ROLEPLAY


Les larmes de Lyz

Nejimbé referma les portes du hall. Protection dérisoire contre les kitins qui risquaient d’envahir la ville, elle le savait, mais c’était un rituel qu’elle accomplissait chaque fois qu’elle partait et s’accrocher aux petits rituels, quand tout ce qu’elle connaissait menaçait de disparaître, l’aidait à tenir debout.

Tenir l’Entrepôt du Comptoir Tenant avait été un bon boulot. Les comptes étaient facile à tenir, l’activité réduite, la paie régulière et tout se déroulait à Zora. Des chiffres bien ordonnés, pas de surprise, pas de voyage : une vie parfaite pour la jeune comptable. Cela aurait pu continuer durant des cernes sans la déranger. Mais il avait fallu que les kitins se réveillent.

Son cousin Likio l’attendait en bas de la rampe de l’immeuble, dans une armure un peu trop petite pour lui.
-Nejimbé, je ne voudrais pas paraître impatient, mais la route est longue et dangereuse jusqu’à Pyr. Si on ne se dépêche pas, les autres risquent de partir sans nous.
-C’est peut-être un peu exagéré tout ça, non ? J’ai vu les installations des kamis. Les kitins ne rentreront pas à Zora.
-Mais on ne va pas tenir un siège de plusieurs années ici, de toute façon. Allez, viens... On trouvera bien à employer une comptable dans un camp de réfugiés !

Nejimbé et Likio, bien que cousins éloignés, partageaient un point commun qui les avaient rapprochés à de nombreuses reprises. Ils étaient profondément attachés à la Jungle. Likio venait de Min Cho, Nejimbé avait grandi à Zora, et aucun des deux ne voyait l’intérêt de partir sur les routes. Le jeune homin avait un aphorisme qui tenait lieu de devise : pourquoi aller chercher l’Illumination ailleurs, quand on peut la trouver chez soi ?
Nejimbé s’exaspérait parfois de la piété de Likio mais elle était d’accord sur le fond. Zora avait tout ce qu’il fallait pour qu’on y soit heureux, pas besoin de courir l’Écorce.
Hélas, ça voulait dire qu’aucun d’eux n’était jamais allé à Pyr. Pas de pacte kami pour arriver sereinement à destination...

La Route de l’Exode avait donc commencé pour les deux zoraïs par une traversée vers Pyr.
-Heureusement que Laofa a insisté pour nous faire faire les courses de colis, soupira Likio après une folle course pour échapper à des kitins entreprenants. Si nous n’avions pas appris à nous déplacer furtivement... jamais nous n’aurions traversé la rampe de Desertstock.
-Mais c’est loin d’être fini. Le Désert commence à peine. Il va falloir éviter de se perdre. Nous n’avons ni le temps, ni l’eau, ni les vivres pour faire un détour.

Varinx et Zerx tentèrent de croquer les deux homins à une ou deux reprises. Likio prit le mauvais embranchement aux Tours Frahars et la traversée se rallongea de quelques heures. Oflovak, enfin, fut en vue.

-A partir de là, c’est facile. On aperçoit déjà la Racine de Pyr.
-On aurait du faire appel à la Lune. Quelle galère ! grogna Nejimbé. Et cette sciure ! Comment font les fyros pour la supporter ? Et ces horribles bestioles...
-Oui, oui... on rentrera chez nous un de ces jours, mais encore un petit effort ! Ma-duk va nous donner la force !

La zoraïe leva les yeux au ciel d’un air exaspéré mais ne dit rien. Si Ma-duk était dans le coin, il se faisait discret. D’ailleurs, si Ma-duk pouvait virer les kitins et lui permettre de retourner à ses comptes et son thé, ce serait parfait.
Mais le Grand Créateur semblait peu soucieux d’exaucer ce genre de prières...

Enfin, Pyr, et à ses portes, un flot de réfugiés. Des jeunes, des vieux, des guerriers, des foreurs, des gens équipés d’armures toutes neuves et d’autres déjà bien cabossées, des armes de bric et de broc, mais aussi des lames de légende.
Likio aggripa le bras de sa cousine :
-Regarde ! C’est Mabreka Cho ! C’est lui !
-C’est un homin, tu sais. Comme toi et moi.
-Né... c’est...

Comment expliquer avec le simple taki ce que Mabreka représentait aux yeux du jeune kamiste ? Mais Nejimbé s’était toujours moins intéressé aux homins qu’aux chiffres, religion qu’elle ne pourrait pas non plus expliquer à son cousin. Elle le poussa en avant :
-Va le voir, tu en meurt d’envie. On se retrouva à l’Oasis des Kamis.

