quelques pas de nous. Quelques morceaux de sciure tombaient par ci par là. "le contre-poids" a dit Kickan, le plus naturellement du monde. Nous nous sommes écartés, et avons vu une sorte de plate-forme descendre vers nous, attachée par plusieurs cordes. Nos deux tronches de fyros perplexes ont certainement dû prendre une expression de bolobi désorienté. Puis nous avons ri nerveusement :

— On va devoir monter là dedans, a demandé Azazor?

Kickan a considéré un moment et a répondu :
— D’abord Eeri et son mektoub. Elle est un peu plus légère. Puis nous deux.
— Plus légère, plus légère... On voit que tu ne la connais pas, a gromellé Azazor.
— On ne peut pas laisser vot’ mektoub seul dans la nacelle, de toute façon, il a dit, très sérieusement.
— ney, tu as raison. Les bêtes d’abord, les homins après.

Foutu Azazor, j'ai rien trouvé à répondre… Je ne vais pas retranscrire la totalité de ses moqueries, quand j’ai mis mon foulard sur les yeux de Ru-Dun et que nous sommes montés dans la nacelle, pas trop rassurés. Ha, oui, c’est Kickan qui a appelé le toub comme ça en route, du tyll local avec leur accent étrange. Puis il nous explique qu'il existe un autre chemin, une rampe d'accès, mais tout au sud de l'île, ce qui ferait plusieurs jours de marche en plus.

La nacelle a commencé à se hisser vers le haut. Un ingénieux système, qu’ils ont. Le contrepoids descend lorsque la nacelle monte, et pareil dans l'autre sens, avec un système de poulies. Sans doute une invention de Trykers, d’ailleurs, la structure en haut pourrait ressembler à celles de nos réservoirs d’eau dans les lacs.
Je suis arrivée là-haut, et quelques homins m’ont accueillie d’un regard, occupés à freiner les poulies pour stopper la nacelle en douceur. Je ne saurais pas dire s’ils étaient aimables. L’un d’eux a simplement sourit et fait un signe de tête lorsque, ne sachant quoi leur raconter après mon oren pyr, je leur ai indiqué que nous étions avec Kickan, qui attendait encore en bas.

Kickan et Azazor sont arrivés en haut après quelques minutes. J’en ai bien profité pour lancer quelques piques à ce dernier qui s’accrochait fébrilement à une cordelette, tâchant d'avoir l'air décontracté. Puis nous avons pris la direction de la Halte, un peu plus à l’intérieur des terres. Il existe deux camps comme ceux-ci, à l’ouest et à l’est de l’île, pour accueillir et remonter, ou descendre les voyageurs, chacun étant à environ une journée de marche du village lui-même. Était-ce la présence de Kickan, qui semblait connaître chaque homin du camp, personne ne nous a posé de questions.

Après une nuit de sommeil à mi-chemin, et une autre petite journée de marche, nous sommes finalement arrivés au village lui même. Si l'on peut appeler ça un village. De quelques constructions éparses dans la forêt sans organisation apparente, nous sommes arrivés en haut d'une petite vallée couverte d'habitations, donnant sur un grand lac. Bon, rien de comparable avec la beauté du lac de Fairhaven, mais même par cette journée nuageuse, l'endroit ne manque pas de charme. Chaque cabane semble relativement propre et bien tenue, mais possède son propre style. À y voir de plus près, certains murs semblent constituées de grands os, parfois de bois, ou de grands morceaux de cuir. Nous avons continué notre chemin en descendant vers ce qui semble le centre, ou la place principale.

Puis quelqu’un a crié le nom de Kickan, quelques homins sont arrivés pour l’accueillir, d'autres sortaient la tête de leur fenêtres. Nous aurions préféré passer un peu plus inaperçus. Kickan arborait un grand sourire, saluant chacun d'entre eux, en lançant ses inimitables lordoy de chaque coté du chemin.
Un matis est arrivé, sans se presser, et Kickan l’a montré de loin :

— Un membre du conseil, nous a dit Kickan en souriant, avant de nous faire signe de rester un peu à l'écart et d’aller à sa rencontre. Ils ont parlé un moment, puis sont venus vers nous.

Le matis nous a lancé un oren pyr pour nous saluer, avec un accent encore plus étrange que celui des habitants du fort, mais d’une voix maîtrisée et peut-être trop polie… Un matis, quoi.
Il nous a souhaité la bienvenue, commençant à nous poser des questions sur notre voyage. Partant du principe qu’Azazor n’allait pas lui faire le plaisir de bavarder, j’ai répondu quelques banalités, rien de plus que ce que Kickan aurait pu lui dire. Puis que nous souhaiterions d'abord nous reposer un moment, pour commencer. Il a sourit et a pris congé, nous invitant à partager un baba plus tard. Kickan nous a mené vers une sorte de petite hutte, nous invitant à nous installer, avant de nous laisser aussi. Il a beaucoup de monde à saluer, à commencer par sa famille. Famille, tiens, un mot que j'avais presque oublié. Je me suis perdue un moment dans mes pensées, espérant qu'Uzykos et Wixarika vont bien. Quelle misérable je suis de les avoir abandonnés... Puis Azazor m'a secouée. Nous allons devoir nous concerter, rafraichir notre stratégie sur ce que l’on peut dire et ce dont il vaudrait mieux ne pas parler. Il y a peut-être déjà quelques maraudeurs par ici. Pas le temps de laisser mes émotions prendre le dessus.

Avant de nous laisser, Kickan nous a prévenu à propos du conseil. Il s'agit d'un groupe de six, élus par la population. La vie ici est très tranquille et en général ils n'apprécient pas ce qui peut troubler le calme des lieux. Maraudeurs, réfugiés, voyageurs sont acceptés, mais ils ne sont pas habitués à voir des voyageurs qui partent vers l'est, autres que les officiers de liaison comme lui. Par chance, ce matis s'était trouvé là et Kickan le connait un peu. Il nous a dit avoir préparé le terrain pour qu'on le rencontre et qu'on puisse le convaincre des bonnes intentions de notre voyage. Ce sera déjà ça de gagné, non pas qu'ils puissent nous empêcher de partir, mais nous savons bien que les homins des Nouvelles Terres sont rares et pas forcément bien vus ici. Étrange comportement, pour des rangers, j'ai dit. Puis Kickan a rit : "hahaha ! Des Rangers?" Là dessus, il est parti sans rien ajouter.

J'aurai encore temps de comprendre ce qui se passe ici, et de décrire plus précisément les lieux dans les prochains jours. La route qui nous attend jusqu’à l’Avant-Poste Diplomatique de la Falaise Nuageuse est similaire, et Kickan nous a déconseillé de repartir avant une bonne semaine, le temps que notre métabolisme se remette suffisamment. Il nous a aussi expliqué que contrairement à Fort-Le-Phare, vu que nous sommes ici sur une île relativement peu élevée, les effets néfastes de la Mer de Bois se ressentent, dans une moindre mesure. Nous ne recouvrirons pas totalement notre énergie physique, mais il faut au moins que l’on récupère tout notre entendement.

Azazor ronfle déjà, toub. Et je n'ai plus que de la fibre de shu à me mettre dans les oreilles. Ça suffira pas, mais j’ai plus rien d’autre sous la main.

Dernière édition par Eeri (il y a 2 ans). | Raison: NOTE : Traduction en Anglais par Nilstilar ! English Translation by Nilstilar

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Eeri
"Quand on a le nez trop près de la bouteille, on ne voit plus le bar"

#25 Multilingue 

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Journal de bord d'Eeri
Folially 24, 3rd AC 2619

Les choses commencent à se préciser quant à notre départ. Le temps de nous préparer, nous repartons dans deux jours. On sera de nouveau accompagnés, mais cette fois pas par Kickan. Lui repart dès demain vers le Fort, avec un autre équipier et des marchandises.

Celui qui nous accompagnera, c’est Titus. Un fyros, qui parait jeune, mais semble avoir l'énergie d'un celiakos grabataire. J'exagère. Il est juste jeune, en fait. C'est apparemment aussi dû à l'altitude, ici tout le monde semble un peu plus lent qu'ailleurs. Moi-même, je me sens faible. Je vois bien que Ru-Dun mâche son fourrage plus lentement que d'habitude, aussi. Azazor semble vouté comme après 3 fioles d'ocyx. Comme si tout tournait légèrement au ralenti.
Ce Titus, donc. Depuis que nous sommes arrivés, il nous a suivi, nous a regardés avec de grands yeux, puis nous a posé des questions. Puis il nous a demandé de nous accompagner. Il veut quitter l'île, partir, trouver les maraudeurs. Il parait que son père en était un, sauf qu'il ne l'a jamais connu, il a grandi sur l'île. À force, Azazor a finit par céder à sa demande avec un "Bon. Mais pas de blague, hein?". Emmener un fils de Maraudeur, la belle affaire. Je me suis opposée à ça. Azazor pense sans doute que ça jouera en notre faveur. Et si le père les avait trahi? Bon, ça doit faire un sacré bout de temps, ils auront oublié. Il semble surtout trop inexpérimenté pour un tel voyage. Tu sais au moins tenir une épée par le bon bout, j'ai demandé? Soit disant, il s'entraîne tous les jours, il nous a dit. Je n'ai pas voulu être trop dure avec lui, mais je ne pense pas qu'il se soit déjà confronté un kirosta, ou quoi que ce soit de cette taille.

Et il a demandé pourquoi on voyageait, si nous aussi nous allions rejoindre les maraudeurs.
Je n'ai rien répondu de plus que "voyage scientifique", en sortant tout naturellement ma hache afin de refaire l'affûtage de la lame. Je n'aime pas ça, mais c'est vrai qu'arriver à notre prochaine destination avec un homin de la Halte pourrait être un bon point pour nous. Tenez, une recrue toute fraiche, faites en ce que vous voulez. Ou pas, qui sait. Il faudra que l'on s'adapte très vite à l'accueil qu'ils nous feront.

Donc c'est décidé, il fera le voyage avec nous jusqu'à l’Avant-Poste Diplomatique de la Falaise Nuageuse. Discrètement j'ai demandé à Kickan s'il le connaissait, si on pouvait avoir confiance. Ici, m'a t-il dit, personne n'a de raison de vouloir notre perte, tant que l'on ne provoque pas de catastrophe. J'ai compris ça en buvant un baba avec lui et le matis. En passant, le baba est légèrement meilleur ici qu'au Phare, mais ça reste quand même plus fadasse et insipide que la plus légère des byrh.

Ils nous ont raconté tout un tas de choses sur la Halte. Les habitants ici sont des descendants des Rangers d'Atys, qui se sont installés ici. Au début, il y a maintenant plusieurs générations. Afin de guider les réfugiés, leur offrir une pause sur le chemin des Nouvelles Terres. Ça on le savait. Beaucoup sont partis, mais certains ont fait le choix de s'installer, et la Halte s'est rapidement transformée en une petite ville. Ils ne manquent de rien, ici, m'explique Coccio, le matis. Peu de prédateurs, quelques Javing au nord, tout au plus, assez de gibier, une forêt assez généreuse, un lac. Les homins chassent l'Armadaï, aussi. C'est donc ça, les os et cuirs qui servent à construire les maisons. Azazor a demandé comment, et s'il pouvait assister à une chasse, mais la prochaine n'aura lieu que dans un bon mois. Il y a un grand trou, un piège, quelque part au sud-est de l'île. Des homins imitent le cri de l'animal, ou de son prédateur, et l'attirent vers le piège. Quand ils arrivent à le faire tomber, il est achevé à la pique par les chasseurs, puis dépecé sur place. Il ne pourra de toute façon pas ressortir du piège en un seul morceau. La chasse de l'Armadaï nécessite de nombreux homins, et donne en parfois lieu à une grande fête. Sa viande est très fortifiante et revigorante, la principale source d'énergie pour eux. Coccio nous a d'ailleurs offert deux grands sacs remplis de cette viande séchée, pour la suite de notre voyage.

Plus personne n'est véritablement ranger ici, ou ne fait partie de la guilde, maintenant. L'un des seul qui pourrait prétendre à les rejoindre, c'est Kickan, comme quelques autres de son tempérament. Mais il est satisfait de son travail entre le Fort et la Halte. Et comme il nous disait : s'il ne le faisait pas, qui s'en occuperait? Les véritables rangers passent régulièrement par ici, et sont admirés et accueillis comme des héros, tant la vie à l'extérieur de l'île est rude. Mais si beaucoup de jeunes rêvent de les rejoindre, peu le font. Comme dit le matis, quand on naît ici, la vie est tellement tranqulle, nous n'avons pas besoin de partir courir le monde... Kickan a blagué quelque chose du genre : "Coccio, tu dis ça à deux fyros qui viennent de traverser la moitié de la route d'oflovak, tu crois quoi, que tu vas les convaincre de s'installer ici?"
Le cas de Titus est assez rare, ainsi. Ça s'est déclenché lorsqu'enfant, il a appris que son père était un ancien maraudeur. L'homin en question était d'ailleurs mort lors d'une chasse à l'Armadaï, en glissant et tombant dans le piège. L'animal, paniqué, l'a écrasé d'un coup de patte, accident rare mais fatal.

Mais alors, on a demandé : Sur l'Île, ni rangers, ni maraudeurs, comment peuvent-ils rester aussi désinvoltes? Les Maraudeurs, dans les Nouvelles Terres, sont en guerre contre les nations. Que feraient-ils si les Maraudeurs d'ici venaient envahir l'île ? De ce que j'ai compris dans les explications de Coccio, ça n'aurait aucun intérêt, pour personne. Les maraudeurs sont aussi bien accueillis que n'importe quel homin, par fidélité à la tradition Ranger. Les capacités physiques sont moindres, pour ceux qui n'y sont pas nés, ce qui fait que ces derniers ne restent pas bien longtemps, ils se sentent trop faible. Tout comme pour nous. Et puis, il n'y a rien à combattre ici : pas de Kitins, pas de puissances, pas ne nation, et une organisation populaire. Le travail du Conseil de l'Île est de veiller aux respects de ces traditions, et d'administrer la ville en concertation avec tous. Coccio est élu avec 5 autres pour quelques années de Jena, il laissera sa place, dans deux années. Peut-être à Kickan, a-t'il sourit. Il ferait du bon travail. Ce à quoi Kickan a répondu sarcastiquement qu'il n'était pas assez vieux, comme lui, pour une telle tâche. "Le conseil? Un truc de grabataires". Pas autant que chez nous dans le désert, j'ai ajouté.
Nous savons calmer les fauteurs de trouble, pour en revenir aux maraudeurs, me dit Coccio. En général ils se comportent bien. Il est même arrivé par le passé que certains s'installent sur l'île, ce qui est très mal vu chez eux. Tout comme nous, on sera très mal accueillis, nous prévient-il. Le fait que nous partions avec un homin d'ici aidera peut-être, et si l'on amène quelques marchandises, aussi.

