ROLEPLAY


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#1 [fr] 

La porte s'ouvrit dans un chuintement presqu'imperceptible, et une lumière faible se fraya un chemin dans une obscurité sèche préservée depuis presque vingt ans.

Eleena murmura à peine un mot, et une lumière bleutée étincela de sa main pour voleter en un papillon. En un battement d'ailes, il se rendit à sa hauteur, et l'accompagna, éclairant le caveau. Et la lumière ne parvenait pas à en dévoiler tout l'espace.

La matis descendit la volée de marche, jusqu'au dallage de bois fossilisé de la crypte. Personne, depuis la fin des premiers cercles, et la disparition des Gardiens de la Sève, n'avait plus pénétré ici. Quand le caveau avait été scellé, tous, sans hésiter, auraient juré sur leur graine de vie, que les secrets qu'il préservait seraient protégés à jamais.

Les temps avaient changés.

Eleena avança vers le gisant, et son cœur se serra. Posé à même une dalle de bois noir, reposait la dépouille momifiée de Lao Tel'Ank, celui qui il y avait si longtemps avait été surnommé Pieds-Bleus, un quolibet qu'il avait gardé, avec humour et affection. Tenant son vieux bâton contre son poitrail desséché aux os saillants, le vieux sage mort depuis des éons semblait le gardien des lieux, dans un sommeil funèbre.

- "Qu'est-ce?"

La voix se voulait calme, mais celle qui parlait n'avait pu retenir la crainte dans sa question. Elle était resté à l'entrée, en haut des marches, et son masque orné d'ambres reflétait l'éclat bleuté du papillon de lumière qui éclairait la crypte. Elle en voyait bien assez, et plus qu'elle en eu voulu.

- "Mon passé, Kai'ata-bini. Notre passé à tous, l'ensemble des savoirs rassemblé par les Gardiens de la Sève, confiés à l'éternité."

La zoraï fixa la petite matis chétive, son masque impassible. Il lui était souvent malaisé de se souvenir que celle qu'elle regardait, n'avait pas seize, ou dix-sept cernes, mais près de soixante. Et que le passé enfoui ici avait été son quotidien.

- "Mais, Eleena les archives des gardiens de la Sève sont confiées aux cubes d'ambre de la mémoire de Zora, né?"

Kaiata suivit du regard la matis, qui s'avançait dans la crypte, emplie de tables, et d'armoires où s'empilaient non des cubes d'ambre, mais des livres, des tomes, et des entassements de feuillets et de manuscrits.

- "Né. Même fey'lin-bini n'imaginerait pas les secrets qui ont été gardés ici, et jamais confiés aux cubes d'Ambre de la mémoire zoraï. Ici, se trouvent les secrets que Thun'Astal, Lao, et Leto ont voulu préserver. La vraie raison d'être des Gardiens de la Sève. Celle que Thun n'a jamais révélé, et Leto seulement à son dernier souffle."

-"Thun... aurait conservé des secrets de Leto le traitre dans la tombe de mon grand-père?"

Eleena tourna la tête vers Kaiata, et la hocha négativement.

- "Né... il ne les a pas conservé. Ils les ont rassemblés ensemble. Toute une partie de l'histoire des Cercles Zorai, leur création, la traitrise de Leto, le conflit entre les matis et les zoraï, les recherches sur la Goo, tout ce qui a conduit à ce qui a tué ton grand-père, et fait mourir tant de gens, c'était un complot. Un complot immense. Et son secret est ici."

 - "Eleena; Zora risque d'être détruite, et notre peuple éparpillé, il n'est même pas sûr que les cubes d'Ambre de la Théocratie puissent être préservés, ou en sécurité. Pourquoi ne pas laisser cette tombe, laisser reposer Lao, et laisser ce passé mourir?"

Il y eu un long silence pour toute réponse, tandis que la matis faisait du regard le tour de la crypte, avant que ses doigts ne viennent frôler en tremblant le masque desséché de son ancien maître.

-  "Parce que, moi morte, il ne restera rien de la Nemesis. Parce que la vérité ne doit jamais mourir..."

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Psychee Aquilon Alanowë, la Zorai Blanche.
Wa'kwaï
"Fils, et père, tous ivres de vengeance, de rage, et de haine, creusez deux tombes. Celle pour votre ennemi. Et celle pour vous."
Poème chinois du IIIème siècle.

#2 [fr] 

Elle ne voulait pas les nommer. Mais Eleena savait qui venait de mourir, et pour chacun, elle avait senti, et partagé leur agonie. Presque tout le wa-kwai s'était éteint. Son clan. Sa famille.

Mais elle devait sauver ceux qui survivaient.

Devant l'Eveillée Zoraï Blanche, Mabreka-cho, le vénérable Ma-Kwai faisait jaillir toute sa sève en une furie de destruction, qui aurait fait piler net les plus féroces guerriers de l'écorce. Mais le mur grouillant de carapaces, de pinces, de crochets et de palpes n'en avait cure. Il formait un mur de rage meurtrière, espèce contre espèce, homins contre kitins. La puissance d'un seul homin, fut-il si puissant, était dérisoire.

