Lore & Chronicles


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Les Arcanes de Coriolis (ou l'Histoire du Culte du Grand Dragon)


Ce cube d'ambre a été créé à Jen-Laï en 2533. En 2597, il a fait l'objet d'une restauration à l'occasion du sommet académique de Pyr.

Pour connaître la véritable histoire du Culte du Grand Dragon, il nous faut remonter dans le temps jusqu’à l’année de Jena 2435, où, sous le règne d’Abylus l’Érudit, l’Empire autorisa une expédition minière à se rendre dans les plaines de Coriolis afin d’y exécuter des fouilles sur des ruines mystérieuses.
Les fouilles durèrent pendant plus de deux cycles atysiens, durant lesquels les familles des mineurs vivaient au rythme des nouvelles qui leur parvenaient par la caravane reliant la ville de Coriolis à celle de Fyre. L’espoir de ces familles fut brisé lorsque la nouvelle du Grand Incendie leur parvint. La ville de Coriolis, ainsi que le site des fouilles étaient en cendres, ne laissant aucun doute quant au sort de l’expédition minière.
L'histoire des mineurs disparus prit alors un caractère sacré. Leurs familles formèrent le socle d’un culte secret pratiqué à Fyre : le Culte du Grand Dragon. Ainsi, sur plusieurs générations, les fidèles de ce culte organisèrent des assemblées et vénérèrent Fyrak, le Grand Dragon, sans que le reste de l’Empire considère cela autrement que comme un devoir de mémoire. Cependant le regard que le peuple fyros posait sur cette secte devait se voir modifier par l’événement le plus sombre de l’Histoire atysienne…
Alors que les kitins déferlaient sur l’Écorce, semant la mort dans leur sillage, les membres dirigeants du Culte du Grand Dragon virent en eux la matérialisation effroyable du Grand Dragon et surent qu'il leur envoyait sa progéniture. On suppose qu’ils furent tous décimés alors qu’ils priaient Fyrak d’épargner ses fidèles.
Le Grand Essaim aurait pu signer la fin du Culte du Grand Dragon mais il n’en fut rien.

      Un jour, Liriope était en train d’aider sa mère à faire sécher la viande sur le toit. Soudain, elles avaient entendu un vrombissement étrange, bientôt suivi d’un mouvement de panique dans les rues de Fyre. À cet instant, Liriope ignorait que toute sa vie était en train de basculer… Une saison seulement avait passé depuis, mais il ne restait rien de son innocence d’enfant. Des images insoutenables hantaient désormais ses nuits. Que seraient-ils tous devenus sans l’aide des membres de cette obscure organisation, la Karavan, qui avaient permis à une poignée d’entre eux d’échapper au génocide ? Et pourtant, plus que jamais, la Karavan faisait l’objet de suspicions car nombre des leurs avaient péri lors du Grand Essaim. Ainsi ceux qui s’autoproclamaient émissaires divins étaient aussi mortels que tout autre homin ! Même en ces heures sombres où chacun pleurait des proches, Liriope sentait bien que ce constat réjouissait les survivants fyros, qu’une ancestrale rivalité opposait à la Karavan.
      Que dire de ces années de Jena passées sous l’Écorce, dans la précarité et la peur au ventre ? Des années éreintantes où l’hominité dut son salut à un espoir infaillible en des lendemains meilleurs. Jamais autant que lors de l’Exode, la foi n’unifia les homins… Liriope n’oublierait pas ces nuits d’insomnie où elle observait les survivants zoraïs, ces êtres masqués, qui procédaient à d’étranges cérémonies. Ces nuits-là, elle aussi priait pour que plus jamais les horreurs auxquelles elle avait assisté ne se reproduisent :
      « Que le Grand Incendiaire nous épargne ! »