Outre leur bienveillance, Azazor et moi avons cru voir une sorte d'insouciance face aux problèmes du monde, et surtout, étions stupéfaits par ce manque de curiosité, cette absence totale de la soif de savoir qui nous habite. Nous nous sommes regardés, et n'avons rien dit. Comme si pour la première fois depuis pas mal de temps, nous nous comprenions.

Dernière édition par Eeri (il y a 2 ans). | Raison: NOTE : Traduction en Anglais par Nilstilar ! English Translation by Nilstilar

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Eeri
"Quand on a le nez trop près de la bouteille, on ne voit plus le bar"

#26 Multilingue 

Multilingue | English | [Français]
Journal de Titus
Aujourd’hui, deux étrangers sont arrivés de l’ouest. Ils accompagnaient notre cher Kickan. Je les ai pas encore vu, mais Tikra dit que ce sont deux fyros venus d’au-delà des contrées verdoyantes. Plus loin que Fort-le-Phare. Plus loin que chez Kickan. Je dis que Tikra raconte encore n’importe quoi. Depuis qu’elle travaille à la passerelle ouest, elle me raconte que des conneries. La dernière fois, elle avait vu un armadaï plus gros que les autres écraser un yetin sous son poids. Si c’était pas ma grande sœur, je la haïrai. Demain, j’irai voir les deux étrangers, et on verra si c’est encore des krakras de Tikra.


J’y crois pas, les deux fyros viennent bien d’un endroit très à l’ouest de la Halte. Par de là l’horizon, il existe des terres où les homins ont bâti d’immenses cités. Le fyros a parlé d’un empire avec un type à sa tête qui a plus d’un siècle. Ça a fait rigoler la fyrette qui l’accompagne. Mais le plus incroyable, c’est que ces deux homins vont vers l’est, en direction de la Citadelle. Du coup je leur ai parlé de mon père, qui était un ancien maraudeur venu prendre sa retraite ici. Ils ont trouvé ça intéressant puisqu’ils m’ont tout de suite posé des questions sur comment c’est là-bas, et où était mon père. J’ai bien vu la déception sur leur visage quand je leur ai dit que mon père était mort deux ans après ma naissance et que je connaissais rien de là-bas. Mais moi, j’ai plein de questions à leur poser. Des étrangers venus d’aussi loin, ça a forcément des tas de choses à raconter, sûrement plus intéressantes en tout cas que les conneries de Tikra et ses armadaïs géants.


Le fyros s’appelle Azazor. Il m’a dit qu’il était une sorte de chercheur de dragon. Du coup, je lui ai montré le dessin du tatouage qu’avait mon père, celui avec le monstre volant cracheur de feu qui s’appelle dragon rouge d’après les vieux du Conseil. Mon père, c’était un chasseur de dragon lui aussi. J’ai bien vu que ça a plu à Azazor. Il a d'ailleurs un tatouage de dragon sur le visage lui. Mais c'est pas le même. Ouais que je lui ai dit, mon père maraudeur était un vrai tueur de dragons. J’aimerai tant être comme lui. Mais faudrait que je quitte ce trou. Parait qu’en dehors de la Halte, c’est trop dangereux. Mais je m’en fous moi du danger ! Je suis fils de maraudeurs ! Fils de chasseur de dragon ! Qu’est-ce que ça peut me faire des yetins ou des armadaïs ?


JE VAIS QUITTER LA HALTE !!!! Après 3 jours à leur tanner les fesses, ils ont fini par céder. Je partirai donc avec eux, direction la Citadelle ! Azazor m’a montré la carte de la route qu’ils suivent depuis tout ce temps. Ça passe d’abord par l’Avant-Poste de la Falaise Nuageuse. Ils me laisseront là-bas et je devrais me débrouiller ensuite tout seul pour continuer. Azazor m’a dit qu’il aimerait bien que je continue avec eux jusqu’à la Citadelle, mais Eeri, la fyrette, ne préfère pas. Parait qu’elle a pas confiance. Azazor m’a rassuré en me disant que la confiance, je la gagnerai en chemin et qu’Eeri changera peut-être d’avis une fois qu’on sera arrivé à l’Avant-Poste. 
Maman, si tu reviens un jour de la Grande Flaque, je te laisserai mon journal intime, pour que tu saches que je t’aime. Mais mon destin m’attend, loin à l’est, chez les maraudeurs. Je veux vivre comme papa.


Le grand départ arrive. J’ai fini de charger Polly avec ma viande séchée. Mes deux nouveaux compagnons l’ont goûté et ont adoré. C’est des bouchers chez eux, entre autre métier qu’ils exercent. Ma viande doit donc être exceptionnelle. Je vais t’ouvrir un marché à l’avant-poste de la falaise, ça va être la folie !
Allez, qu’est-ce que je peux écrire comme phrase ultime sur mon journal ? Un truc qui en jette. Je sais, la phrase que m’a dit Azazor quand Eeri a dit que ce serait trop dur pour moi de les accompagner.
Ne souhaite pas que ce soit plus facile, souhaite que tu n’en sois que meilleur. 
Ouais, je sais que je vais en baver. Mais quand j’arriverai à la Citadelle, je serai un autre homin. Fort et fier, comme mon père !


Neuf jours se sont écoulés après leur départ de la Halte d’Oflovak. Dans la plaine désolée et recouverte de brouillard, Azazor est en tête du cortège, recht à la main. Suivent Titus, tirant son mektoub Polly chargé de viande séchée, puis Eeri, fermant la marche avec son mektoub Ru-Dun, une hachette dans l'autre main. 

Soudain, un grognement se fait entendre. Comme un reniflement puissant. Avant même que Titus comprenne ce qu’il se passe, Eeri lâche son mektoub et sort son bouclier, se plaçant derrière lui pour le protéger. Azazor se rapproche d’eux et se met devant Titus. Le groupe, faisant bloc, a une vision panoramique de la région. Pourtant, rien ne bouge à l’horizon. Le brouillard empêche de voir à 20 mètres. On entend cependant comme une galopade venant droit vers Eeri, suivi d’un nouveau grognement. On voit alors surgir du brouillard un immense yetin haut comme un homin. Il bondit sur Eeri qui pare avec son bouclier et l’envoie valser par-dessus elle. Le yetin tombe sur le dos d'Azazor qui n’a pas eu le temps de se retourner. La bête, à peine sonnée, va planter ses crocs dans le dos du fyros quand Titus, n’écoutant que son courage, s’enfuit en hurlant. Le yetin a un moment d’hésitation en voyant le jeune homin s’enfuir, instant qu’Azazor saisit pour se retourner sur le ventre et donner un coup de hache dans la gueule du monstre. Celui-ci recule en grognant et charge Titus. Il lui bondit dessus les deux pattes en avant et plante ses griffes acérées dans son dos. Le jeune homin s’écroule en hurlant de douleur. Son cri est de courte durée, car le yetin ne perd pas de temps et arrache sa tête d’un coup de mâchoire qu'il envoie valser au loin. Celle-ci roule sur quelques mètres avant de s'immobiliser, le visage déformé par la peur et le regard tendu vers les deux survivants. Le yetin tourne alors sa gueule vers les deux autres fyros qui se sont remis sur leurs jambes et s’apprêtent à en découdre. Mais le yetin s’en délaisse aussitôt et attrape le corps décapité de Titus dans sa gueule qu’il emmène dans le brouillard, vers l’ouest. Ne demandant pas leur reste, Azazor et Eeri en profitent pour s’enfuir, chacun prenant les rênes d’un mektoub et hâtant le pas vers l’est. Ils jettent un dernier coup d'oeil sur la tête de Titus, qui continue de les fixer de ses yeux épouvantés. 

Ainsi vécu Titus, fils d’un ancien maraudeur du Clan des Chasseurs de Dragons et d’une homine partie pour on ne sait quelle raison en quête de la Grande Flaque. Telle est la vie en ces terres reculées. Cruelle, dévorant les faibles et leur destin, dévorant même leur propre passé. Toi qui oseras peut-être t’aventurer là-bas, n’oublies jamais d’écrire ton histoire si tu ne veux pas être dévoré.

Edité 4 fois | Dernière édition par Azazor (il y a 2 ans).

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#27 Multilingue 

Multilingue | English | [Français]
Journal de bord d'Eeri
Germinally ..., 4th AC 2619

Je lui avais dit de mettre un casque.
Si seulement. La bête aurait arraché le casque, et sa tête serait encore sur ses épaules. Qui sait.
Mais dey, j’ai chaud sous mon casque, ça me démange, il a dit.

Cela fait cinq jours que nous marchons, Azazor et moi, sans dire un mot, sans même presque rien avaler. J’ai l’impression de voir les yeux de ce Titus en face de moi, dans la brume. Ses yeux exorbités de terreur sur sa tête sans corps, un flot de sang imbibant sa bouche encore ouverte.
Et dire, j’en ai vues, des choses dégueulasses. Des scènes de torture, des morts atroces, des membres voler. Tiens, quand j’étais jeune légionnaire, la fois où Icus avait tranché le bras d’une matisse, avant de lui ouvrir les veines du cou une à une. Le sang avait giclé sur mon armure, et on lui avait dit de ne pas revenir. On a rigolé. Et évidemment, elle est revenue. On a recommencé jusqu’à ce qu’elle ne revienne plus.

Si seulement on pouvait arriver à la falaise nuageuse, et voir un Titus tout frais, ramené par je ne sais quelle puissance… Peut-être par les maraudeurs ? Mais ça me semble peu probable qu’il ait un cristal, et quand bien même il aurait celui de son père, que celui-ci soit actif.

Sur le moment, je n’ai pas eu le temps d’enfiler mes amplificateurs et d’essayer de le soigner. La bête était déjà loin, emportant son corps. Je sais maintenant que ça aurait été vain. Aucune magie de soin, même la plus puissante qu’il soit, ne peut recoller une tête sur un corps, autrement qu’en passant entre les mains des puissances. Nous avons donc fui, emportant les mektoubs, et laissant sa tête là où elle était tombée. Si Jena ou Ma'Duk l'avaient rappelé à eux, son visage terrorisé aurait déjà disparu en poussière fine, dégageant cette lueur bleutée.

J’ai peur. Nous avons peur. Mais il faut avancer. On ne le reverra plus. Mis à part dans ma propre folie, ses yeux dans la brume, et ma propre voix qui ressasse dans ma tête : "‘si tu tombes ici, tu ne reviendras pas.".

D’après nos estimations sur la carte, l’avant poste devrait encore être à cinq ou six jours de marche. Jamais je ne me suis autant réjouie de rencontrer des maraudeurs.


Eeri et Azazor s'attendent d'un moment à l'autre à apercevoir les lumières de l'avant poste au loin.

- Bon, on leur parle de Titus, aux maraudeurs, ou pas, demande Azazor.
- Qu'est-ce qu'ils vont en avoir à faire? Ils le connaissent pas. Au mieux ils se rappelleront du père. Et pas forcément en bien.
- C'est vrai. Sans lui, c'est nous qu'ils vont avoir envie de lyncher, s'ils s'en souviennent comme d'un traitre.
- En même temps, vu leur espérance de vie ici, ceux qui s'en souviennent sont sans doute grabataires.
- Je sais quoi leur dire, de toute façon.
- Et tu comptes m'en parler quand?
- Fais moi confiance, ça te changera.

La fyrette s'arrête :

- Confiance ? Mais ce n'est pas une question de confiance, mon pauvre fyros. On a dépassé ce stade. Bien sur que je te fais confiance, je ne me serais pas mise dans cette bouse de situation avec toi, sinon.
- Bon, alors, tu me laisses parler.
- dey. On ne fait pas comme ça. Nous devons avoir la même ligne de conduite. Plus de cachoteries.
- C'est toi qui dis ça, après avoir ramené du matos dangereux sans rien me dire ?
- ça va, on va pas recommencer. T'es rancunier ou quoi ?
- Tu viens de le découvrir ?
- Je veux bien comprendre que tu sois devenu parano avec moi, mais justement, là je te propose de parler, de dire les choses.
- Mouef...
- C'est une question de stratégie. Si tu leur dis quelque chose, puis que j'affirme le contraire juste après, on aura l'air de deux gnoofs... déjà qu'on pue comme des yelks...

Azazor s'arrête, reste un instant pensif, puis renifle autour de lui

- Je ne vois pas le problème.
- Il n'y a pas de problème. Juste une chose à faire : s'asseoir et parler. Tu me dis ce que tu comptes faire, et je te dis quel est mon plan. Puis on...
- Peut-être que je ne veux pas entendre parler de ton plan ?
- Il le faut. Il y a trop de choses dont tu ne veux entendre parler. Je fais partie de ce voyage. Nous passons ensemble, ou nous crevons. Ensemble.
- Mais je le connais ton plan. On arrive, tu leurs colles une bombe à goo en pleine tronche, et on passe. Mais on ne fera pas comme ça.

Eeri a un petit rire pendant qu'Azazor termine de grommeler quelque chose

- La bombe à goo, c'est le dernier plan. Quand tous les autres ont foiré.
- Excellent. Alors je te ferai signe à ce moment.
- Azazor... Je déconne pas. Tu ne veux pas finir comme Titus. Pas maintenant. Et moi non plus.
- Hrmf...
- Alors on s'assoit, on parle, et on définit ce que l'on fera et dira. Si ça tourne mal, on définit un second plan, et ainsi de suite.
- Tu ne me fais donc pas confiance.

Eeri réfléchit un moment, et soupire.

- Mais si !! Mais imagine, je dis une touberie de trop... Autant que je sache à quoi m'en tenir... Et que je ne sois pas surprise par ce que tu vas leur dire.

Azazor grogne un moment :

- Bon, dès qu'on peut, on s'arrête, et on cause. Si tu y tiens.
- J'y tiens. Nous sommes une équipe, rappelle toi.
- ney... une équipe...


Quelques kilomètres plus loin, les deux fyros trouvent un endroit un peu abrité et caché, pas loin d'une balise et dans le creux d'une petite butte. Ils décident de rester là pour la nuit et mâchonnent chacun un morceau de viande d'armadaï, nourriture énergétique, la seule qui permet de garder un tant soit peu d'énergie et d'entendement dans cet endroit.

- Je commence, ou tu commences ?
- À quoi?
- Plan A, plan B, plan C...
- T'en as tant que ça ?
- Jusqu'au plan goo.
- Alors je vais commencer, comme ça si tes conneries sont trop longues, je pourrai m'endormir.

Eeri ne peut s'empêcher de rire à cette dernière remarque d'Azazor, qui étrangement répond par un un petit sourire satisfait..

-Je t'écoute, dit-elle.
- Alors, voilà ce que je vais leur dire...

