ROLEPLAY


Prisonniers zorais

Un paquet arrive à la mairie de Zora, adressé de la façon suivante "Pour la prochaine assemblée des Cercles, à l'attention des Sages et des Éveillés".

Il contient un message et 3 tyllidohl*, chacun marqué d'une date.
Message accompagnant les Tyllidohl
Kamia'ata Sages et ÉveilléS

Je suis Misunoko, une guérisseuse qui, parmi d’autres, a formalisé le soin par la parole. Cette méthode a obtenu un certain succès auprès des initiés. J’ai par exemple accompagné beaucoup d’homins qui souffraient, des années après, de ce qu’ils avaient vécu durant le Second Essaim ; souffrance qui se manifestait par du repli sur soi, de la colère, de la violence envers soi et les autres, etc. Après un certain temps, la plupart d’entre eux ont pu trouver l’apaisement et la sérénité au sein de la société. J’ai aussi tenté d’accompagner des membres plus en marge de notre société, avec un résultat plutôt mitigé, dû entre autres, je crois, à un environnement défavorable... mais ce n’est pas le sujet de ma lettre. Depuis un certain temps, je travaille en collaboration avec les gardes de la cité, à la fois pour les soulager des horreurs auxquelles ils sont régulièrement confrontés, mais aussi parce que ce sont souvent eux qui m’adressent les patients qui ont le plus besoin de mes soins.

C’est ainsi que j’ai pu suivre certains prisonniers de la Théocratie. Tous ne sont pas réceptifs au travail que je propose et je tiens à préciser qu’ils ont toujours le choix d’accepter ou non mes soins. Pour certains, l’esprit est si abîmé qu’il me semble difficile de parler de choix... C’est le cas pour la plupart des antekamis qui ont été enfermé à Min-cho depuis de longs mois.

J’ai été informé que vous alliez aborder le sujet des prisonniers lors de la prochaine assemblée. Je ne pourrais malheureusement pas être présente, mais je tiens à vous faire parvenir ces quelques documents qui, peut-être, alimenteront votre réflexion. Cependant, si je porte cette lettre à votre attention, ce n’est pas pour décider du sort de ce Goroki et de ses compères, mais pour vous demander de l’aide.

Aider les citoyens en détresse est un travail dur, mais largement récompensé par la joie de voir les gens revenir à la vie. Cependant, dans le cas des criminels endurcis, ce travail est souvent ingrat et déstabilisant. Je ne sais plus si ce que je fais est juste ou non. J’ai commencé avec les meilleures intentions du monde, mais les Kamis nous enseignent que nos actes ne sont pas toujours à la hauteur de nos intentions. Je vous laisse juger, d’après ces enregistrements en particulier.

Goroki est un personnage étrange. Dans les premiers temps de son emprisonnement, il a fallu, comme les autres, le sevrer de son addiction à diverses drogues, ce qui expliquait un discours assez délirant que je vous épargne. Puis, un beau jour, il a semblé se réveiller (je n’ai pas d’autre mot) et s’est alors mis à me tenir des discours construits, démontrant une certaine érudition, tout en restant dans une vision du monde très biaisée par sa vie chez les antekamis.

Jusqu’à il y a quelques semaines, je vous l’aurais décrit comme une personne froide, logique dans sa folie, glaciale même par son absence d’empathie. C’est sans doute l’un des patients les plus difficiles que j’ai eu à soigner.

Mais en réécoutant les derniers Tyll que j’avais enregistrés, j’en viens à me demander si ce n’est pas moi, le monstre. Est-ce que ce que nous faisons est juste ? Nous privons ces individus de leur liberté ; leur esprit se brise dans ces cellules, alors même que nous veillons à ce qu’ils aient tout ce que nous considérons comme nécessaire : l’eau, la nourriture, la propreté du corps, celle de l’esprit grâce aux prières des bonzes, du sommeil, l’accès à des lectures saines... Nous ne laissons pas les prisonniers entre eux pour éviter qu’ils se confortent dans leur rébellion contre le système, et cela parait juste, mais il semblerait que les conversations avec les pieux initiés ne suffisent pas ; que mon travail même ne soit qu’un pis-aller...

