ROLEPLAY


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#1 [fr] 

Un soir d'été de Prima, dans la Forêt près du Marais des Frissons, un homin attendait, assit, près d'une source d'eau au pied d'un grand arbre. Le soir se rafraîchissait au fil de la descente du soleil, mais l'homin n'avait pas esquissé le moindre mouvement, comme plongé dans un profond sommeil, et ce depuis déjà quelques heures.

Rook méditait. Ses mains entourant un éclat d'ambre semblable à celui que les Rangers utilisaient, il faisait corps avec Atys, ressentait chaque battement retentissant dans ses profondeurs, chaque mouvement à sa surface. Il n'y avait pas plus apaisante sensation ; être en phase avec les courants magnétiques dont l’Écorce vibrait. Le temps n'avait plus de réalité, Rook se laissait voguer sur le flot magnétique et était libéré de ses pensées.

Cependant, il n'était pas venu en ce lieu précis dans le seul but de communier avec Atys par les techniques apprises dans les rangs des Rangers. Non, Rook était ici pour attendre.

Attendre. Qu'attendait-il ? Rook le sait, il ne l'a pas oublié. Même le flot d'Atys ne peut lui faire oublier. Rook n'attendait pas que les feuilles commencent à tomber. Il n'attendait pas un événement naturel particulier. Il n'attendait pas la Mort. Ce que Rook attendait se rapprochait.

Un signal à la surface d'Atys, près de sa position, d'abord. Une entité floue, qui se dirigeait vers lui. Cinq cent mètres, peut-être plus. Elle se rapprochait. L'empreinte magnétique se faisait plus précise, sa proximité augmentant. Le premier signal avait interpellé Rook, qui surveillait désormais le déplacement de l'empreinte, concentré. Il ne voguait plus sur le flot magnétique, et peu lui importait le reste. Cent mètres.
Un sourire se dessina sur le masque de Rook, il interrompit sa méditation, rangea l'ambre dans sa poche. D'une voix profonde et résonnante, Rook commença à chanter dans son langage natal, à mesure que l'entité approchait :
At night in the forest of Sabrod
A tiger in search of his prey
I wonder will we be alive by the dawning of day ?

Predator of godly creation
In hunger he stops at no child
Obsessed by the fever to follow the call of the wild

Take this life
And you're safe
Say goodbye for today

It's the tiger of Sabrod
And he's fighting for the heart
Will you return ?

[HRP] Si éventuellement quelqu'un veut une traduction de la chanson, demandez moi simplement par message. La suite viendra assez rapidement. S'il-vous-plaît, ne postez aucune réponse sur ce sujet, cela empêcherait la lecture correcte du conte. Merci à tous ! [/HRP]

#2 [fr] 

Une homine s'était arrêtée, non loin dans le dos de Rook, un sourire sur les lèvres.
En réponse au Zorai, l'homine, dans une voix plus légère, se mit à chanter :
The eyes of the tiger are closed now
And lifeless he lies in the mud
Don't trust in your triumph and glory
Revenge will bring blood

Un large sourire parcourut le masque de Rook. Il se leva délicatement et, se retournant, il découvrit ce qu'il attendait depuis des heures. Une jeune matis se tenait désormais face à lui. Ils se dévisagèrent un court instant, puis Rook prit la parole :
- Je t'attendais.
- Je suis en retard ? Répondit-elle avec un sourire narquois.
- C'est plus inhabituel que ça. T'es à l'heure.
Elle fonça immédiatement dans les bras de Rook et se serra contre lui en riant.
- Petite sœur… marmonna le Kwai.
- Tu m'as manqué.
L'homine se recula légèrement pour détailler Rook de la tête au pied, comme si elle ne l'avait jamais vu.
- Et tes vêtements ne sont pas couverts de sang ! S'exclama-t-elle.
Frère et sœur rirent tous les deux une fois encore. Recouvrant son sérieux, Rook demanda :
- Comment tu vas ?
- Moi ? Bien.
- Les affaires du Royaume ? interrogea Rook.
- Ça se passe. Rien de trop particulier. On prépare un défilé de tenues à Avalae, je participerais comme mannequin.
- Mendell ?
- Oui, Mendell. Il va bientôt nous donner les tenues que l'on portera, et nous expliquer un peu l'organisation. Des couples, Matis, Tryker, Zorai.
- Pas de fyros ?
La jeune matis sourit.
- Non, pas de fyros.
- Bien, répondit Rook en acquiesçant.
- Et toi, les affaires Rangers ?
- Rien. Rien, rien, rien, soupira Rook. Des kitins ? Plaît-il ? Apprenez donc à vous servir d'un morceau d'ambre pour naviguer sur les flots magnétiques ! Grogna Rook.
- Ça viendra, rétorqua gentiment la matis.
- Non, ça viendra pas ! Je ne peux pas rester chez les Rangers, tu le sais. Ils ne nous apprennent rien. Des kitins ? J'en ai tué. Beaucoup. Perdu le compte. J'ai pas besoin qu'on m'apprenne à le faire. C'est ta sécurité, que je veux. Stevano en personne devrait me donner sa vie si il compromettait la tienne, s'énerva Rook.
- Ssssh, tout doux, répondit calmement la jeune homine en saisissant la main de Rook. Je ne sais toujours pas pourquoi tu veux me protéger autant. Je sais me défendre, tu sais ?
- Contre ce qu'il y a dehors ? Non. Je sais ce qu'il y a dehors. Toi, tu es enfermée dans le Royaume. C'est très bien comme ça, d'ailleurs. J'aurais plus de mal à te veiller si tu courais partout.
- Tu me surveille toujours, n'est-ce pas ? Soupira la sœur de Rook.
Rook acquiesce.
- Tout le temps ? Demanda-t-elle.
- Presque.
- C'est un peu effrayant, tu le sais ?
- Tu ne me vois même pas. Ne fais pas comme si ça te changeait quelque chose, rétorqua Rook.
L'homine soupira encore. Elle se demandait toujours pourquoi Rook l'avait faite venir ici.
Le Zorai profita de cet instant de silence pour observer sa sœur. Elle était devenue belle homine, et arborait un air assuré.
- Nityae, il faut que je te parle de quelque chose... commença Rook.

Nityae.  « Petite » dans la langue des matis. Depuis toujours, Rook désignait sa sœur par ce sobriquet réducteur. « Cela n'a jamais rien eu de méchant, pensa l'homine, c'est toujours sa façon de paraître protecteur et de jouer au grand-frère. Des fois, je me demande s'il n'a pas oublié mon prénom... ». La surnommée Nityae plongea dans un souvenir qui lui parut lointain. Âgée de huit ans, elle jouait avec une arme en bois dans la cour de la maison de ses parents. Rook, assit sur une barrière non loin de là paraissait mu d'un ennui profond mais observait tout de même sa sœur qui, assez malhabilement selon lui, effectuait les mêmes mouvements pour s'entraîner. Au bout de quelques minutes, le jeune garçon mit pied à terre et s'avança vers Nityae. Celle-ci, concentrée sur son épée, ne remarqua pas le mouvement de Rook et fut surprise lorsque que celui-ci saisit délicatement l'épée et l’ôta des mains de sa jeune sœur.
- Ne veux-tu pas faire autre chose ? demanda Rook
- Je m'entraîne, rétorqua sa sœur.
- Et tu t'entraînes à quoi ? Avec une épée en bois, dans un jardin en plein Natae ?
- M'embête pas, ou je le dirais à Mère.
- Mère n'a que peu de considérations pour l'entraînement de sa fille chérie, destinée à la noblesse de la Cour, lança Rook avec quelques simagrées qui firent rire sa sœur.
- Tu dis ça parce que tu t'ennuies, et que je m'amuse bien.
- Ouais. Que dirais-tu… d'aller en cachette dans la bibliothèque… Lire ?
- Non ! S'exclama Nityae. On va se faire attraper…
- Pff, soupira Rook. Moi je ne fais jamais attraper. Allez, viens !
Sur ces mots, Rook saisit le bras de sa sœur et l'entraîna en courant en direction de la bibliothèque. Malgré ses jeunes onze ans, Rook avait déjà une certaine force et sa sœur ne put se défaire de son étreinte. Frère et sœur s’arrêtèrent au mur latéral de la bibliothèque, un grand bâtiment couvert d'ornements floraux divers et assez agréables à regarder. Les enfants avaient peu accès à la bibliothèque, et surtout, seulement à certains ouvrages éducatifs auxquels Rook ne portait aucun intérêt.
- Silence, maintenant, Nityae. Si tu ne veux pas te faire attraper, murmura Rook.
Ce faisant, il désigna de la tête une ouverture dans le pan de mur. Il s'agenouilla, plaça ses mains de telle sorte à recevoir le pied de Nityae qui, bien que légèrement craintive de nature, avait toujours été intéressée par les livres. C'est ainsi qu'elle atterrit de l'autre côté en silence, à l'intérieur de la bibliothèque. Rook atterrit à ses côtés quelques secondes plus tard. Dans l'édifice régnait un silence parfait, et l'odeur des nombreux livres venait chatouiller les narines des deux enfants, comme un appel à leur désir de lecture...