Edité 2 fois | Dernière édition par Eeri (il y a 2 ans). | Raison: Traduction en Anglais par Nilstilar / English Translation by Nilstilar

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Eeri
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#28 Multilingue 

Multilingue | English | [Français]
Après trois semaines de marche, ce sont deux homins épuisés qui arrivent au pied de la pente menant à l’Avant-Poste de la Falaise Nuageuse. Celui-ci est jusque-là resté caché à la vue des homins par un épais manteau de brume, si ce n'est il y a quelques jours, quand la brume s'étant levée, ils ont pu l'apercevoir à flanc de falaise. Comme on leur avait expliqué avant leur départ de la Halte, l’ascension commence par un long et étroit chemin serpentant entre les racines, souvent remplacé par des escaliers taillés à même le bois quand le chemin est trop pentu. Il finit ensuite par un élévateur comme pour la Halte. D'après ce qu'on leur a dit, le désert où est construit l'avant-poste est bien plus haut que le continent verdoyant où se situait Fort-le-Phare. Ils ne peuvent pas encore voir le haut de la falaise à cause de la brume, mais la falaise doit être gigantesque.

Après une remontée laborieuse de plusieurs heures, en tirant des mektoubs aussi éreintés qu’eux, Eeri et Azazor sortent enfin de la brume. Ils peuvent alors voir se détacher l'avant-poste, une structure principalement en bois posée à flanc de falaise. Bâti sur une grande racine qui dépasse de la falaise, l'avant-poste est solidement protégé, à l'ouest par le vide, ailleurs par des murailles. Celui-ci est détenu par les maraudeurs, bien que les rangers y soient autorisés. La nuit tombant, il se détache du ciel étoilé grâce à des flambeaux allumés de-ci delà. D'où ils sont, il semble déjà imposant. Pourtant, il leur reste encore plus de la moitié de la hauteur de la falaise à grimper.

- Il reste probablement au moins une heure avant d’arriver à l'élévateur. Je te propose de passer la nuit ici et d’attendre demain matin pour y aller.
- Sûr qu’on sera plus frais.

Eeri note le changement d’Azazor à son égard. Avant, il n’aurait pas proposé mais imposé. Mais depuis leur conversation il y a quelques jours sur leurs plans respectifs pour se faire accepter des maraudeurs, il semble enfin la prendre un peu plus au sérieux.

Ils posent leurs affaires à dos de falaise. Comme toujours depuis leur départ, Eeri s’occupe d’attacher les mektoubs et de leur donner à manger, tandis qu’Azazor s’active à allumer un feu. Avant que le bois ne prenne, Eeri le stoppe dans son élan.

- C’est peut être pas très prudent d’indiquer notre présence ce soir tu trouves pas ?
- T’as raison, pas de feu ce soir.

« T’as raison ». Oui, décidément, Azazor a changé.

De là où ils sont installés, ils peuvent voir à l’ouest la couverture nuageuse qui recouvre la Mer de Bois. Sagaritis émerge au-dessus de la brume. L’astre aux anneaux semble flotter sur les nuages, comme une bulle de savon prête à éclater. Une bulle fragile, comme la situation de nos deux homins, perdus dans le brouillard à des années de marche de leurs amis.



Azazor rêve ce soir-là. Il se remémore ce jour où il a annoncé son départ à la chancelière de l’Académie Impériale.

C’est un jour d’orage, comme le désert en connaît parfois. La pluie vient marteler les façades de l’Académie Impériale dans un grondement assourdissant. Prenant son courage à deux mains, Azazor frappe à la porte de l’archiviste impériale. Il a terminé sa formation initiale depuis peu. Avec la publication de ses nombreux ouvrages, il se sent enfin légitime pour demander une place au talumetim-an, la formation élitiste de l’Académie, celle auprès des grands maîtres.
Pourtant tout ne se passe pas comme prévu. Euphanix Apotheps lui dit que le temps n’est pas encore venu. Et puis, aucun maître ne le soutient. Tous accordent à l’akenak une certaine intelligence, de l’intuition et une bonne mémoire. Mais il lui manque tantôt un peu de rigueur et de discipline, tantôt un je ne sais quoi. Azazor a beau insister, demander ce qu’il lui manque réellement, rien à faire, l’archiviste n’a pas le temps pour ça, elle est très occupée. Le fyros finit par exploser, il exige qu’on le mette au défi, qu’il est bien plus méritant que la plupart des élèves qu’il a côtoyés pendant sa scolarité tardive, que ce n’est pas juste. Il veut seulement qu’on lui dise ce qu’il doit faire.
Alors, se levant calmement de son bureau pour s'approcher d'Azazor, Euphanix prend un ton grave.

- Tu veux savoir Azazor pourquoi à l’Académie rares sont les homins qui t’apprécient ? Je vais te le dire, puisque tu tiens tant à savoir la Vérité.

Le fyros regarde intensément la chancelière, prêt à encaisser le coup. Celle-ci lui dit alors ce qui le marquera à vie, ce qui le poussera à entreprendre ce voyage jusqu’aux Anciennes Terres.

- Tu n’es pas de leur monde, voilà tout. Ils sont issus pour la plupart des plus hautes classes sociales. Alors que ton père était un médiocre apprenti boucher et un piètre combattant. Quant à ta mère, ce n’était qu’une prostituée dégottée au bar par ton père un jour de beuverie. Voilà la crue Vérité !

Azazor encaisse difficilement le choc. Il avait toujours vu son père comme un grand soldat. Quant à sa mère, qu’il n’a pas connu, il ne la connaissait que dans les dires élogieux de son père. Il sert les poings, son visage virant au rouge.

- Désolé akenak, mais tu viens d’une classe sociale à peine au-dessus de la sciure. Ton ascension au sein de l’Empire est une injure pour beaucoup de bien nés.

N’en pouvant plus, l’ancien légionnaire s’écroule à genoux, ses poings serrés venant cogner le sol avec force. Une larme vient s’évaporer sur son visage brûlant de colère et de honte. La dernière fois qu’il a versé une larme, c’était à la mort de son ami Lopyrech, il y a bien longtemps. La rage ne tarde toutefois pas à reprendre le dessus.

- Mon père est mort lors du second grand essaim pour défendre la retraite de notre peuple jusqu’à l’Oasis Kami ! Il a sauvé tous ces traines-palais, tous ces lâches qui...
- Oui, je sais. Il a fait partie des volontaires restés à Pyr pour couvrir la retraite des autres homins. Et en cela, il a sauvé l’honneur de ta famille. Mais tes origines parlent malheureusement en ta défaveur auprès d’une certaine élite sociale.

Elle pose une main amicale sur l’épaule du fyros.

- Fût un temps, l’Empire était beaucoup plus méritocratique. Mais de nos jours, ceux d’en haut se méfient de ceux qui viennent d’en bas. C’est comme ça. Alors laisse le temps au temps. Ils finiront par reconnaître ta valeur.
- Le temps… Non, je n’ai pas de temps à perdre ici ! Ils veulent du mérite, alors je leur en donnerai au centuple !

Se faisant, il se relève et s’apprête à partir. La chancelière ne tente pas de le retenir. Elle sait qu’il ne sert à rien d’apaiser un feu qui brûle. Il faut attendre que celui-ci ait fini de se consumer. Alors qu’il est dans l’encadrure de la porte, Azazor se tourne une dernière fois vers elle.

- En vérité nous autres les basses classes, nous sommes comme le bois. C’est le bois qui supporte la douleur du feu. C’est lui qui, enflammé, cuit la viande. Mais quand vient l’heure de manger, on dit au bois : tu ne peux pas venir à table, tu salirais la nappe. On laisse alors le bois se consumer et retourner à la sciure.

Avant qu’il ne claque la porte du bureau de l’archiviste, Euphanix l’apostrophe.
- Que vas-tu faire Azazor ?
- Je vais chercher le Dragon, là où tout a commencé.
- Au Nexus ?
- Non, dans les Anciennes Terres. A Coriolis.

Quelques jours plus tard, il enverra une lettre à Euphanix, lui expliquant son projet, qu’il mûrissait depuis des années déjà. Établir une carte de la route d’Oflovak et du désert ancestral, étudier les kitins locaux, et si possible, percer le mystère de l’incendie de Coriolis. Il ne précise pas son intention de marchander du savoir avec les maraudeurs. Il n’est même pas sûr qu’il en discutera avec eux. Cela dépendra de l’impression qu’ils lui donnent. Quant à récupérer un éventuel artefact impérial dans la cité de Fyre, autant ne pas en parler non plus. Rien ne dit qu’il arrivera jusque-là...

Edité 2 fois | Dernière édition par Azazor (il y a 2 ans).

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#29 Multilingue 

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Eeri's logbook
End of Nivia, 4th AC 2619. Or 2620 already?

Here we are, we are at the Marauders.

Since we arrived, we go from surprise to surprise. Some more unpleasant than others.
The most unexpected one is that Azazor has been in a much better mood these last days. Our talks are quieter, and we have agreed on our course of action. It's about time. I didn't believe it anymore. The bodoc even asked my opinion, and not just once. I thought he was scheming something, but I guess I was mistaken.

So. We spent a night stuck on the side of a cliff. I've never climbed a cliff so high. We stopped about halfway up, following the directions the homins at the Halt gave us, when we could find a suitable platform. Then we walked for a few more hours in the morning before we found this famous pod. There, it hasn't been that easy.
First, we had to understand what they were saying. The further away from the New Lands, the more atrocious the accent. Toub, and we realized that it was mutual. That we had to speak slowly, with simple words, articulate. Not to speak fast and eat words as I had become accustomed to doing among the Trykers, by contagion.

So they descended the pod, and shouted things from above. By dint of shouting from each side without understanding each other, they finally put the pod back up with us in it. It was much wider than the one at the Halt, which allowed us to get into on with the two mektoubs. When we reached the top, we immediately felt that the homins in front of us had a different build than those of the Halt. The system of pulleys was however similar, so it should be believed that they were able to pull harder.

They looked at us with slightly startled eyes, probably because of our attire or what we'd yelled from downstairs, and then one said they didn't expect to see a convoy from the Halt for several weeks. I let Azazor do the talking, as agreed. We are not a convoy from the Halt, though coming from. We are Fyros scientists from the New Lands, heading for the Citadel. They were visibly confused, as expected. They asked if we had any goods, we vaguely explained what we were carrying, a mektoub loaded with bags of armadai meat. From behind them came a Matis with a somewhat hurried step and a stern look.

"This one I don't like," I whispered to Azazor. Two hours later, we were sure, I was completely right not to like him.

This one is Ostini. He's a sort of chief of guards, or rather he's one of the minions of the chief of the clan that owns the outpost, the Passers, as they call themselves. It's always like that with the homins. Give them a little power, and they'll work to devalue others to keep the little bit of privilege they have. In the end, Ostini asked the same questions as his homins, using a condescending and obsequious tone. A good Matis, the kind I had missed since we left. After a few minutes, we understood that he was only interested in the goods we were carrying, and understanding that we were not merchants, he then asked us to pay for our stay here. One bag of armadai meat per person per night. We gave him two bags of Titus' mektoub, without begrudging. This one will not come to claim them anymore, except in my nightmares. Ostini gave us a briefing on the rules of the Outpost. We will be allowed to keep our weapons, but must keep them stowed away when inside the compound, as well as a couple of relatively logical things, water is rationed and we will have to pay for it. We are free to use the dormitory, the tavern, and a partly open hall that serves as a place of exchange, as a market. He showed us the dormitory where we could stay, specifying again: as long as we have enough to pay.

So we were able to get to the center of the outpost. There are indeed six buildings, two of which are obviously reserved for the clan members, arranged in a circle inside the surrounding walls. A watchtower, the market, the inn, the dormitory. Nothing very pretty, like at the Halt. A rather functional style, whose some details vaguely resembling what the Marauders build in the New Lands.

"Two bags per night… we won't last long here," I whispered to Azazor.
At that moment my eyes fell on two strange figures passing further on, between two buildings. Two strangely familiar figures.
Disturbed, believing I was dreaming, I had a moment of inattention, and Azazor told me things I did not take in at the time. He repeated them to me afterwards: maybe we would spend more time here than planned. And that we should get hired as butchers or cooks at the tavern to pay for our stay, the time to organize and especially to recover our energy after several weeks in the Sea of Wood.

The figures, meanwhile, had disappeared. At the time, Azazor didn't believe me. "What? Fraiders? What the hell would they be doing here? Are you sure? What would they be doing in a Maraudeurs camp?"… We went into this dormitory. It's very basic, but it's still better than spending a night down there. I'm taking a moment of rest to write these lines, then we'll go to the tavern. I have a plan.

Later, the two Fyros were heading to the tavern:

"Well, first we're going to find out how to pay our stay," said Azazor.
"We offer them our services, you said… But they probably already have cooks…"
"It would not be a good idea to spend all our stock of dried meat. Keeping a few bags would be better for us to help cross the Desert."
"That's true. But let's ask first what they serve. I'd give an arm for a shookie… Or rather an eye, that's less often used.

Eeri then closed his left eye, opening his right eye to the maximum, which made Azazor laugh slightly. The situation could have been worse. A little further on, from the window of one of the Clan halls, Ostini was watching the Fyros who were slowly crossing the deserted square of the Outpost, chatting.

"So, these Fraiders?" Azazor asked.
"This is our chance," said Eeri. "I've spent so much time with them, I know enough of their dialect, one of my hatchets is from them, I have it here. I mean, it's from the Fraiders in the New Lands, not from those living here, but it's probably not much different."
"But why were you hanging out with them? What's so special about them?"
"Have you ever seen a Karavan agent or a Kami at Fraiders'?"
"Hmmm…"
“Although it is said that the Fraiders were once approached by the Karavan, they probably broke away from them over time."
"I had read something about them at the Academy, saying that they collected quite a few Kara artifacts. It wasn't so much by faith as by some sort of addiction."
"I never saw that kind of thing in their camp."
"So you had Tryton meetings there?"
"Not even. Got there just to be quiet, to think, to train. In the neutral zone. You'll laugh… But I find in them a wisdom that homins don't have."
"Oh, that's easy. They're probably less corrupt, and less power-hungry."

Eeri smiled, nodded, and added:

"They are greedy for rare raw materials to supply their crafts. But they maintain a balance and share the riches within their tribe."
"Well, but then, how to convince them to help us?"
"Let's see what is traded here, what they are looking for and what they offer. If I show them my axe and tell them about the New Land tribe, if we're lucky, we'll get some allies."
"And if we are not lucky?"
"We can always do business with them."
"What do we have to trade with them?"
"To be seen. I have some rare materials left on my mektoub. Some zun ambers, which I'd rather keep in case we need new amplifiers… Two maga creepers, some vedice. So far, we've worn our weapons out less than I expected."
"Do you have this in your Mektoub?"

Eeri smiled and answered in an undertone, stopping.

"In a pocket hidden under the saddle. The ambers are in the padding. Enough to make two pairs."

The Fyros, without saying anything, gave Eeri a sidelong look as she added:

"Hey, I told you about that, that I was bringing in stuff to make new amplifiers. I just didn't tell you where it was stored."
"I must have forgotten… As long as it's not a third goo bomb," grumbled Azazor."
"But I only brought one, I promise!"