Dexton était tombé, au milieu de plusieurs de ses meilleurs gardes, pour briser le mur vivant, face au désespoir de l'assaut des homins. L'absence de choix rendait le plus novice des combattant plus déterminé et enragé qu'il le serait jamais. Mais cela ne le rendait pas immortel. Le convoi avait perdu nombre de combattants, mais tant mourraient, réfugiés, escorte, corps mêlés et brisés avec les dépouilles des mektoubs de bât disloquées dans des odeurs de chairs brûlés, d'acides, et de sang.

Et Eleena partageait leur mort à tous. Son affinité exacerbée avec le Chant d'Atys, le chant de toutes les consciences et émotions que la vie transmettait à toute l'écorce, était ici une malédiction. Eleena avait toujours eu conscience qu'elle ne survivrait sans doutes pas à un génocide si un jour elle devait être partager l'agonie d'un si grand nombre d'êtres, d'un si grand nombre d'homins, de manière si horrible.

Le Wa Kwai serait décimé. Ceux qui n'était pas dans le convoi, ou n'avaient pu être évacués avant, ne survivraient pas aux assauts sur les cités, dont elle avait été témoin. Mais qu'est-ce qu'était une poignée d'homins contre tous ceux qui seraient sauvés. Elle eut une pensée pour ceux qui avaient pensé pouvoir survivre à l'Essaim en lui faisant front. Elle pria juste brièvement que leur fin soit rapide.

Eleena entendit un hurlement, alors que le mur cédait enfin. Yrkanis était tombé. La Zoraï Blanche sut de suite qui avait hurlé. Son fils, Reedeek, pair du Royaume, venait de voir tomber son karan.

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Psychee Aquilon Alanowë, la Zorai Blanche.
Wa'kwaï
"Fils, et père, tous ivres de vengeance, de rage, et de haine, creusez deux tombes. Celle pour votre ennemi. Et celle pour vous."
Poème chinois du IIIème siècle.

#3 [fr] 

Le convois s'était étiré à l'extrême. Accepter de laisser derrière morts et agonisants, sans se retourner, était inacceptable. L'altruisme venait remplacer l'instinct de survie personnel.

Sauver le plus possible, donner une chance, au risque de sacrifier la sienne propre, sans hésiter. Vrana avait fait partie de ceux-là, restés en arrière, pour trouver et sauver les retardataires. Aucuns d'eux n'aurait obéis aux ordres d'avancer sans se retourner, aucun d'eux n'aurait pu, sans sacrifier son âme, laisser derrière des homins mourir seules.

A quoi bon survivre, si c'est pour vivre une vie hantée des appels de ceux qui sont morts?

La fin du chemin était là, derrière ces nids, derrières les remparts hurlants et fous des kitins qui eux-mêmes se sacrifiaient sans se soucier de leur survie personnelle, pour abattre leur ennemi: les homins.

Les homins se sacrifiaient sans se soucier de leur survie personnelle, pour leur faire barrage, et protéger les enfants, les femmes, les vieillards, les frères, les parents, les voisins, les ennemis d'hier, les amis de demain.

Il n'y avait plus de clans, il n'y avait plus de Maisons, il n'y avait plus de tribus, ni de religion, ni de dictature, ou de pouvoir, de soumis et de puissants. Celui qui devait sa vie à l'intervention du gouverneur tryker ou du Grand Masque Zoraï ne se demandait pas quel privilège lui valait ce geste, et de qui. Il était un homin sauvé par un autre.

Alors que le soleil se mourrait sur les dernières falaises d'écorce au dessus de l'immense convoi, il n'y avait plus de puissances, ni Karavan, ni Kamis, Jena et Ma'duk n'étaient que les noms de ceux priés pour rester en vie, et avoir la force de garder en vie le plus possible de gens. Pour un soir, il n'y avait plus que l'hominité se battant frère avec frère, inconnu avec inconnu, ennemi avec ennemi, tous pour un seul but: en sauver le plus grand nombre.

Eleena réussit à retrouver un groupe attardé, et Vrana, sa compagne, épuisée, et perdue, son armure désormais noire de suie, et de sèves mêlées. Toutes deux se firent escortes des réfugiés blessés, taillant leur route de lames, et de magie, pour rejoindre le convoi. Qui étaient-ils, ces réfugiés en retard, qui eux-mêmes avaient risqués leur vie pour des homins blessés oubliés en arrière? Elles ne le savaient pas.

Et savaient-ils eux-mêmes qui était ce couple venu les aider? Quelle importance, à cette instant?

Tout un groupe se porta à leur rencontre, alors que l'air vibrait des hurlements et du tumulte d'une charge de kitins. Ils n'étaient que des poignés d'homins face à un déferlement de furie aveugle, et Eleena sut que Vrana savait, à son tour.

