L'antre de Locna

McRakley était un pêcheur de l’ancienne Trykoth, bien avant le premier Grand Essaim. Sa tribu, établie dans un petit village côtier de la baie de Breneth, vivait principalement du commerce des perles.

Il avait deux sœurs jumelles, Ruddie et Rebbie, de deux ans ses aînées, avec qui il passait le plus clair de son temps à plonger dans les hauts fonds alentours pour récolter perles et coquillages.

Il aimait terriblement plonger. Mais... il rêvait également d’autres horizons.

Un jour qu'il déambulait dans le port de Breneth, il entendit parler d’une petite crique mystérieuse, bien au-delà de leur territoire habituel de pêche, infestée de prakkers et où vivait, disait-on, une gigantesque créature marine. D’autres affirmaient que c’était l’antre d’une sorcière qui avait renié Jena pour se tourner vers les démons kamis.

Dès lors, son intérêt fut piqué et et il se persuada que l'endroit devait regorger de perles rares. Même ses sœurs, qui d’habitude se montraient bien plus raisonnables, ne purent résister à l'envie d'explorer ce lieu, maudit ou pas.

Ainsi, le dernier jour de Frutor, ils quittèrent le village aux aurores sur leur bateau de pêche et appareillèrent vers leur mystérieuse destination.

L'après-midi touchait à sa fin lorsque ils aperçurent la crique, bien reconnaissable à la très haute falaise en forme d'arche brisée qui surplombait l'accès à la petite anse. Un sourire victorieux illumina leur visage.

Mais arrivés à quelques dizaines de pas de l'arche, l'inquiétude les gagna. Les flots étaient soudains devenus plus sombres et agités de remous.

- les prakkers ! Dirent-ils à l'unisson, une trace d'effroi dans la voix.

Attirés par les nouveaux venus, ceux-ci se dirigèrent vers la barque puis ne tardèrent pas à l'encercler. Devant eux, un individu plus massif barrait le passage et sortait régulièrement la tête des flots pour les menacer de ses mâchoires aux dents acérées.

Mais McRakley et ses deux soeurs tinrent bon. Rangeant leurs rames afin d'éviter de blesser ou énerver les prakkers, ils laissèrent le vent faire son œuvre.

Finalement le grand prakker plongea dans un grand fracas, et McRakley craignit qu'il ne remonte violemment pour faire chavirer la frêle embarcation et les projeter dans les flots bouillonnants. Se préparant au pire, il empoigna fermement son couteau de pêche, rapidement imité par ses sœurs.

Mais le grand prakker ne réapparut pas. Bientôt, ils passèrent le seuil de l'arche et aussitôt leur escorte se désintéressa d'eux, faisant demi-tour.

A peine la barque assurée sur la plage étroite, McRakley s'empara de son couteau et plongea en direction de la falaise proche, ignorant les ronchonnements de ses sœurs qui s'affairaient à monter le camp. Habitué aux petites criques comme celles-ci, il ne tarda pas à trouver quelques beaux spécimens. Il s'apprêtait à remonter lorsque son attention fut attirée par un vif éclat blanc au fond de l'eau.

C'était en fait une perle de bonne taille, presque entièrement incrustée dans l'écorce. Armé de sa lame, il la dégagea non sans mal, tâchant de ne pas l'ébrécher, avant de remonter à la surface récupérer son souffle.

Il nagea vers la plage, trop impatient de montrer sa découverte à ses sœurs ! Mais celles-ci étaient en conversation avec une trykère assez grande, dont les cheveux violets ondulaient jusqu'au bas de son dos, ce qui était plus qu'inhabituel. Il ne sut pourquoi, mais il eut le sentiment qu'il ne devait pas montrer la perle blanche à l'inconnue, aussi la glissa-t-il dans une de ses poches.

L'homine se retourna vers lui et lui adressa un hochement de tête en guise d'accueil :
- Bonsoir, je suis Locna. Vous n'êtes pas les invités que j'attendais, mais venez donc chez moi, je vais vous préparer un repas chaud. La nuit est fraîche par ici lorsque le vent se lève.

Sans attendre leur réponse, elle se dirigea vers une petit excroissance d'écorce, et McRakley se retrouva bientôt sur un sentier assez pentu, lézardant le long de la falaise. Levant la tête, il pouvait apercevoir, loin au sommet, l'éclat scintillant d'un feu de camp. Il leur fallut une demi heure pour atteindre le campement et il faisait maintenant nuit noire, le ciel était parsemé d'innombrables étoiles. McRakley, tout comme ses sœurs, avait eu une journée éprouvante : il mourait de faim et de soif.

Locna les invita à s'asseoir, ce qu'ils firent sans se faire prier.

- Je vais vous ramener un bouillon de poisson, ne bougez pas. Et *désignant un plateau près du feu* ne touchez pas à ces pains, ils sont pour mes autres invités.

Sur ce, elle disparut dans la grande tente qui devait lui servir de réserve. La patience n'était pas la vertu cardinale de McRakley. Son regard avide se porta vers les pâtisseries appétissantes laissées à tiédir.

- Mack Non ! chuchotèrent ses sœurs en chœur.

Mais il avait déjà fait main basse sur une paire de ces petits pains, les enfournant dans sa bouche sans autre forme de procès. C'est alors que Locna revint et prit MacRakley sur le fait. Il eut le bon goût d’afficher un air penaud, mais Locna n'en fut pas attendrie le moins du monde.