Meanwhile, Eeri and Azazor had arrived at the Tavern. Azazor pushed open the door and entered, followed by Eeri. After a few seconds, the few homins present fell silent, some turning to stare at the newcomers. Around the few tables were Marauders, recognizable by their gleaming armor, and some homins with more discreet outfits, as one could see at the Halt. Rangers, perhaps, thought Eeri. A number of them were dressed in long tunics and turbans that covered most of their faces. A Fraider was even sitting with one of them.
The travelers slowly made their way to the counter where, to their relief, a massive Fyros was standing looking at them, knife in hand.

"oren pyr, what do you serve here?"
"I'll call you the boss," he replied. "O'Teelo?"

A few seconds later, a Tryker homina came down the stairs and walked behind the counter, her expression slightly pinched, but smiling, while the customers gradually resumed their conversations in a slightly more hushed voice.

Edité 2 fois | Dernière édition par Eeri (il y a 2 ans). | Raison: Traduction en Anglais par Nilstilar / English Translation by Nilstilar

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Eeri
"Quand on a le nez trop près de la bouteille, on ne voit plus le bar"

#30 Multilingue 

Multilingue | English | [Français]
La tavernière avait le corps charpenté et bien en chair. Des tatouages tribaux ornaient ses deux avant-bras qu’elle avait nus. Son sourire semblait marquer une certaine appréhension devant les deux nouveaux venus. Ce n’était pas tant qu’ils soient nouveaux qui l’inquiétait. L’Avant-Poste n’était qu’un va-et-vient d’homins de toute sorte, marchands pour la plupart, d’autres simples aventuriers ou vagabonds en recherche d’un gîte temporaire. C’était aussi un haut lieu d’assemblée diplomatique entre rangers, maraudeurs, haltiens et les tribus des alentours. La taverne était alors le lieu où l’on venait fêter la signature de tel pacte d’entraide ou accord commercial.
Non, ce qui l’inquiétait émanait d’eux comme une sorte d’aura déplaisante. Etait-ce leur armure entièrement fyros quand celle des rangers était disparate, ou leur tatouage inconnu alors qu’elle se targuait de connaître les tatouages de toutes les tribus alentour. Il y avait quelque chose en eux de complètement inconnu, de jamais vu.

L’homine lui demanda avec un accent étranger à couper au couteau une liqueur de shooki. O’Teelo s’étonna :

— Une quoi ?
— Laissez tomber…
— Ici, on ne sert que du baba, rajouta la tavernière devant la moue de la fyrette.
— C’est combien le baba, dit le fyros en posant sa bourse sur le comptoir.

Celui-ci portait un étonnant tatouage de dragon sur le visage. Pourtant, il ne ressemblait pas à celui du Clan des chasseurs de dragons rouges. Le fyros n’était d’ailleurs pas maraud à en croire son armure.

— ça dépend, vous réglez comment?
— Vous acceptez les dappers?

La tavernière prit un air dédaigneux. Les dappers restaient encore utilisés sur la route mais étaient de plus en plus délaissés en faveur du troc. On trouvait aussi quelques monnaies locales suivant les endroits.

— Ce sera 5000 dappers, et c’est accompagné du plat du jour, expliqua O’teelo. Ragoût d’arma aux graines de botoga.

Les deux fyros se regardèrent avec une mine déconfite.

— Y’a rien d’autre à manger et surtout à boire ?
— Demain y’aura peut être du ragoût de ploderos, ça dépend des arrivages. A boire il y a aussi le glorx.
— Le glork ?
— Glorx, répéta la tavernière, en insistant bien sur le x final. C’est une spécialité des Atakorum.

Ce faisant, elle pointa de la tête le groupe d’homins enturbannés.

— Mais faut avoir le coeur bien accroché. Y’a qu'eux et les Fraiders qui en boivent d’habitude. Je sais même pas à partir de quoi c’est fait.
— Alors va pour le glorx, s’exclama la fyrette en tapant de la main sur le comptoir.
— T’es sûr? s’enquit le fyros.
— Ça peut pas être pire que le baba…

Le fyros fit un signe pour dire qu'il prendrait la même chose.

— Ce sera 10 000 dappers en tout, dit la tavernière.

Les deux fyros passèrent une bonne partie de leur journée à la taverne, tentant d’engager la conversation avec différents homins. Eeri pris contact avec un fraider, Azazor discuta le bout de gras avec un gros fyros du nom de Krapoutos. Ils apprirent ainsi que l'Avant-poste Diplomatique accueillait des réunions entre des généraux importants de la Citadelle et des Rangers. Le clan qui possédait l’Avant-Poste ne jouait cependant pas le rôle de porte-parole de la Citadelle. Le Clan des Passeurs en profitait seulement pour faire leurs affaires, d'autant plus que la diplomatie passait parfois aussi par le commerce.

Le soir venu, après une longue discussion entre Azazor et O’Teelo, celle-ci finit par être convaincu de les embaucher pour une semaine en cuisine. Pelorus, le cuistot, manquait de bras. Azazor lui avait assuré qu’ils étaient bouchers et qu’elle ne le regretterait pas. Elle leur proposa un contrat d’une semaine pour voir, en commençant dès demain, avec possibilité de prolonger s’ils faisaient l’affaire. L’accord se conclut sur une poignée de main et un akep du fyros. Celui-ci lui avait expliqué d’où ils venaient, où ils allaient et ce qu’ils étaient. Des scientifiques venus des Nouvelles Terres en route pour la Citadelle et au-delà. Oui, son instinct ne l’avait pas trompé. Ces deux homins étaient vraiment très particuliers. O'Teelo se demandait si elle n’allait pas regretter l’accord avec le fyros...

Edité 2 fois | Dernière édition par Azazor (il y a 2 ans).

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#31 Multilingue 

Multilingue | English | [Français]
Pelorus Mekor observe les deux nouveaux avec dédain. On lui envoie encore des incompétents qu’il va falloir former. Il paraît même qu’ils viennent de la Halte. Des faiblards à n’en pas douter, qui ne savent probablement pas se servir d’un couteau.

P - Bon les novices, prenez un couteau, on va découper une cinquantaine de steak de bodoc pour ce soir. Je vais vous montrer comment on fait. On prend un rosbif et...
A - Inutile malos, on sait faire. Tu les veux tendres ou pas les steaks ?
P - Comment ça ?
E - Azazor veut savoir si on les coupe dans le sens du grain ou pas.
P - Le… un sens ?
A - Ouais, regarde ton rosbif, y’a un sens pour les fibres musculaires. Si on coupe dans leurs sens, la viande est moins friable.
E –Mais elle est moins tendre. Tailler dans le sens perpendiculaire, c’est plus dur, mais la viande fond en bouche.
A - Attend, on te montre comment faire.
E - Le truc, c’est de bien aiguiser le couteau.

En quelques minutes, les steaks sont tous coupés. Les deux fyros regardent en souriant le chef cuistot.

A - Tu les veux encore plus tendre ?
P - Gue…
A - Dans ce cas, fais les mariner.
P - Mariquoi ?
E - Mariner, baigner dans l’huile pendant une bonne heure
A - Sans oublier les herbes aromatiques pour plus de goût
E - Ah ça oui, on a justement quelques aromates cueillis dans la forêt près de la Halte.
P - Mettre des herbes avec la viande?
E - Fais nous confiance, on était boucher d'où on vient.

Pelorus s’assoit quelques instants pendant que les deux bouchers s’activent avec aisance à faire mariner les steaks de bodocs dans une marinade aux herbes.

E - Ce sera parfait pour faire poêler.
P - Poêler ?
E - Ben oui. Tu les cuis comment tes steaks ?
P - On fait bouillir avec les légumes.
E - Mais on fait pas bouillir une viande comme ça !
P - Parfois, on la cuit en broche, mais pas le bodoc, c’est trop dur.
A - Pas comment on l’a découpé. Et encore moins une fois marinée.
P - Bon, écoutez, visiblement, vous avez l’air de vous y connaître. Alors je vous laisse carte blanche pour la viande de ce soir à la taverne.
A - C’est comme si c’était fait. T'as une poêle ?
P - C’est quoi une poêle ?
A - Une hanche de ploderos qu’on place sur les braises. Quand c’est bien chaud, on met le steak dessus, trente secondes, on retourne pour encore trente secondes et c’est fini.
P - C’est tout ?
A - Oui.
E - En oubliant pas d'arroser avec le jus de cuisson.
P - J’ai pas de "poêle".
A - Tant pis. Eeri, passe-moi ton plastron.
E - Ma Kostomyx ? T’es fou. On a une poêle dans le mektoub.
A - Ouais mais c'est loin, et dans le plastron, avec la sueur, ça donne un goût inimitable
E - Je comprend d'où vient l'odeur chez toi
A- Alors va chercher la poêle. Et ramène la louche aussi, pour arroser les steaks.

Une fois Eeri revenue avec la poêle, Azazor la place directement sur le feu dans l’âtre, calée avec quelques braises.

A - Poêler ça prend pas de temps. Le plus long, c’est de laisser mariner. Mais c’est pas obligatoire. Une petite marinade de quelques minutes, c’est déjà pas mal.
E - Surtout si le bodoc a été battu avant.
A - ça attendrit la viande.
E - Faut aussi bien faire attention quand on le tue.
A - Ouais, faut éviter le coup de stress quand il sent qu’il va mourir. Ça libère de mauvaises choses dans le muscle.
E - D’où l’importance de le tuer par surprise et rapidement.
A – Ou alors encore mieux, faut prendre du bodoc élevé par les kitins
E - Ouais, directement ramené d’une kitinière. Vous avez pas ça à proximité ?
P – Une kiti… Non, pas ici. Il y a des bodocs dans les kitinières ?
A – Bien sûr. Même que notre métier consistait à aller les chercher.
E – ça et les aranas, les madakam…
A – Hmm très bon le madakam
E – As-tu déjà essayé le madakam braisé ?
A – ney ! Toi aussi tu le déglaces avec de la shooki ?
E – Ah Ah carrément ! Même qu’une fois...


Laissant les deux fyros disserter sur l’art de cuisiner la viande, Pelorus quitte à reculons la cuisine pour aller voir son chef. Ou ces deux-là étaient de vrais baratineurs, ou il venait de tomber sur les deux plus grands maîtres bouchers d’Atys. Quoi qu’il en soit, il devait avertir le chef.

Dernière édition par Azazor (il y a 2 ans).

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#32 Multilingue 

Multilingue | English | [Français]
Du haut de sa tour de guet, Wozung observe les deux fyros marcher lentement dans l’enceinte du camp. Ils viennent de passer la grande porte à l'est en transportant sur leurs épaules un arma de taille moyenne, ficelé à un pieu. Le fyros semble invectiver la fyrette derrière. Celle-ci éructe quelque chose en faisant un signe vers le coin sud-ouest du camp, auquel le fyros répond par un crachat au sol.

Cela fait quatre jours que Wozung observe le même manège. Au petit matin, les deux fyros sortent par la porte est, unique porte menant au désert. Ils reviennent une heure avant midi chargés tantôt d’un arma, tantôt d’un ploderos, qu’ils emmènent à la taverne pour le repas du midi. L’après-midi, ils repartent de nouveau pour revenir avant la tombée de la nuit, cette fois-ci chargé d’un grand sac plein à l’aller et vide au retour. Le garde zoraï ne se pose pas de question sur ce qu’ils mijotent. Ce ne sont pas ses affaires et de toute façon, ces deux-là se sont fait une belle réputation à la taverne. Il est vrai qu’il n’a jamais aussi bien mangé depuis qu’ils sont aux fourneaux. Alors ce qu’ils peuvent bien trafiquer, il s’en fout comme de son premier troc.

Alors qu’il est sur le point de se désintéresser d’eux, l’un des officiers les apostrophe. C’est Ostini Facili, le chef des gardes. Pas un tendre celui-là, véritable parano et expert en poison. Il leur montre le sac utilisé par les fyros l’après-midi. Les fyros posent leur arma au sol et haussent les épaules. Ostini semble monter d'un ton. Le fyros se met à pousser l’officier qui l’étale d’un coup de poing au plexus. La fyrette relève le fyros tout en éructant à son tour quelque chose. Ostini fait un signe aux gardes alentour qui se mettent aussitôt autour des deux fyros, puis ils les emmènent en direction du nord-est du camp. Wozung sait ce qui se trouve au nord-est. La prison de l’avant-poste. Dommage, c’était de bons cuistots.


Quelques instants plus tard, dans le bureau d'Ostini.

Celui-ci les regarde froidement assis sur leur chaise. Ils ont chacun un garde lourdement armé derrière eux.

O - Je passerai outre votre geste agressif envers moi tout à l'heure. Nous mettrons ça sur l'épuisement d'une chasse en plein désert.

Le chef des garde leur montre alors le sac qu'il leur a présenté dehors.

O - Je vais répéter ma question de tout à l'heure. Pourquoi portez-vous ce sac qui sent la viande dans le désert chaque après midi? Il est plein à l'aller et vide au retour.
A - Bon, vous voulez vraiment savoir ? D'accord, alors on va vous le dire.
E - Aza, tais toi !
A - Non, ce marché je ne l’ai jamais approuvé. Je savais que ça allait nous retomber dessus.
E - orak !
A - Et talen t’en fais quoi ?
O - orak, talen ? Qu’est-ce que c’est que ça ?
A - Un truc que tu peux pas comprendre l’orskos !
O - L’orsk…
A - Le sale mat…

Eeri parvient à temps à mettre sa main devant la bouche d’Azazor.

A - Ça va lâche-moi !
E - C’est juste du fyrk, parlé encore dans les nouvelles terres.
O - Ecoutez-moi bien les deux comiques, ici ce ne sont pas les Nouvelles Terres. Ici, nous sommes chez les Passeurs. Et le détournement de marchandise est sévèrement puni par notre clan.

Azazor rumine un truc inintelligible et crache au sol.

O – Alors ce marché ?
A – ça va, tu vas l’avoir ta vérité l’orskos !
E – Tu trahis ton honneur Aza en révélant notre accord.
A – Rien du tout. J’ai pas signé moi. Je t’ai juste donné un coup de main par amitié.
E – Amitié ?

La fyrette éclate de rire.

E - Tu peux te la mettre où je pense ton amitié, le traître.
A – C’est pas moi qui flirte avec des dégénérés.

Eeri se lève et balance un coup dans la tête d’Azazor qui vacille de sa chaise. Celui-ci se relève et réplique en se jetant sur elle pour l’étrangler. Les gardes doivent alors intervenir pour séparer les deux furieux.

O – C’est pas bientôt fini ? Mettez-moi celle-là au cachot en attendant. Quant à toi le fyros, ma patience à des limites. Tu te mets à table tout de suite ou on joue à un autre jeu.
A – C’est des avances mon beau ?

N’y tenant plus, Ostini attrape le fyros et le met au sol violemment. Il fait un signe aux gardes qui se mettent à le bastonner à coups de pieds jusqu’à ce que le fyros s’évanouisse sous les coups.