[HRP] Pour le couplet de la chanson, si besoin de traduction me contacter. Merci à tous ! [/HRP]

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#3 [fr] 

Rook posa un doigt sur sa bouche pour rappeler à sa sœur que le silence était de mise. Ce faisant, il désigna d'un signe de la tête le fond de la pièce dans laquelle ils se trouvaient. Avançant en position accroupie comme un commando, les deux enfants longèrent le pan mural sur leur droite et parvinrent à un second mur. Rook, qui semblait avoir l'expérience des lieux, longea ce nouveau pan de mur en faisant attention à ne faire aucun bruit jusqu'à déboucher sur une ouverture, habituellement fermée par une porte, qui, par chance, était ouverte. Un petit écriteau sur la-dite porte avertissait en Mateis : « Accès restreint. ».
Le petit zoraï avait déjà lu l'avertissement auparavant, n'ayant eu pour effet que d'attiser sa curiosité. Sa sœur n'avait pas remarqué l'écriteau.

Cette fois découvrant une nouvelle pièce, Rook ne savait pas exactement où aller. La pièce était nettement moins grande que la précédente, bien que spacieuse. Les étagères disposées en rangées formaient des couloirs le long desquels l'on pouvait se déplacer à la recherche de tel ou tel ouvrage. Ceux-ci était classés par section. Cependant, un grand coffre ouvert dans le fond de la pièce attira l'attention de Rook. Sans plus penser à Nityae, il se dirigea vers le coffre constitué d'un bois solide et orné de façon artistique avec des fleurs, un coffre de haute facture, intrigué par le genre de trésor qu'un tel objet dans une bibliothèque pouvait bien cacher.
Le coffre présentait une serrure ; quelqu'un avait dû oublier de le fermer. Alors qu'il approchait de l'objet, Rook découvrit son contenu : le coffre était empli de cubes d'ambre, classés dans des compartiments différents par catégories. Devant leur nombre, Rook laissa échappa un surpris « Je ne savais pas qu'on en avait autant... ». Soudain, le regard du jeune homin fut attiré par l'un des cubes, dans la catégorie « Histoire passée ». Celui-ci semblait différent des autres…
En effet, alors que le zorai saisissait le cube, il se rendit compte que celui-ci avait été laissé ouvert.
Le cube contenait une sorte de recueil de poèmes, chansons, qui semblaient prendre place dans un autre temps que celui d'Atys.
- Hé, Nityae ! S'exclama Rook à voix basse. Regarde !
- Qu'est-ce que c'est ? Répondit Nityae en chuchotant.
- Quelqu'un avait laissé ce cube ouvert. Il y a plein de poèmes bizarres à l'intérieur…
Le regard de Rook s'arrêta sur l'un d'eux, intitulé « Le Tigre de Sabrod ».
- C'est quoi, un tigre ? Demanda Rook d'un air intrigué.
- Je n'en sais rien… Ça raconte quoi ?
Le poème dressait le portrait d'un « tigre » légendaire, prédateur divin et immortel, sévissant dans la forêt de « Sabrod ». Après avoir lu le poème, les deux enfants tentèrent de se représenter ce qu'un « tigre » pouvait bien être :
- Ça a l'air aussi dangereux qu'un cuttler… commença Rook
- Oui, mais aussi solide qu'un kipucka… renchérit Nityae
- Cruel comme un kincher…
- Et avec l'odorat d'un ocyx…
Les deux enfants s'imaginèrent la créature… Un quadrupède similaire au cuttler, blanc comme un ocyx, avec une carapace de kipucka et des mandibules de kincher. Frère et sœur frissonnèrent ensemble.
- Je ne veux jamais voir de tigre ! S'exclama Rook avec un mouvement de tête.
- Moi non plus ! S'exclama Nityae.
Leurs soudains éclats de voix vibrèrent dans la pièce et s'en échappèrent par la porte ouverte. Avant que l'un ou l'autre des deux enfants puissent réagir, le libraire entra soudainement.

C'était un grand matis duquel se dégageait une bienveillante sérénité. Remarquant tout de suite les enfants tournés vers lui au fond de la salle, il avança calmement vers eux.
- Les enfants, que faites-vous dans cette partie de la bibliothèque ? Demanda le libraire.
Rook, qui était en position assise afin de lire le cube d'ambre, se releva, gardant Nityae derrière lui.
- La porte était ouverte, nous avons été intrigué par le contenu de cette pièce dont la porte est usuellement si bien fermée, formula Rook.
L'expression du libraire changea lorsqu'il reconnut le jeune homin, tout avec son aura de bienveillance.
- Je ne parle pas à l'umanea, répondit le libraire sur un ton sec. Vous allez, tous deux, venir avec moi.
Alors que les deux enfants s'avançaient, le libraire ignora Rook et jeta un regard adouci à Nityae. A la suite du grand matis, frère et sœur n'échangèrent pas un mot. Cependant, les regards suffisaient.
Rook était à la fois désolé d'avoir entraîné sa sœur, et énervé par le mépris du libraire. Nityae quant à elle avait l'air effrayée des possibles conséquences.
Une fois les enfants reconduits à la sortie de la bibliothèque, le libraire avec un regard porté sur Rook dit :
- Je vous laisse rentrer chez vous pour l'après-midi. Cependant, le soir venu je trouverais vos parents afin de discuter de votre comportement, et de la punition qui vous sera attribuée.
Après avoir distribué un regard méprisant à Rook et un sourire rassurant à Nityae, le libraire laissa les enfants s'éloigner. Une fois que le libraire fut rentré dans la bibliothèque, Rook lança sur un ton cinglant :
- Comme si on avait pas les mêmes parents.
- Je pense qu'il faisait surtout la différence entre nos comportements… commença Nityae
- Connard.

#4 [fr] 

Les deux enfants empruntèrent le chemin menant à leur maison. Rook, agacé, exprimait son sentiment en frappant chaque pierre sur son passage du bout de son pied. Nityae, quant à elle, se contentait de suivre le chemin d'un pas assuré, afin de cacher sa crainte de la réaction de ses parents. Après quelques minutes, Nityae décida de briser le lourd silence.
- Tu ne devrais pas frapper les pierres comme ça… Elle n'ont rien à voir avec nos problèmes.
- Écoutes toi, répondit Rook d'un air simiesque. Depuis quand tu pries Ma-Duk avant de te coucher ?
- Je ne pries pas Ma-Duk ! S'exclama Nityae, offensée. Je… Je voulais juste que tu parles…
Rook, remarquant la détresse de sa sœur, réprima tout ses sentiments négatifs afin d'afficher un sourire chaleureux.
- Tout va bien se passer, Nityae. Tu n'as pas besoin d'avoir peur.
Le jeune homin stoppa sa marche.
- Qu'est-ce qu'il y a ? Demanda Nityae.
- Tu veux vraiment rentrer à la maison, là, maintenant ? Pas moi. Je vais au lac. Viens.
Sur ces mots, Rook se mit à courir dans la direction du lac, abandonnant le chemin de la maison. Nityae, désemparée, n'eut d'autre choix que de courir à la suite de son frère en lui hurlant de l'attendre et de ne pas la laisser seule.


Lorsque Nityae arriva au lac, Rook, qui avait une longueur d'avance, était assit sur un rocher non loin du bord de l'eau. D'un air morose, il jetait des pierres dans l'eau, troublant la paisible vie des poissons. La jeune enfant garda le silence en s'approchant doucement de son frère, puis contempla les rives du petit lac bordé d'arbres dont l'eau claire était ça et là perturbée par les lancers de Rook, les insectes qui parcouraient sa surface, ou bien quelque poisson qui remontait observer les deux homins. Nityae rompit le silence :
- Est-ce que tu m'en veux ?
- T'en vouloir ? Pourquoi ? Répondit Rook, sans pour autant arrêter de jeter des pierres.
- Parce qu'on te traite souvent moins bien que moi, juste parce que je suis une Matis… Et que tu ne l'es pas…
- Je suis Matis. Autant que je peux l'être, avec un masque… Je ne t'en voudrais jamais, et tu ne devrais pas t'en vouloir. Ce n'est pas de ta faute. La faute revient à ceux qui me traitent différemment de toi.
Rook lança une nouvelle pierre qui perça la surface de l'eau. Nityae, pensive, fixa le point d'impact de la roche tandis que l'eau se déformait et ondulait doucement vers la rive.
Au bout de quelques minutes de silence, Rook dit :
- Un jour, je leur montrerais. Que je suis Matis. Qu'ils peuvent me traiter comme tel sans avoir besoin de se méfier. Que j'ai ma place ici, avec tout le monde.
- Commence par faire moins de bêtises… dit Nityae sur un ton de reproche.
- Huuuh… Ouais…
Rook, d'un air gêné, passa sa main sur sa nuque en souriant. Le soleil était descendu jusqu'à la cime des arbres. C'est à ce moment que les enfants, sans hâte de recevoir leur punition, décidèrent d'emprunter le chemin de leur maison.