Sages, Éveillés, je suis perdue et je demande vos lumières sur ce grave sujet. J’espère que la prochaine assemblée permettra d’éclaircir la question.

Ari'kami
Tyllidolh du Holeth, Medis 30, 4e CA 2586
— Il y a des jours où je m’ennuie. J’essaie de prendre exemple sur le Chef et de garder courage, mais je n’ai pas sa grandeur d’âme. Je ne m’ennuie pas assez pour vous dire ce que vous voulez entendre. Ma loyauté ne s’achète pas, elle se conquiert. Vous représentez une civilisation molle, ayant perdu le chemin de l’Éveil, tout en vous enorgueillissant de votre noblesse.
Vous n’entendez pas la sagesse des paroles du Chef. Mais cela viendra, un jour. Moi aussi, au début, je n’ai pas vu. Je ne voyais en lui qu’un homin, et pas le mieux doté des homins. Et puis j’ai Vu.
C’est quelque chose comme ça que Cho a dû ressentir, quand Ma-Duk lui est apparu. Il devait regarder un truc anodin, et soudain il a vu. Et c’est sans doute pour ça que personne d’autre n’a vu Ma-Duk. Il fallait savoir ouvrir les yeux sur l’anodin, sur ce qui parait simple et cache le vrai sens d’Atys.
[Un long silence]
— Le vrai sens d’Atys ?
— Cela fait des mois que je tente de vous l’expliquer. Mais ce ne sont pas les mots qui permettent de le saisir. Il faut le vivre. Nous ne pouvons pas le vivre ici, dans cette prison étriquée. Sortez avec moi, et je vous montrerais.
— Guzu, je ne peux pas décider de votre sortie. C’est le chef des gardes ou les membres du cercle qui le décideront.
— Mais ils ne le décideront jamais, car vous avez peur de la Vérité que nous apportons. Vous nous laissez ici, soi-disant pour notre bien, mais avant tout pour votre propre peur.
— Vous pensez que nous avons peur ?
— Oui, vous avez peur. C’est quelque chose que j’ai du mal à comprendre. C’est un mot que les antekamis m’ont appris : "peur". J’ai vu des homins courir, parce qu’ils avaient "peur", d’autres pleurer et implorer la pitié. J’ai appris à repérer cette lueur dans l’œil. Je la vois dans vos yeux, par moment. Mais je ne sais toujours pas ce que vous éprouvez vraiment, ce que ce mot "peur" veut dire. Je n’ai pas peur, moi ; ni de cette prison, ni du sort qui nous adviendra. L’ennui, oui, c’est un sentiment que je comprends...
— Vous n’avez jamais eu peur ?
— Je viens de vous le dire. Vous êtes censé m’écouter et me guider vers une autre façon de penser, non ? On ne va pas avancer si vous me faites répéter.
— Vous souhaitez avancer ?
[Un temps, assez long].
— Oui. Je veux comprendre. Mais ce n’est pas vous qui me faites avancer ; avec vous, je tourne en rond sur les mêmes choses, comme toute la société zoraie tourne en rond. C’est Krokwai qui me fait avancer. Vous ne voulez plus que je le voie, et vous croyez que loin de lui, je vais oublier, je vais me détacher de ses enseignements. Cela prouve que vous n’avez rien compris à ses enseignements.
— *Soupir* je confirme que je n’y aie rien compris...
— J’aime bien quand vous êtes honnête. Quand vous laissez tomber un peu votre masque de bonne zoraie compréhensive.
— Mon masque vous gêne ?
*Rire étrange*