O - Trainez-moi ça au cachot avec l’autre !

Ostini n'a jamais perdu patience comme cela. Il est réputé pour son calme à toute épreuve. Et pourtant, là, il vient de faire rosser un homin. Il sent qu’il va avoir du mal à faire parler ces deux-là. Il en connaît des retors, mais eux semblent vraiment se moquer de se prendre des beignes. On dit que d’où ils viennent, on meurt difficilement. Si c’est le cas, ça explique qu’ils résistent aussi bien aux coups. Ça doit être une habitude chez eux. Alors qu’ici, la meilleure technique de survie est justement de les éviter.
Il lui faut d'abord reprendre son calme. Sa réputation est en jeu. Et puis, visiblement, les coups n'ont aucune emprises sur ces homins. Il respire un grand coup et tente de se calmer un moment.


Dans la cellule où sont enfermés nos deux fyros.

Une fois Azazor enfermé dans la même cellule qu’Eeri, celle-ci attend un moment que les gardes partent. Puis elle se dirige vers son compagnon de route sévèrement amoché. Celui-ci ne se relève pas. Son souffle est roque et haletant, comme s’il allait s’étouffer. Alors qu’elle approche son visage pour mieux le voir, il ouvre un œil et la regarde avec un grand sourire.

E - Crétin !
A - Hahaha

Il se relève alors et s’assoit à côté d’elle.

A - Alors, il était beau notre numéro non ?
E - Un vrai chef d’œuvre...
A - On a gagné un peu de temps. Vu ce que j’ai dégusté, ils vont penser que ce que je vais leur dire sera la vérité. Ça nous laisse quelque temps pour trouver quoi leur dire.
E - ça va être compliqué d’expliquer pourquoi le sac qu’on amène plein tous les après-midi dans le désert pue la viande et se retrouve vide à notre retour.
A - On peut leur dire qu’on a un marché avec la tribu des Atakorum.
E - Les Atakorum? Les nomades mystiques dont parlait l'autre grande gueule au bar la dernière fois?
A - Ouais. On explique qu’on leur apporte de la viande en échange d'informations?
E - Si tu dis ça, c’est la potence directe.
A - C’est toujours mieux que de leur dire la vérité, à savoir qu’on détourne de la viande et qu'on l'enterre dans le désert pour la suite de notre voyage. Un marché c'est mieux que du vol.
E - On sait même pas à quelle distance ils ont installé leur campement les Atakorum. Si on veut prétendre trafiquer avec eux, faut être crédible un minimum.
A - Bah, ils doivent pas être bien loin d’après les dires de Krapoutos.
E - Krapoutos raconte beaucoup de choses, mais ça n’en fait pas des faits.
A - De toute façon, je pense pas qu’ils voudront avoir les détails. Si on leur dit qu’on leur ramène un peu de viande qu’on a chassé en échange de renseignements sur la région, ils vont pas monter au créneau non ? Ces marauds n'ont pas l'air d'être de gros lourds comme ceux de chez nous. Faire du marchandage, même si c'est pas avec des marauds, ça semble toléré.
E - Pas avec leurs biens.
A - C'est nous qui la cuisinons.
E - Mais ça reste leur viande. Et ils vont vouloir récupérer le fruit du marchandage. Des informations que les Atakorum nous aurait filé sur le désert, ils s'en foutent.
A - Tu penses à quoi alors?
E - On peut dire qu'on marchande du poison.
A - Du poison? Mais on n'a pas de p....

Eeri lui sourit de toutes ses dents en battant des paupières.

A - Ah, la fameuse fiole...
E - héhé
A - Et elle est où cette fiole?
E - Dans mon toub, s'ils l'ont pas déjà fouillé.
A - ça peut se tenter. On trafique de la viande avec la tribu en échange de poison. On s'est fait prendre et donc on accepte de rendre le poison...


Soudain, des pas se font entendre dans le couloir menant à la cellule. Eeri et Azazor se taisent immédiatement. Ce dernier s’allonge et se met à tousser. Une clé vient tourner dans la serrure de bois de feu et la lourde porte s'ouvre dans un grincement, laissant apparaître dans l'encadrure de la porte un garde à l'air sévère.

G - Toi le fyros, assez dormi. Le chef doit te causer.
E - Azazor, ne lui dit rien ! On a juré de ne rien dire !
A - Pas moi.
G - Avance et ferme là !

Tandis qu’Azazor est escorté par deux gardes dans le couloir jusqu’au bureau d’Ostini, Eeri ne peut s’empêcher de sourire. Une vraie pièce de théâtre. Mais avec mise à mort si celle-ci ne plaît pas au public.

Dernière édition par Azazor (il y a 2 ans).

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#33 Multilingue 

Multilingue | English | [Français]
HRP: Cette scène fut jouée en live sur RC par Eeri, Azazor et Finaen (loriste jouant les PNJ). Seule la mise en page et quelques micros changements ont été fait.




Ostini ouvre la porte de son bureau. Il s'adresse sèchement aux deux gardes qui l'accompagnent.

- Faites-le s’asseoir.

Les deux gardes obéissent, prêts à frapper le fyros si celui-ci tente de résister. 

Azazor s'assoit avec un air goguenard. 
Ostini ferme la porte, contourne son bureau et s'assoit à son tour. Il tapote le support en bois massif quelques instants, en regardant dans le vide, puis sort finalement un objet d'un tiroir. Une dague finement ouvragée. Azazor regarde tour à tour le matis et la dague, sans se départir de son léger sourire moqueur.

- Bon le comique, je veux que tu m'expliques précisément cette histoire de "marché". 


- Sinon quoi? Tu vas jouer de la dague?

Ostini plonge à nouveau sa main sous son bureau. Lorsque celle-ci réapparaît, c'est avec une petite fiole remplie d'un liquide verdâtre. Le sourire d'Azazor s'efface aussitôt devant la vue de la fiole. Le Matis débouche le flacon et verse quelques gouttes sur la lame incurvée. Quelques volutes de fumées naissent de la réaction entre le liquide et l'ambre solidifiée.

- C'est quoi? Du poison ? Si vous me tuez, vous ne saurez rien !

- Effectivement, c'est du poison. Au cas où tu l'aurais oublié, sache que tu as laissé la résurrection derrière toi en entreprenant ce voyage. Dans ce désert, aucune Puissance ne viendra t'aider. Alors je t'encourage vivement à collaborer, et à ne pas tenter de me rouler. Suis-je bien clair ?

Devant le silence d'Azazor, Ostini continue :

- Je suis en charge de la sécurité de l'Avant-Poste. Je dois comprendre ce que vous trafiquez. Et crois-moi, j'arriverai à te faire parler, si tu tentes de résister.

Le Matis semble particulièrement calme. Les deux gardes restent flanqués devant la porte. Azazor hausse les épaules.

- Tu sais le matis, je ne suis pas du genre à mentir. Et je veux bien tout te raconter. Mais vois-tu, je n'aime pas ceux de ta race. Chez moi, les matis ne sont qu'une bande de prétentieux puants et vils. Je veux bien croire qu'ici, il en soit autrement. Mais parle moi encore de manière offensante, menace moi encore, et tout ce que tu pourras obtenir de moi sera un bon crachat sur ton visage blême.

Azazor ne peut s'empêcher de regarder la fiole, la dague et le matis, alternativement.

- "Ceux de ma race" ? Vous n'avez donc pas encore réussi à vous départir du racisme patenté de nos ancêtres communs ? Vos civilisations sont définitivement bien en retard...

- Tu ne connais pas les matis des nouvelles terres...

Ostini émet un petit ricanement, coupé par Azazor.

- Je connais quelques rares matis.... enfin, j'en connais deux, qui sont acceptables, sur toute une tripotée de raclure de bottes.

Le fyros fait mine de se rappeler un autre matis.

- Ah non, trois.

- Tu confirmes ce que je pensais : tu généralises. Mais ce n'est pas de ta faute, c'est ce qu'ils veulent. N'oublie pas : vous faites le jeu des Puissances à vous faire guerre pour des motifs raciaux, politiques, religieux, ou que sais-je... Et pendant ce temps, vous êtes divisés. Face à eux, et face aux kitins.

Ostini fait disparaître la dague sous la table.

- Enfin, bref. Tu es donc disposé à parler. C'est parfait. Je t'écoute.

Azazor souffle un coup.

- Tu n'as pas deviné ? Le sac qui sent la viande ? Le poison que tu viens de sortir ? Tu as tous les éléments.

Il observe le visage d'Ostini, attendant de voir la lumière.

- Le Poison ?

Ostini regarde la fiole qui est restée sur la table.

- Quel rapport ? Cette fiole m'appartient.

Soudainement, le visage d'Azazor se décompose.

- Ah... ramèch ! Bon... Ce qui est dit est dit, ajoute t'il en tapant du pied sur le sol.

Ostini se remet à tapoter des doigts sur le bureau.

- On avait un marché avec les Atakorum. En échange d'une partie de la viande qu'on partait chasser le matin pour le compte de Pelorus, ils nous échangeaient une fiole de poison de leur création.

Le fyros marque une pause puis reprend :

- Vu le danger de la route, on s'était dit avec Eeri que ce serait prudent d'avoir ce genre de truc sur nous pour le reste du voyage. Je sais, c'est un détournement de matière qui vous appartiennent, mais on s'était dit que bon, d'un côté, c'est nous qui la ramenions cette viande. Le bodoc, l'arma, c'est pas de tout repos à tuer ici.

- Tu es en train de me dire que des étrangers dont tout le monde se méfie, de part leur provenance, trafiquent du poison dans le lieu de repos où ils ont été généreusement accueillis ?

Azazor a du mal à cacher sa gêne.

- Pas ici non, ils ne voulaient pas. Soit disant vous seriez pas d'accord. Du coup, on faisait ça dans le désert, plus à l'est. On s'était fixé un point de rendez-vous.

- Si j'étais paranoïaque, je pourrais croire que ce poison nous est destiné.

- Mais ça va pas ? Pourquoi on ferait ça ?

- Vous venger de toutes les horreurs que vous ont fait subir les sbires d'Akilia sur vos Terres, à tout hasard ? Il n'y a pas de raison qu'Akilia soit la seule à envoyer des agents opérer en terres étrangères.

Ostini marque une pause, puis continue :

- Heureusement, je ne suis pas paranoïaque. Je suis simplement le chef de la garde. Un chef de garde extrêmement prudent, prenant à cœur son travail. Les Atakorum, tu disais ?

- Il ne faut pas leur en vouloir. Ils n'y sont pour rien. On leur donne de la viande qu'on chasse en échange de poison. Ils ne pouvaient pas savoir que la viande était préparée au sein de la taverne. Quoi ? On a utilisé vos couteaux ? La belle affaire !

Ostini tapote de plus en plus rapidement sur le bureau. Finalement, il est peut-être un peu paranoïaque.

- Je dois analyser ce poison. Où est-il ? Par chance, il se trouve que j'ai une petite expertise en poison. Un savoir qui me vient de mon ancien Clan.

- Faut demander à Eeri. c'est elle qui l'a planqué.

- Je vois.

- Et rassure-toi, on a pas une gueule de tueur. Quant aux horreurs d'Akilia, bah, on lui a bien rendu.

Ostini fait un signe aux gardes.

- Que l'un d'entre vous l'emmène ailleurs, et que l'autre me ramène sa camarade. Faites en sorte qu'ils ne se croisent pas.

Les deux gardes s'activent et font signe à Azazor de se lever. Celui-ci se lève sans manifester de résistance et se tourne vers le chef des gardes.

- Ostini ? Si tu veux faire parler Eeri, soit poli avec la dame. Elle aussi, elle vomit les matis.

- Raciste elle aussi ? Étonnant.

- Tu ne connais vraiment pas les matis des nouvelles terres...

Un garde accompagne Azazor et l'autre se dirige vers la cellule où est enfermée Eeri. Comme prévu, les deux Fyros ne croiseront pas.


***




- Suis-moi, dit le garde à Eeri.

Eeri gromelle quelque chose, puis se lève sans un mot. Elle suit le garde jusqu'au bureau d'Ostini en coopérant, et regarde dans tous les coins à la recherche d'Azazor, qu'elle ne trouve pas. Elle affiche une mine déterminée et pugnace.

- Bien. Assieds-toi.

Il marque une pause et rajoute:

- S'il te plaît.

Eeri s'exécute, en regardant le matis en coin, essayant de ne pas lui faire face.

- J'aimerais que tu m'expliques ce que toi et ton camarade trafiquaient avec ces sacs qui sentent la viande. Et quel est ce "pacte" dont il a mentionné l'existence, et qui a occasionné votre dispute.

Eeri reste un moment silencieuse, et regarde le matis de nouveau, un sourire en coin.

- Quoi, il n'a pas déjà tout dit ?

- Je veux confronter vos versions.

Ostini scrute attentivement le visage de la Fyrosse.

- Un fyros ne ment pas. talen, la vérité.

Le matis se remet à tapoter sur le bureau.

- Je t'écoute.

Eeri fixe ses yeux sur les doigts du matis un moment.

- À propos de quoi ? Ce que nous faisions de cette viande ?

- Je vais répéter mes questions : j'aimerais que tu m'expliques ce que vous trafiquiez avec ces sacs qui sentent la viande. Et quelle est la nature de ce "pacte" que vous avez passé avec je ne sais qui.
J'attends des réponses, et non pas des questions.

Eeri retient un grognement.

- Je ne peux rien dire de ce pacte, je ne sais pas de quoi vous parlez. Ce que je peux dire, est que l'on a échangé quelques bouts de viandes avec des atakako... dey... akotorum.

Eeri continue, n'attendant pas que le matis demande contre quoi.

- En échange d'un poison très puissant.

- Puis-je voir ce poison ?

- Ai-je le choix ?

- Non, dit le matis en soupirant.

- Nous allons devoir aller à l'étable.

- Indique-moi simplement où il est caché.

- Vous ne le trouverez pas sans moi.

Ostini serre les dents... Puis se calme. Il se lève.

- Bien.

Il attache une dague à sa ceinture et fait signe au garde.

- Direction l'étable alors.

En se levant, Eeri se remémore que le poison est dans une fiole de fabrication matis. Elle bredouille :

- Il est sur mon mektoub. Je l'ai changé de fiole, celle des ata...takorum était trop fragile.

Eeri se lève et suit le garde. Les trois homins se dirigent vers l'étable, située à côté du dortoir. Puis elle ajoute, d'une voix pas trop assurée.

- Je ne sais pas d'où ils sortaient ce poison. Ça ne vient sans doute pas de chez eux.

- S'il ne vient pas de chez eux, il vient alors de chez nous. Mais ne t'inquiète pas, c'est une question à laquelle je suis à même de répondre.