Rook et Nityae arrivaient finalement en vue de leur maison. Ni trop grande, ni trop petite, la bâtisse suffisait à subvenir aux besoins de deux parents et des deux enfants. La nuit ayant commencé à tomber, la lanterne surmontant le portail d'entrée était allumée.
Les deux enfants pénétrèrent dans la maison par la porte d'entrée, et remarquèrent immédiatement le libraire assit à la table du salon, face à leurs parents. Les trois adultes se tournèrent immédiatement vers Nityae et Rook, le jeune homin soutint leurs regards tandis que sa sœur baissait la tête.
La mère, une matisse âgée de la quarantaine, Dame de la Cour, avait l'air particulièrement déçue, essentiellement par le comportement de sa petite fille dont elle espérait faire une Dame à son tour… Au grand dam de Nityae. Le père, concentrant son regard sur les yeux de Rook qui lui faisaient face avec une assurance naturelle inhérente au jeune homin ne paraissait ni réprimer ni approuver son comportement. Il était un officier dans l'armée royale matisse, apprécié de ses hommes dont il avait acquis la confiance les uns après les autres, au fil du temps, et de son comportement lors des missions.
Nityae, relevant la tête, observa un silence circonspect. Son frère et son père semblaient avoir une conversation silencieuse de par le biais de leurs yeux, comme ils le faisaient souvent. Sa mère avait les siens rivés sur elle d'un air pincé, visiblement désappointée. « Je suis bonne pour une nouvelle morale de Mère... » se dit Nityae. Le libraire, quant à lui, arborait un large sourire et décida de rompre le silence.
- Je ne puis vous importuner plus longtemps. Ser Kinno, je vous laisse le soin de présenter leur punition aux enfants.
Le libraire s'inclina respectueusement devant les deux parents..
- Ser Kinno, Serae. Deles necat.
Sur ces mots, le libraire se dirigea vers la porte. Lorsqu'il passa à côté des enfants, il n'oublia pas de gratifier Nityae d'un sourire en ignorant sciemment Rook, et sortit. Ser Kinno, voyant son fils prendre un air faussement naturel devant le mépris du libraire, se leva.
- Rook, viens dehors avec moi, dit-il en s'avançant vers l'enfant.
L'interessé hocha la tête et sortit de la maison à la suite de son père, après avoir jeté un regard rassurant à Nityae.
- Viens t'asseoir, ma fille, dit la Serae à l'attention de Nityae.
- Sil, mère.

Rook marchait derrière son père d'un pas franc. Il demanda :
- Quel est la punition ?
- Peu importe, ce n'est rien d'insurmontable. Je veux te montrer quelque chose.
Sur ces mots, ser Kinno saisit une torche et la tendit à son fils. Il en saisit une seconde, qu'il garda. Le deuxième objet que lui tendit son père surpris Rook ; c'était une dague.
- Elle est solide. Pas ce qu'il y a de plus haute qualité, mais elle a le mérite de m'avoir sorti de certaines situations… Difficiles.
- Pourquoi en aurais-je besoin ? Demanda Rook.
- J'espère que tu n'en auras pas besoin, en effet. Nous sommes rarement trop prudents, Rook. Prends-la, elle est à toi, répondit son père.
Le jeune homin poussa un soupir-grognement dont il avait le secret et saisit délicatement la dague, qu'il garda en main afin de s'habituer à la répartition du poids de la lame -pour en avoir une meilleure prise en main-.
- Reste derrière moi, dit son père

La nuit était désormais entièrement tombée. Père et fils évoluaient rapidement dans la forêt, à la lueur de leurs torches. Alors qu'ils étaient maintenant à environ une demi-heure de marche au sud de Natae, ser Kinno dit à voix basse : «  Éteins la torche ». Rook comprit alors qu'ils avançaient vers quelque chose de dangereux. Il imita son père qui éteignait sa torche en fronçant les sourcils. La pleine lune procurant un bonne éclairage, leurs yeux s'adaptèrent rapidement à l'obscurité. Le jeune homin avançait maintenant silencieusement à la suite de son père. Après quelques nouvelles minutes de marche, ils se retrouvèrent à l'orée de la forêt qui débouchait sur un vaste plateau comportant, ça et là, des reliefs. Ser Kinno fit signe de s'arrêter, et pointa une haute colline du doigt. Au départ, dans l'obscurité de la nuit et à un bonne centaine de mètres de distance, Rook ne vît rien. Cependant, un léger éclair gris-blanc au bas de la colline attira son attention. Le jeune homin ne comprit pas immédiatement ce qu'il voyait. Les entités au bas de la colline, il en discernait quatre, lui était inconnues et pourtant familières.
- Les patrouilles sont revenues, chuchota précautionneusement son père.
« Des kitins des profondeurs ! » pensa Rook. Ser Kinno lut sur le visage de son fils qu'il avait compris ce qu'il voyait, et acquiesça. Le jeune homin resta planté, ébahi, pendant cinq bonnes minutes. C'est alors que son père posa sa main sur son épaule pour signifier à Rook qu'il était temps de rentrer.


Lorsque père et fils furent rentrés, la maison semblait endormie.
- Tu dois aller dormir, dit ser Kinno.
- Et pour la punition ?
- Une énigme. Toi et Nityae devez également effectuer un travail d'intérêt général pour la bibliothèque. Tu demanderas l'énigme à ta sœur demain matin, que ça ne t'empêche pas de dormir.
- Bien, père, répondit Rook.
Le jeune homin se dirigea doucement vers sa chambre, mais son père l'arrêta.
- Attends. Viens t'asseoir.
Rook ne fit pas mine d'être surpris -il savait pertinemment qu'il ne s'en sortirait pas comme ça- et alla s'asseoir sur la chaise en face de son père. Ser Kinno avait les yeux rivés sur ceux de son fils, dans l'obscurité de la maison. L'éclairage naturel de la lune était toujours suffisant pour qu'il se distinguent.
- Qu'as-tu trouvé, dans la pièce de bibliothèque ?
- Un cube d'ambre. Un coffre remplit de cubes, en fait. L'un d'entre eux avait été laissé ouvert, je l'ai lu. C'était un recueil de poèmes et chansons bizarres. Elles parlaient de choses qui n'existent pas… Ici, sur Atys. C'est quoi un tigre ? Demanda Rook.
Le père ne put s'empêcher de sourire.
- Qui sait ? Cependant, tu dois arrêter de te mettre à dos les gens. Un jour, tu auras besoin d'eux. Un jour, tu devras avoir la confiance des gens tout comme de tes camarades ou de tes hommes.
- Ce sont eux qui me haïssent. Parce que je suis un zoraï. Que je ne suis pas né ici. Que je n'ai pas leur… sang.
- Et c'est une excuse pour ce que tu fais ? Si tu veux prouver que leur haine est infondée, tu ne vas pas dans le bon sens, affirma calmement ser Kinno.
- Je ne suis pas d'ici ! Je n'appartiens pas à cette société ! Je n'aime pas la Karavan, je n'aime pas la façon d'être matis ni leur façon de vivre ! S'emporta Rook.
- Je t'ai adopté. Tu es autant matis que n'importe lequel d'entre eux. Tu n'aimes pas la Karavan, bien. Personne ne te force à les aduler. Nous t'avons élevé ici, tu appartiens à cette société, tu dois simplement t'en rendre compte. Il faut que tu saisisse les chances que tu as, et ne pas les gâcher avec un comportement immature. Tu peux servir dans l'armée, montrer qui tu es. Reste silencieux, passe inaperçu, et entraîne toi.
- Je m'entraîne déjà, répondit Rook en recouvrant son calme.
- Alors continue. Tu pourras faire de grandes choses, je le sais. Aies confiance en toi, et ne laisse pas l'attitude d'autres matis t'influencer. Sois fier. Vas te coucher, il se fait tard.
- Merci, père. Davae naia.
- Davae naia, fils.