Alors que le brasier éternel du Bûcher de Cerakos s’érigeait dans le désert des Nouvelles Terres, les mélopées lancinantes des fyrakistes s’élevaient à nouveau sous la canopée. Des innommables horreurs dont avaient été témoins les survivants fyros, un sentiment était né, que ne pouvaient encore comprendre les autres peuples. Les fyrakistes avaient la conviction d’avoir assisté à la réalisation de quelques prophéties profanes pressenties par les martyres de l’expédition minière des plaines de Coriolis.
L’état de grâce de la communauté fyrakiste prit fin lorsque la Régente Leanon vint à mourir. Deux années après sa prise de fonction, le jeune sharükos Dexton accorda sa protection à son ami, Mabreka Cheng-Ho, banni des terres zoraïs par le Grand Sage Fung-Tun. Le sharükos se montra sensible au kamisme des Révélations professé par le disciple d’Hoï-Cho, qui, durant son exil, convertit un grand nombre de patriotes à ce nouveau courant kamiste. Les fyrakistes virent d’un très mauvais œil cette conversion de masse à Ma-Duk et eurent recours à la violence pour tenter de maintenir leur assise parmi les patriotes. Le sharükos, craignant une flambée de violence, prit alors la décision de bannir les fyrakistes hors du Désert. Sur son ordre, une caravane d’exilés fut escortée par la Garde Impériale jusqu’à la frontière zoraï.
Arrivés en Pays Malade, les fyrakistes n’eurent d’autre choix que de demander asile à la Théocratie. Après s'être concerté, le Conseil des Sages répondit favorablement à leur requête et installa les réfugiés à Jen-Laï. Plusieurs cycles s’écoulèrent, au cours desquels la communauté fyros s’intégra au peuple masqué. Lorsqu’un incendie ravagea la jungle, les fyrakistes furent les premiers à pointer du doigt les commerçants de l’Empire traversant la jungle. Y voyant un signe du jugement du Grand Dragon, ils prirent les armes pour défendre les frontières zoraïs contre l’Empire. Les troupes impériales tentèrent à maintes reprises de percer les défenses zoraïs sans y parvenir. Jusqu’au jour où le sharükos en personne vint aux frontières, escortant son ami Mabreka Cheng-Ho. Tous les soldats zoraïs baissèrent les armes devant le disciple d’Hoï-Cho. Tous, sauf les fyrakistes qui lui vouaient toujours une haine féroce et qui durent être maîtrisés.

      Liriope courait à travers la jungle. Elle avait laissé son échoppe à sa fille, pour rejoindre en hâte la Cité-Temple de Jen-Laï. La nouvelle se propageait comme une traînée de poudre dans les quartiers de Zora : le jeune Mabreka Cheng-Ho revenait au Pays, et un traité de paix allait être conclu avec l’Empire. « Fyrak tout Puissant ! » jura la vieille fyros, tout en redoublant d’efforts. Alors qu’elle atteignait les portes de la Cité-Temple où les fyrakistes avaient élu domicile, un garde l’interpella : « Liriope Miko, que t’arrive-t-il ? N’est-ce pas jour de marché, aujourd’hui ? » Reprenant son souffle, la Fyros haleta : « Mabreka Cheng-Ho a été repéré à la frontière ! Il est acclamé par le peuple qui voit en lui son nouveau guide. » Le garde la dévisagea d’un air grave puis tourna les talons. À peine sa silhouette avait-elle disparu qu’un jeune masque sortit de derrière un bosquet. Liriope sursauta : « Nuo Tun, tu as tout entendu ? » Nuo Tun adressa un regard mystérieux à la Fyros : « C’est une bonne chose. L’état de santé de Père l’éloigne de plus en plus de ses responsabilités. J’imagine que son abdication ne sera qu’une formalité. Cependant… » Nuo Tun posa une main sur l’épaule de l’ancienne. « Cependant j’ai une faveur à te demander ».
      Liriope retint son souffle en pénétrant dans les bâtiments flottants de l’Ordre Me-Smer. Reconnaissant un visage familier, elle héla un fyrakiste qui traversait le hall. Celui-ci, respectueux de son grand âge, lui donna le bras et l’accompagna jusqu’à la salle des archives. Alors qu’ils passaient en revue les différents casiers à cubes d’ambre, une rumeur leur parvint du couloir. La nouvelle de l’arrivée de Mabreka Cheng-Ho était parvenue jusqu’à l’Ordre. Le fyrakiste sortit voir ce qu’il se passait, laissant la vieille fyros sans surveillance. Suivant scrupuleusement les indications de Nuo Tun, Liriope se saisit des cubes les plus précieux et sortit discrètement. Déjà, des soldats de la Guilde de Cho investissaient la ville, arrêtant les membres de l’Ordre.
      Nuo Tun attendait Liriope aux portes de la Cité. Il sourit imperceptiblement à son approche.
      « Je savais pouvoir te faire confiance » dit-il, laconique. Le masque impassible du jeune homin s’inclina en signe de respect.