Eeri ne répond rien, l'adrenaline lui montant au sommet du crâne. Les trois homins arrivent finalement face au mektoub. Après le terrible périple qu'il a traversé quelques semaines plus tôt, celui-ci semble vivre sa meilleure vie.

Elle attrape le harnais du mektoub, détache deux sangles, ce qui libère un peu le sac. Elle passe sa main derrière le sac et en tire délicatement une petite boite noire, de la taille d'une dague. Elle ajoute:

- Je l'ai mise dans la fiole que j'avais emmenée, avec un poison matis paralysant. Rien de bien méchant. Celui-ci semble bien plus puissant.


***




Pendant ce temps dans sa cellule, Azazor a des scrupules et tourne en rond. Il finit par appeler un garde.

- Oui?

- J'ai un autre truc à dire à ton chef.

- Il est occupé. Mais il en a pas terminé avec toi je pense. Tu pourras la lui poser après.

Azazor grogne un peu pour la forme.


***




- Et qu'as-tu fait du poison précédent ?

Eeri ouvre la boite, et laisse voir une fiole, et une dague vivante.

- Renversé. Mais la fiole était intacte, par chance.

Eeri regarde Ostini avec son air le plus convainquant, en se disant que plus c'est gros, plus ça passe.

- Nous voulions tester ça sur les kitins des Anciennes Terres. Le poison paralysant. Ça marche pas mal, chez nous.

Ostini attrape délicatement la fiole puis la regarde.

- Je garde ça. Et je te ramène en cellule. Suis-moi.

Il fait à nouveau signe au garde.

Eeri replace les sangles de son mektoub et suit le garde. Elle se retourne et lance au matis, d'une voix grinçante :

- Faites gaffe, quand même. Ils nous ont dit qu'une goutte tuerait un homin en deux minutes. Non pas que j'en pleurerais...

- Je m'y connais en poison, ne t’inquiète pas. Par contre celui-ci... Il ne me dit rien, dit-il en contemplant la fiole.


***




Eeri est reconduite dans la cellule. Azazor est toujours dans une pièce adjacente aux cellules avec l'autre garde. Les minutes passent et les deux fyros sont finalement reconduits dans le bureau du matis. Les deux gardes les font asseoir l'un à coté de l'autre, mais ni l'un ni l'autre ne se jettent un regard.

Ostini, assis derrière son bureau, semble plus froid qu'avant. Il fait circuler la fiole d'Eeri entre ses mains. Un garde murmure quelque chose à son oreille et son regard se pose sur le fyros.

- Tu voulais me dire quelque chose ? La vérité, peut-être ? Ça pourrait être utile, effectivement.

Eeri reste silencieuse, et regarde Azazor en coin, qui prend la parole :

- ney... Mais avant, dis moi aussi la Vérité. Tu m'as parlé d'Akilia, de ses sbires. Dis moi si je me trompe mais... tu ne sembles pas la porter dans ton coeur n'est ce pas? Je sais bien que c'est ta cheffe, m'enfin, tu peux être tranquille, on ne répétera pas.

- Effectivement, je ne la porte pas dans mon coeur. Et non, elle n'est pas ma "cheffe"... Mais je ne suis pas d'humeur à parler d'Akilia.

- Pourtant, elle se déclare cheffe des maraudeurs, poursuit Azazor.

Ostini ignore la dernière remarque d'Azazor et enchaîne :

- Voyez-vous, j'ai montré votre fiole à trois Atakorum présents en ce moment même à la taverne. Vous connaissez la suite ?

Azazor n'a plus son sourire et regarde gravement Ostini. Le matis laisse passer quelques secondes, puis se répète, en insistant bien sur chaque mot.

- Vous. Connaissez. La suite ?

- Les Atakorum n'ont rien à voir là dedans, dit Azazor. On a juste détourné de la bouffe qu'on a planqué dans le désert pour la suite de notre voyage. Et la fiole vient des Nouvelles Terres. Je peux rien dire dessus, ayant découvert son existence par hasard dans la Mer de Bois.

Eeri lâche un grand soupir contrarié.

- On avait un mektoub plein. On vous a tout donné...

Ostini affiche un sourire satisfait. Il semble fier de lui.

- Ou plutôt, vous nous avez tout pris, elle ajoute.

Azazor se tourne vers Eeri.

- C'est des marchands, tu t'attendais à quoi?

- Vous avez payé votre séjour ici. Et vous auriez pu continuer à travailler pour avoir des vivres. Mais vous avez préféré nous voler.

- On a rien volé, grogne Azazor.

- Des vivres ? On travaille comme des fous, c'est juste assez pour payer votre dortoir, rajoute Eeri.

Ostini lève la main et fait signe aux Fyros de se taire.

- Cette bouffe, on l'a chassée et préparée, ajoute quand même Azazor.

- Gardez votre plaidoyer pour ma cheffe. Ma véritable cheffe, et non pas Akilia. Moi, j'ai fait ma part du travail.

Ostini se lève et se dirige vers la porte.

- Je reviens.

Azazor se tourne vers Eeri.

- Toi et tes idées à la con.

- Les Atakorum c'était ton idée, souffle-t-elle à Azazor.

- T'avais une meilleure idée ?

- dey ! Mais parfois vaut mieux juste se taire...

- Tu crois qu'en disant rien ça aurait changé les choses? pfff


***




Quelques minutes plus tard, la porte s'ouvre. Ostini est accompagné d'une Trykère. Une Trykère que les Fyros ont déjà croisé très régulièrement... O'Teelo, la tavernière. Les deux fyros sont estomaqués. Eeri écarquille les yeux et donne un sourire crispé à O'Teelo, dans le doute. Azazor imite Eeri comme un miroir.

- Merci Ostini, je t'emprunte ton bureau. Peux-tu t'occuper du bar le temps que je m'occupe d'eux ?

- Quoi ? Heu, oui. Bien sûr.

Ostini envoie un sourire rageur aux deux Fyros puis sort de la pièce. Les deux gardes restent présents. La Trykere s'avachit sur le siège et pose ses bottes sur le bureau du Matis, qui n'apprécierait probablement pas le geste s'il était présent. Elle semble bien moins amicale qu'à l'accoutumé.

- J'ai appris que vous détourniez des biens qui nous appartiennent.

- Détourner? Non... Nous avons produit plus que nécessaire, s'insurge Eeri.

- Techniquement, c'est pas à vous vu que c'est nous qui chassons et cuisinons, rajoute Azazor.

O'Teelo ne relève pas et continue:

- Je vous ai beaucoup observés et écoutés ces trois dernières semaines. À vrai dire, je commençais à vous apprécier. D'autant plus que vous cuisinez extrêmement bien ! Mais ça... C'est grave.

Eeri regarde Azazor, consciente que ce n'est pas la bonne stratégie, en essayant de faire fonctionner son neurone pour en trouver une meilleure. O'Teelo continue :

- Tu veux parler "technique" avec un marchand, Azazor ? Si j'ai bien compris, ton truc à toi c'est la politique, l'alcool et la bagarre.

- Et le sens de la justice, dit Azazor.

- Et la cuisson du bodoc, ajoute Eeri, à mi-voix.

- Vous trouvez ça juste d'exploiter les gens? On a juste voulu se payer correctement en prenant un peu de viande en surplus, dit Azazor.

- Sinon, nous ne tiendrons pas deux jours dans le désert, renchérit Eeri.

- Alors pourquoi le cacher ? Pourquoi ne pas avoir en discuté ?

- Parce que vous êtes des rapiats, s'écrie presque le fyros. Nous aussi on vous a observés. On a dû vous filer tout notre stock de viande séchée rien que pour entrer dans le camp et dormir deux nuits dans votre dortoir.

Eeri grimace aux mots d'Azazor et lui donne un coup de coude en espérant qu'il la ferme.

- Vous avez donc survécu deux nuits de plus grâce à nous. Puis trois semaines, dit O'Teelo.

- Ostini, que nous avions pris pour le chef, ne semble pas ouvert à la discussion, note Azazor.

- Ou plutôt dire, il s'est fait un plaisir de ponctionner tout le stock que nous avions, ajoute Eeri. Après trois jours, on avait plus rien. Et plus rien pour acheter quoi que ce soit...

- Ostini, le chef ? O'Teelo ricane. Il est uniquement le chef de la garde. Un bon chef d'ailleurs, paranoïaque à souhait. C'est souvent très utile.

Eeri a un haussement de sourcil à "bon chef, d'ailleurs". O'Teelo continue :

- C'est pour ça que nous vous avons embauchés. Pour vous aider.

- On a l'expérience avec les maraudeurs des Nouvelles Terres. Alors ne vous étonnez pas si on a pas joué franc jeu dès le début. Surtout après le racket à l'entrée.

Eeri fait ney de la tête pour appuyer les mots d'Azazor, qui rumine tout seul à voix basse : - marchand, voleurs, comme les trykers tiens, tous des....
O'Teelo grimace.

- Ne nous comparez pas à ses barbares. Et ne me parlez pas de racket, vous n'y connaissez rien. Vous venez d'un monde où tout semble facile. Ne vous êtes vous pas posé la question d'à quel point il a pu être difficile de créer cet avant-poste, et de le faire vivre durant toutes ces décennies ?
Oui, la vie est dure ici. C'est un fait. Mais mieux vaut ça que la mort.

Eeri prend une grande inspiration :

- Bon, on a merdé. Que peut-on faire, maintenant, pour nous racheter?

O'Teelo regarde la Fyrosse.

- C'est une bonne question.

- Vous avez la fiole de poison d'Eeri, c'est pas assez pour quelques morceaux de viandes? Ou faut vous filer nos armures et nos slips?

O'Teelo regarde l'armure du Fyros.

- Sans façon.

Eeri se tourne vers Azazor.

- N'en rajoute pas. Ils n'ont aucune utilité d'un poison comme ça, en plus.

- Tu parles...

Eeri éveille la curiosité de O'Teelo.

- Et quelle est son utilité ?

Eeri montre la paume de sa main, qui laisse apparaître une tâche noire.

- Je ne l'ai jamais testé. Mais je peux vous dire que j'ai souffert pour l'obtenir.

- Qui voulez-vous empoisonner, demande O'Teelo ?

- Oui, qui veux-tu empoisonner, grince Azazor en se tournant vers Eeri.

- Personne en particulier, répond Eeri. Si je tombais sur votre Akilia, je ne me gênerais peut-être pas. C'était juste la question de partir équipés, et au pire, ça aurait pu être une monnaie d'échange. Je voulais essayer ça sur des kitins des anciennes terres, aussi.

- Si vous cherchez Akilia, retournez à l'Ouest. Elle doit se trouver quelque part entre les Nouvelles Terres et son quartier général.

Eeri fait non de la tête.

- On ne la cherche pas.

- Dans tous les cas, il est certain que je ne vais pas vous laissez progresser à l'Est avec un poison inconnu. Ostini vous prend pour des assassins envoyés en opération à la Citadelle, ricane O'Teelo.

Azazor se tourne vers Eeri.

- Et une connerie de plus d'Eeri, une!

- Oh, eh, ça va... On en serait pas là si t'avais pas eue l'idée de dire ça.

- Bon. Qu'avez-vous à proposer, donc ? Contre ce stock de viande volé.

- Ça représente même pas ce qu'on a amené de viande d'Armadaï, grommelle Eeri.
Pardon, je sais, ça ne change rien, ajoute cette dernière, baissant les yeux.

O'Teelo semble réfléchir.

- Vous savez quoi, vous pourriez peut-être nous rendre service...

- On ne peut faire que ça. On a rien d'autre à offrir.

- Une mission de livraison. Vous pourrez garder la viande, et aurez même un petit supplément pour le ... long détour que vous devrez faire.

- Ça passera par là où on a planqué la viande, demande Azazor ?

Eeri lui redonne un coup de coude.

- Aza... ça c'est un détail.

- Si vous ne vous rendez pas au point indiqué, je le saurai. Soit, cela signifiera que vous êtes morts en route, soit, cela signifiera que vous avez préféré nous arnaquer une seconde fois en continuant VOTRE route. Si c'est le cas, tâchez de ne pas repasser par l'Avant-Poste à votre retour... Tachez aussi d'éviter Sentinelle et la Citadelle....

- Où se situe la livraison?

- Au sud, sur la côte. Le réseau de Zinuakeen ne couvre pas encore le sud-ouest du désert, ce qui rend compliqué la communication avec nos chasseurs de reliques.

- ça ne pourra pas être pire que de retourner à la Halte d'Oflovak. Nous le ferons. J'imagine que tu es d'accord, Azazor?

- Faut livrer quoi, demande t'il en ruminant ?

- Une babiole.

- À une condition, répond Azazor. Il nous faut une carte de ce détour.

- Ça peut aider... Au moins savoir où on va.

- Évidemment. Je ne compte pas vous envoyer à la mort, dit O'Teelo, un sourire satisfait aux lèvres.

Les deux fyros, toujours assis côte à côte en face de la Trykère, ont du mal à cacher leur soulagement.

- Pendant qu'on sera là-bas, vous avez besoin qu'on vous ramène quelque chose en particulier, demande Eeri ?

- Peut-être que quelqu'un vous confiera une autre mission de livraison, effectivement. Libre à vous de l'accepter ou pas. Mais me concernant, je vous embauche uniquement pour cette livraison.

- akep. euh... merci.

- Moi ce qui m'intrigue, c'est comment tu sauras qu'on a fait cette livraison, demande Azazor... C'est quoi cette babiole ?

- Je le saurai, car si vous y arrivez, il y aura une nouvelle Zinuakeen.

Azazor hoche la tête, tâchant de cacher son extrême intérêt pour la "babiole".

- L'objet, en soit, n'a pas une valeur particulièrement importante. Ça m’embêterait de le perdre, certes. Mais le problème principale reste la livraison dans ces terres hostiles.

Eeri préfère ne pas savoir de quoi il s'agit, et est presque souriante devant O'Teelo.

- Donc nous sommes libres de partir ?

- Si vous voulez qu'on réussisse cette livraison, il va nous falloir du matériel, coupe Azazor.

Eeri pouffe légèrement, reconnaissant bien là Azazor.

- On va pas en demander trop, non ?

- Je dis ça dans l'intérêt de la mission, dit Azazor, qui prend un air sérieux.

- Vous êtes libres de retourner travailler en cuisine. J'ai encore deux trois choses à régler de mon côté avant votre départ. À nouveau, je ne vous envoie pas à la mort. Vous aurez ce qu'il faudra pour voyager jusqu'à la côte, aussi bien en terme d'informations que de matériel. Mais c'est surtout sur votre débrouillardise qu'il faudra compter. Ce faisant, O'Teelo range la fiole d'Eeri dans sa poche.

- Faites attention, avec la fiole. Et je dois vous donner autre chose. D'une part, un antidote. Et d'autre part, un conseil... Ne touchez jamais cette dague sans mettre un gant avant. Eeri ajoute, en hochant la tête, parce que je vous aime bien, finalement.

- Quelle dague ?

- Celle qui est dans la boite, sur la table, là.