#5 [fr] 

Nityae, intriguée par l'énigme que lui avait communiquée sa mère et inquiète de l'absence des deux membres de sa famille, était discrètement sortie de sa chambre au retour des deux homins.
Elle ne put s'empêcher d'entendre la conversation de son père et de son frère. Les mots de Rook résonnaient toujours dans sa tête :« Je ne suis pas d'ici ! Je n'appartiens pas à cette société ! Je n'aime pas la Karavan, je n'aime pas la façon d'être matis ni leur façon de vivre ! ». Elle ressentait la blessure de son frère dans sa voix, et sa colère. La jeune fille jugea qu'elle en avait plus que suffisamment entendu et, désorientée, rentra confusément dans sa chambre. Elle s'assit au milieu de sa chambre, en tailleur, tentant de reprendre ses esprits. « Il doit me détester. Il me déteste. Tout le monde me traite trop bien, et le traite mal. » se dit la petite fille. « Je ne peux pas laisser les gens faire ça. Je… ne dois pas les laisser me traiter mieux que lui. ». Nityae se sentait démunie, et s'emplissait de colère envers elle même. C'est au cours de cette nuit au sommeil difficile que la jeune fille de huit ans perdit une première partie de sa naïveté, de façon irrémédiable.

Le soleil était levé lorsque Nityae se réveilla brusquement. Sa première pensée alla à son grand frère, séquelle de la nuit passée. La très jeune homine n'ayant pas pris soin d'enlever ses vêtements avant de s'endormir était dors et déjà prête à sortir. Elle sortit de sa chambre, et gagna immédiatement la porte d'entrée. Sa mère était manifestement sortie, son père n'avait que peu de temps libre dans l'armée, et de son frère elle ne trouvait aucune trace. Elle se chaussa rapidement,
et passa la porte d'entrée. Il fallait qu'elle trouve Rook rapidement, car ils devaient passer les deux prochains après-midi à la bibliothèque et, à en juger par le soleil, il était au alentours de treize heures. « J'aurais dû me réveiller plus tôt. » se dit alors Nityae. Elle savait assez précisément où trouver son frère, à une heure pareille. La très jeune homine prit donc la direction du lac.

Nityae y trouva son frère, assit sur le rocher habituel, lançant ses habituelles pierres dans l'eau. Elle avait malheureusement compris la cause de cette manie morose de son frère. Rook faisait mine de ne pas l'avoir vue. Une chose qu'il faisait souvent, bien qu'au courant de la présence de sa sœur.
- Pourquoi ne me dis-tu jamais rien, quand je te rejoins quelque part ? Demanda Nityae sur un ton duquel une certaine tristesse pointait.
Rook ne se retourna pas, et tout en continuant de jeter ses pierres à l'eau répondit :
- Je n'ai jamais rien à dire quand tu arrives.
- « Bonjour » ?
- 'silam, répondit Rook en faisant un signe de la main droite, sans pour autant se retourner.
Nityae s'avança s'asseoir, à droite du rocher sur lequel son frère était assit, ses genoux remontés contre son thorax. Après environ deux minutes de silence, elle lâcha :
- On passe les deux prochains après-midi à la bibliothèque.
- Père m'en a parlé. L'énigme ?
- « Un est tout, tout est un. », récita Nityae.
Rook resta silencieux.
- Il faut y aller, je n'ai pas envie d'aggraver notre cas en arrivant en retard.
Rook acquiesça, et les deux enfants quittèrent le lac pour rejoindre la bibliothèque.

Frère et sœur se présentèrent à l'entrée de la bibliothèque au début de l'après-midi. Le libraire les accueillit avec le sourire. Du moins, accueillit Nityae avec le sourire. Qui lui répondit avec un regard assombri de mépris, assez violent pour une enfant de son âge. Décontenancé, le libraire les conduisit au devant d'un comptoir sur lequel une conséquente pile de livres étaient entassés. Accoudé au comptoir se tenait un grand matis d'une prestance moyenne qui observait les enfants d'un air narquois.
- Voici votre travail de l'après-midi. Vous serez libre de partir une fois que tous les livres ici présents seront rangés dans leurs étagères respectives. Le système est simple, les livres sont marqués sur la tranche. Les livres marqués « His » vont dans l'étagère « Histoire », et sont à ranger par ordre alphabétique de nom d'auteur. Il en va de même pour les livres « Géo » qui iront dans « Géographie », et ainsi de suite. C'est entendu ?
- Oui, ser, répondirent ensemble Rook et Nityae.
- Bien. Ser Sisnasas ici présent supervisera votre travail pendant que je me dois d'effectuer le mien.
- Oui, ser, répondirent ensemble Rook et Nityae.
Le libraire laissa donc les enfants aux mains du ser Sisnasas. Nityae sentait quelque chose d'étrange à propos de cette homin. Sa façon d'être, son expression narquoise, sa posture… Pour le moins étrange. Sous le regard du grand matis, Nityae saisit un livre à sa hauteur. La tranche était marquée « Soc ». En parcourant les étagères, Nityae déduisit que l'étagère appropriée était « Sociologie ». Son frère avait à son tour prit un livre et la rejoignit, assez loin du ser au nom étrange.
- A sa posture, c'est un soldat. A son expression, il a très confiance en lui et est sans doute un abruti monumental. A son attitude, il est passablement ennuyé d'être ici et ne m'apprécie que peu.
Rook avait murmuré ces mots en passant à côté de sa sœur pour ranger son livre. Nityae avait parfaitement entendu et, bien que troublée par le fait qu'un soldat les surveille, ne le montra pas et rangea normalement le livre qu'elle avait en main.