Soudainement, elle grandit, grandit, grandit jusqu'à dépasser même la taille d'un zorai, ses yeux se colorèrent d'une nuance verdâtre. Ses cheveux mauves, maintenant teintés d'écarlate et de noir, se hérissèrent, encadrant un visage blême et déformé par la rage. D'une voix grave et rauque, elle s'écria :

- Qu'as tu donc fait, idiot ! Retenez-le, sœurs !

McRakley esquissa un mouvement de recul, se préparant à protéger ses sœurs. Il se retourna vers elles et se figea.
Tout comme Locna, leur peau avait viré au gris, et leur yeux avaient changé. Elles se dirigèrent vers lui en poussant des grognements sourds, mains tendues. Leurs doigts violacés hérissés de longues griffes effilées.

Il sentit le souffle de Locna sur son coup et se jeta sur le côté, se précipitant vers le chemin de la plage. Mais des géants lui barrèrent le passage. Trois zorais monstrueux, dont les masques aux formes sinistres arboraient des tatouages sanglants, levèrent de longs bâtons qui jetaient des éclairs bleutés.

Pris au piège !

Il se retourna, cherchant désespérément une autre issue. Ses sœurs furent sur lui. Rebbie le prit à bras le corps et s’agrippa à lui avec force, tandis que Ruddie lui enserra les jambes, l'immobilisant. Locna, elle, continuait sa lente approche, sûre de sa victoire.

Dans un dernier regain d'énergie, il donna un violent coup de tête à l'une, et une avalanche de coups de poings à l'autre, jusqu'à être libéré de leur emprise. Puis il chargea dans la seule direction qui lui restait, sans réfléchir, courant droit devant lui, à l'aveugle, jusqu'à en perdre haleine. Il n'eut pas besoin de se retourner pour savoir que la meute monstrueuse était sur ses talons, leurs vociférations se faisant de plus en plus rageuses et aiguës.

Soudain, un mouvement au sol capta son regard mais trop tard : des racines enchevêtrées s'étaient dressées hors de l'écorce et lui firent perdre l'équilibre. Il sentit sa sève couler le long de son bras, mais raffermit sa volonté et se remit debout pour reprendre sa course effrénée.

Mais rien ne l'attendait au bout du chemin que le désespoir : acculé au bord du précipice, il n'avait que deux possibilités : faire demi tour ou plonger.

Il regarda ses poursuivants. Ceux-ci s'étaient arrêtés, aux aguets. Locna et ses sœurs s'adressèrent à lui de leur voix grave et lugubre :

- viens... avec... nouuuus... !

Les larmes aux yeux, il fit ses adieux à ses sœurs, puis se jeta dans le vide, prêt à vendre chèrement sa vie. Son arrivée brutale dans l'eau lui rappela combien son corps était meurtri. Sa blessure au bras le lançait terriblement.

Mais c'était le moindre des soucis de McRakley. Attirés par la sève, trois formes sombres se dirigèrent vers lui, vite suivies par d'autres. Ils étaient sur lui, c'en était fini, il en était sûr. Mais ils ne s'en sortiraient pas sans coup férir.

C'est alors que l'agitation gagna les prédateurs aquatiques. Et soudain, des éclairs bleutés se propagèrent dans l'eau, assommant certains prakkers, faisant fuir les autres. Et malgré la faible clarté des étoiles, McRakley put voir la terrible bête qui fondait sur lui : il n'avait échappé aux prakkers que pour être pris en chasse par un gigantesque baldusa blanc.

Esquivant la bête magistrale, il lui fit avec son couteau une longue entaille sur le flanc gauche. Celle-ci gronda et sa réaction ne tarda pas. De nouveau l'eau fut traversée par des éclairs, et McRakley fut soudain tétanisé. Ne pouvant plus ni nager ni respirer, il sombra vers les profondeurs, le regard rivé vers cette majestueuse créature.

Et tandis que celle-ci se ruait vers lui, la gueule béante, il choisit de fermer les yeux et de s'abandonner à son tragique destin.

***

McRakley ouvrit les yeux. Il sentait la sciure tiède contre sa peau. Non loin, ses deux sœurs jacassaient en vidant des poissons. Il perçut une présence proche et sursauta. Locna se tenait à son côté, tenant dans sa main un tissu imbibé d'une mixture à l'odeur âcre.

- vous...

Ses deux sœurs tournèrent la tête vers lui en entendant sa voix. Visiblement soulagées, elles se levèrent et partirent néanmoins s'installer plus loin en lui tournant ostensiblement le dos.

- que...

- Shhhh. Plus un mot, tu dois te reposer. Mais la prochaine fois que je dis de ne pas manger un mets, écoute-moi. Ceux-ci ne sont pas fait pour toi.

McRakley compris alors.

- Les pains ? J'ai déliré, alors ?
- C'est un des effets de mes champignons oui.
- Mais alors, les monstres, les griffes, le baldusa blanc, tout ça c'était mon imagination ?
- Oui. Quant au baldusa blanc... qui sait ? Tiens, je crois que cela est à toi.

Elle lui tendit la perle blanche.

- Maintenant repose-toi.

La fatigue revint engourdir son corps, mais avant de s'endormir, il remarqua, tandis qu'elle se levait, une longue estafilade sur son flanc gauche qu'il n'avait pas vu la veille.

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