O'Teelo ouvre prudemment la boite et observe la dague. Eeri montre de nouveau la paume de sa main.

- C'est une arme matis. Dans nos régions, ils sont assez fous pour rendre les armes plus dangereuses pour ceux qui les portent que pour ceux qui sont frappés avec. Il n'y a pas d'antidote pour le poison du manche.

- Hum, d'accord. Maintenant que notre "amitié" est scellée par un contrat, pouvez-vous me dire pourquoi ce voyage ? Simplement la science et la soif d'aventure, réellement ?

- Combien tu paies pour ce renseignement, demande Azazor ?

Eeri soupire.

- Azazor tu es désespérant.

- Eeri, on a des marchands face à nous. Alors on marchande.

O'Teelo sourit.

- À combien estimez-vous sa valeur ?

- Une armure maraudeur. Mais on peut négocier.

- Une armure ? Hum, ça me ça.

- Une chacun ça va sans dire, vu qu'on a tous les deux une raison différente d'être ici, rajoute Azazor.

- Peu m'importe. Ce n'est pas grand chose.

- Chez nous, ça a beaucoup de valeur. Même que des maraudeurs font la guerre à d'autres maraudeurs pour les obtenir. Mais je veux pas cafter...

O'Teelo se gratte la tête.

- Si ça peut vous aider à comprendre pourquoi on s'est fait une mauvaise idée sur vous... ajoute Eeri.

O'Teelo se redresse sur le fauteuil et regarde les deux fyros d'un air concerné.

- Le Clan des Égorgeurs, le Clan de la Sciure Noire, le Clan des Cendres, et plus généralement tous les sbires d'Akilia, ne représentent qu'eux-même. Enfin... C'est mon avis. Que tous ne partagent pas. Une chose est cependant certaine : Akilia ne représente pas, dans sa conduite tout du moins, l'ensemble des Maraudeurs. Si par miracle, vous trouvez un moyen d'accéder à la Citadelle, vous pourrez le voir de vos yeux. Nous ne sommes pas des sauvages. Et je déteste savoir que certains pensent ça de nous, alors qu'à l'Est, nombreux sont ceux qui luttent jours et nuits contre les Kitins.

La cheffe pose alors ses coudes sur la table et lève le menton en direction d'Azazor.

- Si j'ai ta parole, alors va, dit-il. La raison de ma présence ici est d'aller jusqu'à la cité perdue de Coriolis, dans le désert de mes ancêtres. Je tiens à percer le mystère de l'incendie relaté dans nos chroniques. Par ailleurs, je compte étudier les kitins de là bas, et bien sûr faire une carte des lieux. Un petit plus également, même si je n'ai pas trop d'espoir, c'est d'établir un premier contact avec les maraudeurs pour un éventuel échange de savoir, entre l'Empire et les Maraudeurs.

Eeri prend à son tour la parole, après avoir légèrement tourné les mots dans sa tête.

- Ma raison ne sera pas simple à comprendre pour vous, j'imagine. Par chez nous, je suis Trytoniste. On nous appelle aussi les chercheurs d'Elias.

- Je vois, répond O'Teelo.

- J'imagine que je n'ai aucune raison de cacher mes convictions ici. Je cherche à vérifier certaines anciennes théories, des preuves. Tout comme Azazor l'incendie de Coriolis, entre autres. Aussi à rencontrer des scientifiques, à l'est. Et... Un vieux rêve. Je ne voudrais pas mourir sans avoir vu de mes yeux la cité de Fyre. Ou ce qu'il en reste...

O'Teelo prend un air sérieux.

- Vous savez que vous avez pourtant de très grandes chances de mourir ? La Route d'Oflovak n'est qu'un parcours de santé par rapport à ce qui se cache après la Citadelle.

- Nous sommes fyros, dit Azazor.

- On verra en temps voulu, dit Eeri, haussant les épaules.

- Non, vous êtes surtout des homins des Nouvelles Terres, habitués à être ramenés à la vie par les Puissances. Que vous le croyez ou non, cela impacte votre manière d'agir et de penser. Je ne veux pas vous manquer de respect, mais vous avez grandi dans un monde "sous cloche".

- Après plusieurs années sur la route, je peux vous assurer que ça change, dit Eeri.

- Possible oui, mais le jour où nous reculerons n'est pas encore venu, ajoute Azazor.

- Je dis ça en connaissance de cause. J'ai vu la nouvelle génération, à Sentinelle et à la Citadelle, commencer à s'habituer à la résurrection... Cela change la manière d’appréhender la vie.

- Vous avez la résurrection à la Citadelle, manque de s'étouffer Azazor ?

O'Teelo hausse les sourcils.

- Akilia et ses sbires auraient apporté le système de résurrection des Maraudeurs sur les Nouvelles Terres, sans que celui-ci existe à la Citadelle ? Cela ne fait aucun sens. Enfin bref !

O'Teelo se lève, et se dirige vers la porte, faisant signe aux gardes de partir.

- Aux cuisines !

Eeri chuchote à Azazor :

- C'est Ostini qui va faire la tronche...

- Ouep, tant mieux.

Eeri sourit de toutes ses dents. Azazor lui rend son sourire.

- Au fait Eeri, t'es une bien piètre marchande. L'info sur la dague, fallait la vendre...

Azazor sort de la pièce en sifflotant, suivi par une Eeri trop soulagée pour protester.

Edité 6 fois | Dernière édition par Azazor (il y a 2 ans).

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fyros pure sève
akash i orak, talen i rechten!
élucubrations
biographie

#34 Multilingue 

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Journal de bord d'Eeri
2620, été du troisième cycle.

Nous y voilà, nous repartons demain. Il s’est passé tant de choses ici que j’en ai oublié ce journal.
Pour résumer très vite… Des fois que je perde la mémoire.
Arrivés à l’avant poste. Ils ont pris notre viande, on a créché quelques nuits là à se demander ce qu’on pourrait faire, puis on s’est fait embaucher à l’auberge comme cuisiniers. On a commencé à planquer de la viande pour préparer le reste de notre voyage. Ils ont remarqué, Ostini, le chef des gardes, nous est tombé dessus. Azazor a eu l’idée brillante de raconter qu’on échangeait ça avec les akako akatorums contre un poison, En racontant qu'on a perdu celui qu’on avait emmené. Puis il a fallu que je montre mon poison à ce salopard d’Ostini, leur chef des gardes. Un matis. Bien entendu, il a tout de suite vu que ce poison ne venait pas des akatakomachins… Ensuite, celle qu’on prenait pour la simple tenancière de la taverne s’est révélée être la cheffe de leur clan. Elle nous a fait cracher le morceau, mais s’est montrée relativement compréhensive. Comme quoi, les maraudeurs d’ici, c’est pas comme ceux de chez nous. Ici, on peut parler.

Résultat, on a accepté de faire une livraison pour elle, pour repayer nos erreurs. Enfin, nos actions, pas nos erreurs. Ils ont eu la cordialité de ne pas nous balancer par dessus la falaise, ou quoi que ce soit d’autre. Sur le moment, la situation était assez excitante, je n’ai réalisé qu’après que l’on jouait vraiment avec nos vies.
La bonne chose, c’est qu’O’Teelo est prête à nous fournir en matériel pour ce travail. Des armures de maraudeurs, locales. Juste ce qu’il nous faut, pour espérer arriver à la Citadelle un peu plus inaperçus qu'avec nos tronches de fyros hébétés. Elle nous a filé une carte, le chemin à suivre semble simple, comme ça. Premièrement, longer la falaise vers le sud, pour trouver le point de livraison. Ensuite, là-bas, nous sommes censé rencontrer d'autres maraudeurs. Ils pourront nous en dire plus sur les danger qui nous attendent si nous décidons de suivre la grande chaine de montagne qui mène à Sentinelle. C'est ça ou faire demi tour, retrouver l'avant-poste et reprendre le chemin des Rangers.
Finalement, là est la moins bonne chose : quoi qu'on choisisse, on est contraint de faire un détour de plusieurs semaines, voire plusieurs mois...

Ce qu’on doit livrer? Je n’ai jamais vu un truc pareil. O’Teelo nous a ammené un petit coffret, et l’a ouvert devant nous. Elle sait bien que notre curiosité nous aurait poussés à l’ouvrir, de toute façon. Elle a sorti avec précaution trois objets, aux bords un peu verdâtres, ornés d’un coté d’inscriptions étranges, brillantes. Des lignes, dans tous les sens, des points. De près, j’ai remarqué qu’il s’agissait de motifs gravés, pas seulement dessinés. Les points sont de tout petits picots, incrustés. De l’autre côté, comment décrire… une multitude d’ornements, de petits objets, agglutinés les uns aux autres. Comme des éclats de bijoux de différentes couleurs, reliés par de petits fils brillants. Des rectangles, des cercles. À première vue quelque chose de chaotique, et pourtant laissant apparaître une organisation incroyable, chaque élément semblant trouver sa place. Comme s’il s’agissait d’une ville miniature.

O’Teelo les a rapidement enveloppés dans des étoffes de fibres, pour les caler dans le coffret, nous recommandant de ne pas l’ouvrir. Pas trop souvent, en tout cas. Elle pense que le vent et la sciure du désert pourraient les abîmer. On a promis d’en prendre soin. J’ai alors demandé : c’est Karavan, non?
La Trykette m’a alors regardée d’un air affligé : "Non, ça a été pondu par un Lumper". Azazor n’a pas perdu une occasion de se moquer de moi, avant qu’elle nous fasse signe de la suivre vers l’étable en emmenant le coffret. J’aurais voulu lui poser plein d’autres questions, mais ma première ayant été d’une bêtise totale, je n’ai pas osé en rajouter. Quand même, des fois je ferais mieux de fermer ma gueule.

Elle nous a sorti des armures. Couleur de la sciure du désert, rutilantes. Une à Azazor, une à moi. Déjà utilisées, visiblement, mais d’incroyable facture. On a négocié ça. Enfin, Azazor a réussi à négocier... Il m'a bluffée, là dessus. Ah oui, j’oubliais, avant ça, on a du aller chercher le fameux stock de viande. On s’est quand même sentis comme deux crétins, même si on était soulagés de l’issue de tout ça. Au final, on a même cru comprendre qu’ils allaient nous regretter en cuisine.

Il me faut écrire ça, aussi : je dois admettre que je me suis trompée. Nous nous sommes tous trompés. Les maraudeurs ici n'ont rien à voir avec ce à quoi on s'attendait. Akilia n'est qu'une cheffe de clan parmi d'autres, et tous ne reconnaissent pas son autorité, ni son combat, ni ses idéaux. Loin de là. La guerre qu'elle mène n'est pas la guerre des maraudeurs des Anciennes Terres.
Barmie le savait, sans doute. Je ne peux plus me souvenir de s'il nous l'avait dit, mais nous étions sans doute trop sûrs ne nous, de notre savoir, nous ne l'aurions de toute façon pas cru. Quoi, des maraudeurs qui ne sortent pas leur masse pour régler le moindre problème, qui savent écouter, et plus inquiets de contenir la menace kitin que de s'occuper des pitreries de nos empires des nouvelles terres. Presque des rangers, en fait. À croire qu'il s'agit des mêmes. Nous n'avons croisé que peu de rangers, jusque là.

Nous allons de surprise en surprise. Barmie nous avait prévenu des frahars du désert. Il s'agit surtout de Fraiders ! Je garde la hache que je tiens de ceux des nouvelles terres à mon ceinturon, mais je n'ai hélas pas eu le temps de créer de lien de confiance avec aucun d'eux. On en croisera sans doute d'autres dans le désert. Je dois en savoir plus sur eux.

Ah, tiens, et Azazor a décidé d'envoyer toutes ses notes vers Pyr. Je pense que c'est idiot, il a plus de chance de se les faire voler ou que le porteur se fasse bouffer par n'importe quelle bestiole sur le chemin. Je lui ai dit de faire une copie. Pas le temps pour ça, qu'il me dit. Tiens, ça me fait penser que les lettres que j'avais confiées au phare sont peut-être arrivées. J'espère qu'ils vont tous bien.

Pour résumer... En fait, non, il n'y a pas grand chose à résumer. Juste à se remettre en route.
Si. Je dois ajouter... et avouer : j'aimerais tant passer plus de temps avec les homins d'ici, découvrir les richesses et leur savoir, les comprendre mieux. Revenir un jour vers les nouvelles terres avec leur message. Mais allez, ce n'est pas le moment de s'arrêter, nous sommes si près de notre but. Un nouveau désert nous attend.

Dernière édition par Eeri (il y a 2 ans). | Raison: Traduction en Anglais par Nilstilar / English Translation by Nilstilar

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Eeri
"Quand on a le nez trop près de la bouteille, on ne voit plus le bar"

#35 Multilingue 

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Journal de bord d'Azazor

Je me suis résolu à envoyer vers les nouvelles terres tous mes rapports depuis Fort-le-Phare jusqu’à notre départ de l’Avant-Poste Diplomatique. Sur les conseils d’O’Teelo, je les ai remis à un ranger de confiance qui devait aller à la Halte. Espérons que tout se passe bien. La route dans la Mer de Bois est bien plus risquée. Au pire tant pis si le paquet se perd. Toutes les informations qu’on a récupérées sont dans ma tête et je jure de revenir vivant pour les raconter un jour.

Bref, comme déjà expliqué dans mon précédent rapport, nous avons trois artefacts à livrer aux maraudeurs installés près de la Grande Flaque au sud. Ils sont censés servir à la construction d'un zinuaken dans la région. Les marauds sont en contrebas d'une falaise. Mais a priori, il n'y aura pas de monte charge ou d'escalier. Donc ce sera escalade, sueur et huile de coude. S'ils se sont installés en bas, sans moyen pratique pour descendre, ça ne veut dire qu'une chose: que la région est très dangereuse et que c'est pour eux un moyen de se défendre.

Je vais tenter de décrire au mieux ces artefacts qui me rendent vraiment mal à l’aise. Déjà, on voit tout de suite que ce ne sont pas des créations homins. On dirait des sortes d’écailles de dragon vertes et oranges, sur lesquelles sont peintes ou peut être gravées des lignes qui se croisent et s’entrecroisent. Incrustés sur les écailles il y a des trucs noirs carrés, ronds ou rectangulaires et des sorte de coulées brillantes, durs et froides qui les relient à l’écaille. Eeri parle de bijoux. Pour moi, on dirait des pustules noires d’une créature innommable suintant un liquide gris et brillant qui se serait solidifié. Il y a aussi quelques symboles dessus. Des lettres, des chiffres, mais sans aucun sens. Des symboles qui insufflent la vie comme pour les foreuses kamis ? Mais ça n’a rien de kami. Rien que de toucher ce machin ça me dégoûte. Au moins, je n’ai pas vu de traces de goo dessus. Je note tous les symboles sur une page à part et je tente un dessin du plus gros artefact, pour vous donner une idée. Mais vous savez mes talents pour le dessin…

Extrait du dessin d'un des artefacts.