Environ deux heures de labeur s'écoulèrent. Le libraire repassa une fois déposer une nouvelle pile de livres sur le comptoir, pour être certain que les enfants eurent assez de travail. Le soldat avait ouvertement pesté plusieurs fois et, tournant parfois en rond, commençait à s'agacer de façon manifeste. Rook avait saisit un énième livre pour aller le ranger. Cependant, il devait ranger celui-ci dans la partie la plus haute de l'étagère à laquelle il était assigné. Malgré sa taille de zorai, ses onze ans ne lui avait pas procuré la hauteur suffisante pour ranger ce livre-ci. Après avoir essayé plusieurs biais, Rook hésita un moment. Il marcha en direction du soldat qui sifflait un air agaçant.
- Excusez-moi, ser... commença Rook.
L’intéressé ne l'était nullement.
- Ser, je ne suis pas assez grand pour atteindre la partie haute de l'étagère. Pourriez-vous m'aider et ranger ce livre sur l'étagère « Kitinologie » ?
Le ser posa nonchalamment ses yeux sur l'enfant qui s'adressait à lui.
- L'umanea vient me dire qu'il n'est pas assez grand pour atteindre le haut d'une étagère, lança le soldat d'un ton cinglant. Oh, et il veut que je fasse son travail ? Mais bien sûr, mon garçon… Je vais t'aider.
Sa voix était dénuée de bonnes intentions. Elle était grave, et semblait rageuse. Sur ces mots, le soldat repoussa avec une force mesurée l'épaule gauche de Rook, ce qui eut pour effet de le retourner vers l'étagère. Nityae assistait à la scène sans dire un mot.
- Tu vas emmener ce livre à cette étagère, et tu vas le ranger là où tu es censé le ranger, dit l'homin d'un ton sec.
Le rouge monta aux joues du jeune zorai, si cela se peut dire de quelqu'un qui porte un masque pour visage, et il avança d'un pas énervé vers l'étagère. Sans trop réfléchir, Rook escalada négligemment l'étagère dans le but de ranger le livre en haut. Dans sa colère, le jeune homin prit un mauvais appui et tomba. En tentant de se rattraper, Rook ne fit qu'entraîner plus de livres dans sa chute -ce qui représentait une vingtaine d'entre eux- et s'écrasa lourdement au sol. Nityae ayant, impuissante, assisté à la chute de son frère, se rua à ses côtés pour s'assurer qu'il allait bien. Le soldat s'était aussi rapproché d'un pas lent, finalement heureux d'avoir un événement à se mettre sous la dent.
- Mauvais appui pour l'umanea. Qui va devoir ramasser et ranger les livres éparpillés ceux autour de lui. Y compris ceux qui venaient d'en haut de l'étagère.
Nityae lança un regard mauvais à l'homin.
- Rook, ça va ?
Son frère avait les mains portés sur son genou gauche.
- Je suis pas tombé de haut, mais je crois que je suis tombé dessus… Ça fait mal…
Rook tenta péniblement de se lever, et retomba lourdement dès qu'il prit appui sur sa jambe gauche.
- Ser Sisnasas, il faut un médecin pour mon frère ! S'exclama Nityae
- Oh, non. Regardez, il va bien. Vous n'avez pas fini votre travail, dit le soldat dans un sourire malsain.
- C'est de sa faute… Sale…
Rook prit le temps de réfléchir au mot qu'il allait prononcer, mais nullement aux conséquences désastreuses qu'il allait avoir.
- Kterhos, cracha Rook.
Le sang du soldat ne fît qu'un tour. D'un mouvement vif, il saisit Rook par le cou et le souleva du sol à une main, le visage figé sur un rictus mauvais.
- Sale… quoi ? Demanda-t-il
- Lachez mon frère ! Hurla Nityae.
Rook, mal-en-point, fît face au soldat et cracha un nouvelle fois :
- Kterhos.
L'homin vira au pourpre et lança Rook contre l'étagère la plus proche. Nityae vit son frère s'écraser contre le bois solide de l'étagère et tomber au sol. Elle hurla une nouvelle fois. Mais le monde ne la prenait plus en compte. Son frère tenta de se relever et se mit à quatre pattes.
- Il y a quelque chose que tu vas apprendre ce jour même, mon garçon. Le respect.
Le soldat frappa du pied Rook, au visage. Celui-ci para de façon peu efficace le coup avec son bras, et s'écroula sur le sol. Nityae était maintenant figée dans une stupeur irréaliste, à quelques mètres de son frère couché à terre. Rook ne put essayer de se relever une fois de plus; le soldat le saisit à la gorge d'une main ferme et le souleva en le plaquant contre une étagère. Rook découvrit sa sœur dans le dos du soldat, en proie à une terreur incapacitante. L'étreinte de la main du matis se faisait insistante tandis que l'oxygène se raréfiait. Le jeune homin remarqua sa dague, tombée non loin des pieds de sa sœur lorsque le soldat l'avait lancé contre l'étagère. Rook ouvrit la bouche pour parler à sa sœur mais les mots restèrent dans sa gorge. Il poussa un grognement inintelligible qui eut pour effet de sortir Nityae de sa torpeur. Frère et sœur se regardèrent dans les yeux; les flammes vacillantes dans ceux de Rook semblaient dire « Bats-toi. Marche, et bats-toi ». Nityae, prise de panique, aperçu la dague à ses pieds qu'elle saisit tandis que les yeux de Rook se fermaient sur une expression de douleur et de rage. Le soldat, aveuglé par sa colère, ne relâchait pas sa poigne et ne remarqua pas la jeune fille qui se tenait derrière lui, l'arme à la main. Nityae chargea. D'un mouvement rapide et instinctif, elle sauta en direction du grand matis et lui planta la dague dans la partie accessible de son cou non protégé par son armure. Le soldat sursauta dans une expression de surprise et lâcha immédiatement Rook. Il porta les mains à la dague, mais il était trop tard. La mort le foudroya dans une expression de terreur, et son sang se répandit sur le sol tandis qu'il s'écroulait. Rook inspira un grand coup dans un râle et rouvrit ses yeux ; il découvrit le soldat à terre dans un bain de sang, une dague plantée dans l'artère carotide, et Nityae, les mains rouges. Le jeune homin comprit immédiatement et, après une quinte de toux compulsive, se releva et essuya les mains de sa soeur -figée dans l'horreur de l'acte qu'elle venait de commettre- avec son haut de vêtement. « Nityae. Pars chercher père, vite. Dis lui qu'il est arrivé quelque chose de grave. Ne lui dit pas ce que tu as fait, ne dis jamais à personne ce que tu as fait. C'était pour mon bien. Ne t'inquiète pas. Vas ! ». Sur ces mots, il poussa sans ménagement sa sœur en direction de la sortie. Celle-ci, d'un pas mécanique, se dirigea vers la porte. « Cours ! Hurla son frère ». Et Nityae courut.

#6 [fr] 

Rook, le cadavre du soldat matis à ses pieds, avait le côté droit couvert de sang dans lequel il était tombé. « Réfléchis, réfléchis ! Vite ! » se dit-il. Le jeune homin se mit à genou et plongea ses mains dans le sang répandu sur le sol, avec une expression de dégoût. Cependant, il ne pouvait s'empêcher d'être heureux, car sa sœur l'avait sauvé d'une mort presque certaine. Rook se releva et fit quelques pas en arrière, pour observer la scène. Il s'avança vers le cadavre et extirpa sa dague du cou, pour la garder en main devant le corps gisant du soldat. Les yeux du matis le regardaient. « Le respect, n'est-ce pas ? » dit cyniquement Rook. Sa haine avait été décuplée. Il attendit que Nityae revienne, avec son père.

Nityae avait couru en direction du terrain d'entraînement des soldats. Son père devait s'y trouver. Ser Kinno vit sa fille courir à lui, ce qui était déjà inhabituel. Il vit la jupe, rougie sur le bas, de Nityae. Puis, quand elle arriva à lui, il sentit l'odeur du sang. « A la bibliothèque... » haleta Nityae. « Rook et… le soldat... » continua Nityae qui s'effondra. Ser Kinno, l'esprit vif, n'attendit pas la suite. Il manda un de ses homins près de Nityae, et courut en direction de la bibliothèque, suivi de trois autres soldats.

Ser Kinno et les trois homins découvrirent le jeune zorai, debout, couvert de sang, la dague à la main, le cadavre d'un homin gisant à ses pieds. Ser Kinno fonça droit vers son fils, tandis que les trois soldats se ruèrent vers leur camarade à terre, et l'emmena à part. Il remarqua les stries violettes sur le cou de son fils, l'hématome sur sa joue et sa difficulté à marcher. « Tu as trentes seconds pour me dire ce qu'il s'est passé. » tonna l'officier Kinno. « Je lui ai demandé de l'aide pour un livre que je devais mettre en haut. Il m'a répondu de me débrouiller. J'ai escaladé l'étagère, suis tombé, et me suis blessé au genou. Il m'a demandé de me relever et d'escalader une fois de plus ; je l'ai traité de kterhos. Tu sais ce qui est arrivé après.» répondit Rook, tremblant de rage dans son récit. Ser Kinno comprit alors que son fils ne pourrait devenir officier, ni soldat, ni même ne pouvait rester ici. « Rook. Rentre à la maison. Change-toi, prend toutes les affaires que tu peux mettre dans mon sac de voyage et pars. Droit vers le désert, par la Source Cachée. Ne reviens pas. Tu ne peux plus vivre ici. N'oublie pas qui tu es, et n'oublie pas ce qui compte le plus. » dit Ser Kinno d'une voix sombre. Rook savait qu'il ne devait pas se faire prier. D'un regard échangé avec son père il mesura la tristesse de celui-ci. Mais son regard à lui disait « Merci. Pour tout. ». Il fila rapidement hors de la bibliothèque et courut en direction de sa maison… Qui n'allait plus être la sienne.

#7 [fr] 

Nityae émergea de son souvenir devant son frère qui la regardait avec insistance.
- Nityae. Tu m'écoutes ? Demanda Rook.
- Sil, répondit sa sœur. Désolée.
- Je vais rejoindre le Clan de la Sève Noire.
Rook avait lâché cette dernière phrase comme une bombe prête à exploser. Sa sœur se figea ;
- Quoi ?
- Je vais rejoindre le Clan de la Sève Noire, répéta Rook, imperturbable.
Nityae n'eût nullement le temps de réfléchir ; sa main, animée d'une volonté propre, heurta le visage de son frère à une vitesse fulgurante. Rook ne broncha pas, bien que sa sœur ait frappé le poing fermé ; ce dont il fut un instant fier. « Une réaction de guerrière » pensa-t-il. Le visage normalement pâle de Nityae avait viré au rouge écarlate, tout comme sa main.
- Est-ce que tu as totalement perdu la tête ?! Hurla la homine.
- C'est pour te protéger. Pour ton bien, répondit Rook.
- MON bien ?! Je vais te laisser rejoindre le clan maraudeur le plus dangereux, celui qui assassine les trois quarts des homins qui se présentent à leurs portes, pour MON bien ?! Continua de s'énerver Nityae.
Rook ne répondit pas, et demeura avec ce visage de pierre dont les gens têtus sont capables. Sa sœur faisait les cents pas, en sermonnant Rook ; cependant celui-ci ne l'écoutait déjà plus. Sa décision était prise, ce indépendamment de la réaction de qui que ce soit.
- Petite sœur. C'est décidé. Demain, au lever du soleil, je rencontre Syron ; et ils procéderont aux habituelles formalités.
- Formalités ?! Répondit Nityae, dont la colère n'avait plus de limites. Ils vont injecter du feu liquide dans tes veines ! Tu as cru que j'allais te laisser mourir dans d'atroces souffrances ?! Je l'ai empêché une fois, je compte pas m'arrêter !
- Pars, petite sœur. Je n'ai pas envie de devoir te semer.
Nityae fixa Rook une fois de plus, et sentant la frustration rageante l'envahir, elle céda. Avec un violent mouvement de la main, elle hurla :
- Bien ! Dégage ! Vas mourir, puisque ça semble te plaire ! Et ne m’adresse plus JAMAIS la parole.
Sur ces mots, Nityae tourna dos à Rook et repartit de là où elle était venue, d'un pas ferme et rapide.
« Je suis déjà de feu et d'atroces souffrances, petite sœur. C'est le fondement même de mon être. » pensa Rook. Il tourna lui aussi les talons, et prit le chemin du lieu de la rencontre avec Syron, l'officier du Clan.