Une fois de plus en disgrâce, les fyrakistes connurent leurs premières dissensions internes. Les fyrakistes modérés, s'étant intégrés, parfois jusqu'à accéder à des postes de petits fonctionnaires, reconnurent la légitimité de Mabreka-Cho et refusèrent de suivre les fyrakistes les plus fanatiques qui quittèrent la Théocratie pour s'enfoncer dans les Primes Racines. Dans ces profondeurs, les exilés découvrirent une ville fyros du nom de Leron où ils menèrent une vie clandestine plusieurs années durant. Le mystère demeure sur ce qui causa la perte de Leron mais il se murmure que le Culte du Grand Dragon y aurait tenu un rôle prépondérant.

          Plus ils progressaient sous l'Écorce, plus la présence de l'Incendiaire se faisait sentir. La Karavan avait longtemps défendu aux homins de descendre dans les Primes Racines de peur qu'ils ne tirent le Dragon de son sommeil séculaire. Pourtant des fyros avaient toujours bravé cet interdit dans leur quête du Dragon. Aetis guidait à présent les siens à travers des paysages toujours plus obscurs vers la ville qui, d'après sa prédiction, leur offrirait le nouveau départ auquel ils aspiraient. C'est dans ces profondeurs, au plus près de l'Incendiaire, que le Culte renaîtrait, il en était convaincu. Au terme d'un long périple, Leron apparut enfin sous leurs yeux et les traits tirés d'Aetis s'éclairèrent subitement. Son regard croisa celui de ses compagnons et il s'exclama « Saluons le Dragon ». Une toute nouvelle vie s'ouvrait à eux…

Sous l'impulsion d'Aetis Mekops, le courant fyrakiste de Leron tourna le dos aux enseignements du peuple zoraï pour embrasser une destinée impie. Ils se firent appeler les Initiés du Culte du Grand Dragon, vénérant exclusivement le Grand Incendiaire et allant jusqu'à sacrifier d'innocents homins pour hâter l'avènement de Fyrak. La folie qui s'empara d'Aetis Mekops et des autres Initiés du Culte du Grand Dragon demeure inexpliquée mais elle les conduisit à commettre de nombreuses atrocités.

          Le feu purificateur du Grand Incendiaire avait fait son œuvre implacable de destruction et, parmi les ruines de Leron, Aetis brandissait le Livre du Dragon, symbole de la renaissance de son Culte. Galvanisés par le message d'Aetis, les fidèles qui l'entouraient étaient désormais prêts à aller jusqu'au bout de ses ignobles desseins. Il n'était plus temps de reculer. L'avenir du Culte était scellé. Laissant derrière eux les cendres de leur ancien refuge, les fanatiques se mirent en route pour atteindre leur prochaine étape. Jen-Laï paierait la première son tribut de sang...

      La fille de Liriope se tenait sur le pas de la porte, aux côtés de son époux, et observait tendrement leur fils endormi. Se tournant vers sa mère, elle lui sourit. « Veille bien sur lui ! » Elle ne s’était encore jamais séparée de son fils et sa gorge se noua alors que son mari l’entraînait déjà vers la sortie. Liriope était fière de sa fille et de son gendre. L’armure de la Garde Dynastique leur seyait à merveille. Ils reviendraient victorieux de leur campagne au Nœud de la Démence, elle en était convaincue. Elle leur fit un rapide signe de la main, tandis qu’ils prenaient la direction de l’étable, puis se prépara à aller se coucher. Allongée sur son lit, la doyenne ne parvenait pas à trouver le sommeil. Soudain, la vieille homine tressaillit. Son instinct lui indiquait une présence étrangère dans l’appartement. Se redressant péniblement, elle entrevit une ombre penchée sur son bureau. Lorsqu’elle reconnut l’intrus, Liriope ne put retenir une exclamation de surprise mais l’ombre fondit aussitôt sur elle, rapide comme l’éclair. La doyenne eut alors l’horrible impression qu’on pénétrait son esprit et perdit connaissance. Lorsqu’elle émergea de sa torpeur, Liriope se précipita à tâtons jusqu’à la porte de l’appartement pour appeler à l’aide. Sur le seuil, ses pieds butèrent sur le corps d’un enfant. La bouche de la doyenne se déforma dans un cri. Lorsque les initiés de Jen-Laï accoururent, ils la trouvèrent errant dans les premières lueurs de l’aube, portant à bout de bras le corps de l’enfant atrocement mutilé. Le crâne du petit avait été rasé et on y avait dessiné un dragon effroyable avec son sang. On tenta en vain de retirer l’enfant mort des bras de sa grand-mère. Liriope venait de sombrer dans la démence.