On nous a pas dit le nom de ces trucs, O’Teelo se contentant d’appeler ça une babiole. En tout cas, c’est pour moi clairement karavan. Je ne vois pas les maraudeurs créer ce genre d’artefacts. Il va falloir que j’en sache plus sur le lien entre marauds et kara. Sur les NT, il y a parfois des alliances de circonstances pour les batailles d’Avant-Postes. On peut imaginer qu’ici ce soit là même chose. La karavan fournissant la technologie pour fabriquer les zinuaken en échange de ressources récoltées par les marauds. Une rumeur que j’avais entendue autrefois parlait de dissidents de la karavan. Eeri en sait peut-être plus sur le sujet. Bref, tout ça renforce l'hypothèse d'un fyrak mécanique de la karavan dont les écailles seraient ce genre d'artefact, même si ici il ne s'agit pas de dragon mais d'un zinuaken.


Pour changer de sujet, laissez-moi vous décrire brièvement le désert que nous parcourons. A première vue, il n’y a pas de différences avec le désert impérial. Même dunes, même sciures, même plantes, peut être un peu plus chaud. Des olash, des olansis, des savaniels, des botogas qui nous aident à ne pas trop puiser dans notre stock d'eau. On n'a pas encore vu de Bothaya. Je présume que la présence de la grande flaque pas trop loin permet une hydratation des sous-sols qui empêchent son apparition. Mais je sais plus, je dois confondre avec une autre plante. J'aurai dû mieux suivre les cours de botanique à l'Académie. Il n'y a pas de papalexi non plus sur la route pour l'instant. Et pas croisé de loojine également. Il parait qu'ils sont de la même famille. Ceci explique peut être cela... Concernant la faune, pour l'instant on a seulement croisé au loin des varinx. D'après les maraudeurs, nous ne devrions pas croiser de Fraiders, ne passant pas sur leur territoire. Cela semble déplaire à Eeri, mais qu'elle se rassure, ce sera pour le chemin du retour, dans quelques années.
Par ailleurs, j'ai stocké dans une bourse une petite partie de sciure pour analyse ultérieure, quand je rentrerai. Si le maitre xylologue Ulyton Meros accepte de se pencher dessus, on aura peut être une surprise.
Ah oui, un point intéressant à noter: l'astre du jour est bien plus haut que dans les Nouvelles Terres. C'est un fait. J'ai pu le mesurer avec le sextant. Je note toutes mes mesures sur une page à part. En estimant le nombre de kilomètres parcourus vers l'Est, je pense qu'on peut donner une estimation de la courbure d'Atys. Mais n'étant pas doué pour les calculs, je laisserai ça au soin des maitres de l'Académie à mon retour. Est-ce que le fait qu'il fasse un peu plus chaud viendrait de là, les rayons arrivant moins obliques que dans les Nouvelles Terres? Plus nous avonçons sur la route, plus je découvre de choses, mais plus je me pose de nouvelles questions. La quête de la Vérité est un chemin infini.

Nous devrions arriver au point de rencontre d'ici quelques jours. En espérant ne pas se faire bouffer par un varinx d'ici là...


Journal de bord d'Azazor

Ce qui devait arriver arriva. Ce matin, nous avons croisé un groupe de quatre homins accompagnés d'un varinx. Ramèch! Un varinx de compagnie! Une bête magnifique, aussi haute qu'un homin. Un peu comme Aen chez nous. Sauf que ce n'était visiblement pas des maraudeurs. Ils ne se sont même pas présentés. Ce ne sont pas des Atakorum en tout cas, mais sûrement une énième tribus de nomades du désert. Ils ont exigé qu'on leur laisse tout notre bardage et le mektoub en échange de la vie sauve. On a essayé de négocier un peu de viande pour eux et leur varinx, mais rien à faire, c'était la totalité de nos affaires si on voulait pas, je cite: "finir dans le ventre de Razor". J'ai présumé que c'était le nom du varinx. Toujours est-il qu'on pouvait pas se permettre de leur filer l'objet de notre quête. Il y allait de notre honneur. Alors pour la première fois depuis notre départ de Silan, on a du se battre contre des homins pour sauver nos vies.
Résultat: on en a tué deux et le varinx, les deux autres se sont enfuis. Enfin... Eeri a tué le varinx, un homin et en a blessé un autre grièvement. Moi je me suis contenté de l'achever, récoltant au passage une belle entaille à la cuisse droite quand la pique d'un homin a réussi à perforer l'armure maraudeur au niveau d'une jointure. Sans Eeri, c'était mon thorax qu'il transperçait. C'est une vrai furie quand elle se bat celle-là. Je l'avais déjà vu faire dans les Nouvelles Terres. Mais jamais avec autant de rage et de détermination. On aurait dit une déesse de la guerre. Lopyrèch m'avait prévenu, cette homine est dangereuse. Heureusement que je suis son ami. Enfin, je crois.

Bref, aujourd'hui, j'ai tué un homin. Je veux dire, définitivement. Ce n'est pas du tout la même chose. Je ne l'avais pas encore remarqué jusque là, mais quand on tue quelqu'un d'habitude, on sait toujours au fond de nous que ce n'est pas, ou rarement, une véritable mise à mort. Là, quand j'ai planté ma hache dans le crâne de mon ennemi, j'ai su qu'il ne s'en relèverait pas. C'est comme si j'avais aspiré son âme. Je me suis senti sale. Cela m'a rappelé la mort d'une crise cardiaque du celiakos Lyan Cexius après qu'il se soit énervé contre moi. Sur le coup, j'ai ressenti une certaine culpabilité. Sauf que cette fois, je ne peux pas me rassurer en me disant que l'homin était très âgé et que son heure était venue. Je suis responsable du coup de hache qui l'a terrassé. J'ai pensé alors à nos ancêtres qui, au combat, devait vivre ça de nombreuses fois.

Tout s'embrouille dans ma tête, j'ai plein de pensées contradictoires. C'est vraiment un autre rapport à la vie.
Comme nous sommes devenus faibles à cause de la protection des puissances! Comme nous avons perdu tout cet aspect, je dirais, philosophique! Tous les guerriers, et moi le premier, nous nous trompons depuis le début. Tuer n'est pas une chose anodine. C'est un véritable pouvoir qui peut rendre fou. Celui-ci nous a été ôté par la résurrection des puissances. C'est désormais elles qui ont ce pouvoir. Et je ne suis pas sûr que ce soit forcément un bien.


Journal de bord d'Azazor

Décidément, c'est la loi des séries. Aujourd'hui, alors qu'on avançait tranquillement vers le sud, je suis tombé dans une crevasse. Une belle chute d'une dizaine de mètres. C'était pourtant pas marqué qu'il y a des crevasses dans le coin. C'est censé être plus loin, vers l'est. Bref, on a bien passé une heure pour qu'Eeri parvienne à me remonter à l'aide d'une corde et du mektoub. Soit disant j'étais trop lourd. Ce doit être le sac, il est chargé de cuir de varinx, ça pèse son poids. On va devoir redoubler de prudence. Autant on a aucun mal à se soigner ici, contrairement à la Mer de Bois, mais on n'est pas immunisé à la blessure mortelle. S'il y a des crevasses de dix mètres de profondeurs, on peut imaginer qu'il y en a de bien plus profondes. J'ai beau être résistant, je ne suis pas incassable.

Edité 3 fois | Dernière édition par Azazor (il y a 2 ans).

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fyros pure sève
akash i orak, talen i rechten!
élucubrations
biographie

#36 Multilingue 

Multilingue | English | [Français]
Eeri s’arrêta de tirer sur la corde et fit signe au mektoub de s’arrêter. Puis elle s’assit, ignorant les gémissements qui résonnaient sur les parois, pendant un moment.

— Arrête de gesticuler, cria-t-elle finalement !!
— Mais alors qu'est-ce que tu fais? Remonte moi !
— La corde est coincée, ne bouge pas. Je gère.

Eeri resta sur place, sans bouger, un oeil sur la hache qu’elle avait posée à terre plus tôt, alors qu’elle sortait une corde en catastrophe pour secourir le fyros.


Il suffirait d’un coup sec, murmura-t-elle. Comme pour les frippos.

Le laisser là? Azazor avait bien failli les faire tuer.

L’hésitation. En combat, on hésite jamais. On frappe, là où l’on sait que l’ennemi aura mal. Mais non. Lui, une hachette à la main, il se contente de parer les coups, sans contre attaquer.

Contre une pique, c’est quitte ou double. Armé d'une hachette, on peut profiter de la longueur de l’arme adverse et du moment d’inertie après l’attaque pour lancer un coup où ça fait mal. En l’occurrence, au niveau de la ceinture, ou au niveau du cou. Deux fois il a eu l’occasion de frapper. Il s’est contenté d’attendre, laissant à ses adversaires les secondes nécessaires pour comprendre ses mouvements. Enfer de fyrak de ramèch, je n’aime pas frapper les homins de dos. Mais là, c’était ça ou laisser Azazor se faire transpercer une fois de plus.

Les deux restants, sans doute plus jeunes, se sont contentés de partir en courant lorsqu’ils ont vu le second homin s’écrouler. Ce n’est pas bon signe, ça veut dire que s’ils ont pu aller alerter leur tribu, on va se retrouver avec d’autres homins sur le dos. Si Azazor avait pu s’en sortir seul contre son adversaire, j’aurais pu me faire les deux autres. Un coup de hache bien placé, et on poursuit l'autre et le termine à la dague. Mais non, j’ai du faire volte face pour sauver Azazor. Quel gâchis.

Et quand j’ai dit qu’on devait s'attendre à ce qu'ils rameutent leur tribu... Il n'a rien dit, mais il doit sans doute paniquer, et maintenant il ne regarde plus où il pose ses pieds. S’il me refait le coup, là où on va, je vais me faire tuer, c’est sûr. Alors pourquoi pas le laisser là? Mais non, quand même, je vais devenir folle, si je continue seule. On est arrivés ici à deux, on doit continuer à deux. Et puis si la corde doit péter… Remarque, un coup sec… Non, quand même. Mais…


— Qu’est-ce que tu fous ???

La beuglante du fyros sortit Eeri de ses pensées. Elle se leva en soupirant, donna une grande tape sur le cul de Run-dun, et se remit à tirer sur la corde.

— Ça vient, ça vient. Tu pèses ton poids, tu sais…

Edité 2 fois | Dernière édition par Eeri (il y a 2 ans). | Raison: Traduction en Anglais par Nilstilar / English Translation by Nilstilar

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Eeri
"Quand on a le nez trop près de la bouteille, on ne voit plus le bar"

#37 Multilingue 

Multilingue | English | [Français]
Quelques jours plus tard, les deux homins marchaient toujours à quelques mètres du précipice, afin de garder une bonne vue sur ce bout de désert, en contrebas. Le paysage changeait peu à peu, devenant plus vallonné, comme si des racines sous le sol poussaient et sculptaient la sciure. Au loin apparaissait dans la brume ce qu'O'teelo avait appelé "Umawaka" : une chaîne de montagnes infranchissable, un enchevêtrement de gigantesques racines qui délimitait ce désert au sud, et qui, si l'on en croyait la carte de la cheffe de Clan, s'étendait jusqu'à la Citadelle . À chaque pas qui les en rapprochaient, cette cordillère leur paraissait de plus en plus gigantesque, semblant sortir des entrailles d'Atys. Par endroits, des pics d'écorce nus et acérés se dressaient vers le ciel. En d'autres, ils étaient couverts de végétations, à tel point qu'il se demandèrent s'il ne s'agissait pas des départs d'une canopée en devenir.

Le point de rendez-vous ne devait plus être bien loin, comme elle l'avait décrit à proximité de cette montagne, en contrebas. Ils s’arrêtèrent un moment afin de scruter l’horizon et le désert, dans l'espoir de déceler un village ou n'importe quelle trace de vie homine. Eeri s'approcha dangereusement du bord, afin d'observer la paroi de la falaise qu'ils surplombaient.

— Azazor?
— Hmmm?
— Tu réfléchis trop. Si tout ça doit se reproduire, dis-toi qu’il s’agit d’eux ou de nous.
— Je n’étais pas préparé à me battre. Pas de cette façon.
— La prochaine fois, frappe. Pare, et frappe. Là où ça fait mal, là où tu n’aimerais pas recevoir un coup.
— Ça va, ça va, je sais.
— La surprise, la rapidité. Eux, s’ils se battent, ils savent que c’est définitif. Ils n’hésiteront pas.
— Mais la contre-attaque suppose une prise de risque. C'était pas dérangeant chez nous, mais ici... Comment as-tu fait pour rester aussi froide?
— Pendant des années, je me suis appliquée à apprendre à me battre de façon à ne plus faire appel aux puissances. Dans l’idée qu’un jour peut-être les trytonistes arriveraient à libérer l’hominité. Garder l’esprit froid et analytique est la première des choses.
— Tu y crois toujours? La liberté?

La fyrette se redressa et fit quelque pas pour s'éloigner du bord.

— Non. Je n'ai plus d'espoir pour les nations. Maintenant, je crois qu’il suffit de partir. Ou devenir ranger… Ou maraudeur. Ça revient peut-être au même. Mais la liberté, non. Ça n’existe pas, même ici.

Azazor hésita un moment :

— Mais alors, tu ne crois plus en rien…?
— Je crois en la survie. Je crois que si tu mets de nouveau ce voyage en péril, je te laisserai en plan et continuerai seule.
— Tu quoi???
— Mais je t’aime bien quand même. Je n’aurais pas pu aller aussi loin toute seule.
— Hrmf… Mouais. akep.
— Et le problème de la solitude, c’est qu’on a plus personne à blâmer pour les conneries qu’on fait.

Après ces mots, Eeri s’assit en souriant.

— Allez détends-toi. J’ai un truc à te proposer, concernant la livraison.

Azazor ne bougea pas, continuant à scruter l'horizon.

— Je t’écoute.
— Vu la falaise, s’il n’y a pas de chemin, on ne peut pas risquer nos mektoubs.
— Tu veux donc descendre seule. Je savais que tu allais proposer ça.
— C’est moins de risques.
— Et si tu reviens pas?
— Ou tu descends, et je garde les mektoubs. Ça me va aussi.

Azazor grogna quelque chose d'inintelligible, les yeux toujours rivés au loin. Eeri en rajouta une couche, grinçante :

— Mais j'ai vu ton talent pour escalader...
— On en reparlera quand on verra où il faut descendre, répondit Azazor en remettant son sac sur le dos.
— T'as raison. Ne traînons pas.

Les deux fyros reprirent la route vers le sud, sans même jeter un oeil derrière eux pour savoir s'ils étaient suivis ou non. Le vent du soir commençait à souffler, mais ils purent encore marcher pendant quelques heures.

Dernière édition par Eeri (il y a 2 ans). | Raison: Traduction en Anglais par Nilstilar / English Translation by Nilstilar

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Eeri
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