Puis elle disparut dans la foule.

Likio s’approcha, reconnaissant des homins de Zora. La zoraïe blanche, réveillée juste à temps pour fuir, la mère d’une des Eveillée, et d’autres encore qu’il avait croisé sur la place d’Highmart. Rassemblés autour de leur dirigeant, veillant à ce que les blessés et les plus âgés soient constamment entourés et protégés, la troupe se mit en marche.

Likio n’était pas un combattant excellent. Il était encore plus piètre guérisseur. Il se souvint de la Légende de Bredi le Brave et y puisa la force de tenir son rôle. «Pour un coup que je prend, c’est un coup qu’un meilleur combattant ne prend pas et cela lui laisse peut-être le temps de donner deux coups de plus à notre ennemi» avait dit le petit tryker. Et de se jeter ainsi sur un Exterminateur, hurlant plus fort que la bête pour attirer son attention et la détourner des autres guerriers.

Ainsi Likio se retrouva bien vite dans l’avant-garde. Terrifié au fond de lui-même en se retrouvant si petit face aux monstres de chitine, il levait bravement son épée à deux main et faisait ce qu’il pouvait pour toucher. Plus d’une fois, il se retrouva perdu dans une forêt de pinces et de griffes kitins, mais les sorts de soins continuaient de le soutenir, de refermer ses blessures et de l’aider à continuer.

Puis Dexton tomba. Le zoraï était juste à côté de lui à ce moment, et voir tomber cet homin si fort qui tranchait les carapaces comme si elles étaient en mousse, ébranla la confiance de Likio. Pourquoi ne se relevait-il pas ? Pourquoi ?
Les kitins du moment furent décimés en quelques instants sous la rage qui s’empara des fyros présents, mais Dexton restait à l’écorce. A présent, les homins conjuguaient leur effort pour le soigner... Puis la Ranger, Orphie, le déclara mort. Mort ? Comment étais-ce possible ?
Dexton était connu pour être pieux et servir Ma-duk avec dévotion. Pourquoi les Kamis ne le ramenaient-ils pas ?

Likio compta alors les homins qui restaient. Beaucoup étaient tombés. Leur troupe était encore importante... mais moins qu’avant. Il compris que comme Dexton, beaucoup ne se relèveraient jamais. Trop de mort, trop à faire... les Kamis ne pouvaient pas endiguer le flot de destruction qui soufflait sur Atys.

Il chercha des yeux Nejimbé, sans arriver à la voir, et sentit la glace s’emparer de son cœur.
«Je n’aurais pas du la laisser rejoindre les Tenants... la garder à nos côtés, protégé par la sainteté de Mabreka...»

Il n’avait pas le temps de pleurer. Il fallait continuer. Rejoindre l’oasis au plus vite, fuir de ces Terres envahies par les insectes.

Trois énormes nids barrait la route, recouverts d’un cauchemar de mandibules claquantes et de chitine luisante. La rage et le désespoir portaient les guerriers et le zoraï suivit le mouvement, sans chercher à réfléchir. Coup d’estoc et de taille, pique et tranche ! Sa lame dérapait sur les carapaces trop dures, mais cela suffisait pour énerver les kitins, les détourner un instant d’un autre. Il avait mal, il avait l’impression que les soins étaient moins efficaces qu’avant... Mais oui, ses blessures se refermaient moins vite ! Les kitins avaient du les déborder !

Avant d’avoir eu le temps d’analyser plus, un kirosta le transperça de part en part, puis le rejeta, pitoyable marionnette mordant la poussière du Couloir Brûlé. Recroquevillé dans la sciure, l’acide lui rongeant les intestins, Likio sentit ses forces l’abandonner peu à peu. Tout devenait plus froid, les bruits étaient assourdis...
-Ma-duk, ne m’abandonne pas... Ma-duk, je t’en supplie, ne m’oublie pas...
Le zoraï sanglotait, terrifié à l’idée de ne pas se faire relever. Les secours n’arrivaient pas. Seuls les kitins faisaient entendre leurs cliquetis tandis que sa sève et son sang le désertaient.

Peu a peu, la certitude que la fin approchait l’envahit. Étrangement, avec cette certitude, la peur disparut. Likio ferma les yeux. Il avait chaud à présent, il n’avait plus mal et son corps lui paraissait lointain.
-L’Âge d’or Kami... Renaître au sein de Ma-duk.

Un sourire se dessina sur son masque maculé de suie et de sève. Puis sa graine de vie cessa d’exister.

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