Il restait peu de temps avant le lever du soleil, lorsque Rook arriva au lieu de rencontre. A peine eût-il le temps de sortir la petite bouteille d'alcool de sa poche qu'une voix sombre surgit derrière lui.
- Bankun, maraudeur.

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#8 [fr] 

Rook se retourna et découvrit un homin intégralement couvert par son armure noire ; portant un casque. L'homin n'avait pas d'arme en main, il se tenait droit et était de taille moyenne -pour être un fyros ou un matis-.
- Je suis Syron. Je sais qui tu es, et tu sais pourquoi je suis ici.
- Oui, répondit Rook.
- Alors, suis-moi, continua Syron sur le même ton sombre.
Sur ces mots, le lugubre homin en armure se tourna et commença à marcher. Rook prit sa suite, légèrement amusé par l'attitude de Syron.
Les deux homins marchèrent, Rook à la suite de Syron, pendant une quinzaine de minutes. Ils passèrent les Chutes de Virginia, et empruntèrent un chemin qui remontait vers un plateau. A mi-chemin, Syron s'arrêta.
- Au bout du chemin, tu rencontreras un pouvoir tel que tu n'en a jamais vu. Ou bien, tu mourras. Le point de non-retour a été passé dès lors que tu as pris ma suite. Monte, maraudeur Rook.
- Ne vous attendez pas à ce que je meurs, répondit Rook d'un air narquois qui cachait son anxiété.
- Les mots ne comptent pour rien devant la Sève Noire.
Syron désigna de la main le haut du chemin. Rook, d'un pas qu'il voulait assuré, continua de marcher jusqu'en haut et déboucha sur le petit plateau qui surmontait la Source Cachée. Il aperçut, au bout du plateau, six silhouettes qui se tenaient debout, semblant l'attendre. Rook s'avança dans leur direction d'un pas ferme. Lorsqu'il arriva à une dizaine de mètres d'eux, l'homin au centre de la ligne lui fit signe de s'arrêter. Les six homins étaient parfaitement alignés. Tous portaient la même armure que Syron, casqués, et tenaient en main diverses armes -haches, massues, épées, dagues…-. Celui le plus à droite semblait agité. Il tremblait, même. Mais Rook décela quelque chose de louche dans sa posture ; cet homin de la taille d'un tryker ne tremblait pas de peur. L'homin au centre, sans doute le chef du Clan, prit la parole :
- Maraudeur répondant au nom de Rook, dit-il d'une voix forte alors que Syron prenait place dans le rang. Tu te présente à nous aujourd'hui afin de recevoir le don de la Sève Noire, et de ce fait rejoindre nos rangs, si tu y survis. Entends-tu que tu n'as plus de retour possible, et que tu emporteras la Sève Noire dans ta tombe, que cela soit en ce lieu ou à la fin de ta vie sur le champ de bataille ?
- Je le comprends, répondit Rook d'un air décidé.
- Rares sont ceux qui survivent à la première injection. Nous sommes les élus de la Sève Noire. Saches que tu as très peu de chances d'y survivre.
Le petit homin sur la droite semblait de plus en plus excité.
- Je le conçois. Mais je quitterais ce lieu sur mes deux jambes, répondit fermement Rook.
- Nous allons te retirer tes armes, et ton armure. Tu ne garderas qu'un pantalon.
Rook retira nonchalamment son haut, ses manches et ses gants, qu'il posa à terre devant lui. Il entreprit ensuite de poser ses deux dagues, sur ses vêtement ; puis le pistolet fyros qu'il portait à la ceinture. Il leva les bras pour signifier qu'il ne portait rien de plus.
- Tes poches semblent toujours lourdes, maraudeur. Que contiennent-elles ? Demanda le chef.
Rook retira la bouteille d'alcool de sa poche, et la montra à l'assemblée. Le regard du chef ne se détachait pas de celui de Rook, qui comprit que la bouteille ne ferait pas exception. Il la posa avec le reste de ses affaires. Une homine à la gauche du chef s'avança récupérer les affaires de Rook et les posa à ses pieds dans le rang.
- Alors l'heure est venue, annonça sombrement l'homin au centre. Ezek ? Tu as le matériel, je te laisse procéder.
Le tryker en armure noire s'avança, presque en sautillant. Il sortit une seringue de sa manche ; elle était remplie d'un liquide obscur et visqueux.
- Qu'avons-nous donc ? Un grand masqué se présente à nous pour acquérir pouvoir, et savoir… Qui est-il ?
- Rook, répondit calmement le zorai.
- Rook. Tu appelles ça un nom ? Rétorqua le dénommé Ezek.
- C'est celui auquel je réponds. S'il ne te convient pas, tu peux m'en chercher un autre.
Ezek prit le temps de la réflexion.
- « Ta gueule ». Je vais t'appeler… « Ta gueule », répondit Ezek après mure réflexion. Est-ce que tu sais ce qui va se passer ?
- Tu vas m'injecter la Sève, je vais rester debout et je vais te regarder dans les yeux. Après, nous repartirons, répondit Rook.
Ezek se tourna vers ses confrères, et ôta son casque.
- Il est très amusant, dit le tryker.
Il se retourna vers Rook tandis qu'un sourire dément parcourait son visage plein de cicatrices.
- Puisque tu comptes me regarder dans les yeux, j'enlève mon casque ; c'est la moindre des politesses. Maintenant dis-moi… Rook, quel est ton objectif ?
- Anéantir les religions qui tiennent les homins en laisse.
- Amusant, amusant. Mais tu vas mourir ici, je le crains.
- Non, répondit Rook avec aplomb.
- Non ?
Ezek explosa de rire.
- D'un certain côté, je veux bien te voir vivre… un peu plus longtemps. De l'autre… je veux que tu meures. Mais je ne suis pas celui qui choisit.
Ezek se retourna une nouvelle fois vers les membres de son clan.
- Je prends les paris, tonna-t-il en écartant les bras.
Tous ses confrères prononcèrent le mot « Mort » les uns après les autres. Ezek se retourna vers Rook et plongea son regard dans ses yeux. Nul ne sait ce qu'il y vit, mais après quelques secondes un mot s'échappa de ses lèvres :
- Vivant.

Un homin de la taille de Rook se détacha du rang, et se plaça derrière lui. Ezek saisit le bras de Rook de sa main gauche et, sans plus de cérémonies, planta l'aiguille dans une veine saillante. Il vrilla ensuite son regard dans celui du zorai.
- Fais de beaux rêves, le moche.
Il appuya sur l'extrémité de la seringue et Rook vit le liquide noirâtre se vider à l'intérieur de lui. Il plongea son regard dans celui d'Ezek alors qu'il sentait que le liquide commençait à se répandre dans son bras ; tandis que la seringue s'en retirait. Le grand homin derrière lui le saisit à bras le corps ; bloquant quasiment tout mouvement de sa part. La sensation de chaleur se transforma rapidement en brûlure, que le zorai sentait se répandre à travers son corps depuis son bras. Il croyait être en feu, lorsqu'il perdit connaissance.