— Si vous parlez de la corne en elle-même, franchement je m’en moque. On est plus confortable sans, mais ça vous regarde. C’est une démarche personnelle, de couper ses cornes. Tous les antekamis vous le diront. La plupart vous jugent idiots de les garder, mais encore une fois : ça vous regarde. Et ça ne nous étonne pas que vous soyez idiots, c’est presque une caractéristique des zorais. Non, ce qui me gêne, c’est de ne pas avoir de vraie conversation avec vous. Vous appliquez les méthodes de votre manuel, fort imparfait au demeurant, plutôt que d’utiliser votre esprit. Vous avez peur de moi, et pour mettre cette peur à distance, vous vous réfugiez derrière cette relation sans relief.
— Pour vous, j’applique un manuel ?
— Ho, s’il vous plait... cela fait combien de temps que je suis ici et que vous venez toutes les semaines ? Des mois ? Des années ? Je perds le compte. Si je ne m’ennuyais pas tellement, cela ferait bien longtemps que j’aurais arrêté de vous parler. Je n’ai pas vraiment l’espoir que quelque chose entre dans votre petite tête bleue. Mais je n’ai rien d’autre à faire, donc je peux bien vous parler. Je vous parle, de tout, de mon enfance, de ma cérémonie du masque, de mes voyages, de mon entrée chez les antekamis ; je vous parle du sens de ma vie et du sens de la vie et de la mort sur Atys ; je vous parle des mystères les plus miraculeux de votre existence. Je vous parle du Sacré ; au moins, vous ne criez pas comme certains bonzes à propos d’hérésie. Mais est-ce que vous écoutez ? Non ! Vous appliquez votre manuel. Je ne vous en veux pas pour ça ; moi-même, il y a beaucoup d’expériences que j’ai menées en suivant un protocole strict. C’est souvent la première façon de progresser sur le chemin de la connaissance. Mais est-ce que je m’arrête au protocole ? Non ! Il faut, à un moment ou un autre de l’expérience, introduire de l’aléatoire. D’autres paramètres. Envisager les choses sous un angle nouveau. Quelqu’un comme Krokwai envisage toujours tout, à chaque instant, sous un nouvel angle : c’est ce qui fait son génie, c’est ce qui lui permet d’être relié aux mystères les plus sacrés, de les concevoir sans aucune peine. Il ne peine jamais...
— *Tapotement d’ongles sur un carnet* Je pense que nous en avons fini pour aujourd’hui. Je vous reverrai la semaine prochaine.
— Même derrière votre manuel, je vois parfois votre masque. Passez une bonne journée.
Tyllidolh de la semaine suivante
— Peut-être que ça marche, votre truc, finalement. Vous m’avez presque manqué.
[Un long silence]
Vous pourriez répondre quelque chose à ça !
— Qu’est-ce que je devrais répondre, d’après vous ?
[Un long silence]
— Non, je me suis trompé. Ça ne me manquait pas du tout.
— Qu’est-ce qui ne vous manquait pas ?
*Ricanement*
[Puis un très long silence]
— Vous ne voulez pas me parler aujourd’hui ?
— Non. Je veux des gookies.
— Vous êtes en colère ?
[Un autre très long silence]
— J’ai l’impression que vous êtes en colère.
[Un soupir, mais pas d’autres réactions qu’un autre long silence]
— Et vous êtes encore plus énervé que je prenne votre silence pour de la colère, alors qu’il s’agit de votre part d’un test. D’une "expérimentation".
[40 minutes de silence intense]
— Notre rendez-vous se termine. À la semaine prochaine.
Tyllidolh plusieurs semaines plus tard
— Cela fait plusieurs fois que nous nous voyons sans parler. Aujourd’hui, ce sera la dernière, sauf si vous en décidez autrement. Vous resterez seul, en dehors de l’enseignement dispensé par les bonzes. Je suis ici pour parler avec vous et vous aider, mais je ne peux pas vous aider si vous ne parlez pas.
[Un silence, assez long]