Lorsque je vins présenter mes condoléances à la doyenne, je la trouvais prostrée, retranchée dans son monde intérieur. Tout à mon chagrin, je m’assis à côté d’elle, espérant lui communiquer par là mon soutien. Mon frère et ma belle-sœur devaient combattre les kitins en cet instant, totalement ignorants du drame qui s’était abattu sur leur foyer. Me rappelant les paroles de mon maître, le Conservateur Nuo Tun, je me relevai et me dirigeai jusqu’au bureau de Liriope où j’ouvris avec précaution le coffre de la sagesse. Les craintes de mon maître se confirmaient : le coffre était entièrement vide. Quelle profanation ! Seul un homin connaissant bien nos traditions avait pu voler les précieux documents et dessiner ce sceau impie sur le crâne de mon neveu. Serait-ce alors l’un des nôtres ? Après un dernier regard pour l’ancienne, je quittais l’appartement pour rejoindre le bâtiment des Archives de Jen-Laï où Nuo Tun m’attendait. Il posa une main sur mon épaule en silence. Le Conservateur de Jen-Laï me pria de bien vouloir écouter ce qu’il avait à me dire jusqu’au bout sans l’interrompre. Bien entendu j’accédais à la requête de mon maître mais je ne peux décrire combien il fut difficile de taire toute l’horreur qui m’emplissait à mesure que les raisons du drame qui touchait ma famille m’apparaissaient au grand jour. Par Jena et ses gardiens les Kamis ! Comment de telles impiétés pouvaient-elles être perpétrées ? Le véritable visage du Fléau m’apparut alors. La contrepartie de toute création qui s’insinue en chaque graine de vie et la consume. Les émanations de Goo ne seraient-elles que l’expression du Grand Destructeur ?
Fyrak nous réserve à tous une part de son feu purificateur. Quand son jugement s’abat sur nous, il nous faut l’accepter car la magnifique création de Jena ne pourrait exister sans contrepartie naturelle. Je n’avais jamais vu se dessiner un tel désespoir sur le visage de mon frère… Face à la tombe fraîche de leur fils, il soutenait le corps affaissé de sa femme. Comment pourraient-ils jamais accepter ce que Fyrak leur imposait ?
Deux saisons s’écoulèrent avant que Liriope ne rejoigne son petit-fils au plus près des Kamis. La doyenne s’était éteinte progressivement comme si sa graine de vie avait renoncé à la lumière. Une intuition funeste s'était insidieusement emparé de notre petite communauté et, comme pour confirmer nos craintes, on nous rapporta bientôt une série de disparitions suspectes sur chaque continent. Des homins de sexes et d’origines diverses semblaient avoir été kidnappés. Nous avions des raisons de croire que certains d’entre eux subiraient le même sort que mon neveu. Quelque part sur l’Écorce, un siècle après le Grand Incendie, un demi siècle après le Grand Essaim, de dangereux fanatiques tentaient de déchaîner une fois de plus le jugement de Fyrak sur l’hominité.
Le premier signe de son jugement s’abattit sur Pyr sous les traits d’une invasion de kitins. Bientôt la colère de Fyrak allait s’élever sous la canopée. Par chance les nations s’organisèrent et le Culte du Dragon fut démantelé à temps. Mais je reste persuadé qu’une menace rôde encore autour de nous, tapie à l’ombre des émanations de Goo du Pays Malade…

Extrait d'un cube d'ambre intitulé « Histoire du Culte du Grand Dragon »,
créé par Jezeba Dumuzi, 2533.

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