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#9 [fr] 

Rook ouvrit les yeux avec difficulté ; tout cette lumière blanche l'aveuglait. Il entreprit de se mettre à genoux, et de façon surprenante n'éprouva aucune difficulté à le faire. Il se sentait étrangement léger : l'armure noire qu'il portait ne le pesait pas. Le sol était d'un blanc si lumineux que les yeux ne pouvaient pas s'y habituer. Rook se mit debout, et fit un tour sur lui-même afin d'avoir une idée du lieu qu'il commençait à trouver angoissant. La couleur blanche du sol s'étendait à perte de vue tout autour de lui, il n'y avait pas de ciel ; rien que la blancheur lumineuse de l'endroit. « Où suis-je ? » se demanda-t-il. « Mort ? C'est ridicule. ».
Lorsque Rook se retourna, il découvrit une porte. Une porte gigantesque de couleur anthracite, en pierre taillée, avec des ornements dont le style était inconnu à Rook ainsi qu'une écriture dans un langage qu'il ne pouvait déchiffrer. « Elle n'était pas là avant. Et j'ai pourtant pas bougé. » se dit Rook en avançant pour examiner la porte de plus près. Au centre de cette géante porte se tenaient les lettres alignées « Libera te tutemet ex inferis. » qui semblaient avoir un sens important, mais le zorai n'avait jamais vu un tel langage auparavant. Rook, décontenancé, tenta d'ouvrir la porte un glissant sa main dans l'interstice entre les deux battants de pierre, mais elle ne bougea pas. Il poussa un soupir légèrement agacé et s'assit en tailleur pour tenter de reprendre ses esprits. Il pensa à voix haute :
- Je suis dans un lieu qui n'existe pas. Je dois être en train d'halluciner, quelque chose comme ça. Ou bien je suis mort.
- Presque tout faux.
Rook se figea. La voix avait surgit de nulle part, et semblait venir de partout. Chaque mot avait résonné dans son corps, comme si cette voix venait aussi de lui. Il n'avait jamais ressenti de sensation plus étrange. Rook, assit face à la porte, remarqua que la gigantesque porte taillée s'ouvrait sans bruit ; et dès que son ouverture fut suffisante, une forme blanche se dessina dans les ténèbres que renfermait la porte. La forme, hominoïde, s'extirpa des ténèbres en marchant ; mais de l'ombre vint avec elle et l'entoura -ce qui permettait, dans l'environnement blanc, de deviner la silhouette-.
- Yo, dit la forme avec un signe de la main.
La voix était semblable à la précédente, mais semblait cette fois émaner de la silhouette qui avait une corpulence semblable à celle de Rook.
- Qui… Qui êtes-vous ? Demanda le zorai.
- Et bien, merci de demander ! S'exclama la silhouette lumineuse entourée de ténèbres. Je suis celui que vous, Homins, aimez appeler « Atys ». Autrement dit, l'univers. Autrement dit, Dieu. Autrement dit, la « Vérité ». Autrement dit, tout. Autrement dit, « un ». Et, je suis…
La silhouette marqua une pause puis, en pointant Rook du doigt :
- … toi.
Rook était figé dans l'incompréhension la plus totale. Il respirait à peine. La forme n'avait pas de visage, seule sa voix qui était en fait l'addition de plusieurs voix homines différentes -d'où le malaise du zorai- se modulait et permettait de deviner un sentiment.
- Pourquoi je suis ici ? Demanda Rook.
- Hm. Tu te souviens de ce que tu as fait, plus tôt ? Tu n'es plus qu'à quelques mètres de la mort, désormais.
La silhouette désigna la porte d'un mouvement vague.
- Je suis le Juge, continua la forme.
- J'ai promis à ma sœur que je ne mourrais pas, répondit Rook qui commençait à reprendre ses esprits.
- Ta… sœur ? Oh, oui. Celle qui a hurlé qu'elle ne voulait plus jamais te revoir. Il faut avouer que je suis heureux que tu ne l'aies pas écoutée. Sans quoi, je n'aurais pas pu te rencontrer.
- Pourquoi me rencontrer ?
- Te montrer la Vérité.
Sur ces mots la forme s'écarta, de nombreuses silhouettes de bras émergèrent de la porte et saisirent Rook avant qu'il ne puisse bouger. Les bras de ténèbres le tiraient doucement vers la porte.
- Sayonara da, Hantā.
Le zorai n'avait pas entendu la phrase de la silhouette et était occupé à essayer de se défaire de l'étreinte des bras ; ceux-ci avaient une poigne ferme et étaient si nombreux que Rook pouvait à peine se débattre.
Il hurlait toujours tandis que la porte se refermait sur lui.

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#10 [fr] 

Les lignes suivantes sont inscrites sur le journal de Rook, qu'il avait commencé à écrire à partir de sa première injection de Sève Noire.



Je me suis réveillé après ça, en sueur. J'étais en position assise, et j'avais un mal de crâne fulgurant. Il est possible que j'ai hurlé en revenant à moi. Ezek était en face de moi dans la pièce sombre. Je l'ai reconnu à la taille.
- Et il se réveille finalement ! Il lança joyeusement.
Je n'étais pas capable de parler, ma langue était parchemineuse et la douleur dans ma tête me lancinait de façon obsédante. J'avais soif. Ezek désigna un verre et un pichet sur la table où il était assit, à quelques mètres en face de moi. « Il serait honteux que tu aies besoin d'aide pour te lever. » a-t-il dit d'un air satisfait. Je n'ai même pas réagi. Mon corps en était aux besoins primaires ; boire, manger, c'était la première fois de ma vie où j'ai ressenti qu'il n'y avait plus de place pour le sarcasme. J'ai essayé de me lever, bien sûr. Je me suis étalé sur le sol comme un jeune capryni qui apprend à marcher. J'ai réussi au deuxième essai. J'ai lancé mon corps sur une chaise vide, rapidement saisi le verre qui était rempli d'eau et je l'ai bu d'une traite. J'en ai bu un deuxième, et un troisième, avant que ma voix rauque ne puisse sortir de ma gorge à nouveau.
- Quatre jours, dit Ezek qui devançait ma question. D'habitude au bout de trois on considère que c'est sans espoir, c'est parce que j'ai parié que tu t'en sortirais que j'ai dû te veiller à partir du troisième jour. Bois, le moche, on a le temps.

J'étais surtout concerné par ce que j'avais vu, désormais. Dieu, la porte, la Vérité ? J'avais toujours mal à la tête. Quelque chose au fond de moi m'affirmait que je n'avais pas imaginé cette scène.
Ezek demanda ce que j'avais vu, j'ai répondu que je ne savais pas. J'étais confus, et je ne savais pas quoi penser. Le petit homin avait eu l'air déçu, et était parti, sans doute prévenir les autres de mon réveil. C'est ce moment là qu'Il a choisi.
J'étais en train de réfléchir à tout ce que j'avais vu, et Il a surgi. Une voix, dans ma tête. Une voix que je connaissais. L'addition de plusieurs voix aiguës et graves qui semblaient masculines, résonnante. « Yo, Hantā ! » il avait lancé. Mon cœur a loupé un battement, et je suis tombé de ma chaise en arrière. Mes pensées étaient totalement confuses et désordonnées, ma tête me lançait de plus belle. Il savait que c'est ce que ça provoquerait.
« Désolé, Hantā, mais il faut établir le premier contact à un moment. Tout va bien aller. ». Il s'est rendu compte que je ne me reconnaissait dans le nom Hantā. Il avait alors explosé d'un rire qui a résonné dans ma tête avec force, tout en disant : « Tu ne reconnais même pas ton propre prénom, imbécile. Hantā. Tu l'as oublié ? ».

Mon vrai prénom.

Hantā.

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#11 [fr] 

Je suis arrivé à Yrkanis il y a cinq jours. On s'introduit dans cette ville avec une étonnante facilité, en tant que maraudeur. Mais je ne suis pas là pour jouer aux criminels. J'ai été trouver la chef des gardes, pour lui expliquer ma situation -j'ai menti sur mon clan, sans quoi j'aurais été jeté en cellule-, j'ai inventé je ne sais plus quelle histoire scabreuse pour justifier mon arrivée. Il suffit d'y mettre une petite touche de crainte, une pincée de menace, et tout le monde vous croît. Mentionner un nom bien connu comme celui d'Acour est toujours un plus.
Dira était mort de rire tout le long de ma comédie. Je l'entendais dans ma tête, de sa voix résonnante et très perturbante. Mais je me suis habitué à lui. Pas le choix. Je sais que si les gens qui m'entourent étaient au courant de cela, de Lui, il me déclareraient fou à lier et m'enfermeraient. Pourtant j'ai encore pleine conscience de mes actes. Je ne sais pas. « Bien sûr que t'es pas fou » m'affirme Dira, « Je t'ai choisi comme divertissement, comment ça peut faire de toi un fou ? ». Je ne sais toujours pas. Je pense qu'il y a une contrepartie à avoir une autre conscience dans sa tête.
- Ça fait un an, Dira. Je sais toujours pas ce que tu veux, dis-je intérieurement.
- Je te l'ai déjà dit. Je veux tout, répond-il.
Je soupire. Une douleur au flanc me lance. Je touche une fois de plus mon masque, la cicatrice de la lame est bien là, sous l’œil gauche. Ezek m'a rendu visite avant-hier. J'ai l'impression qu'il me trouvera où que j’aille. On a discuté un peu, surtout de mon arrivée au Royaume. Quand il m'a demandé pourquoi, j'ai simplement construit une histoire de vengeance pour ce que le Royaume m'a fait subir quand j'étais plus jeune. Je crois qu'il a trouvé mon histoire stupide. Il m'a laissé une seringue de Sève Noire ; je l'ai gardée dans ma poche. Avant de partir, il m'a tailladé au flanc avec son épée, puis laissé cette cicatrice sur mon masque. J'étais dans un piteux état. La novice Shepeng m'a trouvé, et prestement soigné. Cela faisait plus de douze ans que personne ne s'était occupé de moi. J'avais oublié à quel point le toucher peut-être un sens agréable…
C'est ainsi que j'ai fini dans la maison la Firme, noble maison d'artisans, maison de Shepeng. Depuis, je crois que Shepeng s'est mis en tête de s'occuper de moi. Elle regarde mon bras à toutes occasions pour vérifier si je me pique toujours, elle fait attention aux tenues que je porte, elle a même pris de mon sang pour étudier la Sève Noire. Dira se marre chaque fois qu'elle s'occupe de moi. Pas moi. Douze ans que je n'ai pas eu la moindre attention de qui que ce soit  -les seules attentions que j'ai me valent cicatrices et blessures diverses-, j'en profite. Je sais pas, quand elle me touche, c'est comme si je revenais douze ans en arrière, comme si le vide de mon âme se comblait petit à petit, je ne pourrais pas l'en empêcher même si je le voulais. « Hé, lopette-kun, tu veux pas aller faire couler du sang ? » me dit Dira, ennuyé par ma réflexion.
Mais je suis homin, après tout.