— Je suis triste, Goroki. J’avais l’impression que vous aviez progressé, jusqu’à ce blocage. J’espérais vraiment que vous puissiez être remis en liberté.
*Bruit de quelqu’un se levant, quelques pas*
— Attendez ! Vous êtes triste ? Réellement ?
— C’est ce que j’ai dit.
— Montrez-moi votre masque. [Un temps] Sainte goo...
— Qu’est-ce que cela vous fait ?
— Non, ne cassez pas tout en recommençant avec vos questions idiotes... Laissez-moi un instant. Je n’ai plus l’habitude de... [Un long silence, pendant lequel la guérisseuse semble se rasseoir] Vous ne pourriez pas rester là où je peux voir votre masque ?
— Pas si je reste.
[Un nouveau silence, soudain troublé par une respiration hachée]
— *surprise* Vous pleurez ?
— Je transpire du masque. [Un silence encore long]. Oui, je pleure. Je n’arrive plus à penser. Je ne sais plus quel jour nous sommes. Je n’en peux plus d’entendre les prières des bonzes. Elles me râpent le cerveau, pire que la râpe dont certains antekamis se servent sur leur masque. La douleur physique n’est rien... mais ça... sentir mes pensées se perdre... je n’arrive plus à savoir. Je... je n’arrive plus à réfléchir, c’est comme si mes pensées étaient dans une mare de boue...
[Un nouveau silence]
Ne partez pas. Parlez-moi. Vous êtes la seule... la seule qui pourrait me parler.
— De quoi voulez-vous que je vous parle ?
— De vous. De la vie, dehors. Est-ce que c’est l’hiver ? L’été ?
— L’automne.
— Parlez-moi de l’automne.
— Ce n’est pas à moi de parler...
— PARLEZ-MOI DE L’AUTOMNE !!!
[Un silence tendu]
— Goroki, rasseyez-vous.
[Un nouveau silence, puis l’Antekami éclate de rire]
— Vous ne valez pas Pingi pour les regards sévères ! Mais elle, elle sort une masse quand ça ne suffit pas.
— Goroki, je vous le demande pour la dernière fois, rasseyez-vous. [Un instant] Merci.
— Vous savez que je me plie à vos règles idiotes uniquement parce que j’ai besoin de vous pour tenir le coup ?
[Silence]
Vous ne devriez pas me faire remarquer que j’ai dit...
[Silence, encore]
Aidez-moi, enfin !
[Toujours aussi peu de réponse]
Vous devenez forte à ce jeu.
[Agitation, silence]
Qu’est-ce qui se passerait si je vous tuais ? Là ?
— Vous voulez me tuer ?
— Si je "veux" ? Je ne suis pas un psychopathe. Je ne "veux" jamais la mort des gens, vous le savez bien. Elle est juste parfois nécessaire. Non, je ne veux pas vous tuer. Je me demande juste ce qui se passerait si je le faisais.
— Que se passerait-il, à votre avis ?
[Silence]
— Parfois, j’aimerais vraiment que vous m’aidiez. Réellement. Mais pour cette semaine, l’entretien est fini.


HRP
* Un tyllidolh est une invention tryker (cherchez sur le forum) permettant d’enregistrer sur un disque les sons à proximité, puis de les restituer à l’aide de l’outil adapté.

Note HRP : les conversations entre Goroki et sa guérisseuse sont en taki, et donc ils se tutoient (le "vous" de politesse n’existe pas en zorai), mais j’ai préféré rendre la distance qui les séparent via l’utilisation de la deuxième personne du pluriel. Que les puristes du Taki me pardonnent.

Et malheureusement je ne peux vraiment pas être là à la prochaine assemblée des cercles. On m'a avertit que le sujet des prisonniers allait être évoqué et j'avais envie de participer avec certains personnages ; à défaut d'être là je vous laisse une histoire :)
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