Aucunes des deux ne survivrait. Elles étaient venues l'une pour l'autre, mais n'étaient plus que deux homines anonymes tentant d'en sauver d'autres, aidés par des âmes anonymes dans un Chant funèbre, celui de tellement d'espoir, et de tellement d'agonie.

Vrana disparut à la vue d'Eleena, et elle sentit sa terreur, et son adieu, déchirant son cœur. Elle vit son fils, parmi les homins tentant la percée pour sauver le petit convoi, son fils, qui se mourrait, et sacrifiait sa faible chance de survie, pour elle, et pour ces autres. Il n'y eut bientôt plus que rien que pinces, crocs, et carapaces, corps piétinés, tant de courage et de terreurs mêlés.

Et la Zoraï Blanche disparut, baissant les bras, levant le regard vers les étoiles, acceptant le sort qu'elle partageait ce soir avec tant d'autres, dans le jaillissement de ses dernières forces, ses derniers éclats de magie, au milieu de la horde du Grand Essaim...

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Psychee Aquilon Alanowë, la Zorai Blanche.
Wa'kwaï
"Fils, et père, tous ivres de vengeance, de rage, et de haine, creusez deux tombes. Celle pour votre ennemi. Et celle pour vous."
Poème chinois du IIIème siècle.

#4 [fr] 

- "Veut-tu vivre?"
- "Je ne peux pas mourir."
- "Veut-tu vivre?"
- "Ils meurent, tous, c'est la fin, je veux mourir avec eux."
- "Tu ne peux pas mourir."
- "Pourquoi vivre s'ils meurent tous?"
- "Rien ne meurt ni ne disparait. Tu le sais."
- "C'est moi qui croit en cela."
- "Oui."
- "Qui me parle?"
- "Toi."
- "Alors pourquoi me demander si je veux vivre? Pourquoi vivre en perdant tous ceux que j'aime, encore une fois?"
- "Parce que tu sais que tu ne peux mourir, et tu ne le veux pas. Parce que tu sais que tu perdra tous ceux que tu aime, si tu meurs. Si tu vis, il en restera. Tu les aime. C'est ce qui te nourrit. C'est ta raison de vivre. Alors vit."
- "C'est à moi de choisir?"
- "Cela a toujours été à toi de choisir..."

Un silence immense. Le premier, néant absolu, depuis des éons. Le temps perdit tout sens, elle pensait que le jour où elle mourrait, elle se noierait dans le chant d'Atys, bercée par le flot de conscience universelle qu'elle avait écouté et qui l'avait accompagné toute sa vie. Mais il n'y avait rien. Que le vide, et ses pensées étirées jusqu'à la rupture, souvenirs et regrets confus en une tristesse mélancolique que rien ne venait alléger. S'il existait une punition prononcé par la cruauté de la providence, elle était celle-ci: de se perdre dans une éternité de silence et de néant, habité de ses regrets.

Les étoiles brillaient au firmament, quand Eleena rouvrit les yeux. Ses premières sensations furent son extrême faiblesse, la faim, et la soif, son corps endolori lui réclamant une attention qu'elle était trop faible pour lui donner. Elle rampa, et se traina dans les herbes, cherchant un moyen de savoir où elle se trouvait, l'esprit embrumé, et même la faible lueur nocturne lui brûlait les yeux. Elle comprit de suite ce qui s'était passé, pour l'avoir déjà vécu. Elle était morte, son corps déchiqueté sous les coups des kitins. Et quelque part, l'écorce se nourrissait de son ancienne carcasse. Mais son esprit, et son essence avaient survécus, eux, et les kamis seuls savaient quelle puissance avait accompli le miracle de lui rendre son corps. Cela était déjà arrivé. Cela prenait du temps. Elle regretta un bref instant qu'il en soit ainsi. Et cette pensée s'évada elle aussi, tandis qu'elle se recroquevillait pour sauver un peu de sa faible chaleur corporelle. Elle était en vie. Et elle entendait à nouveau, faiblement, comme un murmure aux limites des sens, le Chant d'Atys.

Il se passa du temps, des jours, tandis qu'elle se débrouillait de son mieux pour s'abreuver, et se nourrir. Elle pu s'orienter pour trouver sa route, et ses pas furent un subtil mélange de détermination, et de vertiges hallucinés. C'est des jours plus tard qu'elle apprit par la bouche d'un ranger comment elle avait été retrouvée par une tribu réfugiée qui était partie en récolte. Du temps avant passé, huit années en tout, et le Grand Essaim était retourné aux profondeurs, même si il restait encore nombre de kitins. Beaucoup de gens avaient survécu, le sacrifice des morts n'avait pas été vain. On lui demanda qui elle était, d'où elle venait, mais elle ne dit que son prénom, ancien: Eleena. On ne la reconnut pas, et elle ne donna que peu de détails. C'était sans importance.
(à suivre)

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Psychee Aquilon Alanowë, la Zorai Blanche.
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Poème chinois du IIIème siècle.
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