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#12 [fr] 

Dira n'est pas très patient. Il veut que je fasse ce qu'il dit ; il veut que je fasse couler du sang. J'ai tué beaucoup d'homins récemment. En duels singuliers. On dirait qu'il me teste. Je le soupçonne d'avoir une influence sur mes sens et mes décisions, ainsi que ma volonté. Je n'ai jamais vraiment voulu tuer d'homins auparavant, pourtant à chaque fois qu'un homin tombe sous mes coups, je ressens une satisfaction indescriptible. Provoquée par Lui ? Il prétend qu'il n'a rien à voir avec ça.

- Hantā, à quoi tu réfléchis encore ?
- Un an que l'on vit… ensemble. Je tues, de plus en plus, d'une volonté qui n'est pas la mienne. Je ressens une satisfaction à le faire qui n'est pas la mienne non plus. Tu me testes en me forçant dans des duels contre d'autres homins, et tu demande à quoi je réfléchis ?
- Tssk. Je suppose que je n'ai pas le choix.
Une sensation de froid glacial m'envahit instantanément, émanant de mon propre corps. Je ne peux plus bouger. Mes pensées s'affolent, et finissent par disparaître, une à une, en quelques secondes. J'entends Dira lancer d'un ton sarcastique : « Froid, Hantā ? ». Le froid s'estompe aussi instantanément qu'il est arrivé et laisse place à la chaleur réconfortante de mon corps vivant. Je tombe à terre sur mes genoux et suis incapable de formuler la moindre pensée. Soudainement, une atroce douleur se répand dans mon corps entier.
« Douleur. » dit Dira d'un ton détaché. Mon cœur bat bien plus vite que nécessaire, je me plie en deux ; désormais à quatre pattes sur le sol, tremblant. La douleur imprègne mon esprit et je hurle. Comme si chaque tissu composant mon corps se déchirait lentement, ma peau, mes muscles, mes organes. Je suis au bord de l'inconscience quand la douleur disparaît ; ayant instinctivement compris que ces sensations étaient provoquées par Dira, je le supplie d'arrêter.
«Feu. » répond-il, imperturbable. Je sens immédiatement mon sang bouillir dans mes veines et des flammes lécher ma peau. C'est pire que la première injection de Sève Noire. Le feu émane de moi et me consume à la fois, n'épargnant pas la moindre parcelle de mon corps. Je hurle plus encore.
Il me fait subir ce traitement de longues minutes de plus, je n'arrive pas à tomber dans l'inconscience.
« Démembrement. ».
« Noyade. ».
« Chute. ».
« Mort. »

#13 [fr] 

A mon réveil, je ne sais pas où je suis. J'ai du mal à me rappeler d'où je viens, ce que je faisais. Alors que le flou s’atténue, j'aperçois un plafond. Bien, je suis dans un bâtiment.
Quel est mon nom ?
Une voix étrange répond à ma question.
- Hantā. Ton prénom. Tu te présente sous le nom de Rook. Je restreins actuellement l'accès à ta mémoire, car le souvenir de la douleur est souvent plus fort que la douleur elle-même.
La voix résonne dans ma tête, partout et nulle part.
- A qui ai-je l'honneur ? Je demande sur un ton ironique.
- L'ombre de toi-même, ta seconde partie, ton âme, ton inconscient, tout et rien, toi, moi, un être fictivement réel, et réellement fictif.
- Ça aime les présentations théâtrales, en tout cas.
- Appelle moi Greed.
- Très bien, Greed. Je vais t'épargner les questions habituelles à propos de ta présence dans ma tête car je présume que tu n'es pas là que depuis les deux dernière minutes et que je te les ai déjà posées.
- T'es nettement plus marrant sans mémoire, Hantā. L'ironie, l'aplomb, ce sont des choses que tu as perdues.

Soudain, il semble qu'une porte en moi-même s'ouvre, et une quantité incroyable d'informations déferle sur mon esprit. Le pays matis, le sang. Le désert, la solitude. Les Rangers. Les Maraudeurs. La Forêt encore une fois. La douleur.
Je me souviens. La colère m'envahit par-dessus ce souvenir de douleur, fureur d'incompréhension dirigée vers Lui.
- Hantā. Ce que tu as subis, ce que je t'ai fait subir, était une initiation. Ton esprit connaît désormais toutes les sortes de douleurs que vous, homins, pouvez subir. Cela te mène sur les marches de la vérité.
- La vérité, Dira ?! Je fulmine.
- Greed.
- Je te la demande, la vérité, depuis le début. J'ai effectué ton petit test puéril, j'ai tué sur ta volonté, pour l'obtenir cette fameuse vérité, et tu m'offres la douleur ?! Je n'avais pas besoin de toi. Je n'avais pas besoin que tu prennes le contrôle de mon esprit.
- Mais quel vérité crois-tu que tu cherches ? La vérité, c'est le pouvoir. Le pouvoir d'avoir ce que l'on veut, le pouvoir de régner. Maintenant écoute-moi, petit. Je suis ton Gardien. Mon nom est Greed. Je peux te mener au pouvoir. Ne le désires-tu pas ?

Je ne réponds pas, je suis beaucoup trop confus. Je ne sais pas ce que je veux. Je ne sais plus ce que je cherche. J'ai besoin de pouvoir me reposer sur quelqu'un.
Et je crois qu'Il est là pour ça.

#14 [fr] 

J'erre à la surface d'Atys. Je vais là où mes pas me mènent. Nulle part. Les mots de Greed résonnent dans ma tête. « Ton gardien ». « Le pouvoir de régner ». Régner ? Sur quoi ? Sur qui ? Je ne suis pas un roi. Ni un empereur. Un homin errant. Un homin dangereux, couvert du sang de ceux qui croisent ma route. Qui suis-je pour avoir déclaré ces vies miennes ? Ma main tremble près de ma dague tandis que je marche. Un drogué. Un rejeté. Un tueur.
Ma main touche la lame à la mesure de mes pas.
D'un geste vif, je l'attrape et la pose contre ma gorge.
Le contact glacé me procure un frisson. Ne serait-il pas juste d'y mettre un terme ? Une série de cadavres ensanglantés défile devant mes yeux. Trop.
J'ai toujours reproché à ce monde d'être injuste et corrompu.
Quel genre d'incapable peut se laisser corrompre à son tour ?
Le visage de ma sœur s'impose avec force devant mes yeux. Elle est sur son lit, et dort paisiblement. Nityae… Quel genre de frère penses-tu que je suis ? Quel genre de monstre suis-je devenu…
Je m'étais prétendu inflexible. J'avais prétendu que la Sève ne m'influencerait pas.
Une larme coule sur mon visage.
Regardez-moi. J'ai brisé des familles. J'ai supprimé des vies. Et je suis pourtant si faible.
La lame tremble contre ma peau nue.
Je ne peux pas.
Je n'ai simplement pas le droit.

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#15 [fr] 

Alors que j'ouvre les yeux, je découvre un adepte kami à terre. Couvert de sang. Acculé contre un mur, il me regarde d'un air terrifié. Il tremble et respire fort. C'est énervant. « Pitié. » m'implore-t-il. « J'ai une famille… Ne fais pas ça… Je t'en conjure... » dit-il. Cela m'exaspère.
- FAIBLE ! Je lui hurle. C'est tout ce que tu es. Tu ne peux pas me tuer ? Tu ne peux pas ?!
Mon corps se tend, je le saisis à la gorge et le soulève. Il se débat. Hors de moi, je bande les muscles de mon bras et serre son cou. Une sensation de craquement sous mes doigts me fait lâcher ma prise.
Un corps sans vie tombe à mes pieds.
Il n'est qu'un de plus.

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